Pour les fans, mais pas que. Voici toutes les interviews de Shannon Wright que nous avons réalisées depuis 2010 en mode groupé. Peut-être plus facile que de cliquer de l’une à l’autre pour avoir une vue d’ensemble. Cela dit, prenez le temps de vous installer confortablement, c’est long !
Petite piqûre de rappel pour ceux qui ne la connaîtraient pas.
On ne mentira pas, cette fille-là, on l’aime d’amour. Parce qu’elle nous a centrifugé cœur et estomac tout ensemble à chacune de ses prestations ou sorties discographiques.
En 1998, l’américaine saborde son groupe, Crowsdell, et part, seule, avec sa guitare comme unique bien. De là naîtront les fragiles et troublants Flighsafety et Maps of Tacit (1999 et 2000), puis plus tard, le rêche et sublime Dyed in the Wool (2001). Une vraie claque déjà. De ces disques qu’on écoute en boucle pendant des jours, sans rien vouloir écouter d’autre. Tout ça grâce au très bon label bordelais Vicious Circle qui vient alors de signer la sortie de l’album dans l’Hexagone. Nous, on n’y comprend rien. Pendant des jours, voire des semaines entières, on se repasse un même morceau en boucle, découvert sur un sampler d’Abus Dangereux. On vient d’être grillé par la foudre. On attendra avec une fébrilité alors inconnue la sortie de l’album en France. Dyed in the wool, teint dans la laine, imprimé au plus profond de nos épidermes, déjà.
La France a aussi la chance de la découvrir en live, en première partie de Calexico lors de prestations intenses. Shannon est écorchée et passionnée, elle ne laisse personne indifférent. On l’a dit. Plus qu’une claque : une tornade. A l’intégrité et à la sincérité qui vous font mal au ventre mais vous libèrent en même temps. Sur scène, le visage souvent dissimulé derrière ses cheveux, Shannon Wright se cache. Mais se donne, et donne, entière. Sans filet, possédée. Ses déflagrations sonores vous mettent de terribles claques dont vous peinez à vous relever. Vous pensez enfin arriver à vous rétablir ? Peine perdue, le morceau suivant vous renvoie directement dans les cordes…
En 2004, elle retrouve Steve Albini pour son album (alors) le plus rock et le plus rêche, Over The Sun. Cet album change des vies. Tumulte de guitares électriques, voix poussées à l’extrême. C’est un disque abrasif. Shannon y manie la guitare « comme une serpe » disent les gars de Vicious. Et puis il y a le piano. Ces morceaux doux en apparence qui vous poignardent tout aussi fort. Suivra un disque avec Yann Tiersen qui la fera connaître davantage (écoutez par ici ce que Yann Tiersen dit de cette rencontre qui l’a plus qu’inspiré).
Puis contre toute attente, Shannon revient en 2007, avec Let in the Light, un album apaisé, sans pour autant être rangé. On l’imagine plus heureuse, moins à vif, mais on la sait toujours aussi exigeante. Shannon ne lâche rien. Elle n’a rien à faire des clichés, des modes, des étiquettes. Elle reste sur le fil tendu. Intègre. L’album suivant, Honeybee Girls, sorti en septembre 2009, alterne les assauts frontaux, les climats orageux et les moments plus paisibles… Mais méfiez-vous de l’eau qui dort. Sous ce calme apparent, les cassures apparaissent. Et les morceaux au piano se révèlent tout aussi ravageurs, tout comme cette incursion très rare dans la discographie de l’Américaine, dans les terres électroniques sur un morceau glaçant et bouleversant, Father.
On pensait attendre plus longtemps avant la sortie d’un nouvel opus. Et puis Secret Blood est arrivé début novembre 2010. Une entrée en matière sur les chapeaux de roue, un brûlot hardcore (l’énorme Fractured qui prend toute sa puissance en live), des ballades renversantes et encore des mélodies qui livrent progressivement leurs secrets. La sortie d‘In film Sound début 2013 a encore enfoncé le clou. On ne pensait (naïvement) pas que Shannon pouvait aller encore plus loin. En 9 titres désormais essentiels, elle livre un album à la densité qui vous percute l’âme, vous ouvre la poitrine et perfore vos poumons. Explosions rêches, riffs qui transpercent, propulsés par une rythmique à la puissance nucléaire ou accalmies poignantes et déchirantes (oui, Who’s sorry now ? ou Bleed juste après) In Film Sound déchaîne les corps et libère les âmes.
C’est donc tout tremblant, avec l’impatience nous tordant le ventre, qu’on a découvert Division, sorti le 3 février 2017. Né d’une rencontre essentielle, celle de l’Américaine avec Katia Labèque, immense pianiste aux oreilles grandes ouvertes, un soir d’orage émotionnel en Suisse (voir ci-dessous), l’album explore de nouvelles facettes de l’art de songwriter de la musicienne. Shannon essaie de nouvelles choses : elle y mêle acoustique et électronique (les immenses pianos du KML studio aux synthés analogiques, les batteries acoustiques aux boîtes à rythmes digitales), se permet une fragilité et une tendresse à faire chialer les pierres et ose un travail autour des voix et des mélodies vocales tout aussi renversant et désarmant. Au final un disque courageux, libre, qui a d’ores et déjà rejoint la liste des disques qui feront date dans la carrière de l’Américaine. Et qui se révèlera tout aussi percutant et émouvant en live.
NOVEMBRE 2010 – Antipode MJC – Rennes
Elle est arrivée, tellement timide dans sa veste noire. Elle nous a souri, nous a serré la main avec douceur et a cherché avec nous un endroit calme pour l’interview. C’est Amélia (merci encore) de l’Antipode, qui nous a sauvées en nous trouvant une pièce pleine de vieux fauteuils.
On a remercié les gens qui nous ont laissé la place, on a confondu le français, l’anglais. On a installé les micros pendant que Shannon nous souriait. On était tellement impressionnées, on avait peur de ne pas être à la hauteur, de bafouiller, d’avoir des questions stupides. On lui a demandé Paris, la veille. La fatigue d’une fin de tournée. Elle se demandait si on était dans une école, pourquoi il y avait tous ces enfants autour de nous. On a tenté d’expliqué la MJC. On a parlé de l’avion du lendemain, de la folie que ce serait aux États Unis à cause de Thanksgiving.
On lui a redemandé si elle avait besoin de quelque chose, si elle était prête. Et on a lancé les micros.
Il s’est passé quelque chose.
Une vraie rencontre. Qui peut-être, pardon, s’est jouée entre les mots, ou par les morceaux qu’on a coupés, parce que parfois trop personnels, pour elle, pour nous. Il reste quand même l’essentiel, Shannon Wright qui parle de sa musique, de son dernier album, Secret Blood qui a déjà rejoint la liste des albums qui feront date dans la carrière de Shannon. En priant pour que ce ne soit pas le dernier et qu’une nouvelle fois, les chansons viendront la rattraper…
Ecouter l’interview :
Alter1fo : Un an seulement, entre la sortie d’ Honeybee Girls et ce nouvel album. Pourquoi ?
Shannon Wright : Je ne sais pas… J’ai juste commencé à écrire des chansons… Et simplement décidé de sortir un nouvel album.
Ça s’est passé naturellement. Ce n’était pas vraiment planifié…
Vouliez-vous faire quelque chose de particulier avec ce nouvel album ou bien est-ce que simplement, vous aviez des chansons et vous avez voulu les enregistrer ?
Oui, c’est ça. Dans tous les albums que je fais, ça se passe comme ça. Il n’y a jamais de concept. (…) C’est ce qui vient naturellement qui se retrouve sur le disque
Vous avez parfois une manière différente d’utiliser les sons. Je pense à des chansons comme Father, ou à la fin d’In the Needle, sur le dernier album.
En fait, j’ai enregistré Father il y a plusieurs années… C’est un bonus sur un disque sorti au Japon.
Je voulais faire une autre version. Je ne suis pas vraiment sûre…
Vous savez quand vous êtes en studio, vous essayez des choses. Si ça vous plaît, vous le gardez…
Et pour l’autre chanson, In the needle… La voix qu’on entend… C’est celle d’une amie qui est décédée.
En fait c’est une chanson sur elle.
Je pensais que c’était bien d’avoir sa voix sur le disque. (…)
Qu’est-ce que vous aimez quand vous êtes en studio ?
En studio, je me sens impliquée dans tout le processus.
Andy [Baker, dont on reparle juste après] et moi, nous sommes très proches. Il sait exactement ce que je cherche et souvent, l’ambiance des enregistrements est très détendue. Même si au moment des prises, quand je suis en train de jouer dans le studio, c’est toujours très sérieux.
Mais quand je ne joue pas, on s’amuse vraiment…
C’est à la fois lourd, et léger. Les deux en même temps…
J’ai lu dans une ancienne interview que vous entendiez tous les instruments dans votre tête avant d’écrire une chanson. Est ce que c’est vrai ? Comment est-ce que vous composez ?
Je commence au piano ou à la guitare. C’est toujours le point de départ. Et quand je développe la chanson, je commence à entendre tout le reste, la mélodie, les différentes pistes…
J’ai comme une image de ce que va être la chanson. (…) Je ne peux écrire les paroles qu’en dernier. Je n’ai jamais été quelqu’un qui commence par écrire les paroles…
Je vois une sorte de paysage dans ma tête. J’ai seulement le « sentiment » de ce que sera la chanson.
Vos textes s’apparentent à de la poésie. Est-ce que c’est quelque chose que vous recherchez ? D’où vient votre inspiration ?
Je ne sais pas…
J’ai l’impression que ces dernières années, j’ai un peu simplifié les paroles. Je ne connais pas grand chose à la poésie, ce genre de choses, vous savez… Je veux juste exprimer quelque chose que je ressens… Quelque chose qui puisse faire écho dans la vie d’autres personnes, parce que c’est similaire à ce qui leur arrive…
Je sais que d’autres artistes disent : « C’est mon histoire ».
Je ne suis pas comme ça. Je pense à tout le monde. A moi. Au fait qu’on soit tous reliés. C’est ce qui ressort dans les paroles, dans les chansons. C’est une façon de communiquer.
J’ai toujours été plutôt timide… C’est une façon de rentrer en contact avec les autres.
Il y a aussi beaucoup d’amour là-dedans…
Ça s’entend, je crois...
J’ai eu l’impression que ce nouvel album était aussi comme une sorte d’hommage au hardcore de Washington DC. A cause du disque de Black Flag sur la pochette, mais aussi à cause de la chanson Fractured, qui est complètement incroyable.
Oh… Merci.
Est-ce que c’est quelque chose d’important pour vous ?
En fait, cette photo, c’ est juste une photo de ma maison. C’est la pièce où je fais de la musique.
Ce disque de Black Flag est sur ma table depuis des années. Je n’y ai pas vraiment fait attention. J’ai tout laissé tel quel.
C’est vrai que c’est très personnel de mettre une photo de chez soi sur une pochette d’album. Mais j’ai simplement pensé que c’était une autre manière de communiquer avec les gens.
En réalité, ce disque, c’est plutôt un hommage à un de mes proches, qui a eu un cancer récemment.
Lorsque que quelqu’un de proche est malade, ou qu’il lui arrive quelque chose, vous pouvez vous sentir en colère, perturbé ou triste… ou… Et j’ai vraiment l’impression que cet album tourne autour de toutes ces émotions, de comment on vit avec tout ça… Surtout lorsque c’est quelqu’un de proche qui souffre. C’est de ça dont il est vraiment question dans l’album.
Merci. (silence)
Parlons un peu de la scène maintenant. Vous voir en live est une expérience bouleversante.
(Touchée) Oh… Merci.
Comment abordez-vous la scène ? Vous êtes comme une tornade…
Pardon ?
Une tornade (je mime le tourbillon avec force bruitages)…
Oh, a tornado (rires)…
Être sur scène, c’est vraiment ce que je préfère. J’adore enregistrer, être en studio, j’aime vraiment écrire des chansons… Mais vous savez, quand j’étais petite, et que j’allais voir un groupe, un groupe que j’aimais vraiment, j’adorais ce sentiment d’être dans un endroit où tout le monde vivait un moment à part, ensemble.
C’est seulement une heure dans votre vie, mais vous pouvez vous en souvenir… Et penser : « wah, c’était vraiment…». Ce sentiment m’a marquée…
C’est la même chose pour moi quand je suis sur scène. Quand je joue, j’essaie d’être complètement honnête avec moi-même et avec le public. Ce n’est pas seulement moi, sur scène, et le public qui écoute. C’’est nous, tous ensemble. On fait corps. On est tous connectés.
Je ne peux pas vraiment expliquer ce que je fais sur scène ou pourquoi je le fais… Même, quand le groupe me dit : « wah, tu as fait ce truc au concert hier soir… » , je ne veux pas l’entendre… Je ne veux pas le savoir ! (rires) C’est trop bizarre.
On vous a vue à Saint Nazaire il y a dix jours, et c’était un excellent concert.
Merci. (…)
Sur scène, il y avait une diapositive projetée derrière vous. De quoi s’agit-il ?
C’est simplement une vieille photo de Floride, c’est de là que je viens. J’aime beaucoup cette image. C’est un souvenir de quand je vivais là-bas. Voilà une autre chose personnelle.
C’est un peu un morceau de chez vous sur scène…
Je ne vis plus là bas, maintenant. Mais, oui…
Pouvez-vous nous parler des musiciens qui vous accompagnent sur scène.
Le bassiste, c’est mon ami Andy. Il a enregistré presque tous mes albums, sauf celui que j’ai fait avec Steve Albini.
Oui, mais en réalité, Steve Albini a aussi enregistré quelques morceaux sur Maps of Tacits et Dyed in the wool, mais Andy était là lui aussi. Andy est quelqu’un de formidable. Il joue aussi de la basse sur le nouvel album. C’est bon de l’avoir avec moi sur scène…
C’est plutôt rare parce qu’il est ingénieur du son, donc il est souvent très pris…Et pour lui, qui passe tout son temps en studio, cette tournée, c’est une sorte de break. C’est un très bon bassiste et c’est bien qu’il soit là avec nous.
Mike, lui, vient d’Athens en Georgie. On est devenu ami et maintenant, il m’accompagne à la batterie.
On a fait une interview de Yann Tiersen cet été. Il nous expliquait à quel point votre travail ensemble avait été important pour lui. On a parlé de la différence entre la musique électrique ou acoustique, entre autre, et il nous disait que les gens comme vous montraient que les deux n’étaient pas antinomiques.
J’aime toutes les sortes de musiques. Du moment qu’elles sont honnêtes. Qu’on peut s’y identifier.
Lorsqu’on sait que l’artiste est sincère, même s’il est très différent de vous. Peu importe le style, que ce soit de l’électronique ou autre chose, on peut toujours voir si la démarche est sincère, si les gens sont honnêtes et que ce qu’ils font vient vraiment du cœur. Peu importent les « textures », les instruments utilisés…
C’était vraiment bien pour moi aussi de travailler avec Yann.
On s’est rencontré. On a dîné chez lui. On est très timide tous les deux. C’était étrange… Et on a commencé à parler de musique et à écouter des disques. On était vraiment sur la même longueur d’ondes. C’était vraiment simple. Alors on s’est dit que ce serait bien de faire de la musique ensemble.
On s’est mis à écrire tous les jours. C’était vraiment dingue. On pensait aux mêmes choses en même temps. » J’ai une idée… Si on mettait ça là ? ». Et l’autre disait aussitôt, que ce soit Yann ou moi, et c’est ça qui était génial : « oh mon Dieu, c’est exactement ce que je pensais ! »
C’était une expérience incroyable. On enregistrait toute la journée. Puis je retournais dans cet appartement, et j’écrivais les paroles jusqu’à six heures du matin. J’étais épuisée !
Je suis très fière de ce disque. Même si c’est ironique de penser que tous ses fans pensent que Yann a écrit toute la musique et même les paroles, parce qu’il est tellement énorme !
Vous avez aussi travaillé avec certains membres de Rachel’s, Alan Sparhawk de Low ou Joey Burns de Calexico. Pensez-vous travailler de nouveau avec eux ou avec d’autres musiciens que vous appréciez ?
En fait, ces musiciens étaient tous sur mon label, à Chicago, Touch and Go. C’était comme une grande famille. Tous les groupes s’entraidaient. On tournait ensemble. On est devenu vraiment amis… Ça a bien fonctionné parce qu’on était très proche.
Ça ne m’intéresse pas vraiment de travailler avec des personnes que je ne connais pas. Excepté pour Yann avec qui il y a eu une vraie rencontre. C’est très intime et il faut pouvoir faire confiance à l’autre. Ça doit se faire naturellement.
Maintenant deux questions pièges mais importantes pour nous :
Pouvez-vous nous donner 3 disques sans lesquels vous ne pourriez vivre ?
(Sérieuse). Neil Young, définitivement. C’est mon artiste préféré depuis tellement d’années. Il a fait tellement de disques. Tous ses albums sont vraiment formidables, toujours différents. C’est inspirant.
Donc, Everybody knows this is nowhere, Neil Young.
Oh, c’est vraiment dur. (Soupir concentré)
Le disque live d’Ella Fitzerald, enregistré dans les années 50. Je l’aime énormément et je l’écoute depuis des années.
… Un long moment de nouveau, puis elle conclut : Et à peu près tout de Led Zeppelin. Vraiment… J’adore Led Zeppelin…
Neil Young et Led Zeppelin, oui, c’est du rock classique, mais ce sont des musiciens et des compositeurs tellement formidables. (embêtée) Je sais que ça ne paraît pas très excitant…
Si, si ! Ça nous convient parfaitement… (rires)
La deuxième, plus difficile encore. Pourquoi est-ce que vous faites de la musique ?
(De nouveau très sérieuse) Woo…
Pour plein de raisons, je crois…. (silence) C’est une tellement belle façon de s’exprimer et de communiquer avec les autres.
(silence) J’aime la musique… Je ne sais pas. Je crois que c’est quelque chose… Je ne pourrais pas vivre sans… (Sa voix se voile) C’est vraiment ça. C’est quelque chose en moi… Je dois vivre avec.
La tournée s’achève ce soir. Quels sont vos projets pour la suite ?
J’ai un concert prévu à Atlanta où je n’ai pas joué depuis longtemps. Ça va être vraiment bien !
Mmm…Et puis… Je n’ai pas l’habitude de planifier. Les choses arrivent naturellement…
Je ne ferai peut être pas d’autre disque, qui sait ? Après Let in the light, je pensais que je n’allais pas faire d’autre album, et finalement, j’en ai fait deux depuis…
C’est mieux pour nous !
(rires) A ce moment-là, je disais que je n’allais pas faire d’autre album. Que je n’allais plus faire de tournée.
Et c’est comme si ça me dépassait… J’ai toutes ces chansons qui continuent d’arriver… Toutes ces choses que je veux exprimer…
J’ai dit à tout le monde sur cette tournée que c’était la dernière.
Non, non !
(rires) Et les autres disent : (elle prend le ton de ceux à qui on ne la fait plus) « oui, oui, c’est ça… »
On verra après ce soir.
Je suis plutôt triste ce soir, à cause de ça. Est-ce que ça va vraiment me manquer, qui sait ? C’est comme une rupture, une rupture amoureuse, vous savez (elle mime l’indécision d’un couple qui se sépare) : « Je ne sais pas si je dois le faire. J’ai envie de rester, mais j’ai envie d’arrêter… »
Voir Shannon si timide mimer différentes voix détend ces propos doux-amers et l’interview s’achève dans les rires.
