Il y a à peine quelques jours, Shannon Wright achevait sa tournée au Krakatoa (Bordeaux) avec une date incandescente, accueillie dans un fracas de cris, d’amour et d’applaudissements par un public complètement remué, abasourdi par la ferveur et la déchirante intégrité de la prestation de l’Américaine. Un live aussi intense que bouleversant, entre fracas de guitare (jazzmaster forever) et (faux) calmes tout aussi ravageurs au piano, pendant lequel une nouvelle fois, la musicienne (et ses comparses, dont David Chalmin en fond de scène) aura mis tout le monde à genoux.
Quelques mois avant la sortie officielle de Division (le dernier album de Shannon Wright en date, sorti en février dernier), le plus qu’essentiel fanzine Abus Dangereux (à peine 30 ans d’existence !) nous a fait l’immense honneur (on n’en revient toujours pas) de nous proposer de réaliser l’interview de Une du numéro de janvier-mars 2017 (face 141). En couverture, donc, Shannon Wright. Forcément, un truc un peu particulier pour nous, parce qu’on a déjà réalisé trois entretiens de Shannon Wright, qui restent pour nous trois moments hors du temps, suspendus (lire l’intégrale ici), mais aussi, parce que c’est grâce à Abus Dangereux (novembre 2001 – Face 75) que la musique de Shannon est entrée dans nos vies. C’est là, pour la première fois qu’on a été grillé par la foudre. Les choses importantes de nos vies tiennent parfois à peu. On ne saurait ici que répéter l’importance de ces fanzines papiers, réalisés par des passionnés exigeants et intègres, avec beaucoup d’amour et tout autant d’huile de coude. Ainsi que l’impérieuse nécessité de les soutenir.
C’est donc un dimanche ensoleillé de novembre, l’après-midi ici, le matin pour elle à Atlanta, qu’on a l’immense bonheur d’entendre la voix de Shannon Wright de l’autre côté de l’Atlantique. Comme d’habitude, on a les genoux qui tremblent, le cœur et l’estomac qui sonnent la chamade. Et puis comme les fois précédentes, le moment s’emballe et on ressort d’une heure et demie de discussion totalement extatique. Cette fois-ci, on aura encore, mais surtout parlé de musique. Comme le soulignait Philippe Couderc dans l’édito d’Abus, « Shannon Wright montre qu’elle reste en perpétuelle recherche artistique, ne se contente jamais de l’acquis, refuse la facilité et place la musique au-dessus de tout. »
A l’occasion de la fin de la tournée de Shannon Wright, avec l’accord d’Abus Dangereux (mille mercis à eux), on publie aujourd’hui l’intégralité du transcript de ce long entretien. Peut-être est-il d’abord pour les fans de la grande dame (ou du grand ours – vous comprendrez plus bas). Mais une heure et demie à entendre parler Shannon, c’est indéniablement quelque chose qui se partage.
Si vous ne connaissez pas Shannon Wright…
On ne peut pas mentir, cette fille-là, on l’aime d’amour. Parce qu’elle nous a centrifugé cœur, âme et estomac tout ensemble à chacune de ses prestations ou sorties discographiques. En 1998, l’Américaine saborde son groupe, Crowsdell, et part, seule, avec sa guitare comme unique bien. De là naîtront les fragiles et troublants Flighsafety et Maps of Tacit (1999 et 2000), puis plus tard, le rêche et sublime Dyed in the Wool (2001). Une vraie claque déjà. De ces disques qu’on écoute en boucle pendant des jours, sans rien vouloir écouter d’autre. Tout ça grâce à l’essentiel label bordelais Vicious Circle qui vient alors de signer la sortie de l’album dans l’Hexagone. Nous, on n’y comprend rien. Pendant des jours, voire des semaines entières, on se repasse un même morceau en boucle, découvert sur le sampler d’Abus Dangereux. On vient d’être grillé par la foudre. On attendra avec une fébrilité alors inconnue la sortie de l’album en France. Dyed in the wool, teint dans la laine, imprimé au plus profond de nos épidermes, déjà.
La France a aussi la chance de la découvrir en live, en première partie de Calexico notamment, lors de prestations intenses. Shannon est écorchée et passionnée, elle ne laisse personne indifférent. On l’a dit. Plus qu’une claque : une tornade. A l’intégrité et à la sincérité qui vous font mal au ventre mais vous libèrent en même temps. Sur scène, le visage souvent dissimulé derrière ses cheveux, Shannon Wright se cache. Mais se donne, et donne, entière. Sans filet, possédée. Ses déflagrations sonores vous mettent de terribles claques dont vous peinez à vous relever. Vous pensez enfin arriver à vous rétablir ? Peine perdue, le morceau suivant vous renvoie directement dans les cordes…
En 2004, elle retrouve Steve Albini pour son album (alors) le plus rock et le plus rêche, Over The Sun. Cet album change des vies. Tumulte de guitares électriques, voix poussées à l’extrême. C’est un disque abrasif. Shannon y manie la guitare « comme une serpe» disent les gars de Vicious. Et puis il y a le piano. Ces morceaux doux en apparence qui vous poignardent tout aussi fort. Suivra un disque avec Yann Tiersen qui la fera connaître davantage (écoutez par ici ce que Yann Tiersen dit de cette rencontre qui l’a plus qu’inspiré).
Puis contre toute attente, Shannon revient en 2007, avec Let in the Light, un album apaisé, sans pour autant être rangé. On l’imagine plus heureuse, moins à vif, mais on la sait toujours aussi exigeante. Shannon ne lâche rien. Elle n’a rien à faire des clichés, des modes, des étiquettes. Elle reste sur le fil tendu. Intègre. L’album suivant, Honeybee Girls, sorti en septembre 2009, alterne les assauts frontaux, les climats orageux et les moments plus paisibles… Mais méfiez-vous de l’eau qui dort. Sous ce calme apparent, les cassures apparaissent. Et les morceaux au piano se révèlent tout aussi ravageurs, tout comme cette incursion très rare (alors) dans la discographie de l’Américaine, dans les terres électroniques sur un morceau glaçant et bouleversant, Father.
On pensait attendre plus longtemps avant la sortie d’un nouvel opus. Et puis Secret Blood est arrivé début novembre 2010. Une entrée en matière sur les chapeaux de roue, un brûlot hardcore (l’énorme Fractured qui prend toute sa puissance en live), des ballades renversantes et encore des mélodies qui livrent progressivement leurs secrets. La sortie d‘In film Sound début 2013 nous marquera une nouvelle fois au fer rouge. On ne pensait (naïvement) pas que Shannon pouvait aller encore plus loin. En 9 titres désormais essentiels, elle livre un album à la densité qui vous percute l’âme, vous ouvre la poitrine et perfore vos poumons. Explosions rêches, riffs qui transpercent, propulsés par une rythmique à la puissance nucléaire ou accalmies poignantes et déchirantes (oui, Who’s sorry now ? ou Bleed juste après) In Film Sound déchaîne les corps et libère les âmes.
C’est donc tout tremblant, avec l’impatience nous tordant le ventre, qu’on a découvert Division, sorti le 3 février. Né d’une rencontre essentielle, celle de l’Américaine avec Katia Labèque, immense pianiste aux oreilles grandes ouvertes, un soir d’orage émotionnel en Suisse (voir ci-dessous), l’album explore de nouvelles facettes de l’art de songwriter de la musicienne. Shannon essaie de nouvelles choses : elle y mêle acoustique et électronique (les immenses pianos du KML studio aux synthés analogiques, les batteries acoustiques aux boîtes à rythmes digitales), se permet une fragilité et une tendresse à faire chialer les pierres et ose un travail autour des voix et des mélodies vocales tout aussi renversant et désarmant. Au final un disque courageux, libre, qui a d’ores et déjà rejoint la liste des disques qui feront date dans la carrière de l’Américaine. Et qui se révèlera tout aussi percutant et émouvant en live.
