Je cherche un homme – Hugo Chereul

C’est un livre singulier. Qui secoue.

Dans le livre Je cherche un homme, Hugo Chereul raconte une histoire vraie, celle d’un homme atypique, au parcours hors du commun. Ancien séminariste devenu médecin anesthésiste à l’hôpital Pontchaillou à Rennes, capable du meilleur comme du pire, le personnage central surnage une vie en eaux troubles jalonnée de drames : un premier suicide par défenestration de sa femme en 1986, le suicide 17 ans plus tard de l’un de ses fils. Cet homme, c’est Bruno Chereul, retrouvé mort, reclus et isolé, « au milieu de ses poubelles, dans sa maison poubelle ». Le père d’Hugo Chereul.

Quand 2020 s’achève, cela fait presque huit ans qu’Hugo Chereul a rompu tout contact avec son père. Il faut dire que leur dernier échange en 2013 a mis un point final et définitif à toute relation. Mais en ce 29 janvier de la nouvelle année 2021, Hugo s’entend annoncer par téléphone le décès de son père. « J’ai pris conscience du syndrome de Diogène qui affectait mon père seulement à sa mort*, nous explique-t-il, lorsque à nouveau, j’ai dû me rendre à Chantepie dans sa maison, et que j’ai pu contempler l’état déplorable de celle-ci. » Cette affection, encore méconnue, se caractérise principalement par un dérèglement comportemental entraînant une forme d’accumulation compulsive d’objets du quotidien, une négligence en matière d’hygiène tant corporelle que matérielle, et un isolement souvent des plus extrêmes. Hugo jettera plus de 6 mètres cubes de déchets, dont un crâne humain orné d’une croix dessinée au feutre noir, avant de faire appel à une entreprise de nettoyage spécialisée.

« Mais comment un être humain peut-il en arriver là ? » Pour comprendre, Hugo Chereul ressent le besoin de retracer la vie de son paternel. Lui-même s’en étonne. Il ne pensait pas se remettre à écrire aussi vite après la parution de son premier livre Survivre au suicide[1]. « L’écriture fut délicate. Il fallait trouver la bonne distance entre l’histoire de mon père et la mienne. J’ai tenté de me faire raconteur discret. » Délicat aussi, car la vie familiale d’Hugo est une suite tragique. Les souvenirs ne sont pas toujours heureux avec ce père capable d’aimer ses enfants tout autant que de vouloir les détruire. Entre perversion, harcèlement ou sadisme, il a bien fallu fuir pour survivre. « J’ai dû faire une pause de plusieurs mois avant de finaliser l’ouvrage. Cela me faisait du mal. » Délicat en dernier lieu, parce que sans « vouloir jeter l’opprobre sur le monde hospitalier », il ne fallait pas cacher quelques dysfonctionnements en ses murs.

Mais pas de méprise. Le livre n’est ni un exutoire, ni un règlement de compte, et encore moins plombant. Bien au contraire. Il ouvre le champ des possibles. « Je ne voulais pas faire un portrait à charge, juste montrer la complexité d’un homme, tel qu’il était. » En effet, Hugo Chereul nous distille multitude d’anecdotes, d’instants suspendus, de moments importants, révélateurs. « Mon père, atteint du syndrome de Diogène, conservait scrupuleusement chaque objet, chaque correspondance, chaque lettre. Sa propension à l’écriture était remarquable. Il réécrivait même certains dialogues qu’il avait pu avoir. Cette abondance de documents m’a fourni une matière suffisante pour composer sa biographie. » Chaque chapitre amène donc une nouvelle pièce au puzzle, une pierre à l’édifice. C’est ainsi que, dans un ordre non chronologique, l’auteur esquisse avec un style vif et précis cette lente descente vers des abimes obscurs, à l’issue fatale.  « Mon père s’est coupé de tout le monde, même les travailleurs sociaux ne pouvaient plus rien pour lui. Il a épuisé toutes les ressources. »

Hugo se décrit comme un « calme orphelin » après avoir fait le deuil d’un père vivant qui a continué de s’enterrer lui-même. Bruno Chereul se savait-il condamné ? Ces mots notés noir sur blanc dans un de ses nombreux carnets personnels interrogent. « Je ne sais pas ce qu’est aimer ni être aimé. Je réclame toujours le maximum et quand on me le donne, je n’aime plus. » On ne peut aider les autres en dépit d’eux-mêmes.


 

[1] Survivre au suicide ou Sisyphe heureux Hugo Chereul

* Entretien réalisé par téléphone en février 2024

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