Voilà un quart de siècle que le festival malouin tient la barre contre vents (avec une programmation bien souvent exigeante qui ne suit pas aveuglément le sens du vent) et marées (on s’en est pris des trombes sur le coin du ciré) : du 13 au 16 août 2015, la Route du Rock fêtera son vingt-cinquième anniversaire dans un Fort St Père enfin rendu étanche (ou quasi !).
Malgré l’annulation de Björk la semaine précédant le festival, la Route du Rock garde le cap (et l’attachement de son public qui lui a immédiatement signifié son soutien1 – espérons qu’il en soit de même en termes de ventes ; d’autant que comme l’expliquait François Floret, directeur du festival à Télérama : « Même pas la peine d’appeler les assurances pour espérer des indemnités, comme aucun cas de force majeure n’est avancé, nous n’aurons droit à aucune compensation »).
Néanmoins, la défection inopinée de la tête d’affiche (désormais remplacée par Foals) ne doit en rien être l’arbre qui cache la forêt d’une programmation parfois pointue, souvent maligne et fréquemment alléchante… Et qui donne tout autant envie de ne pas manquer ce rendez-vous estival.
On vous propose une présentation détaillée (en plusieurs morceaux, pour être un poil moins indigeste), en espérant, qui sait, vous y retrouver, en tongs ou en cirés.
Lire : La Route du Rock 2015 – La Prog’ détaillée [Part I]
Lire : La Route du Rock 2015 – La Prog’ détaillée [Part II]
Lire : La Route du Rock 2015 – La Prog’ détaillée [Part III]
Bastions rock au Fort St Père (la fin…)
Bon, la Route du Rock met peut-être le mot « rock » en avant, mais c’est bien sous toutes ces formes qu’il faut prendre l’acception, du garage au psyché, de la pop au lo-fi, du shoegaze à l’électro-pop et on en passe, comme vous avez pu sans peine le remarquer dans les précédents articles consacrés à sa programmation. On achève donc cette longue présentation avec la fin des groupes programmés au Fort St Père sur la scène du Fort.
On commence avec Foals, autrement dit avec ceux qu’une grande partie du public accueillera comme des héros, puisqu’au pied levé le quintet d’Oxford a accepté de venir remplacer Björk suite à l’annulation du concert de l’Islandaise. Déjà venus en 2008 et 2010 pour deux prestations à l’énergie débordante qui avaient tout bonnement ravi les festivaliers (notamment en 2010), Foals viendra présenter en avance son quatrième album, attendu pour la fin août (le 28 exactement) What Went Down. Au vu de l’enthousiasme suscité par la sortie de ce quatrième long format, attendu avec une immense impatience par un grand nombre d’indie kids, beaucoup devraient se retrouver dans la programmation des Britanniques ce samedi. Il faut dire que la bande menée par le chanteur/guitariste Yannis Philippakis a derrière elle trois albums particulièrement plébiscités par le public et une partie de la critique.
Découverts grâce à une poignée de singles et un premier album produit par Dave Sitek (TV on the Radio) -mais mixé par le groupe lui-même- Antidotes en 2008, Foals (guitares, basse, batterie, claviers) s’est imposé à l’aide d’une musique particulièrement rythmique et galopante, préférant les zigzags et les riffs vifs et hypnotiques en bas du manche, empilant les couches, entrechoquant les rythmiques euphorisantes avec un soupçon d’afro-beat. Avec Total Life Forever (2010, produit cette fois par Luke Smith), puis Holy Fire (2013), produit par le duo Flood et Alan Moulder, le quintet a continué sur la même voie frénétique, continuant de relancer ses structures à l’aide de guet-apens rythmiques, voire de savantes montées (le tube Spanish Sahara), débouchant quasi constamment sur des titres immensément dansants. Pour ce nouvel album, enregistré en Provence dans le même studio où Nick Cave mit sur bandes le splendide Push the Sky away, Foals a choisi le producteur James Ford (Klaxons, Artic Monkeys, Simian Mobile Disco) et semble y avoir composé de manière plus brute, plus directe si l’on en juge par les trois premiers titres dévoilés, notamment What Went Down. Tout un chacun espère en tout cas en découvrir davantage sur la scène de la Route du Rock.