Interview
Alter1fo : Vous étiez en tournée avec vos amis de Shellac il y a quelques semaines. C’est votre seconde tournée ensemble en quasi un an…
Shannon Wright : En fait, Shellac a sorti un disque il y a deux ans et ils n’avaient pas tourné aux États Unis depuis la réalisation de l’album. Ils partaient donc en tournée sur la côte ouest et ils m’ont invitée. J’y ai joué en solo.
Avec Shellac, nous sommes de très vieux amis. On a voyagé ensemble dans le van. C’était super agréable, super facile. On a passé beaucoup de bons moments. C’était vraiment une super tournée. C’était même tellement chouette que ça ne ressemblait pas vraiment à une tournée.
Ensuite, ils m’ont proposé de tourner sur la côte est avec eux. Ça a été tout aussi agréable. Moins que la côte ouest mais c’était bien quand même.
Sur cette deuxième tournée, j’ai joué avec un batteur, le batteur de Deerhunter, sur quelques concerts. Il a fait quelques dates avec moi, puis c’est Kyle [Crabtree] des Shipping News, qui joue souvent avec moi, qui est venu sur trois concerts. Pour les autres dates, j’ai joué en solo.
C’était même un peu dingue sur les deux concerts de New York ! L’un était en solo et l’autre avec Moses [Archuleta] de Deerhunter. C’était assez étrange de passer d’un concert solo à quelque chose de… plus rock. Apparemment, ça a bien fonctionné si j’en crois les retours de ceux qui étaient présents sur les deux dates qui ont vraiment apprécié. C’était deux concerts vraiment différents. Mais ça me plaît. Donc oui, c’était deux super tournées et on n’arrête pas de s’envoyer des sms depuis parce qu’on se manque les uns aux autres.
Comment vont Todd et Kyle d’ailleurs ?
Ils vont très bien. Todd est dans un nouveau groupe [Jaye Jayle]. Ils viennent juste de signer sur un label. Et Kyle est chez lui maintenant. Il vient d’avoir un bébé. Les trois concerts qu’on a faits ensemble étaient donc vraiment spéciaux pour lui, parce qu’il est vraiment concentré sur sa vie de famille en ce moment.
Juste avant ces deux tournées, vous avez également tourné avec Young Widows. Pendant notre dernière interview, vous nous aviez dit ne plus jouer souvent aux États Unis, et depuis, vous avez enchaîné trois tournées chez vous. Comment c’était d’y jouer de nouveau ?
J’adore jouer sur la côte ouest. C’est tellement magnifique là-bas, tellement différent. La façon de vivre est totalement différente. Beaucoup plus relax. Les gens sont plus progressistes.
Alors que sur la côte est… Bien sûr, il y a eu des moments fantastiques sur la côte est, mais quand on a commencé à descendre dans le sud… C’est plutôt dur de tourner. Je ne peux pas dire que j’aime beaucoup tourner sur la côte est. J’aime aller dans certaines villes spécifiques, mais malheureusement, pour pouvoir y accéder, il faut jouer dans beaucoup d’autres endroits. Et ça peut être vraiment épuisant, et mauvais pour le moral. Ça ne fait vraiment pas du bien à l’âme de faire de la musique dans ces conditions… Ça nous est arrivé quelquefois de traverser des moments comme ça sur cette dernière tournée, parce qu’il y a des salles peu concernées qui n’ont vraiment rien à faire de ce qu’elles font. C’est extrêmement frustrant d’y jouer. C’est différent sur la côte ouest. Ou dans certains endroits comme New York ou Washington D.C. Mais ailleurs, il y a beaucoup de salles qui sont juste terribles. Je ne comprends même pas comment elles peuvent être ouvertes. C’est tellement déprimant pour les groupes. Ça ne rime vraiment à rien de faire ce genre de dates.
J’ai fait ça tellement longtemps. Je ne veux plus m’imposer ça. Je préfère davantage tourner sur la côte ouest ou faire des concerts sporadiques, dans les villes que j’aime.
Quand on vous a vue à Seattle, la salle, le Tractor Tavern, était plutôt chouette.
Oui, c’était bien. C’étaient les tous premiers concerts, j’étais plutôt angoissée. Donc oui, je dirais que ça allait, étant donné que c’étaient les toutes premières dates. Mais c’est toujours difficile de commencer une nouvelle tournée et de jouer en solo. Ça faisait un moment que je n’avais pas joué seule, donc j’étais anxieuse, d’autant que je n’avais pas mon piano. Il y a eu d’autres dates où ça a vraiment marché, comme à Portland. Ça a été un de mes concerts préférés. Une salle énorme et un public qui était déjà venu me voir plusieurs fois…
Quand on vous a vue en première partie de Shellac à Seattle, vous jouiez seule à la guitare. J’ai entendu qu’il n’y avait pas assez de place dans le van pour emmener votre piano pour les concerts. On vous a aussi vue quelques fois en concert solo au piano. Est-ce que c’est important pour vous de jouer les deux sur scène, piano et guitare (quand c’est possible) ? Et dans quelle mesure ?
J’aime bien les challenges. Même si j’aime toujours avoir mon piano avec moi, c’est bien de relever le challenge d’être seule sur scène avec ma guitare. On ne peut pas s’exposer davantage, être plus vulnérable que dans cette situation. Et il n’y a pas d’autre manière de jouer pour moi. Je veux dire, déjà, à la base, je suis complètement à découvert sur scène, nue. Je ressens déjà ça comme un challenge de le faire vraiment bien. Inconsciemment ça m’apporte quelque chose qui m’autorise à être très ouverte. Je n’ai réellement rien derrière quoi me cacher. Les gens peuvent comprendre. Parfois apprécier, parfois non. Je crois que c’est de cette manière qu’on peut être le plus vrai, le plus honnête. Dans ces moments. C’est quelque chose d’assez beau.
Lorsque je joue seule au piano et à la guitare, je me sens aussi vraiment exposée. Jouer dans un groupe ou avec un batteur, c’est un peu plus facile, parce qu’on se sent protégée en quelque sorte.
Il y a tellement de niveaux différents d’émotions qui résonnent, varient, selon les différents types de concerts que je fais, que je me sens particulièrement chanceuse d’être capable, artistiquement, de tenter toutes ces configurations différentes.
Je suis vraiment contente d’avoir décidé de faire tout ça à un moment. Je ne me rappelle plus quand. Mais créativement, ça m’apporte un vrai épanouissement.
J’aime chacune de ces diverses facettes de la création. En live, j’apprécie aussi le fait de voyager dans chacune des chansons, de les jouer de manière différente, parfois en improvisant pendant le concert, parfois en chantant avec une émotion différente. Ou de me montrer plus douce avec la chanson, ou plus agressive. Il y a une vraie liberté. Et c’est vraiment grisant.
On a donc d’autant plus hâte de découvrir les versions live de vos nouveaux morceaux ! C’est un album très émouvant. Et très courageux aussi. Vous avez choisi de l’appeler Division, qui est aussi le premier morceau de l’album. Pourquoi ? Qu’est-ce que ça signifie pour vous ?
Je crois que pour moi, Division, vient du fait que je me sens comme partagée, divisée en plusieurs petits morceaux, dans ma vie. Je crois que c’est la même chose pour tout le monde. Et je ne sais pas dans quelle mesure on se rend compte qu’on a tous ces compartiments dans nos vies. (…)
Vous avez enregistré une partie de ce nouvel album à Rome dans le studio de Katia et Marielle Labèque [pianistes mondialement reconnues]. Comment avez-vous rencontré Katia Labèque et que s’est-il passé ensuite ?
Je donnais un concert en Suisse et je l’ai rencontrée par l’intermédiaire d’un ami. (Incrédule :) Elle était fan de ma musique ! (rires)
Elle est venue au concert, et avant, elle nous a emmenés dîner. C’était un moment formidable. Nous sommes ensuite retournés à la salle mais le concert était affreux. J’ai vraiment apprécié mon concert mais la situation était délicate. [si on a tout compris, Shannon remplaçait un autre groupe au pied levé et son concert n’avait pas été annoncé] Je me disais : « mais qu’est-ce que je fais là ? C’est une perte de temps !» C’était une très mauvaise soirée.