On demande hors micro quand l’épisode de Burn To Shine sur Atlanta avec un morceau de Shannon live sera enfin .
Burn to shine est une série incroyable tournée par Christoph Green et Brendan Canty de Fugazi. Le concept est simple : les réalisateurs choisissent une maison qui va être détruite dans une certaine ville et demandent aux groupes locaux d’y jouer une chanson live. Tous les groupes s’y produisent à la suite dans la même pièce le même jour. Chaque épisode se termine avec les images de la destruction de la maison. Pour le moment, 6 épisodes ont été tournés – Chicago, Washington DC, Portland, Seattle, Louisville et Atlanta – mais 4 seulement sont sortis.
Elle nous explique le tournage, les jouets d’enfants sur le sol et ce sentiment glauque vis à vis de ce qui avait peut-être pu se passer dans cette maison. Le DVD est cependant toujours en attente de fonds suffisants pour pouvoir être commercialisé (tout comme d’ailleurs l’épisode sur Louisville).
On la laisse alors regagner sa loge, toutes émues du moment qu’on vient de vivre. Elle nous remercie longuement. Nous aussi. On lui souhaite bonne chance pour le concert de ce soir. Elle touche alors le bois de la porte des deux mains pour se porter bonheur. On sait bien que tout le monde peinera à le croire, tellement la jeune femme est impressionnante sur scène. Et pourtant ses mains sur le bois ne sont pas une coquetterie. En se retournant, elle nous adresse un dernier grand sourire :
« See You Later… »
On la retrouvera sur scène, le soir. Pour un concert qui s’avèrera une nouvelle fois bouleversant et sublime (Compte-rendu et photos du concert de Shannon Wright)…
Merci.
AVRIL 2013 – Krakatoa – Bordeaux
Après la sortie d’un brûlot abrasif qui nous a saigné le cœur à blanc en mars dernier, le sublime In Film Sound, Shannon Wright a enchaîné sur une tournée en Europe au printemps. On a eu la chance de l’y entendre sur trois dates intenses (Paris, Nantes, Bordeaux) qui nous ont laissées bien souvent bouleversées et exsangues. Mais également de la retrouver une nouvelle fois en interview.
Dans la grande loge du Krakatoa de Bordeaux, en cette journée torride d’avril (oui la seule !), on installe les micros avec une boule dans le ventre. On a encore le cœur qui bat bien trop vite. Mais pour rien au monde on ne voudrait être ailleurs. On a encore lancé les micros comme on se jette dans le vide. Entre les rires et les sourires timides, on a eu la gorge serrée une nouvelle fois. Peur d’aller trop loin. Et les yeux humides. De part et d’autre. On gardera pour nous comme un poignard en plein cœur ses yeux soudain rendus brillants par l’émotion. Toutes nos excuses, une nouvelle fois pour les morceaux qu’on a coupés, parce que parfois trop personnels, pour elle, pour nous. Il reste quand même l’essentiel. Rencontre.
Ecoutez l’interview là :
Alter1fo : On est complètement dingues d’In film Sound. Cet album est juste sublime.
Shannon Wright : (réellement touchée) Oh, merci !
C’est toujours vous sur cet album, on reconnaît votre son, mais en même temps, j’ai l’impression que vous avez eu une nouvelle approche pour ce disque. Votre guitare est encore plus abrasive, je ne pensais pourtant pas que c’était possible…(Elle rit) Et j’ai l’impression que certaines structures sont un peu différentes, pas seulement couplets/refrain… (Elle acquiesce) Est-ce que c’est quelque chose que vous vouliez ? Vous avez eu une approche différente pour cet album ?
Shannon Wright : Oui, je pense que oui, inconsciemment, probablement …
(Elle s’interrompt) On peut fermer la porte ? (on se lève pour repousser le battant derrière nous… Elle s’excuse en souriant…) Ce doit être les enfants. Il y a beaucoup d’amis ici ! Ils viennent nous rendre visite.
Ça fait plaisir de l’entendre.
Shannon Wright : (Elle rit, heureuse puis reprend) Oui, je pense définitivement, qu’inconsciemment… C’est plus un challenge qu’une volonté au départ : « j’ai envie de faire ceci ou j’ai envie de faire ça ». J’essayais plutôt de chercher quelque chose d’intéressant pour moi.
Vous avez enregistré cet album avec Kevin Ratterman à Louisville, Kentucky. Vous le connaissiez ?
Shannon Wright : Je l’avais rencontré une fois. Kyle et Todd qui jouent avec moi, avaient enregistré avec lui avant. Il venait de monter un nouveau studio. Et c’est vraiment un studio incroyable avec le meilleur équipement qui soit, plein de trucs vintage…
Quand on y est allé, mon but principal était d’enregistrer live, à l’inverse des gens qui, de nos jours, enregistrent leurs morceaux par échantillons, en numérique, et tous ces trucs…
Et puis je voulais vraiment revenir au fait de répéter les morceaux. Pour ensuite les jouer. Et enfin les enregistrer. Il semble que désormais ça n’existe plus cette façon de faire. C’était le but de tout ça.
Et puis Kevin utilise un équipement vraiment extraordinaire ! C’est pour cela que ça sonne de cette manière.
Est-ce que vous pouvez nous parler de l’enregistrement ? Parce qu’on a vu des photos de ce moment, et c’était chouette, vous sembliez si heureuse !
Shannon Wright : (rires) Merci (touchée). On a pris beaucoup de plaisir. Et en même temps il y a eu beaucoup de moments de dur labeur.
Je travaille comme une dingue en studio, à en devenir folle. Kevin est très positif, extrêmement encourageant. Il était tellement excité pendant l’enregistrement des chansons !Il était très enthousiaste , et ce chaque jour.
Au départ, on devait enregistrer sur un nombre restreint de jours. Et il a dit : « pourquoi on n’enregistrerait pas sur deux jours de plus ? » Je n’avais pas l’argent pour deux jours de plus. Alors il a dit (elle chuchote) : « c’est ok »…
Il voulait faire un très bon album. Parce qu’il y avait toujours des choses sur lesquelles je voulais travailler. Pendant l’enregistrement, je travaillais jusqu’à 7 heures du matin pour réarranger certaines choses ou essayer d’autres mélodies ou… peu importe quoi. Il était complètement ouvert là-dessus. Todd, Kyle et moi, au départ, nous avons eu trois jours d’enregistrement pour les prises de base. Après ça, Kyle et Todd sont partis et j’ai fini les voix et le reste. Ensuite Kevin et moi avons mixé l’album. C’était juste nous deux.
Est-ce que vous pouvez aussi nous parler de Kyle et Todd qui ont enregistré avec vous et qui sont aussi avec vous sur scène ce soir ?
Shannon Wright : Ce sont de vieux amis, qui font partie des Shipping News (Caro montre mon t-shirt du groupe, elle rit !) Oui, ils vont aimer ça ! Montre leur en sortant !
C’est comme ma famille. C’est tellement facile. Je pense, je ne sais pas… Quand on sort de scène tous ensemble, on est juste… Waow. Il y a comme une sorte de magie entre nous qu’on ne peut pas vraiment expliquer.
Oui, ça se voit sur scène…
Bob Weston a fait le mastering. C’est un de vos amis, je crois (elle acquiesce). Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec lui ?
Shannon Wright : Je voulais juste faire cet album avec des gens avec qui je fais de la musique depuis toujours. Récemment j’ai fait pas mal de concerts avec Shellac. J’ai fait l’ATP avec eux. J’ai fait leur anniversaire. Bob et moi on a beaucoup discuté pendant ces moments-là. Je lui ai demandé : « tu aurais le temps de masteriser mon album ? »
C’était vraiment bien. Ce n’est pas souvent qu’on arrive à faire ça parce que chacun a sa vie et est très occupé.
Bob est toujours super occupé, tout comme Kyle, Todd et moi… C’était vraiment bien d’arriver à avoir tout le monde réuni pour cet album cette fois. C’est important pour moi que ce soit comme une famille.
Tout le monde a remarqué que vous aviez utilisé la même police pour l’artwork d’Over The Sun et In Film Sound. Et beaucoup ont l’impression que c’est une sorte de lien entre ces deux albums de guitare abrasive. Vous êtes d’accord ? C’était quelque chose de volontaire ?
Shannon Wright : Non, je pense que je suis particulièrement difficile avec les polices et j’aime celle-ci. (Rires) J’ai fait l’artwork du recto. Ce n’est pas fait avec photoshop ou quelque chose comme ça. C’est vraiment un tag que j’ai fait et que j’ai pris en photo. Ils ont fait d’autres propositions que je n’aimais pas vraiment et j’ai dit « J’aime la police sur Over the Sun, pourquoi ne pas juste utiliser celle-ci ».
Pas de raison particulière…
Shannon Wright : Non pas d’explication glamour ou incroyable à donner à propos de ça. (Rires)
J’aime vraiment cette photo que Thomas [thomR] a prise de vous et de votre jazzmaster. (Elle acquiesce) Je suis tellement fière de lui et particulièrement heureuse que vous ayez choisi cette photo pour l’artwork. C’est un gars exceptionnel.
Shannon Wright (avec des étoiles dans les yeux autant que nous…): Oui, il l’est.
Pourquoi avez-vous choisi cette photo ?
Shannon Wright : Quand on était en tournée en 2010…
Avec Yann Tiersen ? [Thomas avait suivi Yann Tiersen en tournée aux Etats Unis, notamment sur plusieurs dates dont Shannon assurait la première partie. Vous pouvez retrouver les films de Thomas ici]
Shannon Wright : Non, c’était juste en solo. Il est venu, pendant une semaine je crois, pour filmer, pour prendre des photos. Il m’a envoyé cette photo.
Je suis sur la photo et pourtant j’ai pensé : « waow, quelle photo vraiment magnifique! » Il m’en a envoyé d’autres qui étaient également très belles. Je l’avais montrée à Kyle et il l’avait aussi aimée… Et quelqu’un a dit : « tu devrais utiliser cette photo que Thomas a prise » Et j’ai dit oui, bien sûr. Je viens d’ailleurs juste de le voir à Paris [sur la date de l’avant-veille]
Nous aussi (rires).
Shannon Wright : Et il avait le vinyle. Il l’avait acheté ou on le lui a donné, je ne me souviens pas… Et il a dit (imitant la voix de Thomas, particulièrement excité) : « Je ne savais pas que tu avais mis la photo là-dessus » Il était tellement heureux. (Elle sourit, nous avec)
Vous nous avez expliqué avoir réalisé l’artwork tout à l’heure. Vous avez donc écrit votre nom et le titre de l’album sur ce mur. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cela davantage ?
Shannon Wright : C’est juste… Je ne sais pas comment expliquer en fait… C’est à Atlanta, où je vis. Je me sentais frustrée ce jour-là. Je vis dans un quartier très pauvre. Ce jour-là, je pensais à des trucs… Il y a une immense zone pleine de tags partout, et je pensais de quelle manière cette façon de s’exprimer était une autre forme d’expression. Et je pensais au fait que je joue de la musique, et que c’est mon moyen de m’exprimer [voir notre première interview de Shannon Wright là]. Et je voulais en quelque sorte simplement ajouter mon petit tag aussi, même si j’ai une écriture manuscrite terrible (rires) J’ai pensé : « c’est moi, donc c’est honnête.» Vous savez, ce n’est pas très sophistiqué !
Vous savez, c’était drôle, je l’ai fait en plein milieu de la nuit (rires). J’ai roulé à travers la ville, et il y a plein d’endroits où c’est écrit Shannon Wright In film Sound dans toute la ville. Je veux y retourner et peindre par-dessus quand je rentrerai. (rires) J’ai fait les tags et après j’ai choisi les photos selon les lieux, les couleurs. Je suis montée sur le toit de ma voiture et j’ai pris ces photos. C’est de là que ça vient. Sur la pochette au verso, c’est une autre photo que j’ai prise cette nuit là.
Toujours d’Atlanta, donc… Vous avez expliqué le titre In Film Sound en disant que nos vies étaient comme des films différents. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cela davantage ?
Shannon Wright : Quand j’ai trouvé ce titre, je pensais à la manière dont on peut voir certaines choses dérangeantes, tristes. Qu’elles passent dans nos vies. Et puis on les oublie… Le jour où j’ai fait l’artwork, ce titre m’est venu. Je pensais combien il est dingue que l’on voie la souffrance, ces choses-là, qu’on se dise à quel point c’est terrible et que pourtant, on avance. D’une certaine manière, c’est une question de survie. Pour être capable de se lever le matin.
Je pensais à ces films muets, à la façon dont ils peuvent disparaitre. Ils peuvent avoir été importants et intenses sur le moment et puis un jour ils tombent dans l’oubli.
C’est à ce genre de choses que je pensais quand j’ai trouvé ce titre.
Je pensais justement à cette signification, il y a deux jours, à Paris quand vous avez dédicacé Bleed pour chacun d’entre nous dans la salle, comme si partager cette chanson et ce moment avec chacun d’entre nous était une manière de relier tous ces films ensemble.
Shannon Wright : (elle acquiesce) Oui, vraiment. C’était sur le moment. Je me suis sentie tellement touchée par le public, je me sentais complètement connectée au public, et c’était comme si cette chanson était pour nous tous, à ce moment précis.
(…)
Vous avez joué Last Things Last avec Rachel Grimes à l’ATP l’an dernier. Le morceau était dédicacé à Jason [Noble, membre de Rodan, Shipping News ou Rachels, décédé en août 2012. Shannon, comme Shellac et beaucoup d’autres avaient multiplié les initiatives pour qu’il puisse avoir les moyens d’accéder à tous les soins nécessaires à sa guérison, la sécurité sociale n’étant pas la même aux U.S.A.] On en a vu des vidéos…
Shannon Wright (émue) : C’était très difficile pour chacun d’entre nous. C’était un ami très cher… Nous avons fait cette chanson ensemble. Il avait écrit la chanson et voulait que je la chante. Je ne l’avais pas chantée depuis que je l’avais enregistrée.
Et la fois précédente quand nous étions à l’ATP, il était là. C’était un moment très difficile pour chacun d’entre nous, mais on a réussi. On ne pensait pas qu’on y arriverait, mais… (long silence ému)
Louise est une de mes chansons préférée. Et je me souviens que pendant un concert il y a longtemps, je crois que c’était à St Malo, à la Route du Rock d’hiver, vous avez expliqué que c’était une chanson pour votre grand-mère et à quel point les grands-mères pouvaient être essentielles dans nos vies (ses yeux se brouillent, les nôtres aussi). Et puis dans cette interview arrache-cœur pour Libération, vous avez expliqué que votre grand-mère vous avait acheté votre première guitare (elle acquiesce) et que vous aviez ce rituel formidable, tous les samedis, elle vous achetait un single (elle rit à ce souvenir heureux). Pouvez-vous nous expliquer à quel point votre grand-mère a été importante dans votre relation à la musique et nous parler un peu de ce rituel ?
Shannon Wright : (elle s’éclaircit la voix, émue). J’étais très timide. Je ne sais pas, je crois qu’elle essayait de me faire comprendre que la musique m’apporterait beaucoup de bonheur. Le fait que je n’étais pas une personne ennuyeuse ou quoi que ce soit de tel. C’était la musique pour moi. Tous les samedis, on partait acheter un 45 tours et c’était super excitant. Quand j’ai été plus grande, elle m’a acheté une guitare, mais je ne l’aimais pas vraiment parce qu’elle me faisait mal aux doigts (rires). Je n’en jouais plus. Elle avait un piano, dont elle jouait, mais dont je ne jouais jamais. Elle me demandait de venir chanter à côté d’elle. Mais je n’y allais jamais parce que j’étais vraiment extrêmement timide. Je ne chantais que dans ma chambre et elle s’asseyait derrière la porte pour m’écouter. Elle ne me l’a dit que des années plus tard. Je pense qu’elle m’a doucement et tranquillement poussée vers la musique. Elle ne l’a jamais fait de façon évidente. Elle n’a jamais fait de tentative trop insistante. C’était juste ce petit murmure tout le temps « peut-être que tu aimerais ça »…
(très sérieuse) Je pense qu’elle a probablement été la plus grande influence pour moi. C’est sûr.
(…)
J’ai des questions stupides de fan, mais je me dois de les poser, désolée…
Shannon Wright : (rires) D’accord !
Dans une ancienne interview de 2002, vous parliez d’une machine à écrire que vous utilisiez pour écrire les paroles de vos chansons. En regardant la pochette de Secret Blood, je me suis demandée si c’est cette fameuse machine à écrire que vous avez utilisée ?
Shannon Wright : Oui ! Je ne sais pas, je crois que c’est une sorte de rituel pour moi. Elle me calme, ou peut-être que c’est le fait d’avoir écrit tellement de paroles sur cette machine à écrire. Elle est juste dans ma chambre et je l’utilise seulement quand il est le moment d’écrire des paroles.
Pouvez-vous nous parler de votre jazzmaster ? Quand l’avez-vous rencontrée ?
Shannon Wright : Je crois que c’était en 1999. Quelqu’un que je connaissais devait la vendre parce qu’il avait besoin d’argent. Il me l’a vendue pour 200 dollars. Au début, je me suis dit : « wah, c’est une très chouette guitare » .
Ensuite, je l’ai modifiée. Je ne pourrais jamais faire de l’argent avec, en la revendant à une personne qui serait attirée par son prestige.
Elle est complètement modifiée pour mon jeu, maintenant. Je serai complètement dévastée si je la perdais, mais (elle touche du bois) j’espère que ça n’arrivera jamais. (Sa voix change) J’aime ma guitare, c’est assez dingue. Je ne la laisse jamais dans le van. Je ne la laisse généralement jamais sur scène. Je suis très protectrice avec elle (rires).
(On parle ensuite d’accordage où je tente de traduire péniblement mes sol, ré, en D, G et de setlists pleine de secrets dans les rires)
Pour finir, quels sont vos prochains projets après cette tournée. Et s’il vous plait, ne nous dite pas à nouveau (voir interview là) que vous voulez arrêter…
Shannon Wright : … (après quelques secondes de silence, on éclate de rire)
Bon d’accord, vous pouvez…
Shannon Wright : Je ne vous le dirais pas mais j’y pense définitivement. Je n’ai aucun projet planifié. Jouer est un un gros projet pour moi, être en tournée… C’est un long process pour organiser la tournée.
En ce moment précis, j’essaie de profiter de ce que j’ai fait, de ce que je fais, profiter des concerts, du public, juste de vivre le moment et ne pas penser à ce que je vais faire après ça. Qui sait ? Je vais sûrement rentrer et déprimer après avoir travaillé autant.
Quand on travaille depuis si longtemps sur un projet et qu’ensuite, il s’arrête, c’est vraiment bizarre. On doit un peu faire le deuil de ces moments pendant quelque temps.
Merci beaucoup…
Shannon Wright : You’re welcome. Merci.
FEVRIER 2014 – Antipode MJC – Rennes
Ce n’est pas la première fois qu’on rencontre Shannon Wright. Antoine, qui accompagne Shannon sur cette tournée de début d’année au son, nous dira même après l’interview que l’Américaine se demandait bien quelles questions on allait encore pouvoir lui poser. On voudrait d’ores et déjà lui dire qu’après celle-ci, on risque d’en avoir encore un paquet.