Les amateurs de pop luxuriante immédiatement addictive (nous en sommes) pourront se réjouir de retrouver Father John Misty sur la même scène le dimanche. Auteur d’un flamboyant I love you, Honeybear (Bella Union, 2015), inspiré par le bonheur amoureux (ça change !), Josh Tillman de son vrai nom s’était plutôt fait connaître comme le chantre particulièrement inspiré d’une folk lente et épurée, marquée par l’âpreté du blues (assez proche d’un Iron & Wine décharné en quelque sorte) ainsi qu’un temps (entre 2008 et 2012) comme le batteur des Fleet Foxes. Jusqu’à ce que le trentenaire à l’insolent sens mélodique décide d’enfiler une nouvelle peau : « Je suis finalement arrivé à ça, à ce nom ridicule qui permet toutes les fantaisies, y compris celle d’être sérieux. C’est paradoxalement à l’époque où je publiais des disques sous le nom de J. Tillman que j’avais le plus l’impression de jouer un personnage qui m’était étranger » confiait le musicien aux Inrocks (là).
Aussi ne s’interdit-il plus la démesure, les arrangements brillants et flamboyants (des trompettes et rythmiques un poil mariachi de Château Lobby #4 aux cordes d’I love you, Honeybear ou Strange Encounter, en passant par les chœurs soul de When you’re smiling and Astrid me) flirte avec les seventies (avec même parfois un chant à la Fred Neil, immense) mais continue pour autant toujours à tomber juste. Incroyablement juste même. Un album initial (Fear Fun, 2012) donnait un premier aperçu de la métamorphose de J. Tillman en Father John Misty, notamment dans sa nouvelle approche du chant, désormais plein. I love you, Honeybear enfonce le clou et définit incontestablement l’Américain comme un songwriter à suivre.
Tout comme Father John Misty, Timber Timbre est allé faire un tour du côté du mythique Laurel Canyon pour trouver l’inspiration de son nouvel album, le troisième depuis qu’on connaît les Canadiens (mais le cinquième en réalité, Timber Timbre ayant sorti deux albums autoproduits en 2005 et 2007). Hot Dreams (2014) voit revenir Taylor Kirk, non plus seul, mais partageant la composition avec Simon Trottier (et aussi Colin Stetson l’immense, au saxophone) pour un album tout aussi tendu, mais gagnant en densité et en lumière. Un peu comme si la musique cinématographique de Timber Timbre, jusque là film de rockabilly décharné fantomatique en noir et blanc échappé des 50’s, avait découvert les couleurs, non pas chatoyantes de la pop, mais profondes et mordorées des seventies (basses kraut à la Beak/Portishead, développements de bo à la John Barry, soul lente et sensuelle…).
Avant cela, c’est un peu contre toute attente que critique et public se sont entichés de Timbre Timbre, attendant le troisième disque du groupe, Timber Timbre (2009) -et même quasi un an et demi après sa sortie- pour l’adouber comme la nouvelle révélation. Mieux vaut tard que jamais. D’autant que ces huit titres méritent bien toutes les attentions. Folk songs dépouillées marquées par la voix de velours de Taylor Kirk, et par des arrangements particulièrement subtils (quelques cordes, cuivres et chœurs), ces chansons sonnent finalement comme du folk déviant. Parce qu’en dépit d’une instrumentation essentiellement acoustique, les morceaux de Timber Timbre sentent la poudre et le soufre. Aussi Creep On, Creepin’ On (2011) continuera dans cette veine, conviant cette fois la violoniste Mika Posen et Simon Trottier donc (pedal-steel entre autre), sur des titres peut-être un poil plus enlevés rythmiquement, mais qui sonnent plutôt comme du doo-wop tordu et souffreteux. Avant donc, ce dernier album particulièrement dense et abouti que Timber Timbre défendra sur la scène de la Route du Rock le vendredi. Vivement.