Émotionnellement, juste avant d’aller manger avec eux, je me sentais mal, toujours en proie à cette lutte continuelle, pourquoi continuer à faire de la musique, cette lutte intérieure qui est toujours là, avec ce sentiment qu’il faut vraiment que j’abandonne et que j’oublie tout ça. Donc j’étais vraiment mal, et aussi très embêtée qu’elle vienne sur un des pires concerts dans lesquels j’ai été programmée depuis longtemps. A la fin du concert, une fois seule, backstage, je me suis dit que je ne pouvais pas continuer. Qu’il fallait que j’arrête. Que c’était vraiment la fin.
Katia est alors arrivée, seule. Elle était très enthousiaste. Elle disait qu’elle n’avait jamais vu un concert, une vraie artiste comme ça depuis trente ans. Qu’elle avait été complètement bouleversée. Je l’ai remerciée pour ses mots adorables, mais je lui ai dit que je venais de décider que je ne pouvais plus continuer.
Elle est devenue folle en me disant que non, je ne pouvais pas arrêter ! Que j’étais née pour faire ça. Que c’était impossible d’arrêter, etc… J’étais sur le point de me mettre à pleurer tellement je me sentais dévastée et elle m’a dit : « voilà ce qu’on va faire. Je vais vous prêter mon studio à Rome, gratuitement. Et vous allez venir là-bas, vous allez simplement venir écrire, sans pression. Vous n’avez pas à faire de disque. Juste à faire les choses pour vous, voir comment vous vous sentez, retirer la pression de vos épaules. Juste vous laisser être vous-même. » J’ai dit que c’était vraiment adorable mais que je partais en tournée en Italie.
En fait, les choses se sont parfaitement enchaînées… Le timing a été parfait. Je ne pouvais pas laisser passer ça, c’était dingue ! D’autant qu’elle-même tourne beaucoup, qu’elle est extrêmement occupée. Mais le fait qu’elle ait ce studio, qu’elle soit justement à Rome à la fin de ma tournée en Italie : c’était comme si c’était écrit dans les étoiles. Donc, j’ai fini ma tournée, j’ai été là-bas et ça a été incroyable. Cet endroit était magique.
Elle a ces pianos impressionnants. Je crois que je n’avais jamais joué sur des pianos comme ça. Ça m’a pris un moment avant de réussir à en jouer. Je me sentais tellement petite à côté. Et Katia est tellement généreuse, bienveillante. Elle est magique. C’est un être humain incroyable, merveilleux. Vraiment. Elle donne tellement. Sans rien demander en retour. Elle se réjouit juste pour les autres. Elle est aussi incroyable en concert. Si vous avez la chance de pouvoir le faire, il faut absolument aller l’entendre jouer. Bref, j’ai passé une semaine là-bas et les deux premiers jours, j’ai écrit trois morceaux. Puis, son ami a commencé à enregistrer. Tout s’est mis en place parfaitement.
J’ai pensé que créativement, il fallait vraiment que je fasse quelque chose de différent, juste pour moi, des choses que je voulais vraiment faire avant, des choses que j’avais faites mais qui n’allaient pas, sur le moment, avec ce que j’étais en train de faire. Katia m’a permis de juste prendre mon temps. Elle m’a vraiment aidée créativement. Parce que, juste avant, j’étais tellement mal, que rien n’allait créativement non plus. Elle m’a définitivement empêchée de me noyer. Parce que je sombrais vraiment.
A la suite de ces quelques jours à Rome, je me suis sentie remotivée. J’ai beaucoup enregistré à la maison en rentrant. Puis je suis allée dans son studio parisien pour finir le disque. Voilà l’histoire.
Quels étaient les trois morceaux que vous avez écrits à Rome ?
The thirst, le deuxième morceau du disque, puis Lighthouse qui clôt l’album et enfin Soft Noise. On pourrait donc dire que les morceaux au piano ont été écrits là-bas, à Rome.
Ce disque a donc pris plus de temps que par exemple In Film Sound, que vous avez enregistré en quelques jours. Pour cet album, il y a eu plusieurs séances d’enregistrement, entrecoupées par des périodes de travail de votre côté. Quel a été votre travail entre ces différentes sessions d’enregistrement ?
Ce qui a vraiment été formidable dans l’écriture de cet album, c’est d’avoir exploré, d’avoir travaillé les mélodies, les mélodies vocales. Plus que jamais auparavant, je crois (on acquiesce).
Je peux devenir complètement obsédée par l’écriture d’une chanson, parfois en ré-écrivant constamment. Ça dépend des chansons. Parfois les chansons viennent d’un coup et elles sont finies. Parfois elles arrivent sous la forme d’un croquis, et il est nécessaire d’aller vraiment très loin pour les atteindre, pour trouver les bonnes pièces du puzzle à mettre ensemble.
Sur certains morceaux, on se dit que la mélodie aurait pu meilleure… Mais c’est justement médiocre parce qu’on n’est pas allé la chercher, qu’on n’est pas parvenu jusqu’à elle.
Ces chansons-là, je voulais vraiment les atteindre. Dans ma tête j’ai une trentaine de mélodies vocales différentes, le placement, les notes sur lesquelles les voix vont arriver… C’est en même temps stimulant et très agréable. Il y a eu des moments où je me suis épuisée à force de travailler sur certaines chansons : j’ai écrit tellement de mélodies différentes… Mais au moment où je réussissais à trouver la bonne, j’avais l’impression d’être parvenue à faire sortir deux fois la chanson de là où elle venait. Grâce à tout le travail que j’avais mené.
Chaque fois que je peux m’engager totalement dans l’écriture, c’est ce qui me rend le plus heureuse. J’étais tellement heureuse pendant ces moments. Pendant ces périodes, j’ai fait énormément de parties de claviers, des choses comme ça. J’avais cette vieille boîte à rythmes vintage que j’avais toujours voulu bricoler, alors je m’en suis servie. Il y a une chanson avec un vieux casio des années 80. J’ai dit à David : « Et si j’arrivais à écrire une vraie chanson sur ce casio eighties ridicule, une vraie chanson émouvante, sincère, profonde ? » Je crois que j’y suis arrivée. Ça sonnera peut-être un peu bizarre pour les gens qui connaissent ma musique, mais c’est toujours moi. C’est juste différent. Je crois qu’une chanson reste une chanson, peu importe l’instrument qu’on utilise. C’est vraiment une chanson sincère, vraie, profondément honnête. C’est d’ailleurs intéressant de se rendre compte que ce qui fait la trame d’une bonne chanson, c’est l’honnêteté, la mélodie, la vérité.
Pour ce disque vous avez travaillé avec Raphaël Séguinier et David Chalmin…
Oui, ils jouent parfois avec Matt Eliott ou Katia. David écrit des pièces classiques, c’est un musicien très intéressant. C’est aussi lui qui a enregistré l’album.
Raphaël, le batteur, joue avec David la plupart du temps. J’ai écrit toutes les parties de batterie sur l’album, j’en ai joué un tout petit peu. Et Raphaël a vraiment été génial parce qu’il m’a laissée venir sur la batterie lui montrer ce que je voulais exactement. Pour le jouer ensuite parfaitement. Je ne savais pas du tout comment ça allait se passer parce que je n’avais jamais travaillé avec lui, et que j’avais écrit toutes les parties de batterie. Mais il a fait un travail magnifique. On a joué un concert ensemble il y a quelques semaines à Paris [Mama Festival] et c’était génial. Je suis vraiment heureuse. C’est aussi un garçon adorable.
David Chalmin a également enregistré le disque. Vous avez déjà travaillé avec d’autres ingénieurs du son auparavant [Steve Albini, Kevin Ratterman, Jim Marrer, Andy Baker,…]. Quand vous êtes en studio, vous nous aviez dit être totalement absorbée par l’enregistrement. Quel rôle joue alors l’ingénieur du son/le producteur quand vous enregistrez ? Et particulièrement cette fois-ci avec David Chalmin ?
Je crois que David dirait qu’il n’a jamais travaillé avec quelqu’un comme moi auparavant (rires). Parce que je suis attentive à tous les sons et j’ai des idées très spécifiques. J’ai fait beaucoup d’albums et je sais exactement ce que je veux. Je ne vais pas vers ce qui peut sembler évident. Ça irait contre ce que je suis. Je ne sais pas, je ne peux pas faire certaines choses.