Pourtant, avant de la retrouver en chair et en os par ce dimanche après-midi, on n’en mène pas plus large que d’habitude. On tremble comme des feuilles avant la tornade. On vérifie quarante fois qu’on a bien pris deux enregistreurs et des piles neuves. On a la gorge sèche, le pas électrique et les genoux qui lâchent. On alterne même régulièrement entre l’envie immense de retrouver la musicienne et celle de s’enfuir en courant dans le soleil de février. Jusqu’à ce que Shannon arrive. Toujours aussi douce et calme dans la vie qu’elle peut être déchaînée sur scène. Arrivée la veille d’Atlanta où une tempête de neige fait rage, elle est épuisée, rattrapée par les effets pernicieux d’un sérieux jetlag.
Il s’est encore passé quelque chose pendant cette interview. Un peu comme à la première, où on a eu du mal à se quitter (on aurait bien continué à parler des heures si les kids de l’Antipode (déjà) n’avaient pas eu besoin de la salle où nous étions). On l’a senti entre autre avec un problème de traduction qui pour la première fois s’est posé à nous. S’il était clair que jusqu’à présent, nous vouvoyions la musicienne (« malheureux, on ne tutoie pas Shannon », avait rigolé Guillaume de Vicious Circle à l’attention d’un autre journaliste), on a eu l’impression, pendant l’interview de passer du « nous » au « tu ». De sa part et de la nôtre.
Sûrement l’interview la plus personnelle que Shannon nous ait donnée (et pourtant, les deux autres déjà…). Alors sûrement, celle-ci s’adressera peut-être d’abord aux fans. On s’en excuse. On a moins parlé de musique que d’habitude (enfin, quoique). Tant pis. Ce moment fut juste du bonheur en barre. Étonnamment simple et sincère. Rencontre.
Alter1fo : Vous avez beaucoup apprécié votre dernière tournée en France et en Europe. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
Shannon Wright : Celle de novembre ou d’avril?
De novembre.
Shannon Wright : C’était une super tournée. Peut-être une des meilleures que j’ai faite. Nous avons vraiment bien joué, je crois. Et nous avons eu des publics incroyables, vraiment chaleureux. A Toulouse, c’était un concert incroyable.
St Nazaire, c’était bien ; Brest, c’était génial. Mais Laval… C’était intense.
Shannon Wright : Merci (touchée). Il y a eu beaucoup de concerts où nous sommes sortis de scène heureux. Où on s’est dit : « Wow… Qu’est-ce qui s’est passé ? » C’est vraiment spécial entre nous.
Comment vont Todd et Kyle justement ?
Shannon Wright : Ils vont très bien. Je viens juste de recevoir un sms d’eux à propos de cette tempête de neige [NDLR : à Atlanta, la veille, une tempête de neige paralysait la ville] me demandant : « est-ce que tout va bien ? Où es-tu ? » Ils sont supers. On se manque toujours les uns aux autres après une tournée.
Peut-être qu’ils seront là sur la prochaine tournée. On espère en tout cas… Vous allez jouer dans quelques heures en solo. On vous a déjà vu jouer seule sur scène, mais cet après-midi, c’est un peu spécial parce que c’est un concept un peu à part, propre à l’Antipode, l’Instant Thé. Les gens seront assis, ils mangeront des gâteaux.
Shannon Wright : Des gâteaux ? On ne m’a pas parlé de gâteaux (Rires).
Oui, et ils vont aussi boire du thé et du café…
Shannon Wright : Uhh… Je ne suis pas du tout au courant. C’est terrifiant ! (Rires).
Désolée. (Rires) Quand on vous a vue à Laval, il y avait plein d’enfants. C’était vraiment bizarre. Je crois que leurs parents n’avaient pas prévu de protections auditives. Cette fois-ci aussi, il y aura sûrement des enfants (mais ils auront les oreilles protégées !)
Shannon Wright : C’est assez intimidant quand il y a des enfants. Il y a eu une date, ils étaient tout devant. Il y en avait deux tout devant, et deux un peu plus loin. On s’est dit : « oh mon dieu, ils vont avoir vraiment peur quand on va commencer !»
Et ils n’avaient pas de casque. Et dès qu’on a commencé, ils ont fait « uhhhh » (elle mime la peur de Munch) « Je veux rentrer à la maison ! » (Rires)
C’était la même chose à Laval, on leur a même donné nos bouchons d’oreilles ! Qu’est-ce que vous pensez d’initiatives comme celles-ci, un concert l’après-midi, où le public boit du thé ?
Shannon Wright : J’aime les concerts tôt, simplement parce que c’est sympa et différent. Mais les gâteaux et le thé, c’est plus… bizarre pour moi ! Je ne savais pas que ce serait le cas. C’est terrifiant !
(Caro, rassurante : ) Tout le monde n’aura pas un gâteau dans la bouche…
Shannon Wright : (D’une voix menaçante et hilare) Posez votre p**** de gâteau !
Je crois que vous jouez en second, …
Shannon Wright : (Elle finit ma phrase) … donc les gâteaux auront disparu, ils auront été mangés. Tout le monde sera fatigué et aura envie de faire une sieste après… (Rires)
[L’Antipode a une nouvelle fois bien fait les choses ce jour-là, et contrairement à d’habitude pour l’Instant Thé, les tables, chaises, gâteaux, thés et cafés sont à disposition dans d’autres espaces que celui de la salle de concert.]
Vous avez écrit sur votre page facebook que vous alliez jouer de vieilles chansons sur cette tournée et vous avez gentiment demandé à vos fans s’ils avaient des requêtes. Est-ce que vous avez redécouvert de vieilles chansons ?
Shannon Wright : Oui, j’en ai re-découvert. Elles sont tellement différentes de la façon dont je joue maintenant. C’est vraiment un challenge. La plupart sont à la guitare. Maintenant, je ne dirais pas qu’il y en a des tonnes d’anciennes dans la setlist . J’aurais bien aimé jouer d’anciennes chansons, mais c’était trop de travail. Ça m’aurait pris des mois pour réussir à vraiment être assez à l’aise pour les jouer.
Je ne voulais pas être en train de me dire en jouant : « est-ce que je le joue comme il faut ? » Je veux dire, je fais toujours des erreurs, c’est sûr, à tous les concerts. Mais je m’en moque. Du moment que ça ne me gêne pas, sauf si c’est vraiment une grosse erreur. Parfois sur le piano, si je suis vraiment dedans, mes doigts glissent sur les touches, par exemple. Jouer comme autrefois me déconcentrerait trop. Mais il y aura des vieux morceaux au piano.
Justement, comment vous choisissez votre setlist pour un concert ? Pour cet après-midi en particulier, mais en général aussi ?
Shannon Wright : J’aime la fluidité, quand ça s’enchaîne bien dans un concert, c’est très important pour le groupe. J’aime être immergée (…). De temps en temps, on enlève des morceaux, de temps en temps, on en rajoute. On veut tellement bien jouer que quand une chanson n’est pas là où elle devrait être, on l’enlève, même si on l’aime vraiment. On aime être emporté comme dans un océan.
Vous jouez en solo en France, mais vous allez jouer avec un batteur en Italie, Sacha Tilotta. Est-ce que vous pouvez-nous parler de lui ?
Shannon Wright : Il a joué sur la moitié de la tournée en avril.
Oui. Nous, on vous a vue avec Todd et Kyle. On ne vous a pas entendue avec Sacha.
Shannon Wright : Oui, Kyle ne pouvait pas venir sur la première partie de la tournée. En fait Sacha est le fils des membres du groupe Uzeda. Vous connaissez ?
Euh (on n’a pas compris le nom sur le moment, shame on us), non…
Shannon Wright : Ils étaient sur Touch and Go. Ils sont italiens. Ils sont incroyables. Ils doivent avoir dans les soixante ans maintenant, mais ils écrasent tellement de jeunes groupes. Tu as envie de dire à ces groupes, « allez les voir ! Ils en ont sacrément à vous apprendre. » Ils sont complètement immergés dans leur musique.
La mère de Sacha, la chanteuse [Giovanna Cacciola] est juste incroyable. Je suis complètement folle d’elle. Je n’arrive pas à croire à quel point elle est incroyable. Elle fait partie de ces gens, quand tu leur parles après le concert, qui sont vrais, plein de sagesse. Elle est extrêmement chaleureuse. Mais elle est super agressive sur scène. Je m’identifie énormément à elle. Ce sont donc les parents de Sacha. Il a joué avec eux. Il enregistre aussi des groupes, il fait le son. Il est super. On s’entend très bien. Ça va être chouette. Il a plein de fans en Italie. (Elle mime les cris d’un public transi d’admiration) « Sachaaaaaa ! »
[A noter pour son concert au Nouveau Casino le 17 juillet et celui du 18 à Ribérac, c’est une nouvelle fois Sacha Tilotta qui sera derrière les fûts.]
De la même manière que vous avez demandé à vos fans de choisir de vieilles chansons, parlons un peu du passé, si ça vous va …
Shannon Wright : C’est d’accord.
Vous nous avez dit que vous étiez tellement timide que vous ne chantiez même pas devant votre grand-mère et qu’elle écoutait assise derrière la porte de votre chambre. Je me demandais du coup ce qui vous avait poussé à monter sur scène. Est-ce que c’est un événement spécial, un concert que vous avez vu, les mots d’un ami ?
Shannon Wright : Quand j’étais adolescente, il y avait ce club pour tous les âges. J’avais une quinzaine d’années. Mes amis et moi, on allait voir ces groupes. Je n’avais jamais vraiment vu de groupes punk avant cela. Avant, pour moi, les groupes, c’était dans des stades, des gros shows rock’n roll. Quand j‘ai commencé à aller là-bas, je me suis dit : « wow ! Peut-être que je peux faire partie d’un groupe… Peut être que je peux jouer de la musique ? Ils ont l’air comme moi. Les paroles de leurs morceaux me parlent »… Ce genre de trucs.
Mais je n’ai commencé à jouer de la guitare que plus tard. Parce que je pensais : « pas moyen que je puisse le faire », que je serai nulle. J’avais un petit ami, on va dire. Je voulais acheter une guitare. Je lui ai demandé : « qu’est-ce que tu me conseilles comme guitare ? » Il m’a montré trois accords. Et ça m’a complètement obsédée. Quelque chose s’est passé. Je ne pouvais pas poser cette guitare. Je jouais le matin avant de partir travailler, je rentrais à la maison le midi pour manger et je jouais. Je jouais après le travail et je me couchais tard pour continuer de jouer. Les dix premières chansons que j’ai écrites n’avaient jamais été jouées et mes amis m’ont dit : « Tu vas faire partie d’un groupe !»
On n’avait peur de rien à l’époque et en même temps, à ce moment-là j’étais maladivement timide. Je le suis restée très longtemps au début. Je pensais que je n’étais pas douée, que j’étais bizarre. Je me disais que j’avais l’air d’une dingue. C’était difficile au début. Et quelque chose s’est passé, tout ça m’est devenu égal. Quand tu gagnes cette liberté, pour autant tout ne se met pas en place tout seul, il faut mettre des choses de côté. (…) Ma grand-mère est morte quand j’avais 15 ans.
Vous étiez très jeune…
Shannon Wright : Oui… A partir de là, j’étais toute seule. Je ne pouvais compter que sur moi. Plus tard, d’une certaine façon, son influence m’a poussée à faire de la musique même si à cette période j’y étais complètement réfractaire. « Non, je ne veux pas faire ça ! ». Plus tard, ça a eu un impact sur moi. C’est comme ça que se passe quand on est enfant. Vos parents ou d’autres vous disent des choses et plus tard vous réalisez qu’ils avaient raison. [A propose de l’influence de la grand-mère de Shannon sur sa musique, lire aussi notre précédente interview là]
(Après une longue pause) Je suis désolée. Je ne peux pas imaginer à quel point c’est difficile d’avoir été seule si jeune.
Shannon Wright : C’était horrible.
… Je suis désolée.
Shannon Wright : Non, non, c’est bon. Quand je regarde en arrière, je peux à peine y croire. J’ai un fils maintenant. Il a huit ans. J’étais à peine plus âgée que lui. C’est choquant pour moi d’imaginer que j’étais toute seule.
C’était bizarre parce que mes amis, eux, vivaient encore avec leurs parents. J’étais la gamine à part. Les parents de mes amis leur disaient : « va jouer avec la fille qui vit toute seule dans son appartement ». L’appartement en question, c’était plutôt un taudis. J’étais pauvre. C’était vraiment bizarre, je me sentais comme une personne à part. Avant cela, ma grand-mère m’a préparée « tu vas être toute seule, il faudra que tu sois forte, tu devras te battre » et c’est ce que j’ai fait. C’était vraiment dur. J’ai une profonde empathie pour les enfants qui souffrent, les ados. C’est le moment où on est encore en train de développer sa personnalité. C’est déjà dur d’être ado. Alors être seul, en plus…
Je comprends. Je suis enseignante, dans la vraie vie. Et je vois des choses pas faciles qui arrivent à ces gamins.
Shannon Wright : Quel âge ont tes élèves ?
Le même âge que votre fils. C’est un âge chouette.
Shannon Wright : Oh oui. Vraiment génial.
Ils ont en même temps envie de tout savoir et ils restent encore petits et adorables.
Shannon Wright : Oui ! C’est vraiment formidable. Mon fils est rentré dans une phase où il rapporte tout ce que les autres font de mal. (Elle imite alors son fils de façon hilarante) « Tu as vu, ces personnes sont EN TRAIN DE FUMER ! ». (Puis d’une voix basse avec un regard entendu) « Ils avaient une CIGARETTE!» « Oui oui, je l’ai vu. »
Il est toujours en train de me montrer ceux qui fument ou de me rapporter des choses que les gens ne sont pas censés faire. Tout le temps. Mais le truc le plus dingue, c’est que je l’ai surpris dehors l’autre jour. Il avait un bâton de sucette au coin des lèvres (elle mime son fils tirant sur sa fausse cigarette avec une mine patibulaire de façon une nouvelle fois hilarante) (Rires) Je me souviens avoir fait la même chose enfant. Il était avec des copains un peu plus jeunes que lui. Ça m’a tellement fait rire. (Et elle rit de plus belle, nous avec.)
J’ai écouté vos anciens disques il y a quelques jours. Je ne parle pas de Crowsdell, mais de vos albums solos. Je pense à Flightsafety et à Maps of Tacit. Ces deux albums sonnent très acoustiques, même si il y a des sonorités électriques également. Alors que Dyed in the wool sonne résolument plus électrique. Pouvez-vous nous expliquer le changement qui s’est opéré entre ces albums?
Shannon Wright : Quand je me suis mise à jouer en solo, je n’avais rien planifié. Je voulais aller à la fac parce que j’avais dû arrêter l’école à 15 ans et j’avais dû commencer à travailler. J’ai eu mon GED (General Educational Development) [une sorte d’équivalence permettant à ceux qui n’ont pas obtenu leur diplôme de fin d’études au lycée d’entrer à la fac, un peu comme le DAEU en France]. J’ai fait Crowsdell et j’ai voyagé, en Europe, etc., plusieurs fois. C’était chouette. Mais on ne s’entendait pas très bien. Ils disaient tout le temps : « pourquoi tu écris toujours des chansons tristes ? Pourquoi tu n’écris pas des chansons pop ? » (Elle rit) Pour moi, ce sont des chansons pop !
Quand j’ai déménagé de New York pour la Caroline du Nord où des amis vivaient, c’était la campagne. Je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire. J’ai prévu d’aller à la fac. Mais je ne pouvais pas m’arrêter d’écrire des chansons. J’en ai enregistré quelques unes sur le quatre-pistes d’une amie et je lui ai fait écouter. Elle m’a dit : « tu dois les sortir. » J’ai répondu : « Mmm, je ne sais pas trop. Est-ce que ça doit être en solo ? Autrement ? » Je n’y croyais pas du tout. Et elle n’a pas arrêté de me pousser. C’était juste des chansons écrites à la campagne, loin de l’idée d’un groupe électrique.
J’avais acheté une très belle guitare acoustique. Elle a un son incroyable. J’aime l’idée de progression de la guitare acoustique à l’électrique, de même pour le piano. Je n’avais jamais joué de piano avant cette chanson sur Flightsafety. C’était la première chanson au piano que j’écrivais. Je me suis dit : « wow, j’aime vraiment le piano »
Sur Maps of Tacit, je crois que je suis devenue plus agressive. Plein de choses se passaient. Je suis devenue plus dure à l’intérieur, pas dans un sens négatif, mais davantage révoltée par les injustices de la vie. Je devais me faire l’écho des voix de tous ces gens qui souffrent. J’ai commencé à le faire sur Maps of Tacit. Après avoir écrit ces chansons, j’ai décidé de passer à l’électrique. Sur scène, je jouais quand même avec une guitare acoustique, branchée à un ampli. Mais debout, en bougeant déjà pas mal. Je me suis mise à aimer jouer de l’électrique. Ce n’était pas planifié.
Juste un détail, mais qu’est-ce que c’est que ce son au début d’Emberdays (je mime un ‘rffrlflrrfrlfr’) ?
Shannon Wright : Ah oui. Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu cette vision d’un son très sourd d’eau violente, qui fait un peu peur. On a rajouté des effets dessus. Et il y a aussi le bruit d’une fin de bobine de film qui bute sur le projecteur sur la dernière chanson de Flightsafety.
On a parlé de votre jazzmaster la dernière fois. J’aimerais qu’on parle un peu de piano, maintenant. Vous nous avez expliqué que vous n’aviez pas composé de chanson au piano avant Flightsafety. Mais votre grand-mère jouait du piano. Quand est-ce que vous avez commencé à jouer de votre côté ?
Shannon Wright : Je n’en jouais pas. Je n’avais pas envie de jouer de piano. Je n’avais pas joué de piano avant d’écrire une chanson au clavier pour Crowsdell et Heavy Crown était la première vraie chanson au piano que j’ai composée. C’est là que j’ai commencé à en jouer. Je n’en avais jamais joué avant…
Ah oui quand même. C’est assez bluffant. (Rires) Quelle relation avez-vous avec le piano ?
Shannon Wright : Ohhh… (Doucement) Une relation très belle. En fait, je voulais vraiment apprendre à accorder les pianos. Je pense que c’est le plus bel instrument. C’est drôle parce que j’étais avec mon ami hier et je lui disais que mon piano me manquait. Parce que j’adore l’idée de m’asseoir à mon piano, de jouer un peu, d’aller et venir, d’y revenir un peu plus tard.
Même si ce n’est pas le mien. Ça peut être un autre piano. J’ai juste besoin d’un piano pour me sentir mieux sur terre. C’est étrange.
Il y en a un juste à côté, un gros. (Rires)
Je pense souvent que ma grand-mère doit se dire : « je t’avais bien dit ». (Rires)
Je n’ai jamais rien lu sur les artworks de vos premiers albums. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
Shannon Wright : J’étais en tournée avec Crowsdell. Je me suis perdue dans Amsterdam. J’étais en tournée avec Pavement, Mercury Rev, tous ces gros groupes de l’époque. On voyageait en bus (je trouvais ça ridicule). Ils avaient garé le bus à un endroit. Je ne le retrouvais pas. J’ai commencé à paniquer. Le soleil se couchait, c’était magnifique. J’ai commencé à prendre des photos. J’avais peur de manquer le concert mais je me suis dit que j’allais bien finir par y arriver.
