Mais que vient faire le portrait d’un écrivain tchèque sur le webzine rennais Alter1fo ? Ou il sera question des Horizons mais aussi de rire et d’oubli à travers la larme d’un télescope.
Milan Kundera est un auteur tchèque né en 1929 dans la belle ville de Brno, en ce qui s’appelait à l’époque la Tchécoslovaquie. Issu d’une petite famille mettant un point d’honneur à mettre au centre de tout la culture, Milan Kundera grandira auprès d’un père musicien et d’un cousin qui écrit de la poésie et du théâtre. Il fera dans les années 40 et 50 des études de littérature puis de cinéma.
À l’image de tous les Tchèques ayant vécu à cette époque, Kundera se trouvera fortement emprunt de la marque laissée par le communisme Stalinien, cicatrice qui continuera de parcourir toute son œuvre littéraire. Kundera adhérera au parti communiste, avant d’en être exclu en 1970 à cause de certaines de ses prises de positions politiques. La même année, on lui retirera son poste d’enseignant à l’Institut des Hautes Études Cinématographiques de Prague, et tous ses ouvrages seront interdits dans le pays. Il quittera la Tchécoslovaquie et arrivera en France en 1975, et, c’est là que se raccroche notre propos à la ligne éditoriale de ce site, deviendra professeur invité pendant un an à l’Université de Rennes 2. Un bref passage breton qui semble ne pas avoir été de son goût : il résidera au trentième étage de la tour des Horizons, et qualifiera la ville de Rennes de « seule ville moche de son voyage ». Un passage à Rennes qu’il n’aborde pas dans son œuvre, hormis ce court passage de Le livre du rire et de l’oubli :
«Je les regarde d’une grande distance de deux mille kilomètres. Nous sommes à l’automne 1977, mon pays sommeille depuis neuf ans déjà dans la douce et vigoureuse étreinte de l’empire russe, Voltaire a été exclu de l’université et mes livres, ramassés dans toutes les bibliothèques publiques, ont été enfermés dans quelque cave de l’État. J’ai alors attendu quelques années, puis je suis monté dans une voiture et j’ai roulé le plus loin possible vers l’ouest jusqu’à la ville bretonne de Rennes où j’ai trouvé dès le premier jour un appartement à l’étage le plus élevé de la plus haute tour. Le lendemain matin, quand le soleil m’a réveillé, j’ai compris que ces grandes fenêtres donnaient à l’est du côté de Prague. Donc je les regarde à présent du haut de mon belvédère, mais c’est trop loin. Heureusement j’ai dans l’œil une larme qui semblable à la lentille d’un télescope, me rend plus proche leur visage.»
Symbole intellectuel du printemps de Prague, c’est avec une nostalgie prononcée que Milan Kundera s’installe à Rennes, après avoir fui son pays qu’il sentait se détruire à petit feu. C’est avec ce vague à l’âme qu’il regrette son pays, lointain désormais, qui ne le reconnaîtra même plus comme l’un des siens quelques années plus tard. Il obtiendra la nationalité française en 1981, deux ans après avoir perdu la nationalité tchèque, et habite en France depuis cette époque. Très reconnu dans le milieu littéraire, il recevra tout au long de sa carrière de nombreux prix qui récompensent plusieurs de ses romans.
On dit souvent que pour comprendre une œuvre, il faut comprendre la ville dans laquelle elle a été écrite. Il n’y aura pas de marque de Rennes qui pourrait permettre de lire l’oeuvre de l’écrivain, mais il n’en existe pas plus de Prague : autant visiter cette magnifique ville permet de comprendre Kafka, autant Prague ne laisse aucun indice, aucune clé de lecture qui pourrait permettre de comprendre Kundera.
Bien loin de l’illogisme génial de son compatriote, c’est sur la philosophie du quotidien que Kundera écrit, traitant de l’amour, de la vie de tous, ou de l’Homme avec un grand H. L’insoutenable légèreté de l’être reste un ouvrage totalement bluffant quant à la puissance d’écriture qui se cache derrière les lignes de l’auteur : être et paraître, expérience et inexpérience, amour et infidélité, corps et esprit, ce sont tous ces sujets qui s’affrontent et qui traversent l’œuvre du romancier, laissant ses personnages se tirailler entre toutes ces forces inextricables de l’être, et laissent ses lecteurs purger leurs passions par ces personnages à la fois touchants et dérangeants. Qui nous rappellent notre voisin, notre frère, notre femme, ou parfois nous-même.