Je crois que c’était vraiment bien pour lui. Il m’a apporté certains éléments aussi. On a pris beaucoup de plaisir. C’est vraiment important pour moi de me sentir à l’aise avec quelqu’un, avec sa personnalité, ce qu’il est aussi, parce que je vais donner le cap et j’ai besoin de sentir que j’ai cette liberté de dire ce que je n’aime pas, ou que ça sonne bizarrement avec ces trois micros là, etc… Parce que je suis attentive à tous les sons et j’ai des idées très spécifiques. C’était vraiment une excellente expérience, qui a bien fonctionné. David a beaucoup de talent, une très bonne oreille…
Comme vous nous le disiez tout à l’heure, vous avez utilisé davantage de sons électroniques cette fois-ci. De quelle manière c’est venu ? Est-ce que c’est quelque chose que vous vouliez déjà faire auparavant ?
Je crois que j’avais déjà l’idée de cette manière de combiner de vieux sons électroniques analogiques à des percussions acoustiques plutôt que d’utiliser l’un ou l’autre. Sur la plupart de mes disques, ce sont des batteries acoustiques. J’ai pensé qu’avoir ces deux types de textures pourrait être intéressant.
Et puis j’aimais l’idée de mélanger ces merveilleux sons acoustiques au piano avec de l’électronique… Quand je parle d’électronique, il s’agit de sons analogiques, de sons réels, à partir de boîtes à rythmes vintage, pas de sons digitaux.
Je me suis aussi servie des claviers analogiques pour des sons plus atmosphériques. J’ai d’ailleurs utilisé la plupart plutôt comme paysages sonores. Ces différentes strates amènent ma chanson ailleurs. Je crois que la boîte à rythmes agrandit la palette d’émotions de la chanson. Enfin, ce n’est quand même pas l’élément le plus important du morceau. Ce n’est pas comme si c’était mon disque de dance ! (rires)
Comment avez-vous choisi l’ordre des morceaux sur l’album ?
Il semblait couler de source. Je ne l’ai pas vraiment beaucoup travaillé. Pour moi, ça tombait sous le sens, comme si je pouvais me laisser emporter. Je n’imagine même pas, d’ailleurs, que les chansons puissent être dans un autre ordre maintenant. Ça semble couler comme s’il s’agissait d’un poème ou d’une nouvelle. Le tracklisting révèle, dévoile, l’histoire du disque. Peut-être pas notre histoire avec Katia, mais l’ambiance, de là d’où vient cet album. Je crois que cet ordre fonctionne vraiment. En fait, je suis vraiment contente de ce disque.
J’espère que vous pourrez entendre le vinyle. Il a vraiment un super son. Nous l’avons fait remastérisé par quelqu’un d’autre [les versions vinyle et digitale ont été masterisées par Mandy Parnell aux Black Saloon Studios, Londres] et ça sonne magnifiquement. Elle a fait un travail incroyable. Je suis vraiment heureuse. C’est vraiment magnifique. Elle a réellement écouté ce que je lui avais demandé et elle a été encore plus loin. Même avec le mastering, je suis complètement obsessionnelle ! Et c’est vraiment génial quand les gens vous écoutent pour de vrai. Parce que je sais vraiment ce que je veux pour que les morceaux sonnent justes. Certains artistes ont leurs propres idées, ils ont un vrai amour de la musique, comme moi. Et je pense que Mandy Parnell est complètement dévouée à l’artiste. C’est pour ça que cela sonne si bien. Je lui ai écrit pour lui dire tout ça, parce que je crois que c’est important que les gens réalisent que cette forme artistique n’est pas qu’une histoire de matériel, d’équipement.
On sait que vous n’aimez pas expliquer les paroles de vos morceaux, que vous préférez que l’auditeur y projette sa propre histoire. Mais comment avez-vous écrit les paroles cette fois-ci ? Sont-elles venues en premier ? De quelle manière la musique et les mots s’articulent dans votre travail ?
En général, les mots viennent après. La manière dont je vois la musique dans ma tête est vraiment étrange. Peut-être que d’autres fonctionnent de la même manière… Je vois vraiment la musique au départ, sans les voix, sans les paroles… Simplement la musique, comme une force conductrice pour les émotions d’où viendront les paroles.
Les chansons sont comme un petit film, avec des émotions en mouvement. Et on transforme ces émotions en mots. C’est un peu comme lorsque le cœur s’emballe parce qu’on a telle ou telle émotion… Avant même de parler, on est presque dans une sorte de dialogue, sans mots. Et ce dialogue est ce qui va transformer les mots en histoire. J’ai vraiment toujours écrit comme ça.
C’est aussi pour ça que j’écris plus dans une perspective humaine que d’un point de vue très personnel. Parce que les émotions s’éprouvent d’abord physiquement. Mon histoire est juste la même que celle de beaucoup d’autres gens, donc je peux écrire d’une perspective globale, qui est reliée à chacun d’entre nous. C’est vraiment de là que viennent les paroles généralement, de ces sortes de paysages émotionnels, sincères, qui ne se sont pas encore exprimés via le dialogue. Les émotions existent d’abord physiquement.
Vous écrivez toujours seulement une partie des paroles sur l’artwork du disque. Pourquoi ?
Parce que je crois que c’est davantage comme des poèmes. Plutôt que de répéter le refrain, lorsqu’il arrive quand on lit. Je crois que ça touche plus rapidement l’auditeur quand il lit les paroles comme ça que lorsqu’il les lit comme une chanson.
Quand ce sont d’abord des mots plutôt qu’une forme couplet /refrain /couplet /refrain /pont, etc on va plus immédiatement au cœur des choses. C’est généralement pour ça que je choisis de n’écrire qu’une partie des paroles.
Je me sens coupable, par le passé, d’avoir davantage insisté sur l’honnêteté et le total engagement qui sous-tendent votre musique et vos performances live. Mais jamais sur vos qualités de songwriter, qu’il s’agisse de l’aspect mélodique ou des structures des morceaux, par exemple. Est-ce que c’est quelque chose dont vous vous souciez ?
Oui. Énormément. Je crois que tous les aspects d’une chanson sont très importants pour moi. Parce que je crois intimement que la chose la plus importante lorsque j’écris une chanson, c’est d’atteindre l’honnêteté émotionnelle du morceau. De vraiment aller jusque-là. Je crois qu’on peut se tromper en tant que songwriter, lorsqu’on se concentre sur quelque chose qu’on a peut-être déjà entendu, comme la structure d’un morceau, ou une forme standard que tout le monde utilise. Pour moi, c’est amoindrir la chanson que de ne pas lui laisser avoir sa propre voix. J’essaie vraiment d’être honnête avec ça. C’est pour ça que je peux être aussi obsédée en studio ou avec les musiciens. Pour moi la question n’est pas comment c’est enregistré ou quel micro j’utilise, ou comment le batteur pense que la chanson devrait être… Ce n’est pas parce que je veux être le chef. C’est parce que je dois défendre la chanson, je dois me battre pour elle. Peu importe que ce soit contre moi, contre l’ingénieur du son, ou les musiciens, etc… Il faut que l’honnêteté puisse s’incarner, dans la forme la plus expressive qui soit. Là où c’est complètement sincère.
Et parfois on peut perdre ça de vue, si on se concentre sur ce qui n’est pas vraiment important. Par exemple, sur ce nouvel album, je voulais que le son de la batterie soit à égalité avec le reste. C’est une façon inhabituelle de faire les choses. Et j’ai vraiment dû me battre pour ça. Pas vraiment avec David parce qu’il a compris immédiatement ce que je faisais. Ça l’étonnait, mais il disait : « ah oui, c’est une bonne idée ».