Pour la pochette de Flightsafety, j’ai pris cette photo. Je l’aimais bien avec ce « _aloon »Je trouvais que ça collait bien. (Rires) En fait, une amie à moi dont le mari vient d’Amsterdam faisait du vélo là-bas. Elle m’a dit par mail :« Ca y est ! Ils ont recollé le ‘s’ ». C’est bien écrit « Saloon » maintenant. Elle m’a raconté : « je me tenais là tranquillement et d’un coup je me suis dit ! Oh my god, c’est l’album ! » (Rires). C’est vraiment drôle.
A l’intérieur, c’est la même chose. Au dos, c’est Frank Sinatra mais on a dû trafiquer la photo pour des raisons de droits. C’était une chambre d’hôtel où nous étions. L’hôtel était incroyable.
Et qu’en est-il de l’artwork d’Over the Sun ?
Shannon Wright : La photo est celle d’un de mes plus vieux amis, il est réalisateur. Il fait des films abstraits. A cette époque, nous vivions dans un atelier. Son frère qui est aussi un très vieil ami à moi est un artiste et il fait des films. Je faisais la musique.
Je lui ai demandé de faire des photos. J’avais des idées précises. J’ai tout installé. Je lui ai juste demandé de prendre les photos telles quelles, en m’excusant d’être un peu autoritaire. Et à l’intérieur, c’est le plan d’un de ses films. C’est son œil.
Shannon Wright : C’est le seul artwork pour lequel je n’ai pas vraiment décidé. J’étais bien sûr impliquée. J’ai dit à la personne qui s’en occupait ce que je voulais mais il l’a fait tout seul. La pochette est une vieille carte postale de Floride, qui est la région d’où je viens. Je ne savais pas trop quoi en penser. Il a fait les racines, l’arbre…
Ça va, mais ce n’est pas trop mon style. On l’avait déjà payé. On s’est demandé ce qu’on faisait. Et puis on l’a gardée.
C’est la Floride, donc c’est une partie de vous quand même.
Shannon Wright : Oui. Merci.
On a parlé de Secret Blood et de votre machine à écrire la dernière fois [voir là]. Elle vous a servi à écrire les paroles. Je voulais savoir ce qu’était le plan à l’intérieur, celui qu’on voit derrière ces morceaux de textes tapés sur votre machine…
Shannon Wright : Oh… La carte est une carte de Floride. Je l’ai découpée et j’ai fait une sorte de collage. Je faisais pas mal de collages à ce moment-là. Avant j’avais fait une séries de pochettes de 7 pouces, avec un collage sur chaque pochette. Ils étaient tous différents. C’était vraiment chouette à faire. J’ai décidé de le faire sur un coup de tête, en utilisant ma vieille machine à écrire dont je me sers toujours.
On a ce film sur Low à la maison. On peut y voir Mimi Parker et Alan Sparhawk reprendre I started a joke. Sur Perishable Goods, Alan jouait ce morceau avec vous. Qui a donné l’idée à l’autre de faire cette cover ?
Shannon Wright : Je ne savais pas qu’ils avaient fait une cover de cette chanson, c’est assez dingue !
On tournait beaucoup à cette époque. J’ai dit à Alan que j’aimerais faire une reprise de cette chanson. Il m’a demandé : « tu veux que je vienne pour jouer dessus ? » J’ai dit oui ! Il avait des miles en plus à utiliser. Il les a utilisés. Il était en tournée à ce moment-là. Il est venu jusqu’à Atlanta, on a enregistré. Il est resté quatre heures et il est reparti ! C’était comme ça entre nous à l’époque. C’est vraiment triste parce que quand on tourne beaucoup avec quelqu’un, on devient tellement proche. Et puis on vit dans des villes différentes, on est pris dans nos vies. On ne peut pas se voir autant. Mais quand on se voit, c’est juste « wow ! »
Il y a tellement de groupes dont je suis devenue proche en tournant avec eux. On s’aime vraiment. On n’a pas l’occasion de se voir. Quand on a joué en Suisse, Low jouait la veille dans la même salle. Et tout le monde nous a dit : « ils n’ont pas arrêté de parler de vous pendant tout le concert. Shannon Wright ! Shannon Wright ! » C’était vraiment adorable ! « Si vous ne connaissez pas Shannon Wright, il faut absolument venir la voir. « Et pourtant on ne s’était pas vu depuis des années. Infinite love !
[on ne le sait pas encore, mais belle coïncidence, I Started a joke fera partie de la setlist de ce dimanche de février]
Qu’en est-il de votre musique aux États Unis et de la musique en général ? On ne se rend pas vraiment compte, vu d’ici en France.
Shannon Wright : Quand il s’agit de musique, les États Unis, c’est super frustrant. Maintenant et depuis environ 5 ans, il s’agit surtout de musique à la mode et branchée.
Je continue d’attendre des groupes qui viendraient en criant : «Motherfucker, j’ai quelque chose à dire !» Et j’ai le sentiment que ça n’arrive pas. J’attends vraiment un groupe qui me bouleverse. Non que je sois supérieure à quiconque. Mais c’est important pour moi quand je vois de la musique, qu’elle soit émouvante et honnête. Et parfois ces groupes sont justes funs… Ça me va aussi. Mais je sens que pour le moment aux États Unis, il n’y a pas assez de punk rock !
Au moment où ma musique sortait aux États Unis, les chroniqueurs écrivaient : « elle est tellement en colère » C’est tellement nul. Maintenant je crois juste que les gens ne savent plus qui je suis. Je joue déjà depuis longtemps et aux États Unis, la musique est très liée à l’âge. La plupart des gens qui achètent de la musique sont étudiants. Et quand ils ne sont plus à la fac, ils continuent d’écouter ce qu’ils achetaient quand ils y étaient. Jusqu’à la fin (rires) Ils n’achètent plus rien de nouveau. Ils ne vont pas aux concerts.
Aux États Unis, c’est très différent d’ici. J’aime la manière dont les gens sortent boire un verre avec leurs amis ici. Ils rentrent chez eux. C’est simple. Là-bas, si tu demandes à quelqu’un de venir boire un verre, il pense qu’il va encore être là à 4h00 du matin. Ils te disent « oui, je viendrai ». Et le jour-même, c’est (elle mime une petite voix traînante) « oooohh, je suis vraiment fatigué » et c’est TOUJOURS pareil aux États Unis. Je crois que les gens travaillent trop là-bas. Ce n’est pas très marrant. (Rires) C’est vraiment une époque difficile. En tout cas, là où je vis. Si tu es blanc, jeune et que tu as de l’argent, tout va bien. Si tu ne l’es pas, la vie est dure.
Est-ce que vous aimeriez jouer là-bas de nouveau ?
Shannon Wright : C’est difficile parce que j’ai été sur Touch and Go pendant si longtemps. C’était vraiment une famille. J’ai un label aux Etats Unis, mais il n’est vraiment pas impliqué dans ma musique. Je suis un peu à part. Il semblerait que le label ne sache pas quoi faire de ma musique. Je suis juste fatiguée, je n’en peux de tous ces gens qui ne savent pas quoi faire de ma musique. J’ai envie de dire : « Allez ! Ce n’est pas si différent. De temps en temps c’est rock, parfois ça ne l’est pas. Ce n’est pas si compliqué ».
Comme je l’ai dit, je suis plus âgée maintenant et beaucoup de jeunes étudiants ne savent même plus que Touch and Go existe. C’est tellement dingue. J’ai rencontré ce garçon, il joue dans un groupe énorme aux États Unis. (Avec une imitation impayable) C’est très : « est-ce que vous êtes chauds ce soir ? » (…) Je suis devenue amie avec leur batteur. C’est un garçon adorable. Il vient du Sud. C’est un gars bien (…) On parlait ensemble. Je crois qu’il a 24 ans. Il n’avait jamais entendu ma musique. Je lui ai dit : « peut-être qu’un jour on pourrait faire de la musique ensemble» (c’est vraiment un bon batteur). Il m’a demandé avec qui j’avais enregistré ça.
« Oh, tu sais c’était avec Steve Albini ».
Il m’a répondu : « Qui ça ? »
(Elle mime un regard interloqué et effrayé) «Tu n’as jamais entendu Nirvana ou les Pixies?»
« Oui, je connais Nirvana »
(Perplexe) « Mais…. Les Pixies ?????!! » (Rires)
« Ah oui, ça me dit quelque chose »
Je me suis dit : « oh mon dieu, ce n’est pas possible ! Est-ce que c’est vraiment en train de se passer?»
« Je n’ai jamais entendu Touch and Go »
J’’ai pris un sacré coup de vieux. « Tu ne connais pas Touch and Go ? …»
Même moi, quand j’étais ado, je voulais tout savoir sur les groupes de rock, de punk. Comment le punk a commencé, la new wave, … Pour moi, c’est le meilleur. Il est musicien. On aurait pu penser que ça allait l’intéresser. C’était une des premières fois où je me suis dit: « cette personne ne connaît pas Steve Albini, Touch and Go. (Interloquée) Ok…»
Il fallait lui donner vos albums.
Shannon Wright : Je l’ai fait. Il a aimé la musique. Il est revenu en me disant qu’il avait vraiment aimé. Je lui ai dit : « tu devrais aller écouter….blablablabla… » (Rires – Puis elle ajoute en riant) « Et ne joue plus avec ce groupe ! » (Rires). Ils marchent bien. Ils ont du succès. Ils sont supposés être hype. Je suis perplexe. Pourquoi ça plaît autant ? Ce sont des mondes différents, je crois.
Vous nous avez dit que ce batteur venait du Sud. Ça avait l’air d’être important. Justement quelle est la différence pour vous entre le Nord et le Sud ?
Shannon Wright : J’ai vécu dans les deux régions, au Sud et au Nord.
Le Sud, c’est plein de bonnes choses mais aussi plein de mauvaises. Quand tu grandis dans le Sud, les gens sont calmes, doux, détendus, sereins. (…)
[Antoine, qui accompagne Shannon sur la tournée passe alors la tête par la porte, inquiet de savoir si tout se passe bien et qu’on n’ait pas encore fini… Shannon le rassure et reprend de plus belle]
C’est un point commun entre les gens du sud. Ils ne se mettent pas en colère facilement. Et quand ils commencent à frapper dans un mur, on sait qu’il faut faire attention. C’est particulier au Sud. C’est différent au Nord, les gens disent davantage ce qu’ils ressentent sur le moment. Dans le sud, les gens peuvent ressentir la même chose mais ils gardent leur calme. J’ai aussi l’impression qu’ils sont plus sincères, plus simples. Mais dans le Sud, il y a aussi les vrais rednecks, des gens qui font peur.
(Isa : ) Caro aimerait aller dans le Sud.
(Caro : ) Isa adore les écrivains du Sud des États Unis.
Shannon Wright : (elle acquiesce, enthousiaste) Il y a un tas d’écrivains du Sud incroyables. Où est-ce que vous aimeriez aller ?
(Caro) Savannah.
Shannon Wright : Oh ! Savannah est magnifique. La Nouvelle Orléans aussi… Savannah est incroyable. Et a définitivement son propre rythme (Elle ralentit la voix), une façon d’être très lente particulière au Sud. Charleston aussi. Si vous avez une voiture pour vous déplacer, vous pourrez vraiment voir des rednecks. Vous ne voudrez définitivement rien avoir à faire avec eux, bien sûr parce qu’ils peuvent faire assez peur. Les personnes du sud que je connais sont terrifiées par les rednecks parce qu’ils savent vraiment comment ils sont. Nous savons vraiment comment ils sont. Certains sont très violents, comme des chiens sauvages. C’est dingue. Non pas que je veuille vous faire peur. (Rires)
Vous viviez dans le sud. Vous nous aviez dit que votre grand-mère écoutait Billie Holiday. Ça ne devait pas être évident d’écouter Billie Holiday dans le Sud, quand elle était jeune.
Shannon Wright : En fait ce n’était pas cette grand-mère-là. C’était mon autre grand-mère. Elle voulait être chanteuse de jazz. Et à cette époque, elle s’était mariée à cet homme qui était vraiment dans le cliché masculin : « Tu ne chanteras pas. Je ne permettrai pas que ma femme chante en public. » C’est tellement affreux.
Elle a fait un concert, ou plutôt elle a participé à un concours avec Benny Goodman. Ils avaient plusieurs chanteuses, vous vous leviez pour aller chanter. Benny Goodman lui a dit qu’il aimait vraiment sa voix, et d’autres choses du même genre. Mais elle n’est pas devenue chanteuse de jazz. Elle écoutait Billie Holiday, mais surtout Ella Fitzgerald. (…) Tout le monde connaît l’histoire du Sud.
Je me demandais si vous écoutiez beaucoup de musique. Je sais que vous avez travaillé dans un magasin de disques. Quelle est la place de la musique des autres dans votre vie ?
Shannon Wright : (très sérieuse) La musique m’a sauvée la vie. Sans musique, je ne sais pas ce que j’aurais fait.
C’était comme ma meilleure amie. Surtout quand j’étais ado et livrée à moi-même.
Je ne pouvais pas me payer une chaîne stéréo. Et puis il y a eu ce garçon (peut-être qu’il m’aimait bien) qui m’a acheté une platine vinyle avec des enceintes. Il les a laissées devant ma porte. C’est sûrement le plus beau cadeau qu’on m’ait fait. Ça m’a sauvé la vie. Parce que j’avais mes disques, mais je n’avais rien pour les écouter. Ça a eu un gros impact sur moi, le fait d’avoir cette platine et ces haut-parleurs.
J’allais à tous les concerts qui passaient à côté de chez moi, dans cette salle dont on parlait tout à l’heure. Même quand parfois je n’aimais pas la musique programmée à telle ou telle soirée. J’ai travaillé là-bas de temps en temps. On vendait du coca-cola, ce genre de choses. J’étais très timide. Je ne parlais jamais aux groupes.
Je ne serai probablement pas assise là maintenant si la musique n’était pas entrée dans ma vie.
Quand vous enregistrez vos disques, vous n’écoutez pas la musique des autres, je crois…
Shannon Wright : Non, je ne le fais jamais. Je ne sais pas pourquoi. Je n’éprouve pas le besoin d’écouter de musique quand je compose et quand j’enregistre mes trucs. J’ai eu des amis qui parfois me disaient : « tu deviens un peu dingue. Tu es perdue dans ton monde ! » Je ne sais pas si c’est une bonne chose. (Avec une voix caverneuse et grave) Pour eux, c’est un peu effrayant, c’est comme si j’étais complètement obsédée. Je ne suis pas (avec une voix guillerette) : « oh, je vais sortir un disque ». Je suis totalement immergée dans ce que je suis en train de faire.
Est-ce qu’on peut parler un peu de Vicious Circle qui, pour sa part, est réellement impliqué à vos côtés. Quelle relation avez-vous avec eux ? Comment avez-vous rencontré Philippe [Couderc, boss du label bordelais] ?
Shannon Wright : J’ai rencontré Philippe quand j’étais en tournée avec Calexico en 2000. J’étais en train d’écrire Dyed in the wool. Nous avons joué dans une grande salle parisienne. Je ne me rappelle plus de son nom, mais elle était énorme. Joey [Burns] et John [Convertino] de Calexico jouaient avec moi. Philippe était là pour un autre groupe et il était en train de partir.
Quand j’ai commencé à jouer en fait, Philippe était en dehors de la salle. Il a dit qu’il avait entendu ma voix, qu’il était rentré à nouveau dans la salle en disant : « Mais qui-est-ce ? Qui est-ce ? » Il paraît qu’il a dit : « il faut que je rencontre cette personne ». Il est venu me voir après le concert et m’a demandé : « Est-ce que ça t’intéresserait de sortir des disques avec moi ? »
A cette époque, Touch and Go sortait des disques en Europe. Donc je lui ai dit que ce n’était pas possible. Mais j’avais eu un bon feeling avec lui. Il était tellement enthousiaste ! Pour moi, c’était déterminant. Je suis allée voir Corey à Touch and Go et je lui ai dit que je voulais sortir un disque avec ce label. « Nous ne voulons pas le faire » Ça n’a pas été rien. J’ai été la première personne à le faire. Je me suis battue très fort pour Vicious Circle. Après on a eu cette relation privilégiée avec Philippe. On parle d’aller en vacances ensemble, c’est n’importe quoi ! (Rires)
Pour finir, revenons au présent. Est-ce que vous écrivez de nouvelles chansons ? Êtes-vous en train de préparer un nouvel album ?
Shannon Wright : J’ai écrit des chansons au piano. J’ai toujours des milliards d’idées. Et même si je me dis que je ne vais pas sortir un autre disque, j’ai toutes ces idées. Que j’oublie. J’ai alors de nouvelles idées. C’est un mouvement constant qui tourne dans ma tête. Des fois, je me dis que je vais faire un album seulement au piano sans chanter. Parfois je me dis que je vais faire une musique pour un film que j’aime, juste pour moi. Personne ne le saurait…
Nous, on voudrait bien l’entendre. (Rires)
Shannon Wright : Des choses comme ça, pour changer. J’aimerais vraiment écrire un album au piano, écrire les parties de cordes, des choses comme ça. Ça pourrait me prendre du temps. Et il n’y aurait pas de voix.
Si ça se trouve, je ne ferai pas ça, et je sortirai encore un album à la guitare. Je ne sais pas. Je n’en ai aucune idée. Tant que j’écris des chansons, ça reste ouvert, je crois.
Parfois c’est dur. C’est vraiment dur. Je ne gagne pas d’argent, je vieillis, j’ai un enfant. Je ne sais pas pour encore combien de temps je peux faire ça. J’éprouve une grande tristesse pour les musiciens qui ne font plus de musique. Ils ont donné 20 ans de leur vie. Ils n’ont pas fait d’études. Ils n’ont pas fait ceci ou cela. Mais ils sont devenus des musiciens incroyables. Donc quand ils arrêtent la musique, ils se retrouvent avec des boulots pourris. Et ils ne sont pas heureux. Je trouve ça vraiment triste.
Ça pourrait être moi. Ça pourrait facilement être moi. Et parfois je me dis que je vais laisser tomber et trouver quelque chose, faire des études. Je ne sais pas. Mais c’est difficile de poursuivre son rêve absolu pendant si longtemps et tout d’un coup de tout arrêter. Comme si vous aviez une histoire d’amour incroyable et que soudain, vous êtes dévasté parce que c’est toujours magnifique mais cette personne vous quitte. « Attends, je suis encore amoureuse de toi ! » C’est exactement comme ça. Je sais que quand je déciderai d’arrêter, je serai dévastée. (En voyant nos mines désespérées) Je ne sais pas. Je n’en sais vraiment rien ! (Rires)
J’en suis à un moment de ma vie où c’est un vrai problème. C’est énorme. Je me demande en permanence ce que je vais faire. Je suis vraiment pauvre ! C’est trop. Comment est-ce qu’on peut continuer ? Non que je ne puisse pas faire de la musique et avoir un travail. Mais ce ne serait pas un travail qui me laisserait partir en tournée. Ou ce serait un travail que je n’aurais vraiment pas envie de faire.