Dans une veine toute différente, on retrouvera le projet Kiasmos le samedi sur la scène du Fort. Duo composé du prolifique islandais Olafur Arnalds (compositeur de bo, collaborateur occasionnel de Nils Frahm, auteur d’album solo mêlant piano, cordes et sons électroniques) et de Janus Rassmussen (originaire des Iles Féroé), Kiasmos est conçu comme la rencontre des univers des deux musiciens : cordes, nappes électroniques, piano acoustique et pulsation techno/deep house. Kiasmos (chiasme, en français : la figure de style associe deux termes en les croisant, sans qu’ils aient nécessairement un rapport de sens ; elle sert à mettre en avant soit une antithèse, soit un parallélisme), comme son nom l’indique, aime jouer sur les oppositions, les contrastes apparents, comme celui entre musique classique et électronique. Après plusieurs années à faire de la musique sans penser à en faire un disque, les deux amis ont finalement donné naissance à un premier album sorti sur le label de Nils Frahm (Kiasmos, 2014, Erased Tapes). On y retrouve huit titres souvent aériens, mêlant la délicatesse d’une ambient organique à de subtils clicks(‘n cuts), le tout étant directement relié au sol (et donc à la danse) par un pied techno, voire une basse vrillée (Swayed, Bent). Sur disque, la musique du duo est plaisante (on écoute cela dit un peu trop de musiques de ce type pour être complètement convaincu) mais devrait très certainement prendre toute son épaisseur en live.
Pour finir, le vendredi, on aura le bonheur ineffable de retrouver The Thurston Moore Band, c’est à dire Thurston Moore sans Kim Gordon, sans Lee Ranaldo (arrivera-t-on à s’en remettre) mais avec quand même Steve Shelley (batteur de la jeunesse sonique) plus Debbie Googe à la basse (My Bloody Valentine) et James Sedwards à la seconde guitare (musicien anglais talentueux, qui à 16 ans avait réussi à passer backstage pour tailler la bavette avec Sonic Youth à Reading en 1991, sans se douter qu’il jouerait un jour avec Thurston Moore). Or Sonic Youth a toujours été la somme d’individualités fortes : chacun des projets de ses membres (pré-ou post-séparation, musical ou extra-musical, collaboration ou solo ) recelant toujours un réel intérêt.
The Best Day (2014, Matador) sous le nom de The Thurston Moore Band, arrive donc après l’album de Chelsea Light Moving (2013) enregistré par Thurston Moore avec un backing band tournant dans les sous-sols new yorkais et l’exercice solo Demolished Thoughts (2011), marqué par une instrumentation acoustique (harpe, violon, guitare sèche) et la production de Beck. Commençant par des harmoniques à la guitare tout en résonances aériennes, Speak to the wild, qui ouvre The Best Day, rebranche à nouveau l’électricité progressant d’entrelacs de guitares en profondes et sourdes détonations noise durant huit minutes, sans jamais oublier d’être mélodique. The Best Day sera à son image : mélodies vrillées, duels/dialogues de guitares entre hypnose et intensité sonique, jolies trouvailles planquées de ci, de là (12 cordes ? pour Tape, contrepoint de guitare country sur The Best Day) et surtout tripotée de bonnes chansons à passer en boucle sur la platine. Celles-ci risquant d’autant plus d’être magnifiées en live par la bande de l’éternel magicien Moore. On a hâte.
Eux aussi au Fort, les djs des Magnetic Friends auront également une nouvelle fois en charge de réchauffer l’ambiance entre les concerts. Et comme à leur habitude, ils devraient sortir de leurs besaces une tripotée de titres pour danser dans la boue, faire des blindtests avec les copains, voire chanter à tue-tête bras dessus-dessous avec son voisin (parfois inconnu quelques minutes auparavant). Entre madeleines indie-hip-pop-electro-rock et bombinettes-turbines à danser, les facétieux djs pourraient d’ailleurs glisser quelques surprenantes pépites. Oui, ça s’est déjà vu. Comment ? Vous avez dit « chenille » ?
Retrouvez tous nos articles sur La Route du Rock, avant, pendant et après le festival ici.
1/ Malheureusement pas que… si l’on en croit d’effarants commentaires sur la page facebook du festival.
La Route du Rock Collection Eté 2015 aura lieu du jeudi 13 août au dimanche 16 août.
Plus d’1fos : http://www.laroutedurock.com/