Mais c’est loin d’être toujours comme ça, d’avoir cette bonne dynamique, comme nous avions, de réellement de faire un voyage avec la chanson. Il y a ces moments où il faut vraiment s’impliquer dans la chanson. J’avais vraiment envie de faire ça. Je veux dire qu’on peut écouter cet album de loin mais que le disque peut aussi emmener dans des états dans lesquels on est totalement immergés, impliqués. Donc, oui, pour en revenir à ce que tu disais, je suis vraiment concentrée sur le fait d’apporter quelque chose qui soit vrai, juste et que chaque auditeur puisse vraiment ressentir.
On a été sensible à la façon dont sonnent les voix sur ce nouvel album. Parfois, votre voix est nue, émouvante par son extrême fragilité (on pense à Seemingly, The thirst ou Soft Noise par exemple), parfois encore on entend des deuxièmes voix qui font une sorte de chœur, des voix doublées… Ça existe dans certaines de vos précédentes chansons, mais c’est loin d’être fréquent. Vouliez-vous expérimenter davantage autour des voix avec ce disque ?
Oui, définitivement.
On a parfois mis de la distorsion sur la voix. J’ai vraiment voulu expérimenter davantage avec ma voix, vraiment chanter. Je ne me suis jamais considérée comme une chanteuse. Mais, c’est quelque chose d’étrange, il y a des moments où je prends plaisir à chanter. Notamment sur ce disque. J’avais des idées très spécifiques sur comment je voulais que les voix sonnent, ce qu’elles devaient faire. Comme des strates. Ou ces moments où je souhaitais qu’elles sonnent comme une section de cordes. C’était vraiment génial d’écrire pour les voix, en les envisageant comme des cordes, ou en les distordant, ou en les dénudant complètement. La voix peut être tellement vulnérable quand elle ne passe par aucun effet. Il y a beaucoup de façons différentes d’envisager les voix sur le disque. Souvent, elles sonnent d’une seule et même façon sur tout un album. Ici, au contraire, je voulais prendre chaque chanson individuellement, me demander comment les voix devaient sonner. J’ai pris le risque et je les ai vraiment enregistrées comme je les entendais dans ma tête, et non comme elles sonnent normalement. C’était passionnant de sortir de ma zone de confort.
En fait, je crois que ce nouvel album est aussi un peu un challenge. Je suis très tendre sur ce disque. Au début, je me disais : oh god, l’album précédent était complètement différent ! Mais en même temps, c’est toujours moi. Et avant In film sound, j’avais aussi fait des albums complètement différents. Je crois qu’à travers les albums, le voyage se dessine et que ceux qui suivent mes disques, suivent également ce voyage, cette aventure. J’aime ça chez les artistes que j’écoute depuis des années. Je ne vois pas pourquoi la musique serait une forme artistique où on devrait toujours faire le même album. Je ne comprends pas ça. Je suis incapable de faire comme ça.
Vous parliez des voix enregistrées comme des cordes tout à l’heure. Est-ce que vous aimeriez un jour jouer avec de vraies cordes. Vous avez déjà enregistré quelques morceaux avec un violoncelle auparavant. Est-ce que c’est quelque chose que vous aimeriez travailler ? Par exemple sur un prochain album…
Oui, j’aimerais beaucoup. J’aimerais également beaucoup jouer avec des cordes en live. Si nous pouvions nous le permettre financièrement. Effectivement, il y avait parfois des cordes sur d’anciens disques et c’est définitivement quelque chose auquel j’ai toujours pensé. Peut-être qu’on essaiera un jour.
A propos des voix encore, quelle est la voix qu’on entend sur l’intro de Soft Noise ?
J’étais dans un avion sur un vol d’une compagnie irlandaise et cette voix parlait gaélique. C’était tellement mélodique que j’ai sorti mon téléphone à toute allure. J’aurais pu rester assise là pendant une heure à l’écouter parler. J’étais comme envoutée, éblouie donc je l’ai enregistrée. Après j’ai dit à David que j’avais cette voix de femme et que je voulais la mettre sur le début du disque. Il a dit « super » et on l’a mise sur l’album (rires).
On ne s’attendait pas à cette réponse !
C’était drôle parce qu’elle disait une phrase en anglais, puis une phrase en gaélique, reparlait un moment en anglais, puis de nouveau en gaélique, en passant de l’un à l’autre. J’ai vraiment aimé le ton de sa voix, tellement beau. Et puis le gaélique est une langue tellement rare, c’est tellement rare de l’entendre. C’est assez beau. Et je suis un petit peu irlandaise, alors… (rires)
Vous avez dit de la guitare, que vous aviez l’impression de la maîtriser, de faire d’elle ce que vous vouliez. Et qu’il en était différemment du piano. Pouvez-vous nous expliquer cette différence et de quelle manière cela modifie éventuellement votre façon de composer ?
Le piano est comme un monde à lui seul. On ne peut pas prendre un piano et le manipuler comme on le fait d’une guitare. On est presque un invité quand on joue du piano. Enfin, moi en tout cas, quand je rencontre un piano, j’en joue comme si j’étais invitée, comme si je rentrais chez lui, dans sa maison. Certes il y a des pianos horribles, mais la plupart des pianos, des vieux pianos, me fascinent. Je ne me sens pas inférieure, mais respectueuse. Ils restent mystérieux.
Le piano a une histoire tellement longue. Je suis très romantique avec les pianos, j’aime leurs aventures, leur histoire dans le temps, la joie qu’ils ont apportée à tant de gens au cours de l’Histoire. La guitare électrique n’a pas la même histoire. Donc, d’un point de vue romantique, c’est différent pour moi. Mais je crois que du fait de ce romantisme, j’approche l’instrument différemment, d’une façon plus vulnérable, plus respectueuse.
J’ai appris à en jouer toute seule. Je ne sais donc jamais trop ce que je fais, dans quelle clé je joue, rien de tout ça Et l’un des meilleurs compliments qu’on m’ait jamais fait vient de Katia, qui m’a dit qu’elle ne comprenait pas comment je jouais, ce que je faisais. Que mon jeu est tellement loin du jeu d’un pianiste classique ! Que je joue en même temps comme une pianiste classique et comme quelqu’un de complètement autodidacte. Elle m’a dit que c’était incroyable que je puisse faire ça.
Je n’ai aucune idée d’où viennent ces choses-là. C’est un mystère. Je ne peux pas comprendre comment il m’est possible de m’asseoir à un piano, d’en jouer sans rien y connaître.
La guitare est un peu plus facile, évidente pour moi. Ce sont comme deux mondes différents. Je me sens tellement chanceuse d’avoir les deux.
Vous serez en tournée en France au printemps prochain. A quoi faut-il s’attendre et est-ce que vous jouerez en groupe, en solo ?
David et Raphaël seront là. On jouera beaucoup de morceaux du nouvel album, avec des sons différents. On va essayer d’avoir un piano acoustique sur chaque concert. David jouera les parties de claviers que j’ai écrites, Raphaël sera à la batterie. On jouera aussi de vieux morceaux.
Ça sera davantage dans l’ambiance du nouvel album, mais toujours avec les mêmes éléments qu’avant. Je ne peux pas arrêter de faire ce que j’ai toujours fait (rires). Ça ne devrait donc pas être à ce point insolite. (rires)
Qu’en est-il de l’artwork de ce nouveau disque ?
C’est un de mes amis [Vincent Loiret]. Il a énormément de talent. Et c’est assez dingue parce que lorsque j’ai commencé à écrire les morceaux, j’ai imaginé ses artworks pour la pochette de l’album. Immédiatement.
Il a fait une série de dessins similaires, comme celui de la pochette et ils m’ont beaucoup touchée.
J’étais en train de mixer l’album et je pensais à ces dessins, à comment ils étaient liés à ce que j’étais en train de faire. Je lui ai dit : « je sais qu’on est ami, mais est-ce que ça t’intéresserait de réaliser la pochette de mon nouvel album ? » Heureusement, il a accepté. Et je trouve que ça colle parfaitement avec la musique. Je suis vraiment fière de ce qu’il a fait. J’ai vraiment hâte de le voir en vinyle. Ça va vraiment être incroyable, je crois. (…)
Vous allez participer au projet Homemade réalisé par Jason Maris and Danielle Bernstein, un documentaire qui sortira en 2017, dont vous allez faire la bande originale…
Ce sont de très bons amis. Ce sont des réalisateurs très talentueux, ils réalisent des documentaires. Je vais réaliser la bande son du film qu’ils finissent en ce moment, Homemade, donc. C’est un documentaire sur les gens qui souffrent du PTS -Post Traumatic syndrom-, qui vont à la guerre et dont la vie est totalement ruinée lorsqu’ils reviennent. Et dont on ne prend pas soin.