Il faut continuer. (Rires)
Shannon Wright : C’est dur parce que j’aime le faire. Ça m’apporte tellement de joie que c’en est indescriptible. Mais en même temps, ça me cause aussi de la tristesse. C’est un vrai dilemme. Quand je suis trop fauchée, je me dis mais pourquoi je fais ça ? Personne n’en a rien à faire.
We care.
Shannon Wright : (Rires) Merci.
(On lui remonte alors le bourrichon en lui rappelant l’importance que sa musique peut avoir. Pour nous, mais aussi pour plein d’autres. Ainsi que la force que peuvent donner son honnêteté et sa sincérité.)
Shannon Wright : (touchée, dans les rires) Oh, merci.
(On finit entre rires et gorge serrée) Merci pour tout.
Shannon Wright : Merci à vous.
Les micros s’arrêtent.
On poursuit pourtant plusieurs minutes, souvent en riant, mais toujours avec la même profonde sincérité. On parle de ReNyx pour les Mansfield.TYA, du français retors à l’apprentissage, … Les portes de la salle sont alors sur le point de s’ouvrir.
On vient juste de passer une heure magique. Suspendue.
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Site de Vicious Circle (bio, discographie, etc…)
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La majorité des photos, Enregistrement, Montage Son : Caro
Autres crédits photo : Thomas Rabillon (Shannon qui change les cordes de sa jazzmaster, les chaussures de Shannon dans la loge) – Encore merci Thomas !
Crédits photos ‘November Tour’ et Savanah : ?
Un immense merci à Guillaume Le Collen de Vicious Circle pour avoir rendu tout ça possible.
Novembre 2016-Mai 2017
Il y a à peine quelques jours, Shannon Wright achevait sa tournée au Krakatoa (Bordeaux) avec une date incandescente, accueillie dans un fracas de cris, d’amour et d’applaudissements par un public complètement remué, abasourdi par la ferveur et la déchirante intégrité de la prestation de l’Américaine. Un live aussi intense que bouleversant, entre fracas de guitare (jazzmaster forever) et (faux) calmes tout aussi ravageurs au piano, pendant lequel une nouvelle fois, la musicienne (et ses comparses, dont David Chalmin en fond de scène) aura mis tout le monde à genoux.
Quelques mois avant la sortie officielle de Division (le dernier album de Shannon Wright en date, sorti en février dernier), le plus qu’essentiel fanzine Abus Dangereux (à peine 30 ans d’existence !) nous a fait l’immense honneur (on n’en revient toujours pas) de nous proposer de réaliser l’interview de Une du numéro de janvier-mars 2017 (face 141). En couverture, donc, Shannon Wright. Forcément, un truc un peu particulier pour nous, parce qu’on a déjà réalisé trois entretiens de Shannon Wright, qui restent pour nous trois moments hors du temps, suspendus, mais aussi, parce que c’est grâce à Abus Dangereux (novembre 2001 – Face 75) que la musique de Shannon est entrée dans nos vies. C’est là, pour la première fois qu’on a été grillé par la foudre. Les choses importantes de nos vies tiennent parfois à peu. On ne saurait ici que répéter l’importance de ces fanzines papiers, réalisés par des passionnés exigeants et intègres, avec beaucoup d’amour et tout autant d’huile de coude. Ainsi que l’impérieuse nécessité de les soutenir.
C’est donc un dimanche ensoleillé de novembre, l’après-midi ici, le matin pour elle à Atlanta, qu’on a l’immense bonheur d’entendre la voix de Shannon Wright de l’autre côté de l’Atlantique. Comme d’habitude, on a les genoux qui tremblent, le cœur et l’estomac qui sonnent la chamade. Et puis comme les fois précédentes, le moment s’emballe et on ressort d’une heure et demie de discussion totalement extatique. Cette fois-ci, on aura encore, mais surtout parlé de musique. Comme le soulignait Philippe Couderc dans l’édito d’Abus, « Shannon Wright montre qu’elle reste en perpétuelle recherche artistique, ne se contente jamais de l’acquis, refuse la facilité et place la musique au-dessus de tout. «
A l’occasion de la fin de la tournée de Shannon Wright, avec l’accord d’Abus Dangereux (mille mercis à eux), on publie aujourd’hui l’intégralité du transcript de ce long entretien. Peut-être est-il d’abord pour les fans de la grande dame (ou du grand ours – vous comprendrez plus bas). Mais une heure et demie à entendre parler Shannon, c’est indéniablement quelque chose qui se partage.
Interview
Alter1fo : Vous étiez en tournée avec vos amis de Shellac il y a quelques semaines. C’est votre seconde tournée ensemble en quasi un an…
Shannon Wright : En fait, Shellac a sorti un disque il y a deux ans et ils n’avaient pas tourné aux Etats Unis depuis la réalisation de l’album. Ils ont donc fait une tournée sur la côte ouest et ils m’ont invitée. J’y ai joué en solo.
Avec Shellac, nous sommes de très vieux amis. On a voyagé ensemble dans le van. C’était super agréable et facile. On a passé beaucoup de bons moments. C’était vraiment une super tournée. C’était même tellement chouette que ça ne ressemblait pas vraiment à une tournée.
Ensuite, ils m’ont proposé de tourner sur la côte est avec eux. Ça a été tout aussi agréable. Moins que la côte ouest mais c’était bien quand même.
Sur cette deuxième tournée, j’ai joué avec un batteur, le batteur de Deerhunter, sur quelques concerts. Il a fait quelques dates avec moi, puis c’est Kyle [Crabtree] des Shipping News, qui joue souvent avec moi, qui est venu sur trois concerts. Pour les autres dates, j’ai joué en solo.
C’était même un peu dingue sur les deux concerts de New York ! L’un était en solo et l’autre avec Moses [Archuleta] de Deerhunter. C’était assez étrange de passer d’un concert solo à quelque chose de… plus rock. Apparemment, ça a bien fonctionné si j’en crois les retours de ceux qui étaient présents sur les deux dates qui ont vraiment apprécié. C’était deux concerts vraiment différents. Mais ça me plaît. Donc oui, c’était deux super tournées et on n’arrête pas de s’envoyer des sms depuis parce qu’on se manque les uns aux autres.
Comment vont Todd et Kyle d’ailleurs ?
Ils vont très bien. Todd est dans un nouveau groupe [Jaye Jayle]. Ils viennent juste de signer sur un label. Et Kyle est chez lui maintenant. Il vient d’avoir un bébé. Les trois concerts qu’on a faits ensemble étaient donc vraiment spéciaux pour lui, parce qu’il est vraiment concentré sur sa vie de famille en ce moment.
Juste avant ces deux tournées, vous avez également tourné avec Young Widows. Pendant notre dernière interview, vous nous aviez dit ne plus jouer souvent aux Etats Unis, et depuis, vous avez enchaîné trois tournées chez vous. Comment c’était d’y jouer de nouveau ?
J’adore jouer sur la côte ouest. C’est tellement magnifique là-bas, tellement différent. La façon de vivre est totalement différente. Beaucoup plus relax. Les gens sont plus progressistes.
Alors que sur la côte est… Bien sûr, il y a eu des moments fantastiques sur la côte est, mais quand on a commencé à descendre dans le sud… C’est plutôt dur de tourner. Je ne peux pas dire que j’apprécie beaucoup de tourner sur la côte est. J’aime aller dans certaines villes spécifiques, mais malheureusement, pour pouvoir y accéder, il faut jouer dans beaucoup d’autres endroits. Et ce côté-là peut être vraiment épuisant, et mauvais pour le moral. Ça ne fait vraiment pas du bien à l’âme de faire de la musique dans ces conditions… Ça nous est arrivé quelquefois de traverser des moments comme ça sur cette dernière tournée, parce qu’il y a des salles peu concernées qui n’ont vraiment rien à faire de ce qu’elles font. C’est extrêmement frustrant d’y jouer. C’est différent sur la côte ouest. Ou dans certains endroits comme New York ou Washington D.C. Mais ailleurs, il y a beaucoup de salles qui sont juste terribles. Je ne comprends même pas comment elles peuvent être ouvertes. C’est tellement déprimant pour les groupes. Ça ne rime vraiment à rien de faire ce genre de dates.
J’ai fait ça tellement longtemps. Je ne veux plus m’imposer ça. Je préfère davantage tourner sur la côte ouest ou faire des concerts sporadiques, dans les villes que j’aime.
Quand on vous a vue à Seattle, la salle, le Tractor Tavern, était plutôt chouette.
Oui, c’était bien. C’étaient les tous premiers concerts, j’étais plutôt angoissée. Donc oui, je dirais que ça allait, étant donné que c’étaient les toutes premières dates. Mais c’est toujours difficile de commencer une nouvelle tournée et de jouer en solo. Ça faisait un moment que je n’avais pas joué seule, donc j’étais anxieuse, d’autant que je n’avais pas mon piano. Il y a eu d’autres dates où ça a vraiment marché, comme à Portland. Ça a été un de mes concerts préférés. Une salle énorme et un public qui était déjà venu me voir plusieurs fois…
Quand on vous a vue en première partie de Shellac à Seattle, vous jouiez seule à la guitare. J’ai entendu qu’il n’y avait pas assez de place dans le van pour emmener votre piano pour les concerts. On vous a aussi vue quelques fois en concert solo au piano. Est-ce que c’est important pour vous de jouer les deux sur scène, piano et guitare (quand c’est possible) ? Et dans quelle mesure ?
J’aime bien les challenges. Même si j’aime toujours avoir mon piano avec moi, c’est bien de relever le challenge d’être seule sur scène avec ma guitare. On ne peut pas s’exposer davantage, être plus vulnérable que dans cette situation. Et il n’y a pas d’autre manière de jouer pour moi. Je veux dire, déjà, à la base, je suis complètement à découvert sur scène, nue. Je ressens ça déjà comme un challenge de le faire vraiment bien. Inconsciemment ça m’apporte quelque chose qui m’autorise à être très ouverte. Je n’ai réellement rien derrière quoi me cacher. Les gens peuvent comprendre. Parfois apprécier, parfois non. Je crois que c’est de cette manière qu’on peut être le plus vrai, le plus honnête. Dans ces moments. C’est quelque chose d’assez beau.
Lorsque je joue seule au piano et à la guitare, je me sens aussi vraiment exposée. Jouer dans un groupe ou avec un batteur, c’est un peu plus facile, parce qu’en quelque sorte, on peut se sentir protégée.
Il y a tellement de niveaux différents d’émotions qui résonnent, varient, selon les différents types de concerts que je fais, que je me sens particulièrement chanceuse d’être capable, artistiquement, de tenter toutes ces configurations différentes.
Je suis vraiment contente d’avoir décidé de faire tout ça à un moment. Je ne me rappelle plus quand. Mais créativement, ça m’apporte un vrai épanouissement.
J’aime chacune de ces diverses facettes de la création. En live, j’apprécie aussi le fait de voyager dans chacune des chansons, de les jouer de manière différente, parfois en improvisant pendant le concert, parfois en chantant avec une émotion différente. Ou de me montrer plus douce avec la chanson, ou plus agressive. Il y a une vraie liberté. Et c’est vraiment grisant.
On a donc d’autant plus hâte de découvrir les versions live de vos nouveaux morceaux ! C’est un album très émouvant. Et très courageux aussi. Vous avez choisi de l’appeler Division, qui est aussi le premier morceau de l’album. Pourquoi ? Qu’est-ce que ça signifie pour vous ?
Je crois que pour moi, Division, vient du fait que je me sens comme partagée, divisée en plusieurs petits morceaux, dans ma vie. Je crois que c’est la même chose pour tout le monde. Et je ne sais pas dans quelle mesure on se rend compte qu’on a toutes ces compartiments dans nos vies. (…)
Vous avez enregistré une partie de ce nouvel album à Rome dans le studio de Katia et Marielle Labèque [pianistes mondialement reconnues]. Comment avez-vous rencontré Katia Labèque et que s’est-il passé ensuite ?
Je donnais un concert en Suisse et je l’ai rencontrée par l’intermédiaire d’un ami. (Incrédule :) Elle était fan de ma musique ! (rires)
Elle est venue au concert, et avant, elle nous a emmenés dîner. C’était un moment formidable. Nous sommes ensuite retournés à la salle mais le concert était affreux. J’ai vraiment apprécié mon concert mais la situation était délicate. [si on a tout compris, Shannon remplaçait un autre groupe au pied levé et son concert n’avait pas été annoncé] Je me disais : « mais qu’est-ce que je fais là ? C’est une perte de temps !» C’était une très mauvaise soirée.
Émotionnellement, juste avant d’aller manger avec eux, je me sentais mal, toujours en proie à cette lutte continuelle, pourquoi continuer à faire de la musique, cette lutte intérieure qui est toujours là, avec ce sentiment qu’il faut vraiment que j’abandonne et que j’oublie tout ça. Donc j’étais vraiment mal, et aussi très embêtée qu’elle vienne sur un des pires concerts dans lesquels j’ai été programmée depuis longtemps. A la fin du concert, une fois seule, backstage, je me suis dit que je ne pouvais pas continuer. Qu’il fallait que j’arrête. Que c’était vraiment la fin.
Katia est alors arrivée, seule. Elle était très enthousiaste. Elle disait qu’elle n’avait jamais vu un concert, une vraie artiste comme ça depuis trente ans. Qu’elle avait été complètement bouleversée. Je l’ai remerciée pour ses mots adorables, mais je lui ai dit que je venais de décider que je ne pouvais plus continuer.
Elle est devenue folle en me disant que non, je ne pouvais pas arrêter ! Que j’étais née pour faire ça. Que c’était impossible d’arrêter, etc… J’étais sur le point de me mettre à pleurer tellement je me sentais dévastée et elle m’a dit : « voilà ce qu’on va faire. Je vais vous prêter mon studio à Rome, gratuitement. Et vous allez venir là-bas, vous allez simplement venir écrire, sans pression. Vous n’avez pas à faire de disque. Juste à faire les choses pour vous, voir comment vous vous sentez, retirer la pression de vos épaules. Juste vous laisser être vous-même. » J’ai dit que c’était vraiment adorable mais que je partais en tournée en Italie.
En fait, les choses se sont parfaitement enchaînées… Le timing a été parfait. Je ne pouvais pas laisser passer ça, c’était dingue ! D’autant qu’elle-même tourne beaucoup, qu’elle est extrêmement occupée. Mais le fait qu’elle ait ce studio, qu’elle soit justement à Rome à la fin de ma tournée en Italie : c’était comme si c’était écrit dans les étoiles. Donc, j’ai fini ma tournée, j’ai été là-bas et ça a été incroyable. Cet endroit était magique.
Elle a ces pianos impressionnants. Je crois que je n’avais jamais joué sur des pianos comme ça. Ça m’a pris un moment avant de réussir à en jouer. Je me sentais tellement petite à côté. Et Katia est tellement généreuse, bienveillante. Elle est magique. C’est un être humain incroyable, merveilleux. Vraiment. Elle donne tellement. Sans rien demander en retour. Elle se réjouit juste pour les autres. Elle est aussi incroyable en concert. Si vous avez la chance de pouvoir le faire, il faut absolument aller l’entendre jouer. Bref, j’ai passé une semaine là-bas et les deux premiers jours, j’ai écrit trois morceaux. Puis, son ami a commencé à enregistrer. Tout s’est mis en place parfaitement.
J’ai pensé que créativement, il fallait vraiment que je fasse quelque chose de différent, juste pour moi, des choses que je voulais vraiment faire avant, des choses que j’avais faites mais qui n’allaient pas, sur le moment, avec ce que j’étais en train de faire. Katia m’a permis de juste prendre mon temps. Elle m’a vraiment aidée créativement. Parce que, juste avant, j’étais tellement mal, que rien n’allait créativement non plus. Elle m’a définitivement empêchée de me noyer. Parce que je sombrais vraiment.
A la suite de ces quelques jours à Rome, je me suis sentie remotivée. J’ai beaucoup enregistré à la maison en rentrant. Puis je suis allée dans son studio parisien pour finir le disque. Voilà l’histoire.
Quels étaient les trois morceaux que vous avez écrits à Rome ?
The thirst, le deuxième morceau du disque, puis Lighthouse qui clôt l’album et enfin Soft Noise. On pourrait donc dire que les morceaux au piano ont été écrits là-bas, à Rome.
Ce disque a donc pris plus de temps que par exemple In Film Sound, que vous avez enregistré en quelques jours. Pour cet album, il y a eu plusieurs séances d’enregistrement, entrecoupées par des périodes de travail de votre côté. Quel a été votre travail entre ces différentes sessions d’enregistrement ?
Ce qui a vraiment été formidable dans l’écriture de cet album, c’est d’avoir exploré, d’avoir travaillé les mélodies, les mélodies vocales. Plus que jamais auparavant, je crois (on acquiesce).
Je peux devenir complètement obsédée par l’écriture d’une chanson, parfois en ré-écrivant constamment. Ça dépend des chansons. Parfois les chansons viennent d’un coup et elles sont finies. Parfois elles arrivent sous la forme d’un croquis, et il est nécessaire d’aller vraiment très loin pour les atteindre, pour trouver les bonnes pièces du puzzle à mettre ensemble.
Sur certains morceaux, on se dit que la mélodie aurait pu meilleure… Mais c’est justement médiocre parce qu’on n’est pas allé la chercher, qu’on n’est pas parvenu jusqu’à elle.
Ces chansons-là, je voulais vraiment les atteindre. Dans ma tête j’ai une trentaine de mélodies vocales différentes, le placement, les notes sur lesquelles les voix vont arriver… C’est en même temps stimulant et très agréable. Il y a eu des moments où je me suis épuisée à force de travailler sur certaines chansons : j’ai écrit tellement de mélodies différentes… Mais au moment où je réussissais à trouver la bonne, j’avais l’impression d’être parvenue à faire sortir deux fois la chanson de là où elle venait. Grâce à tout le travail que j’avais mené.
Chaque fois que je peux m’engager totalement dans l’écriture, c’est ce qui me rend le plus heureuse. J’étais tellement heureuse pendant ces moments. Pendant ces périodes, j’ai fait énormément de parties de claviers, des choses comme ça. J’avais cette vieille boîte à rythmes vintage que j’avais toujours voulu bricoler, alors je m’en suis servie. Il y a une chanson avec un vieux casio des années 80. J’ai dit à David : « Et si j’arrivais à écrire une vraie chanson sur ce casio eighties ridicule, une vraie chanson émouvante, sincère, profonde ? » Je crois que j’y suis arrivée. Ça sonnera peut-être un peu bizarre pour les gens qui connaissent ma musique, mais c’est toujours moi. C’est juste différent. Je crois qu’une chanson reste une chanson, peu importe l’instrument qu’on utilise. C’est vraiment une chanson sincère, vraie, profondément honnête. C’est d’ailleurs intéressant de se rendre compte que ce qui fait la trame d’une bonne chanson, c’est l’honnêteté, la mélodie, la vérité.
Pour ce disque vous avez travaillé avec Raphaël Séguinier et David Chalmin…
Oui, ils jouent parfois avec Matt Eliott ou Katia. David écrit des pièces classiques, c’est un musicien très intéressant. C’est aussi lui qui a enregistré l’album.
Raphaël, le batteur, joue avec David la plupart du temps. J’ai écrit toutes les parties de batterie sur l’album, j’en ai joué un tout petit peu. Et Raphaël a vraiment été génial parce qu’il m’a laissée venir sur la batterie lui montrer ce que je voulais exactement. Pour le jouer ensuite parfaitement. Je ne savais pas du tout comment ça allait se passer parce que je n’avais jamais travaillé avec lui, et que j’avais écrit toutes les parties de batterie. Mais il a fait un travail magnifique. On a joué un concert ensemble il y a quelques semaines à Paris [Mama Festival] et c’était génial. Je suis vraiment heureuse. C’est aussi un garçon adorable.
David Chalmin a également enregistré le disque. Vous avez déjà travaillé avec d’autres ingénieurs du son auparavant [Steve Albini, Kevin Ratterman, Jim Marrer, Andy Baker,…]. Quand vous êtes en studio, vous nous aviez dit être totalement absorbée par l’enregistrement. Quel rôle joue alors l’ingénieur du son/le producteur quand vous enregistrez ? Et particulièrement cette fois-ci avec David Chalmin ?
Je crois que David dirait qu’il n’a jamais travaillé avec quelqu’un comme moi auparavant (rires). Parce que je suis attentive à tous les sons et j’ai des idées très spécifiques. J’ai fait beaucoup d’albums et je sais exactement ce que je veux. Je ne vais pas vers ce qui peut sembler évident. Ça irait contre ce que je suis. Je ne sais pas, je ne peux pas faire certaines choses.
Je crois que c’était vraiment bien pour lui. Il m’a apporté certains éléments aussi. On a pris beaucoup de plaisir. C’est vraiment important pour moi de me sentir à l’aise avec quelqu’un, avec sa personnalité, ce qu’il est aussi, parce que je vais donner le cap et j’ai besoin de sentir que j’ai cette liberté de dire ce que je n’aime pas, ou que ça sonne bizarrement avec ces trois micros là, etc… Parce que je suis attentive à tous les sons et j’ai des idées très spécifiques. C’était vraiment une excellente expérience, qui a bien fonctionné. David a beaucoup de talent, une très bonne oreille…
Comme vous nous le disiez tout à l’heure, vous avez utilisé davantage de sons électroniques cette fois-ci. De quelle manière c’est venu ? Est-ce que c’est quelque chose que vous vouliez déjà faire auparavant ?
Je crois que j’avais déjà l’idée de cette manière de combiner de vieux sons électroniques analogiques à des percussions acoustiques plutôt que d’utiliser l’un ou l’autre. Sur la plupart de mes disques, ce sont des batteries acoustiques. J’ai pensé qu’avoir ces deux types de textures pourrait être intéressant.
Et puis j’aimais l’idée de mélanger ces merveilleux sons acoustiques au piano avec de l’électronique… Quand je parle d’électronique, il s’agit de sons analogiques, de sons réels, à partir de boîtes à rythmes vintage, pas de sons digitaux.
Je me suis aussi servie des claviers analogiques pour des sons plus atmosphériques. J’ai d’ailleurs utilisé la plupart plutôt comme paysages sonores. Ces différentes strates amènent ma chanson ailleurs. Je crois que la boîte à rythmes agrandit la palette d’émotions de la chanson. Enfin, ce n’est quand même pas l’élément le plus important du morceau. Ce n’est pas comme si c’était mon disque de dance ! (rires)
Comment avez-vous choisi l’ordre des morceaux sur l’album ?
Il semblait couler de source. Je ne l’ai pas vraiment beaucoup travaillé. Pour moi, ça tombait sous le sens, comme si je pouvais me laisser emporter. Je n’imagine même pas, d’ailleurs, que les chansons puissent être dans un autre ordre maintenant. Ça semble couler comme s’il s’agissait d’un poème ou d’une nouvelle. Le tracklisting révèle, dévoile, l’histoire du disque. Peut-être pas notre histoire avec Katia, mais l’ambiance, de là d’où vient cet album. Je crois que cet ordre fonctionne vraiment. En fait, je suis vraiment contente de ce disque.
J’espère que vous pourrez entendre le vinyle. Il a vraiment un super son. Nous l’avons fait remastérisé par quelqu’un d’autre [les versions vinyle et digitale ont été masterisées par Mandy Parnell aux Black Saloon Studios, Londres] et ça sonne magnifiquement. Elle a fait un travail incroyable. Je suis vraiment heureuse. C’est vraiment magnifique. Elle a réellement écouté ce que je lui avais demandé et elle a été encore plus loin. Même avec le mastering, je suis complètement obsessionnelle ! Et c’est vraiment génial quand les gens vous écoutent pour de vrai. Parce que je sais vraiment ce que je veux pour que les morceaux sonnent justes. Certains artistes ont leurs propres idées, ils ont un vrai amour de la musique, comme moi. Et je pense que Mandy Parnell est complètement dévouée à l’artiste. C’est pour ça que cela sonne si bien. Je lui ai écrit pour lui dire tout ça, parce que je crois que c’est important que les gens réalisent que cette forme artistique n’est pas qu’une histoire de matériel, d’équipement.
Je sais que vous n’aimez pas expliquer les paroles de vos morceaux, que vous préférez que l’auditeur y projette sa propre histoire. Mais comment avez-vous écrit les paroles cette fois-ci ? Sont-elles venues en premier ? De quelle manière la musique et les mots s’articulent dans votre travail ?
En général, les mots viennent après. La manière dont je vois la musique dans ma tête est vraiment étrange. Peut-être que d’autres fonctionnent de la même manière… Je vois vraiment la musique au départ, sans les voix, sans les paroles… Simplement la musique, comme une force conductrice pour les émotions d’où viendront les paroles.
Les chansons sont comme un petit film, avec des émotions en mouvement. Et on transforme ces émotions en mots. C’est un peu comme lorsque le cœur s’emballe parce qu’on a telle ou telle émotion… Avant même de parler, on est presque dans une sorte de dialogue, sans mots. Et ce dialogue est ce qui va transformer les mots en histoire. J’ai vraiment toujours écrit comme ça.
C’est aussi pour ça que j’écris plus dans une perspective humaine que d’un point de vue très personnel. Parce que les émotions s’éprouvent d’abord physiquement. Mon histoire est juste la même que celle de beaucoup d’autres gens, donc je peux écrire d’une perspective globale, qui est reliée à chacun d’entre nous. C’est vraiment de là que viennent les paroles généralement, de ces sortes de paysages émotionnels, sincères, qui ne se sont pas encore exprimés via le dialogue. Les émotions existent d’abord physiquement.
Vous écrivez toujours seulement une partie des paroles sur l’artwork du disque. Pourquoi ?
Parce que je crois que c’est davantage comme des poèmes. Plutôt que de répéter le refrain, lorsqu’il arrive quand on lit. Je crois que ça touche plus rapidement l’auditeur quand il lit les paroles comme ça que lorsqu’il les lit comme une chanson.
Quand ce sont d’abord des mots plutôt qu’une forme couplet /refrain /couplet /refrain /pont, etc on va plus immédiatement au cœur des choses. C’est généralement pour ça que je choisis de n’écrire qu’une partie des paroles.
Je me sens coupable, par le passé, d’avoir davantage insisté sur l’honnêteté et le total engagement qui sous-tendent votre musique et vos performances live. Mais jamais sur vos qualités de songwriter, qu’il s’agisse de l’aspect mélodique ou des structures des morceaux, par exemple. Est-ce que c’est quelque chose dont vous vous souciez ?
Oui. Enormément. Je crois que tous les aspects d’une chanson sont très importants pour moi. Parce que je crois intimement que la chose la plus importante lorsque j’écris une chanson, c’est d’atteindre l’honnêteté émotionnelle du morceau. De vraiment aller jusque-là. Je crois qu’on peut se tromper en tant que songwriter, lorsqu’on se concentre sur quelque chose qu’on a peut-être déjà entendu, comme la structure d’un morceau, ou une forme standard que tout le monde utilise. Pour moi, c’est amoindrir la chanson que de ne pas lui laisser avoir sa propre voix. J’essaie vraiment d’être honnête avec ça. C’est pour ça que je peux être aussi obsédée en studio ou avec les musiciens. Pour moi la question n’est pas comment c’est enregistré ou quel micro j’utilise, ou comment le batteur pense que la chanson devrait être… Ce n’est pas parce que je veux être le chef. C’est parce que je dois défendre la chanson, je dois me battre pour elle. Peu importe que ce soit contre moi, contre l’ingénieur du son, ou les musiciens, etc… Il faut que l’honnêteté puisse s’incarner, dans la forme la plus expressive qui soit. Là où c’est complètement sincère.
Et parfois on peut perdre ça de vue, si on se concentre sur ce qui n’est pas vraiment important. Par exemple, sur ce nouvel album, je voulais que le son de la batterie soit à égalité avec le reste. C’est une façon inhabituelle de faire les choses. Et j’ai vraiment dû me battre pour ça. Pas vraiment avec David parce qu’il a compris immédiatement ce que je faisais. Ça l’étonnait, mais il disait : « ah oui, c’est une bonne idée ».
Mais c’est loin d’être toujours comme ça, d’avoir cette bonne dynamique, comme nous avions, de réellement de faire un voyage avec la chanson. Il y a ces moments où il faut vraiment s’impliquer dans la chanson. J’avais vraiment envie de faire ça. Je veux dire qu’on peut écouter cet album de loin mais que le disque peut aussi emmener dans des états dans lesquels on est totalement immergés, impliqués. Donc, oui, pour en revenir à ce que tu disais, je suis vraiment concentrée sur le fait d’apporter quelque chose qui soit vrai, juste et que chaque auditeur puisse vraiment ressentir.
On a été sensible à la façon dont sonnent les voix sur ce nouvel album. Parfois, votre voix est nue, émouvante par son extrême fragilité (on pense à Seemingly, The thirst ou Soft Noise par exemple), parfois encore on entend des deuxièmes voix qui font une sorte de chœur, des voix doublées… Ça existe dans certaines de vos précédentes chansons, mais c’est loin d’être fréquent. Vouliez-vous expérimenter davantage autour des voix avec ce disque ?
Oui, définitivement.
On a parfois mis de la distorsion sur la voix. J’ai vraiment voulu expérimenter davantage avec ma voix, vraiment chanter. Je ne me suis jamais considérée comme une chanteuse. Mais, c’est quelque chose d’étrange, il y a des moments où je prends plaisir à chanter. Notamment sur ce disque. J’avais des idées très spécifiques sur comment je voulais que les voix sonnent, ce qu’elles devaient faire. Comme des strates. Ou ces moments où je souhaitais qu’elles sonnent comme une section de cordes. C’était vraiment génial d’écrire pour les voix, en les envisageant comme des cordes, ou en les distordant, ou en les dénudant complètement. La voix peut être tellement vulnérable quand elle ne passe par aucun effet. Il y a beaucoup de façons différentes d’envisager les voix sur le disque. Souvent, elles sonnent d’une seule et même façon sur tout un album. Ici, au contraire, je voulais prendre chaque chanson individuellement, me demander comment les voix devaient sonner. J’ai pris le risque et je les ai vraiment enregistrées comme je les entendais dans ma tête, et non comme elles sonnent normalement. C’était passionnant de sortir de ma zone de confort.
En fait, je crois que ce nouvel album est aussi un peu un challenge. Je suis très tendre sur ce disque. Au début, je me disais : oh god, l’album précédent était complètement différent ! Mais en même temps, c’est toujours moi. Et avant In film sound, j’avais aussi fait des albums complètement différents. Je crois qu’à travers les albums, le voyage se dessine et que ceux qui suivent mes disques, suivent également ce voyage, cette aventure. J’aime ça chez les artistes que j’écoute depuis des années. Je ne vois pas pourquoi la musique serait une forme artistique où on devrait toujours faire le même album. Je ne comprends pas ça. Je suis incapable de faire comme ça.
Vous parliez des voix enregistrées comme des cordes tout à l’heure. Est-ce que vous aimeriez un jour jouer avec de vraies cordes. Vous avez déjà enregistré quelques morceaux avec un violoncelle auparavant. Est-ce que c’est quelque chose que vous aimeriez travailler ? Par exemple sur un prochain album…
Oui, j’aimerais beaucoup. J’aimerais également beaucoup jouer avec des cordes en live. Si nous pouvions nous le permettre financièrement. Effectivement, il y avait parfois des cordes sur d’anciens disques et c’est définitivement quelque chose auquel j’ai toujours pensé. Peut-être qu’on essaiera un jour.
A propos des voix encore, quelle est la voix qu’on entend sur l’intro de Soft Noise ?
J’étais dans un avion sur un vol d’une compagnie irlandaise et cette voix parlait gaélique. C’était tellement mélodique que j’ai sorti mon téléphone à toute allure. J’aurais pu rester assise là pendant une heure à l’écouter parler. J’étais comme envoutée, éblouie donc je l’ai enregistrée. Après j’ai dit à David que j’avais cette voix de femme et que je voulais la mettre sur le début du disque. Il a dit « super » et on l’a mise sur l’album (rires).
On ne s’attendait pas à cette réponse !
C’était drôle parce qu’elle disait une phrase en anglais, puis une phrase en gaélique, reparlait un moment en anglais, puis de nouveau en gaélique, en passant de l’un à l’autre. J’ai vraiment aimé le ton de sa voix, tellement beau. Et puis le gaélique est une langue tellement rare, c’est tellement rare de l’entendre. C’est assez beau. Et je suis un petit peu irlandaise, alors… (rires)
Vous avez dit de la guitare, que vous aviez l’impression de la maîtriser, de faire d’elle ce que vous vouliez. Et qu’il en était différemment du piano. Pouvez-vous nous expliquer cette différence et de quelle manière cela modifie éventuellement votre façon de composer ?
Le piano est comme un monde à lui seul. On ne peut pas prendre un piano et le manipuler comme on le fait d’une guitare. On est presque un invité quand on joue du piano. Enfin, moi en tout cas, quand je rencontre un piano, j’en joue comme si j’étais invitée, comme si je rentrais chez lui, dans sa maison. Certes il y a des pianos horribles, mais la plupart des pianos, des vieux pianos, me fascinent. Je ne me sens pas inférieure, mais respectueuse. Ils restent mystérieux.
Le piano a une histoire tellement longue. Je suis très romantique avec les pianos, j’aime leurs aventures, leur histoire dans le temps, la joie qu’ils ont apportée à tant de gens au cours de l’Histoire. La guitare électrique n’a pas la même histoire. Donc, d’un point de vue romantique, c’est différent pour moi. Mais je crois que du fait de ce romantisme, j’approche l’instrument différemment, d’une façon plus vulnérable, plus respectueuse.
J’ai appris à en jouer toute seule. Je ne sais donc jamais trop ce que je fais, dans quelle clé je joue, rien de tout ça Et l’un des meilleurs compliments qu’on m’ait jamais fait vient de Katia, qui m’a dit qu’elle ne comprenait pas comment je jouais, ce que je faisais. Que mon jeu est tellement loin du jeu d’un pianiste classique ! Que je joue en même temps comme une pianiste classique et comme quelqu’un de complètement autodidacte. Elle m’a dit que c’était incroyable que je puisse faire ça.
Je n’ai aucune idée d’où viennent ces choses-là. C’est un mystère. Je ne peux pas comprendre comment il m’est possible de m’asseoir à un piano, d’en jouer sans rien y connaître.
La guitare est un peu plus facile, évidente pour moi. Ce sont comme deux mondes différents. Je me sens tellement chanceuse d’avoir les deux.
Vous serez en tournée en France au printemps prochain. A quoi faut-il s’attendre et est-ce que vous jouerez en groupe, en solo ?
David et Raphaël seront là. On jouera beaucoup de morceaux du nouvel album, avec des sons différents. On va essayer d’avoir un piano acoustique sur chaque concert. David jouera les parties de claviers que j’ai écrites, Raphaël sera à la batterie. On jouera aussi de vieux morceaux.
Ça sera davantage dans l’ambiance du nouvel album, mais toujours avec les mêmes éléments qu’avant. Je ne peux pas arrêter de faire ce que j’ai toujours fait (rires). Ça ne devrait donc pas être à ce point insolite. (rires)
Qu’en est-il de l’artwork de ce nouveau disque ?
C’est un de mes amis [Vincent Loiret]. Il a énormément de talent. Et c’est assez dingue parce que lorsque j’ai commencé à écrire les morceaux, j’ai imaginé ses artworks pour la pochette de l’album. Immédiatement.
Il a fait une série de dessins similaires, comme celui de la pochette et ils m’ont beaucoup touchée.
J’étais en train de mixer l’album et je pensais à ces dessins, à comment ils étaient liés à ce que j’étais en train de faire. Je lui ai dit : « je sais qu’on est ami, mais est-ce que ça t’intéresserait de réaliser la pochette de mon nouvel album ? » Heureusement, il a accepté. Et je trouve que ça colle parfaitement avec la musique. Je suis vraiment fière de ce qu’il a fait. J’ai vraiment hâte de le voir en vinyle. Ça va vraiment être incroyable, je crois. (…)
Vous allez participer au projet Homemade réalisé par Jason Maris and Danielle Bernstein, un documentaire qui sortira en 2017, dont vous allez faire la bande originale…
Ce sont de très bons amis. Ce sont des réalisateurs très talentueux, ils réalisent des documentaires. Je vais réaliser la bande son du film qu’ils finissent en ce moment, Homemade, donc. C’est un documentaire sur les gens qui souffrent du PTS -Post Traumatic syndrom-, qui vont à la guerre et dont la vie est totalement ruinée lorsqu’ils reviennent. Et dont on ne prend pas soin.
C’est vraiment spécifique à notre pays, la manière dont on ne s’occupe pas de ces gens. Le gouvernement leur donne seulement des médicaments. En pratique, ils prennent ces médicaments et s’en vont. Leurs vies sont totalement détruites. C’est un cercle vicieux, la façon dont ils sont traités.
Le film est essentiellement basé sur la vie de cet homme qui faisait partie des Marines, très gradé, tellement gradé qu’il aurait pu travailler auprès du Président. Il a été très souvent en Irak, il en est revenu grièvement blessé car il a sauté sur une mine. Sa vie s’est écroulée, son mariage s’est effondré. Il était en pleine dépression, il voulait se suicider.
Ce qui m’a vraiment émue, c’est que je n’avais jamais vraiment réalisé… Vous savez c’est plus facile d’être séparé de ce monde. Je suis tellement loin de l’armée, des marines, de la guerre. Je veux dire, je regarde les informations, je peux dire ce que je ressens, que je n’aime pas la guerre, toutes ces choses… Mais en même temps, on peut être empathique envers ces personnes : c’est tout ce qu’ils connaissent. Ça dépend de ce qui les y a amenés aussi… C’est parfois une manière de s’échapper de situations familiales difficiles. Ils n’ont peut-être pas moyen de faire autrement. Ils travaillent très dur. Et ils ont cette sorte faux espoir qu’ils pourront faire une différence dans le monde.
Alors, lorsqu’ils reviennent, c’est une terrible réalité de voir que ce qu’ils ont fait, ça n’a pas servi à grand-chose. Peut-être que pour certains si. Mais ils travaillent pour ces gouvernements, ces politiciens malveillants…
Je ne sais pas, ça m’a émue. D’autant que mes amis sont très bienveillants avec ceux qu’ils filment. Avant ils avaient réalisé un documentaire sur cet enfant en Afrique, qui faisait partie d’un groupe de chanteurs. C’est comme ça que je me suis retrouvée impliquée dans le projet.