C’est vraiment spécifique à notre pays, la manière dont on ne s’occupe pas de ces gens. Le gouvernement leur donne seulement des médicaments. En pratique, ils prennent ces médicaments et s’en vont. Leurs vies sont totalement détruites. C’est un cercle vicieux, la façon dont ils sont traités.
Le film est essentiellement basé sur la vie de cet homme qui faisait partie des Marines, très gradé, tellement gradé qu’il aurait pu travailler auprès du Président. Il a été très souvent en Irak, il en est revenu grièvement blessé car il a sauté sur une mine. Sa vie s’est écroulée, son mariage s’est effondré. Il était en pleine dépression, il voulait se suicider.
Ce qui m’a vraiment émue, c’est que je n’avais jamais vraiment réalisé… Vous savez c’est plus facile d’être séparé de ce monde. Je suis tellement loin de l’armée, des marines, de la guerre. Je veux dire, je regarde les informations, je peux dire ce que je ressens, que je n’aime pas la guerre, toutes ces choses… Mais en même temps, on peut être empathique envers ces personnes : c’est tout ce qu’ils connaissent. Ça dépend de ce qui les y a amenés aussi… C’est parfois une manière de s’échapper de situations familiales difficiles. Ils n’ont peut-être pas moyen de faire autrement. Ils travaillent très dur. Et ils ont cette sorte de faux espoir qu’ils pourront faire une différence dans le monde.
Alors, lorsqu’ils reviennent, c’est une terrible réalité de voir que ce qu’ils ont fait, ça n’a pas servi à grand-chose. Peut-être que pour certains si. Mais ils travaillent pour ces gouvernements, ces politiciens malveillants…
Je ne sais pas, ça m’a émue. D’autant que mes amis sont très bienveillants avec ceux qu’ils filment. Avant ils avaient réalisé un documentaire sur cet enfant en Afrique, qui faisait partie d’un groupe de chanteurs. C’est comme ça que je me suis retrouvée impliquée dans le projet.
En plus de ça, Jason est un photographe incroyable. Il est photographe depuis longtemps. Il voulait aussi faire des photos de moi. On s’est rencontré parce qu’il était fan de ma musique, depuis quasi 10 ans. Il m’a dit que ma musique l’avait vraiment aidé, qu’elle l’avait sauvé lorsqu’il a été confronté à certaines situations dans sa vie. En fait, il écoutait juste mes disques. Et 10 ans plus tard on s’est rencontré grâce à des amis communs. Encore maintenant, il y a des moments où il dit qu’il faut qu’il s’arrête, car il est en train de parler avec Shannon Wright ! (rires) Il m’explique se souvenir écouter mes disques en sanglotant et ça lui fait bizarre. Nous sommes très très proches. Danielle est sa compagne et nous sommes aussi très proches. C’est plutôt une histoire unique.
On aime beaucoup les photos que Jason Maris a faites de vous.
Oui. Ce qui est génial, c’est que je me sens super à l’aise avec lui donc il peut faire de meilleures photos de moi. Je déteste ça, et avec lui, ça se fait en toute innocence. Je peux être stupide, débile. On a passé de bons moments.
Est-ce que c’est pour le projet Homemade que vous avez été au studio de Bob Ludwig, Gateway ?
Oh, non. C’était pendant qu’on était en tournée avec Shellac. Steve [Albini] et Bob [Weston] voulaient aller à son studio de mastering parce qu’on était dans la ville où il se trouve. On a pris rendez-vous pour pouvoir visiter et c’était drôle parce qu’il y avait tous ces disques au mur, en gros tous les disques imaginables, c’est lui qui les a faits ! En fait, c’est Todd Trainer qui m’a prise en photo là-bas.
Vous avez écrit une chanson avec Julia Lanoë et Carla Pallone de Mansfield.Tya sur leur dernier album, Corpo Inferno, sur lequel vous avez enregistré vos premiers mots en français Loup Noir…
Elles m’ont envoyé une piste au Wurlitzer, une sorte de morceau répétitif. J’ai doublé la piste pour qu’elle soit plus longue. J’ai ensuite écrit la mélodie et les paroles. C’est encore un morceau où j’ai envisagé les voix comme une section de cordes, sur certaines parties du morceau.
Cette chanson compte beaucoup pour moi, les paroles notamment. Carla a ensuite écrit les parties de cordes. Je crois qu’elle s’est inspirée des parties de voix écrites comme pour les cordes que j’avais envoyées. Julia a ensuite ajouté les voix, en chantant la même chose, les couplets, la mélodie, pour qu’il y ait nos deux voix ensemble.
Ce serait bien qu’on vous entende la jouer en live ensemble un jour…
Oui, peut-être ! Chaque fois qu’elles me l’ont demandé, je n’étais pas dans les parages. Mais peut-être en février ou en mars, elles pourraient venir avec moi pendant un de mes concerts et on la jouerait. J’aimerais aussi jouer avec Carla, qu’elle puisse venir sur quelques dates ou quelque chose comme ça. Cette chanson était une belle surprise.
Vous nous avez dit collaborer avec d’autres musiciens d’abord parce que c’était vos amis. Mais si vous aviez la possibilité de jouer avec d’autres, qu’ils soient vivants ou morts, qui choisiriez-vous ?
(Long silence) Wow ! (rires) Oh boy ! Celle-ci est dure ! Je ne sais pas parce que je vois beaucoup de morts (rires)… Le premier qui me vient à l’esprit c’est Serge Gainsbourg. Je crois que c’était en quelque sorte un génie.
Je pense à Françoise Hardy. J’ai toujours pensé (là, c’est quelqu’un de vivant) que j’aimerais écrire une chanson pour elle et l’entendre la chanter. J’en ai d’ailleurs vraiment parlé à mon label. Je devrais lui écrire une lettre pour lui demander si ça l’intéresserait. Je ne sais pas du tout si elle serait intéressée, elle n’a probablement jamais entendu parler de moi. Ça pourrait être bien. C’est quelqu’un de vivant avec qui j’ai vraiment pensé travailler.
J’aurais adoré faire quelque chose avec Billie Holiday, ç’aurait été incroyable. (Elle explose de rire en criant) JE NE SAIS PAS !! (rires). Je préférerais juste être dans leur présent, avec eux, et pas forcément faire quelque chose de musical.
Je ne sais pas, je crois que si je pouvais être dans le présent avec Beethoven, je pourrais probablement mourir. Je mourrais de joie. « Merci, ça y maintenant je peux mourir !» (rires)
On se demandait si quand vous avez commencé à jouer de la guitare, vous faisiez des reprises ou si vous avez immédiatement commencé à faire vos propres trucs ? Est-ce que vous avez commencé à chanter tout de suite, ou bien le chant est-il venu après ?
Je n’ai jamais fait de reprises. Jamais. Je ne suis pas une fille à reprises. (rires) Les seules covers que j’ai faites sont des chansons auxquelles je me suis vraiment identifiée, des chansons qui me brisent le cœur.
Je n’ai jamais voulu apprendre à jouer d’un instrument à travers le langage d’une autre personne. Quand j’ai commencé à jouer de la guitare, j’ai appris trois accords. Je me suis vite ennuyée de ces trois accords et j’ai rapidement commencé à inventer les miens. Je n’aimais pas les fréquences hautes et plutôt aigues de la guitare. Ça me dérangeait. Donc j’ai commencé à inventer ma propre façon de jouer. Je voulais ajouter des sons de basses, des fréquences basses à tout ça. Et c’est vraiment comme ça que sont nés mon style, ma manière de jouer.
On en parlait avec Steve Albini sur la dernière tournée. Il disait que c’est très intéressant de me voir jouer, que c’est dingue, que j’ai inventé mon propre style parce que personne ne joue de la guitare comme ça.