En plus de ça, Jason est un photographe incroyable. Il est photographe depuis longtemps. Il voulait aussi faire des photos de moi. On s’est rencontré parce qu’il était fan de ma musique, depuis quasi 10 ans. Il m’a dit que ma musique l’avait vraiment aidé, qu’elle l’avait sauvé lorsqu’il a été confronté à certaines situations dans sa vie. En fait, il écoutait juste mes disques. Et 10 ans plus tard on s’est rencontré grâce à des amis communs. Encore maintenant, il y a des moments où il dit qu’il faut qu’il s’arrête, car il est en train de parler avec Shannon Wright ! (rires) Il m’explique se souvenir écouter mes disques en sanglotant et ça lui fait bizarre. Nous sommes très très proches. Danielle est sa compagne et nous sommes aussi très proches. C’est plutôt une histoire unique.
J’aime beaucoup les photos que Jason Maris a faites de vous.
Oui. Ce qui est génial, c’est que je me sens super à l’aise avec lui donc il peut faire de meilleures photos de moi. Je déteste ça, et avec lui, ça se fait en toute innocence. Je peux être stupide, débile. On a passé de bons moments.
Est-ce que c’est pour le projet Homemade que vous avez été au studio de Bob Ludwig Gateway ?
Oh, non. C’était pendant qu’on était en tournée avec Shellac. Steve [Albini] et Bob [Weston] voulaient aller à son studio de mastering parce qu’on était dans la ville où il se trouve. On a pris rendez-vous pour pouvoir visiter et c’était drôle parce qu’il y avait tous ces disques au mur, en gros tous les disques imaginables, c’est lui qui les a faits ! En fait, c’est Todd Trainer qui m’a prise en photo là-bas.
Vous avez écrit une chanson avec Julia Lanoë et Carla Pallone de Mansfield.Tya sur leur dernier album, Corpo Inferno, sur lequel vous avez enregistrés vos premiers mots en français Loup Noir…
Elles m’ont envoyé une piste au Wurlitzer, une sorte de morceau répétitif. J’ai doublé la piste pour qu’elle soit plus longue. J’ai ensuite écrit la mélodie et les paroles. C’est encore un morceau où j’ai envisagé les voix comme une section de cordes, sur certaines parties du morceau.
Cette chanson compte beaucoup pour moi, les paroles notamment. Carla a ensuite écrit les parties de cordes. Je crois qu’elle s’est inspirée des parties de voix écrites comme pour les cordes que j’avais envoyées. Julia a ensuite ajouté les voix, en chantant la même chose, les couplets, la mélodie, pour qu’il y ait nos deux voix ensemble.
Ce serait bien qu’on vous entende la jouer en live ensemble un jour…
Oui, peut-être ! Chaque fois qu’elles me l’ont demandé, je n’étais pas dans les parages. Mais peut-être en février ou en mars, elles pourraient venir avec moi pendant un de mes concerts et on la jouerait. J’aimerais aussi jouer avec Carla, qu’elle puisse venir sur quelques dates ou quelque chose comme ça. Cette chanson était une belle surprise.
Vous nous avez dit collaborer avec d’autres musiciens d’abord parce que c’était vos amis. Mais si vous aviez la possibilité de jouer avec d’autres, qu’ils soient vivants ou morts, qui choisiriez-vous ?
(Long silence) Wow ! (rires) Oh boy ! Celle-ci est dure ! Je ne sais pas parce que je vois beaucoup de morts (rires)… Le premier qui me vient à l’esprit c’est Serge Gainsbourg. Je crois que c’était en quelque sorte un génie.
Je pense à Françoise Hardy. J’ai toujours pensé (là, c’est quelqu’un de vivant) que j’aimerais écrire une chanson pour elle et l’entendre la chanter. J’en ai d’ailleurs vraiment parlé à mon label. Je devrais lui écrire une lettre pour lui demander si ça l’intéresserait. Je ne sais pas du tout si elle serait intéressée, elle n’a probablement jamais entendu parler de moi. Ça pourrait être bien. C’est quelqu’un de vivant avec qui j’ai vraiment pensé travailler.
J’aurais adoré faire quelque chose avec Billie Holiday, ç’aurait été incroyable. (Elle explose de rire en criant) JE NE SAIS PAS !! (rires). Je préférerais juste être dans leur présent, avec eux, et pas forcément faire quelque chose de musical.
Je ne sais pas, je crois que si je pouvais être dans le présent avec Beethoven, je pourrais probablement mourir. Je mourrais de joie. « Merci, ça y maintenant je peux mourir !» (rires)
Je me demandais si quand vous avez commencé à jouer de la guitare, vous faisiez des reprises ou si vous a immédiatement commencé à faire vos propres trucs ? Est-ce que vous avez commencé à chanter tout de suite, ou bien le chant est-il venu après ?
Je n’ai jamais fait de reprises. Jamais. Je ne suis pas une fille à reprises. (rires) Les seules covers que j’ai faites sont des chansons auxquelles je me suis vraiment identifiée, des chansons qui me brisent le cœur.
Je n’ai jamais voulu apprendre à jouer d’un instrument à travers le langage d’une autre personne. Quand j’ai commencé à jouer de la guitare, j’ai appris trois accords. Je me suis vite ennuyée de ces trois accords et j’ai rapidement commencé à inventer les miens. Je n’aimais pas les fréquences hautes et plutôt aigues de la guitare. Ça me dérangeait. Donc j’ai commencé à inventer ma propre façon de jouer. Je voulais ajouter des sons de basses, des fréquences basses à tout ça. Et c’est vraiment comme ça que sont nés mon style, ma manière de jouer.
On en parlait avec Steve Albini sur la dernière tournée. Il disait que c’est très intéressant de me voir jouer, que c’est dingue, que j’ai inventé mon propre style parce que personne ne joue de la guitare comme ça.
Quand j’ai commencé à jouer, je suis devenue complètement obsédée par la guitare. Je ne me considérais pas vraiment comme une guitariste, ou une songwriter, rien de tout ça. J’ai directement commencé à chanter mais je n’avais pas encore compris comment faire une mélodie. Et puis tout a commencé à se mettre en place.
Et à partir de ce moment-là, je suis devenue complètement accro. Je ne pouvais plus revenir en arrière. J’ai écrit 10 chansons et je me suis dit, il faut que je parte en tournée maintenant. J’ai monté un groupe. Je n’avais juste peur de rien. C’est vraiment comme ça que tout a commencé.
J’étais déjà la même : les choses devaient être sincères.
J’ai cet ancien coffre plein de vieux trucs, avec des affaires de ma grand-mère. J’y ai retrouvé cette vieille interview, je devais avoir 21 ans et je disais déjà essentiellement tout ce que je suis en train de vous dire maintenant, c’est fou. En la relisant, je me suis dit : « oh, j’aime bien cette fille » (rires)
Il faut qu’on parle d’accordages de guitares. On a sans arrêt des demandes à ce sujet, qu’une interview soit prévue ou non (« la prochaine interview de Shannon, demande-lui de parler de ses accordages »). Donc je n’ai pas le choix. Quels accordages utilisez-vous sur votre guitare et pourquoi les avez-vous choisis ?
(rires) C’est vraiment secret en fait.
Je sais ! C’est déjà ce que je leur ai répondu ! (rires)
Je reviens à ce que je disais tout à l’heure : ne pas faire ce que les autres font. Je ne sais pas si mon conseil a une valeur quelconque, mais voilà ce que je répondrai à ceux qui t’ont posé la question : « expérimentez juste avec ce que vous avez devant vous, avec votre guitare. Vous pouvez la manipuler comme vous le souhaitez, essayer différentes choses, tenter de mettre des cordes de différentes tailles. Il n’y pas de manuel pour jouer d’un instrument. Si vous avez envie de l’accorder de telle ou telle manière, il suffit de trouver quelque chose qui sonne bien ».
Moi, c’est vraiment comme ça que j’ai fait. Je me disais que j’aimerais bien avoir une corde plus grave sur cette corde justement… J’ai tellement d’accordages différents sur tous mes morceaux ! Simplement parce que je cherchais la bonne tonalité, le bon son. Je crois qu’il faudrait davantage aborder la guitare en se disant : « Comment diable est-ce que moi, je veux sonner ? » Plutôt que de chercher à avoir le même son que d’autres. Parce qu’on a tous ça en nous. C’est juste qu’il faut explorer davantage.
Donc si je n’avais qu’un conseil à donner à propos de la guitare, ce serait de ne pas choisir un ampli dont on dit qu’il est le meilleur : on l’achète et on branche n’importe quelle guitare dessus. Je suis sincèrement convaincue que pour avoir un très bon son, la question repose plutôt sur comment on joue de cette guitare. Une fois qu’on a trouvé son propre jeu, on peut alors chercher un ampli qui convient à sa manière de jouer. Ça peut être n’importe quel ampli. La question c’est : est-ce qu’il correspond à mon style ? Je vois beaucoup de gens qui font cette erreur d’aller acheter un ampli dont on leur a dit qu’il était fantastique. Bien sûr il y a beaucoup de super amplis, mais s’ils ne correspondent pas à ton jeu, ils vont affaiblir tes capacités. Je crois qu’il existe beaucoup de bons guitaristes, qui n’y arrivent pas parce qu’ils n’ont pas choisi le bon ampli ou la bonne guitare ou quelque chose comme ça. Il faut vraiment continuer d’explorer, essayer constamment et à ce moment-là quelque chose deviendra sien. Et c’est ça le plus important dans la musique, il faut trouver sa voix, et ensuite partager cette voix avec les autres et espérer qu’ils s’identifient à elle. Je crois que ça a toujours été mon objectif, mon principal but.
Encore une fois, lorsqu’on parlait de mon son de guitare avec Steve Albini, il me disait combien il était impressionné que je puisse utiliser n’importe quel ampli et le faire mien. Ça sonne automatiquement « Shannon Wright » (rires).
Sur la tournée, je n’utilisais pas mon ampli mais les siens, qu’il avait apportés pour moi. Steve m’avait demandé sur quel ampli je voudrais jouer. Et je lui ai dit, tu n’as pas le modèle que j’utilise, donc peu importe, quelque chose comme un Fender Bassman pourrait le faire… Et il est tombé sur son [Hiwatt] Cabinet qui a un son complètement différent du mien. Je l’ai juste manipulé et j’ai trouvé mon son (rires).
Steve adore les trucs comme ça, il aime toujours quand les gens font leur truc et non ce qu’il fait lui. Je suis fière de pouvoir faire ça.
Comme je l’ai dit, ce qui est intéressant c’est lorsqu’on explore, lorsqu’on sort de sa zone de confort, lorsqu’on s’émancipe de ce quelqu’un nous a raconté, de ce que dit un magazine qu’on a lu, du genre « si vous prenez cet ampli, vous aurez un son génial ! » Il s’agit vraiment de trouver son propre style, son propre son, d’y travailler et de le rendre le meilleur possible. Il ne s’agit pas de copier les autres.
Je n’ai vraiment jamais été quelqu’un de branché par les reprises, par l’idée de suivre les idées des autres. C’est sûrement pour ça que je n’ai jamais eu de succès (explosion de rires).
J’ai une question technique plus personnelle, mais elle m’obsède. Quand vous commencez à jouer, je vois parfois votre médiator dépasser de votre paume. Vous commencez à jouer en fingerpicking puis vous continuez sur des déflagrations d’accords très rêches et votre médiator a disparu ! Comment vous faites ça ?
Je sais, c’est comme un tour de magie ! (rires) Je n’ai aucune idée de quand et comment j’ai commencé à faire ça. C’est vraiment drôle parce qu’on parle des mêmes choses qu’avec Steve sur la dernière tournée (rires). Il me demandait : « mais quand est-ce que tu as commencé à faire ce truc du médiator, à faire ce va-et-vient entre médiator et fingerpicking dans le même morceau ? Tu joues avec les doigts et paf, tu passes au médiator en une demi, voir une milli-seconde » . Je n’en ai aucune idée. Je n’ai vraiment aucun souvenir de quand ça a commencé, de comment j’ai l’ai fait. Je crois que c’est encore à force d’explorer.
Une fois qu’on a trouvé son propre truc, ça devient quasiment aussi automatique que respirer. Je ne pense même jamais à cette histoire de médiator. Des fois ça arrive qu’il m’échappe et je dois jouer les accords les plus rêches avec mes doigts. Dans ces cas, mes mains peuvent saigner, des trucs comme ça, mais ça ne me dérange pas car je ne m’en rends même pas compte, lorsque je suis au milieu du concert, complètement immergée émotionnellement.
Je crois qu’en fin de compte, c’est parce que j’aime quand les choses évoluent constamment : j’avais besoin que le médiator apporte parfois plus de volume, d’amplitude, ou parfois plus d’agressivité. A certains moments, j’avais besoin du médiator pour les parties rythmiques. Je sais seulement que je n’ai aucun souvenir de quand et comment j’ai commencé à faire ça, et que c’est aussi mystérieux pour moi que pour tout le monde.
La dernière fois on a parlé de votre rencontre avec Philippe Couderc et Vicious Circle. J’aurais aimé qu’on revienne à Touch and Go, sur lequel sont sortis vos premiers albums solo (sur Quarterstick). Comment vous les avez rencontrés et comment avez-vous de décider à travailler avec eux ?
J’étais amie avec des groupes qui étaient sur Touch and Go. C’était à un autre moment de ma vie où je pensais abandonner la musique. Je vivais à New York et j’ai déménagé dans ce chalet à la campagne. J’avais un quatre pistes et j’ai commencé à écrire des chansons. Je les enregistrais juste pour moi. Une amie est venue me voir en me disant « oh, tu enregistres, je peux écouter ? » Je ne voulais pas mais elle a insisté alors je lui ai fait écouter. Elle m’a dit : « Oh my god ! il faut que tu fasses un disque ! » J’ai répondu que je ne savais pas trop. Mais elle a continué à me pousser. J’en ai finalement parlé à d’autres amis qui plus tôt étaient sur Touch and Go, Calexico. Ils m’ont dit : « on connaît un gars [Howard Greynolds], il bosse sur Touch’n Go mais il a aussi son propre label où il sort des 7 pouces[All City]. Peut-être que tu pourrais lui parler et sortir un 7 pouces, si tu le sens. »
Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me signer sans entendre ma musique. Donc j’ai fait une cassette (à cette époque, on écoutait des cassettes) avec quatre chansons. Chaque pochette était différente, j’avais dessiné dessus. J’en ai encore quelques-unes. J’ai utilisé ma vieille machine à écrire pour écrire les titres des chansons, j’ai dessiné mes trucs dessus. Je lui envoyé une cassette et je lui ai écrit cette lettre assez dingue, vraiment bizarre. Je ne me rappelle pas de ce que je lui ai écrit, mais apparemment c’était vraiment dingue. Je n’attendais pas que ça marche, donc je l’ai vraiment fait comme ça. A cause de la lettre et de la cassette, il a immédiatement décidé de travailler avec moi, donc on a fait un 7 pouces. C’était des chansons différentes de celles qui étaient sur la cassette.
Il a ensuite apporté la cassette à Corey [Rusk] de Touch and Go en lui disant qu’il croyait vraiment qu’il fallait signer cette fille. Donc Corey est venu me voir jouer quelques fois. A cette époque, je jouais en acoustique, parce que j’essayais de m’éloigner de la guitare électrique, artistiquement. Mais je jouais de la guitare acoustique comme d’une guitare électrique, donc c’était un peu différent. J’étais chez un ami et il m’a dit « appelle moi et on verra ». Lorsque je l’ai appelé, il m’a dit : « J’ai bien réfléchi. J’aimerais que tu sois sur Touch and Go.» J’étais tellement heureuse. C’est vraiment un label que j’adorais.
En même temps, j’étais la première artiste solo qu’ils sortaient sur Touch’n Go et je n’avais jamais signé sur un label avant [en solo]. C’était la première fois que Touch’n Go signait un artiste qui n’avait jamais eu de label. Je commençais donc vraiment de zéro, et ils n’avaient jamais fait ça avant. Donc ils étaient un peu timides avec ça, parce qu’ils ne savaient pas trop comment faire, quoi faire. D’autant que j’étais différente d’une grande partie des groupes du label. On a commencé en même temps en quelque sorte, sur ce coup-là. A ce moment-là, j’étais différente de ce qui se faisait. C’était un peu difficile pour nous à cette époque. J’étais tout le temps en tournée. J’étais tellement émotive, et à cette époque, les gens n’étaient pas habitués à cette sorte de musique. (…) J’ai vraiment aimé être sur Touch’n Go. J’ai fait de bons albums sur le label et j’ai rencontré des gens exceptionnels.
J’ai ce très vieil ep avec A tin crown for a social bash, j’adore la photo de l’artwork. D’où vient-elle ?
Oui, c’est le tout premier ep solo que j’ai sorti ! C’est une photo de l’extérieur de mon appartement à New York. C’est ce que je voyais par la fenêtre de l’intérieur. Ce sont les premiers flocons de neige que j’ai vus lorsque j’ai déménagé à New York. Je me suis réveillée, et c’est la première fois que je voyais la neige depuis que j’y avais emménagée. J’étais très émue. J’ai pris mon appareil photo et voilà.
Dans une interview de Sleater Kinney, Janet [Weiss] parlait de son plus chouette anniversaire en tournée et d’un ours… Vous pouvez nous en dire plus ?
[Explosion de rires des deux côtés de l’Atlantique] Vraiment je peux avoir des idées dingues parfois !
Janet et moi étions très proches à cette époque. C’est toujours très étrange, l’intimité qu’on partage sur une tournée, et ensuite de ne plus se voir pendant des années….
A ce moment-là, on était en tournée et on donnait trois concerts à San Francisco. Sleater Kinney étaient très connues à cette époque, alors que moi, non. Mais elles étaient vraiment très bienveillantes et m’encourageaient. Elles regardaient mes concerts, tous les soirs, c’était dingue. Donc on jouait au Fillmore, où Jimmy Hendrix a joué (je suis une énorme fan) … J’étais sur un nuage.
C’était donc l’anniversaire de Janet et je réfléchissais à ce que je pourrais faire pour la prendre au dépourvu et faire quelque chose de vraiment drôle. J’ai demandé à une amie qui vivait à San Francisco si elle pouvait me trouver un costume d’ours. « Quoi ?! » « Oui, apporte moi un costume d’ours aujourd’hui, je veux faire une surprise à Janet ». Elles avaient cette chanson sur un animal, je ne me souviens plus de quelle chanson il s’agissait. J’ai donc enfilé ce costume ridicule, j’ai couru sur scène pendant qu’elles jouaient et j’ai commencé à danser. (Explosion de rires)
C’était super facile car j’étais couverte de la tête au pied, donc personne ne pouvait me reconnaître. Si ça avait été juste moi, jamais je n’aurais pu faire un truc pareil. Mais j’avais cette tête d’ours ! (rires) C’était super drôle ! J’avais aussi une pancarte « Happy Birthday Janet ! » Janet jouait, je dansais à côté de sa batterie et elle était stupéfaite ! (rires) Je suis sortie au milieu de la chanson, j’ai dû rester sur scène 40 secondes, juste le temps que le public se demande ce qu’il se passe ! (rires) Elle m’a dit qu’elle se disait « mais p… qui c’est ?! » jusqu’à ce qu’elle voit mes chaussures. J’avais oublié d’enfiler les pieds de l’ours ! (rires) Elle m’a dit qu’elle n’arrivait pas à croire que c’était moi.