Quand j’ai commencé à jouer, je suis devenue complètement obsédée par la guitare. Je ne me considérais pas vraiment comme une guitariste, ou une songwriter, rien de tout ça. J’ai directement commencé à chanter mais je n’avais pas encore compris comment faire une mélodie. Et puis tout a commencé à se mettre en place.
Et à partir de ce moment-là, je suis devenue complètement accro. Je ne pouvais plus revenir en arrière. J’ai écrit 10 chansons et je me suis dit, il faut que je parte en tournée maintenant. J’ai monté un groupe. Je n’avais juste peur de rien. C’est vraiment comme ça que tout a commencé.
J’étais déjà la même : les choses devaient être sincères.
J’ai cet ancien coffre plein de vieux trucs, avec des affaires de ma grand-mère. J’y ai retrouvé cette vieille interview, je devais avoir 21 ans et je disais déjà essentiellement tout ce que je suis en train de vous dire maintenant, c’est fou. En la relisant, je me suis dit : « oh, j’aime bien cette fille » (rires)
Il faut qu’on parle d’accordages de guitares. On a sans arrêt des demandes à ce sujet, qu’une interview soit prévue ou non (« la prochaine interview de Shannon, demande-lui de parler de ses accordages »). Donc je n’ai pas le choix. Quels accordages utilisez-vous sur votre guitare et pourquoi les avez-vous choisis ?
(rires) C’est vraiment secret en fait.
Je sais ! C’est déjà ce que je leur ai répondu ! (rires)
Je reviens à ce que je disais tout à l’heure : ne pas faire ce que les autres font. Je ne sais pas si mon conseil a une valeur quelconque, mais voilà ce que je répondrai à ceux qui t’ont posé la question : « expérimentez juste avec ce que vous avez devant vous, avec votre guitare. Vous pouvez la manipuler comme vous le souhaitez, essayer différentes choses, tenter de mettre des cordes de différentes tailles. Il n’y pas de manuel pour jouer d’un instrument. Si vous avez envie de l’accorder de telle ou telle manière, il suffit de trouver quelque chose qui sonne bien ».
Moi, c’est vraiment comme ça que j’ai fait. Je me disais que j’aimerais bien avoir une corde plus grave sur cette corde justement… J’ai tellement d’accordages différents sur tous mes morceaux ! Simplement parce que je cherchais la bonne tonalité, le bon son. Je crois qu’il faudrait davantage aborder la guitare en se disant : « Comment diable est-ce que moi, je veux sonner ? » Plutôt que de chercher à avoir le même son que d’autres. Parce qu’on a tous ça en nous. C’est juste qu’il faut explorer davantage.
Donc si je n’avais qu’un conseil à donner à propos de la guitare, ce serait de ne pas choisir un ampli dont on dit qu’il est le meilleur : on l’achète et on branche n’importe quelle guitare dessus. Je suis sincèrement convaincue que pour avoir un très bon son, la question repose plutôt sur comment on joue de cette guitare. Une fois qu’on a trouvé son propre jeu, on peut alors chercher un ampli qui convient à sa manière de jouer. Ça peut être n’importe quel ampli. La question c’est : est-ce qu’il correspond à mon style ? Je vois beaucoup de gens qui font cette erreur d’aller acheter un ampli dont on leur a dit qu’il était fantastique. Bien sûr il y a beaucoup de super amplis, mais s’ils ne correspondent pas à ton jeu, ils vont affaiblir tes capacités. Je crois qu’il existe beaucoup de bons guitaristes, qui n’y arrivent pas parce qu’ils n’ont pas choisi le bon ampli ou la bonne guitare ou quelque chose comme ça. Il faut vraiment continuer d’explorer, essayer constamment et à ce moment-là quelque chose deviendra sien. Et c’est ça le plus important dans la musique, il faut trouver sa voix, et ensuite partager cette voix avec les autres et espérer qu’ils s’identifient à elle. Je crois que ça a toujours été mon objectif, mon principal but.
Encore une fois, lorsqu’on parlait de mon son de guitare avec Steve Albini, il me disait combien il était impressionné que je puisse utiliser n’importe quel ampli et le faire mien. Ça sonne automatiquement « Shannon Wright » (rires).
Sur la tournée, je n’utilisais pas mon ampli mais les siens, qu’il avait apportés pour moi. Steve m’avait demandé sur quel ampli je voudrais jouer. Et je lui ai dit, tu n’as pas le modèle que j’utilise, donc peu importe, quelque chose comme un Fender Bassman pourrait le faire… Et il est tombé sur son [Hiwatt] Cabinet qui a un son complètement différent du mien. Je l’ai juste manipulé et j’ai trouvé mon son (rires).
Steve adore les trucs comme ça, il aime toujours quand les gens font leur truc et non ce qu’il fait lui. Je suis fière de pouvoir faire ça.
Comme je l’ai dit, ce qui est intéressant c’est lorsqu’on explore, lorsqu’on sort de sa zone de confort, lorsqu’on s’émancipe de ce quelqu’un nous a raconté, de ce que dit un magazine qu’on a lu, du genre « si vous prenez cet ampli, vous aurez un son génial ! » Il s’agit vraiment de trouver son propre style, son propre son, d’y travailler et de le rendre le meilleur possible. Il ne s’agit pas de copier les autres.
Je n’ai vraiment jamais été quelqu’un de branché par les reprises, par l’idée de suivre les idées des autres. C’est sûrement pour ça que je n’ai jamais eu de succès (explosion de rires).
J’ai une question technique plus personnelle, mais elle m’obsède. Quand vous commencez à jouer, je vois parfois votre médiator dépasser de votre paume. Vous commencez à jouer en fingerpicking puis vous continuez sur des déflagrations d’accords très rêches et votre médiator a disparu ! Comment vous faites ça ?
Je sais, c’est comme un tour de magie ! (rires) Je n’ai aucune idée de quand et comment j’ai commencé à faire ça. C’est vraiment drôle parce qu’on parle des mêmes choses qu’avec Steve sur la dernière tournée (rires). Il me demandait : « mais quand est-ce que tu as commencé à faire ce truc du médiator, à faire ce va-et-vient entre médiator et fingerpicking dans le même morceau ? Tu joues avec les doigts et paf, tu passes au médiator en une demi, voir une milli-seconde » . Je n’en ai aucune idée. Je n’ai vraiment aucun souvenir de quand ça a commencé, de comment j’ai l’ai fait. Je crois que c’est encore à force d’explorer.
Une fois qu’on a trouvé son propre truc, ça devient quasiment aussi automatique que respirer. Je ne pense même jamais à cette histoire de médiator. Des fois ça arrive qu’il m’échappe et je dois jouer les accords les plus rêches avec mes doigts. Dans ces cas, mes mains peuvent saigner, des trucs comme ça, mais ça ne me dérange pas car je ne m’en rends même pas compte, lorsque je suis au milieu du concert, complètement immergée émotionnellement.
Je crois qu’en fin de compte, c’est parce que j’aime quand les choses évoluent constamment : j’avais besoin que le médiator apporte parfois plus de volume, d’amplitude, ou parfois plus d’agressivité. A certains moments, j’avais besoin du médiator pour les parties rythmiques. Je sais seulement que je n’ai aucun souvenir de quand et comment j’ai commencé à faire ça, et que c’est aussi mystérieux pour moi que pour tout le monde.
La dernière fois on a parlé de votre rencontre avec Philippe Couderc et Vicious Circle. On aurait aimé revenir à Touch and Go, sur lequel sont sortis vos premiers albums solo (sur Quarterstick). Comment vous les avez rencontrés et comment avez-vous de décider à travailler avec eux ?
J’étais amie avec des groupes qui étaient sur Touch and Go. C’était à un autre moment de ma vie où je pensais abandonner la musique. Je vivais à New York et j’ai déménagé dans ce chalet à la campagne. J’avais un quatre pistes et j’ai commencé à écrire des chansons. Je les enregistrais juste pour moi. Une amie est venue me voir en me disant « oh, tu enregistres, je peux écouter ? » Je ne voulais pas mais elle a insisté alors je lui ai fait écouter. Elle m’a dit : « Oh my god ! il faut que tu fasses un disque ! » J’ai répondu que je ne savais pas trop. Mais elle a continué à me pousser. J’en ai finalement parlé à d’autres amis qui, plus tôt, étaient sur Touch and Go, Calexico. Ils m’ont dit : « on connaît un gars [Howard Greynolds], il bosse sur Touch and Go mais il a aussi son propre label où il sort des 7 pouces [All City]. Peut-être que tu pourrais lui parler et sortir un 7 pouces, si tu le sens. »
Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me signer sans entendre ma musique. Donc j’ai fait une cassette (à cette époque, on écoutait des cassettes) avec quatre chansons. Chaque pochette était différente, j’avais dessiné dessus. J’en ai encore quelques-unes. J’ai utilisé ma vieille machine à écrire pour écrire les titres des chansons, j’ai dessiné mes trucs dessus. Je lui envoyé une cassette et je lui ai écrit cette lettre assez dingue, vraiment bizarre. Je ne me rappelle pas de ce que je lui ai écrit, mais apparemment c’était vraiment dingue. Je n’attendais pas que ça marche, donc je l’ai vraiment fait comme ça. A cause de la lettre et de la cassette, il a immédiatement décidé de travailler avec moi, donc on a fait un 7 pouces. C’était des chansons différentes de celles qui étaient sur la cassette.
Il a ensuite apporté la cassette à Corey [Rusk] de Touch and Go en lui disant qu’il croyait vraiment qu’il fallait signer cette fille. Donc Corey est venu me voir jouer quelques fois. A cette époque, je jouais en acoustique, parce que j’essayais de m’éloigner de la guitare électrique, artistiquement. Mais je jouais de la guitare acoustique comme d’une guitare électrique, donc c’était un peu différent. J’étais chez un ami et il m’a dit « appelle moi et on verra ». Lorsque je l’ai appelé, il m’a dit : « J’ai bien réfléchi. J’aimerais que tu sois sur Touch and Go.» J’étais tellement heureuse. C’est vraiment un label que j’adorais.
En même temps, j’étais la première artiste solo qu’ils sortaient sur Touch and Go et je n’avais jamais signé sur un label avant [en solo]. C’était la première fois que Touch and Go signait un artiste qui n’avait jamais eu de label. Je commençais donc vraiment de zéro, et ils n’avaient jamais fait ça avant. Donc ils étaient un peu timides avec ça, parce qu’ils ne savaient pas trop comment faire, quoi faire. D’autant que j’étais différente d’une grande partie des groupes du label. On a commencé en même temps en quelque sorte, sur ce coup-là. A ce moment-là, j’étais différente de ce qui se faisait. C’était un peu difficile pour nous à cette époque. J’étais tout le temps en tournée. J’étais tellement émotive, et à cette époque, les gens n’étaient pas habitués à cette sorte de musique. (…) J’ai vraiment aimé être sur Touch and Go. J’ai fait de bons albums sur le label et j’ai rencontré des gens exceptionnels.
J’ai ce très vieil ep avec A tin crown for a social bash, j’adore la photo de l’artwork. D’où vient-elle ?
Oui, c’est le tout premier ep solo que j’ai sorti ! C’est une photo de l’extérieur de mon appartement à New York. C’est ce que je voyais par la fenêtre de l’intérieur. Ce sont les premiers flocons de neige que j’ai vus lorsque j’ai déménagé à New York. Je me suis réveillée, et c’est la première fois que je voyais la neige depuis que j’y avais emménagé. J’étais très émue. J’ai pris mon appareil photo et voilà.
Dans une interview de Sleater Kinney, Janet [Weiss] parlait de son plus chouette anniversaire en tournée et d’un ours… Vous pouvez nous en dire plus ?
[Explosion de rires des deux côtés de l’Atlantique] Vraiment je peux avoir des idées dingues parfois !
Janet et moi étions très proches à cette époque. C’est toujours très étrange, l’intimité qu’on partage sur une tournée, et ensuite de ne plus se voir pendant des années….
A ce moment-là, on était en tournée et on donnait trois concerts à San Francisco. Sleater Kinney étaient très connues à cette époque, alors que moi, non. Mais elles étaient vraiment très bienveillantes et m’encourageaient. Elles regardaient mes concerts, tous les soirs, c’était dingue. Donc on jouait au Fillmore, où Jimmy Hendrix a joué (je suis une énorme fan) … J’étais sur un nuage.
C’était donc l’anniversaire de Janet et je réfléchissais à ce que je pourrais faire pour la prendre au dépourvu et faire quelque chose de vraiment drôle. J’ai demandé à une amie qui vivait à San Francisco si elle pouvait me trouver un costume d’ours. « Quoi ?! » « Oui, apporte moi un costume d’ours aujourd’hui, je veux faire une surprise à Janet ». Elles avaient cette chanson sur un animal, je ne me souviens plus de quelle chanson il s’agissait. J’ai donc enfilé ce costume ridicule, j’ai couru sur scène pendant qu’elles jouaient et j’ai commencé à danser. (Explosion de rires)
C’était super facile car j’étais couverte de la tête au pied, donc personne ne pouvait me reconnaître. Si ça avait été juste moi, jamais je n’aurais pu faire un truc pareil. Mais j’avais cette tête d’ours ! (rires) C’était super drôle ! J’avais aussi une pancarte « Happy Birthday Janet ! » Janet jouait, je dansais à côté de sa batterie et elle était stupéfaite ! (rires) Je suis sortie au milieu de la chanson, j’ai dû rester sur scène 40 secondes, juste le temps que le public se demande ce qu’il se passe ! (rires) Elle m’a dit qu’elle se disait « mais p… qui c’est ?! » jusqu’à ce qu’elle voit mes chaussures. J’avais oublié d’enfiler les pieds de l’ours ! (rires) Elle m’a dit qu’elle n’arrivait pas à croire que c’était moi.
Une bonne partie de vos fans ne pourra pas y croire non plus ! (rires)
Je sais, c’était juste parfait. (rires)
Comment on enchaîne après ça…. Hum votre question préférée (rires) quels sont projets à venir ?
Faire une belle tournée. J’ai vraiment hâte. Et puis, aussi la bande originale du documentaire… Ce sera ma première bande originale pour un film, je suis très enthousiaste. Je me sens tellement proche des gens qui le font. Ils ont tellement de talent. Ce sont aussi mes amis.
Je crois que ça va être un projet très important parce que ça amènera une prise de conscience sur l’industrie pharmaceutique, sur le rôle important qu’elle joue et sur le fait que les gens en meurent. Je pense à cet homme, en particulier, qui prenait 15 médicaments différents que lui délivrait le gouvernement. C’est vraiment l’objectif, cette prise de conscience.
On a essayé de trouver des fonds, avec ce gros truc à Seattle, qui était vraiment bizarre pour moi. Ils souhaitaient vraiment que je joue Soft Noise pendant cette collecte de fonds, parce qu’ils voulaient qu’elle soit dans le film. J’ai donc joué devant des gens comme cette princesse russe (elle est vraiment cool d’ailleurs – rires-) ou des musiciens du Seattle Orchestra, en gros des gens que je n’aurais jamais dû rencontrer… Il fallait que je joue devant eux. Mais c’était pour financer le film. Il y avait aussi beaucoup d’anciens marines qui avaient vécu beaucoup de choses terribles et qui œuvrent aussi pour aider les vétérans.
Rencontrer ces gens très différents était très intéressant. Ils ont été très émus par le film. Le documentaire apporte cette prise de conscience : ça se passe maintenant, dans notre monde. Ces gens qui partent combattre, dans ces batailles sans fin, et pour quoi ? J’attends vraiment sa sortie, en espérant qu’il puisse sortir en France aussi…
Photos live, prise de son et aide à la traduction : Caro
Un immense merci (encore) à Guillaume Le Collen et Philippe Couderc de Vicious Circle pour avoir rendu tout ça possible. Tout comme notre gratitude éternelle à Abus Dangereux.
Plus d’1fos sur Shannon Wright
Un énorme merci pour cette interview !
🙂 Merci à vous !!