Une bonne partie de vos fans ne pourra pas y croire non plus ! (rires)
Je sais, c’était juste parfait. (rires)
Comment j’enchaîne après ça…. Hum votre question préférée (rires) quels sont projets à venir ?
Faire une belle tournée. J’ai vraiment hâte. Et puis, aussi la bande originale du documentaire… Ce sera ma première bande originale pour un film, je suis très enthousiaste. Je me sens tellement proche des gens qui le font. Ils ont tellement de talent. Ce sont aussi mes amis.
Je crois que ça va être un projet très important parce que ça amènera une prise de conscience sur l’industrie pharmaceutique, sur le rôle important qu’elle joue et sur le fait que les gens en meurent. Je pense à cet homme, en particulier, qui prenait 15 médicaments différents que lui délivrait le gouvernement. C’est vraiment l’objectif, cette prise de conscience.
On a essayé de trouver des fonds, avec ce gros truc à Seattle, qui était vraiment bizarre pour moi. Ils souhaitaient vraiment que je joue Soft Noise pendant cette collecte de fonds, parce qu’ils voulaient qu’elle soit dans le film. J’ai donc joué devant des gens comme cette princesse russe (elle est vraiment cool d’ailleurs – rires-) ou des musiciens du Seattle Orchestra, en gros des gens que je n’aurais jamais dû rencontrer… Il fallait que je joue devant eux. Mais c’était pour financer le film. Il y avait aussi beaucoup d’anciens marines qui avaient vécu beaucoup de choses terribles et qui œuvrent aussi pour aider les vétérans.
Rencontrer ces gens très différents était très intéressant. Ils ont été très émus par le film. Le documentaire apporte cette prise de conscience : ça se passe maintenant, dans notre monde. Ces gens qui partent combattre, dans ces batailles sans fin, et pour quoi ? J’attends vraiment sa sortie, en espérant qu’il puisse sortir en France aussi…
Photos live, prise de son et aide à la traduction : Caro
Un immense merci (encore) à Guillaume Le Collen et Philippe Couderc de Vicious Circle pour avoir rendu tout ça possible. Tout comme notre gratitude éternelle à Abus Dangereux.
Plus d’1fos sur Shannon Wright
Novembre 2017 – Mars 2018
On ne pouvait manquer la venue de Shannon Wright en Bretagne. Même si on a fait bien moins long que d’habitude (tournée et froid obligent), prendre des nouvelles de Shannon, de sa musique, continuer de creuser la manière dont elle compose, dont elle envisage la musique, s’intéresser aux projets qui la nourrissent nous est essentiel. On profite donc de la réédition de deux de ses disques en vinyle Honeybee Girls (2009) et Let in the Light (2007) chez Vicious Circle pour partager cette nouvelle rencontre avec l’Américaine.
Nous sommes en novembre, dans un lieu extraordinaire, une manufacture des tabacs qui va être transformée en Pôle Culturel à Morlaix. Béton brut, moellons apparents, peinture écaillée, rideaux d’époque pendant le long de fenêtres opaques, brisées : le futur Sew de Morlaix ressemble à une usine désaffectée mais pas encore à un équipement culturel flambant neuf. Pourtant les membres de l’association Sew (l’équipe de tourneurs et programmateurs Wart -à qui l’on doit notamment Panoramas-, du cinéma La Salamandre et du théâtre l’Entresort) et les architectes du projet ont eu la riche idée (et ce sera vrai durant toute la durée des travaux) d’en faire un chantier ouvert, vivant qui accueille concert, projections, spectacles, visites et on en passe, et ce avant même son ouverture.
C’est dans ce cadre que Wart a proposé à Shannon Wright de venir donner deux concerts « secrets » (une spécialité Wart-ienne, pour ceux qui les suivent) dans la Manufacture des Tabacs en cours de désamiantage et traitement des bois. Le lieu est improbable (longue volée de marches pour y parvenir, toilettes fantômes, murs défigurés et éviers en fond de scène) mais aussi génialement dingue et défoncé que chaleureux. Le cadre parfait pour deux prestations hors du temps (on aura une petite préférence pour celle du dimanche) devant un public d’happy fews (c’est sold out) qui découvrent Shannon avec bonnet et écharpe. Jazzmaster et Wurlitzer.
Le second soir, on rejoint donc Shannon Wright dans un cagibi-loge à l’éclairage capricieux. Pour encore, un moment suspendu. Il y sera question des hot dogs de Steve Albini, de loup, de cadeau d’anniversaire, d’images et de musique, de batterie funk, de piano, de guitare, mais surtout de cette désarmante intégrité qui dit si bien Shannon.
Alter1fo : Vous venez de commencer cette nouvelle tournée. Vous avez joué jeudi à Rezé et c’était une fois encore impressionnant, tout comme hier soir ici à Morlaix déjà. On est heureuses de vous retrouver sur scène avec David Chalmin et Raphaël Seguinier…
Shannon Wright : Oui, nous sommes vraiment ravis de nous retrouver et de jouer ensemble à nouveau. Sur la dernière tournée nous avons joué avec Mathieu, qui a été incroyable. Raphaël s’était blessé la main, de façon assez brutale. Mathieu, qui est l’un de ses grands amis, l’a remplacé au pied levé et a fait un boulot incroyable. Il a travaillé très dur. On était vraiment très heureux de l’avoir avec nous. C’était vraiment génial.
Avant de débuter cette nouvelle tournée en France, vous avez joué en septembre pour le 20ème anniversaire d’Electrical Audio de votre ami Steve [Albini]. Comment ça s’est passé ?
C’est Steve qui m’a appelée pour me demander si je voulais participer à la fête pour ce 20ème anniversaire. Ce n’était pas vraiment un festival, mais plutôt une grosse journée avec à peu près 8 groupes. C’était génial. Ça a commencé pendant la journée…
Oui, vous avez joué l’après-midi…
Oui, tout à fait. Avec Kyle [Crabtree, des Shipping News, avec lequel Shannon joue souvent -en tournée et sur disque-]. En duo. C’était vraiment une belle journée. On a pris beaucoup de plaisir. C’était à Chicago. Il y avait donc plein de gens de Touch and Go, plein d’amis que je n’avais pas vus depuis très longtemps. Ça a donc vraiment été super. Steve [elle rigole] a vendu des hot dogs toute la journée, végétariens ou non [la remarque suit une discussion précédant l’interview à propos d’huîtres]. Il faisait le cuisinier, il avait son tablier. Il regardait les groupes sur le côté de la scène. Mais il a trouvé le moyen de s’occuper toute la journée. Parce qu’il se sent assez gêné de parler de lui…
On voudrait revenir sur votre manière de composer. Peut-être que c’est impossible à expliquer… Vous nous aviez dit qu’au moment d’écrire, vous entendiez les chansons dans votre tête. Comment ça se passe : vous tentez de reproduire ce que vous avez en tête au piano ou à la guitare ou bien explorez- vous plutôt les deux instruments, en vous arrêtant sur ce qui sonne bien ?
Je crois que c’est un peu des deux. C’est difficile à comprendre, parce que même à moi ça me semble étrange et je ne saisis pas tout. Parfois j’ai une émotion, un sentiment à propos de quelque chose. Mais ce n’est pas très précis, c’est plutôt comme une sorte de halo, pour ainsi dire. Parfois je m’assois au piano ou j’attrape juste ma guitare et ça devient vivant/réel. Ou alors, d’autres fois, j’entends les notes dans ma tête. Ça a vraiment été dingue pour moi quand, pour certaines chansons que j’ai écrites, tout s’est passé comme si je les connaissais déjà, comme si elles existaient déjà ailleurs. C’est vraiment bizarre. C’était comme si je les avais déjà écrites. C’est vraiment difficile à expliquer. Même si j’écris un truc au piano beaucoup plus difficile que ce que je n’aie jamais écrit, avec des mouvements nouveaux, des notes, des structures que je n’ai jamais utilisées auparavant, ça surgit et c’est comme si ça avait toujours été en moi. Je n’ai pas de réponse à cette question (rires).
Mais merci d’essayer… Vous nous avez dit avoir une relation différente avec le piano et la guitare. De quelle manière cela modifie votre manière de composer ?
(Elle réfléchit) Je crois que c’est assez similaire d’une certaine manière. Ça dépend plutôt de mon état d’esprit. Parfois je suis agressive au piano, parfois non. Mais je crois qu’au piano, c’est peut-être plus difficile. J’aime les challenges. La guitare me vient un peu plus facilement. Donc je crois qu’il faut que je sois dans le bon état d’esprit pour composer à la guitare d’une certaine façon. Mais j’adore jouer au piano, m’exercer, m’entraîner, muscler mes doigts, tous ces trucs. J’aime vraiment cet instrument. Il m’inspire tellement.
J’adore la guitare aussi mais le piano est juste… massif. Quand tu joues seul dans une pièce, le son est tellement riche, inspirant.
Est-ce qu’en pensant préalablement au morceau, vous vous dites, ce morceau sera à la guitare, celui-là au piano ?
Non. Parfois je m’assois pour jouer et à l’instant où je commence à jouer je sens que je peux écrire une chanson.
Je viens de réaliser la bande originale d’un film. Pour Guillaume Nicloux. C’est un réalisateur indépendant. C’est lui qui a fait Valley of Love. Je ne connais plus le titre français.
Le film pour lequel j’ai réalisé la bande son est juste incroyable. Je l’ai juste terminée avant de venir pour cette tournée. Guillaume Nicloux voulait une musique originale donc je l’ai composée en totalité. J’ai vraiment adoré le faire. J’ai dû composer tous les jours pendant deux mois. Je lui envoyé des tonnes de bouts de morceaux, de parties de musique. Comme ça l’inspirait, il me renvoyait alors de nouvelles idées. Et ainsi de suite. On s’est mutuellement inspiré et on a pris beaucoup de plaisir à créer ensemble. C’est vraiment quelque chose de nouveau, que je n’avais jamais fait auparavant et j’ai vraiment apprécié.
Ils m’ont envoyé les images et m’ont donné la liberté de faire ce que je voulais. C’est un film qui se passe avant la seconde guerre mondiale, quand l’Indochine était une colonie française. C’est assez violent, très intense. Les épreuves par lesquelles passent le personnage principal se révèlent très dures et c’est un film très émouvant. Ça a été filmé en 35 mm et le Vietnam y est magnifique, luxuriant.
[Les lumières grillent et on se retrouve dans le noir. On rigole. On en profite pour raconter à Shannon notre interview avec son ami Yann Tiersen, dans le noir complet, son visage sporadiquement illuminé par le rougeoiement de sa cigarette, et le temps suspendu qui en a découlé. Ainsi que les brûlures de cigarette... On reprend.]
La batterie, le rythme sont vraiment des éléments importants dans votre musique…
Oui, essentiels. Pour moi, le rythme est tellement important.
J’aime la façon dont la musique s’empare de notre corps.
Peut-être que ça vient aussi de quand j’étais enfant : j’écoutais beaucoup de soul, j’aimais les beats disco. C’est avec ça que j’ai grandi et je n’ai donc jamais éprouvé le besoin de faire un rythme rock’n roll standard. Pour moi, le beat de la grosse caisse est très important. Mais en fabricant un motif rythmique, on tombe facilement sur des rythmes rock’n roll habituels. J’aime aller chercher ailleurs, davantage vers une idée du funk, de la soul. Qui sont davantage liés à la danse. Mais pas à la danse versant techno, plutôt à ces danses old school comme James Brown, qui tournent autour du groove. Vraiment, pour moi, le groove d’un morceau est quelque chose d’essentiel.
J’ai écrit beaucoup de parties de batterie, et ce que m’en ont dit les batteurs, c’est qu’eux n’auraient jamais pensé à les envisager de cette manière, justement parce qu’ils sont batteurs. Comme je joue de la guitare, du piano, j’envisage les choses de manière différente. Et ça fonctionne vraiment bien pour tout le monde.
Sur scène, vous chantez Accidentally seule au micro, sans jouer en même temps, ni de guitare, ni de piano, ce qui n’arrive presque jamais (on se souvient seulement de Father il y a longtemps sur la tournée d’Honeybee Girls). Pourquoi avez-vous choisi de présenter ce morceau de cette manière sur scène, on pourrait presque dire sans la protection qu’offrent les instruments ?
D’une certaine manière, il y a une protection… Quand j’ai décidé d’écrire ce morceau, comme je vous l’ai déjà dit, j’ai choisi d’utiliser un vieux Casio des années 80, un instrument ridicule, un instrument pour les enfants pour écrire une chanson vraiment profonde, qui touche le cœur. C’était comme un challenge pour moi. C’est une chanson très émouvante.
J’en ai parlé à David et Raphaël, en leur disant que je n’avais pas envie de la jouer sur scène, que peut-être eux pouvaient le faire et que moi je chanterai. Que ça me permettrait d’être plus impliquée dans la chanson, sans avoir à m’inquiéter de jouer les bonnes notes sur le Casio. Et en fait ça m’a vraiment apporté davantage de liberté de ne pas avoir à jouer et à chanter en même temps. J’apprécie d’avoir ce moment différent dans la dynamique du set. En réalité, d’habitude je ne « chante » pas vraiment. Donc là, c’est un moment où je me concentre uniquement sur le chant.
A ce propos, est-ce que ce n’est pas difficile de plonger dans vos morceaux qui sont émotionnellement très riches, tous les soirs ?
Non, parce que je crois que c’est important pour tout le monde que tout ça puisse sortir.
C’est un moment où je suis complètement moi-même. D’une certaine manière je suis vraiment vulnérable face au public, mais je m’en moque. Parce que je sens que je suis honnête quand je dis : « Ok, je suis avec vous. Je veux que vous soyez avec moi. » Nous sommes tous pareils, nous sommes ensemble. Pour moi, c’est la chose la plus importante, la plus belle. Parce que nous en avons tellement besoin. Traverser la vie est tellement difficile pour chacun d’entre nous, alors si nous pouvons tous partager ce moment ensemble, nous rapprocher un temps avant de repartir vers nos vies, vers tout ce dont on soit s’occuper…
C’est ce que la musique a fait pour moi. J’essaie juste de continuer à faire ce que la musique fait pour moi en temps qu’auditrice.
Je ne sais pas si vous pourrez nous répondre. Comment faites-vous pour vous préparer à ce moment sur scène ?
Je ne me prépare pas (explosion de rires).
Je ne me prépare pas du tout. Aussitôt que la musique débute, le moment commence. Il n’y a aucune préparation. Je laisse les choses venir, comme elles viennent, comme elles sortent naturellement. Parfois de petites choses me distraient, comme le son de l’ampli, trop grave, ou trop brillant… Des choses comme ça. Et je hais cela parce que cela me distrait de la musique. J’essaie toujours, encore, d’atteindre ce moment où je ne pense à rien d’autre. Et quand cela arrive, je suis pleinement heureuse.
C’est une joie pour moi. Ce n’est pas laid, ce n’est pas sombre à la folie. Oui, bien sûr, ce sont des émotions profondes, entières. Mais il y a toujours cette beauté en elles. Je me sens très chanceuse d’avoir l’opportunité de pouvoir vivre ça. Je suis toujours très reconnaissante.
Vous jouez depuis longtemps maintenant. Est-ce que votre manière de composer a évolué ?
Oui, bien sûr. On grandit, on évolue en temps que personne, on ne change pas forcément, mais on a un meilleur aperçu, une plus grande acuité que lorsqu’on était plus jeune. Parce qu’on comprend peut-être mieux les choses.
Il y a peut-être aussi davantage de peurs. Quand on est jeune, on a cette sorte d’écran devant les yeux avec cette idée qu’on peut changer le monde. En vieillissant, on se rend compte que ce n’est pas aussi simple que ça.
D’un côté, ça devient donc plus angoissant. En tout cas pour moi.
Je crois que j’ai gagné en profondeur en vieillissant, avec ce que cela implique. Sans perdre le souvenir de ce que c’est que d’être plus jeune. C’est juste une histoire de croissance. Je suis plus grande, plus mature que lorsque j’ai commencé.
Ce qui est frustrant pour moi, quand je pense à la musique, c’est lorsque quelqu’un compose sans chercher à progresser. Vraiment, on peut aller beaucoup plus loin, tellement plus loin lorsqu’on cherche à progresser. Bien sûr seulement si l’on est honnête, juste, avec soi-même et qu’on ne fait pas de la musique simplement pour vendre des disques. Il est important de rester l’artiste que l’on est. Si on y parvient, la profondeur que l’on peut trouver est tellement plus grande que lorsqu’on a, je ne sais pas, 27 ans. Ce n’est pas une mauvaise chose d’être jeune, on peut aussi faire de la musique profonde à cet âge-là mais ça ne doit pas être « j’ai 35 ans, maintenant je dois m’arrêter. ».
La musique est une forme artistique essentielle et grandir en tant qu’artiste est aussi une chose essentielle. Je crois que ça arrive de moins en moins de nos jours.
Thomas [Rabillon] a réalisé une magnifique vidéo à Rome, pour Lighthouse [drag us in]…
Thomas m’a beaucoup filmée depuis des année. Il a des tonnes de rushes qui n’ont jamais été utilisées. Je crois qu’il aimerait faire un documentaire. L’autre jour, on en a parlé, mais il n’a pas encore décidé. Je crois qu’il veut faire le film sur plusieurs années. On verra où il veut aller. On ne sait pas. C’est un ami très proche. Je l’adore. C’est sûrement la seule personne avec laquelle je me sens à l’aise avec la caméra. On a fait beaucoup d’entretiens filmés privés, et je suis très prudente avec tout ça, mais parce qu’on est très proche, c’est plus facile avec lui. C’est un garçon brillant. Je suis heureuse.
Dans cette vidéo, c’est un peu comme si on arrivait à vous voir tous les deux…
Oui, vraiment.
J’adore son travail.
C’est le piano sur lequel j’ai enregistré Division.
En fait j’ai enregistré cette chanson pour ma meilleure amie. Les paroles n’ont pas nécessairement rapport avec notre amitié, mais c’était son anniversaire et je n’avais plus du tout d’argent pour lui offrir quelque chose. Donc je lui ai dit « je t’ai écrit cette chanson, joyeux anniversaire … »
Wahh, quel cadeau ! (rires).
C’est drôle parce que Raphaël et David me disent : « euh, tu sais, mon anniversaire, c’est la semaine prochaine… » (rires).
Elle a été très touchée.
Mizotte et Cabecou ont également réalisé une magnifique vidéo. Est-ce que vous avez travaillé ensemble ?
Oui. Nous nous sommes rencontrés par l’intermédiaire d’amis communs. J’aimais leur travail et ils aimaient le mien. On a parlé de collaborer ensemble. Je leur ai dit que je voulais faire quelque chose autour des films d’une des pionnières de l’animation qui a travaillé avec des papiers découpés [après recherche, il nous semble qu’il s’agit de Lotte Reiniger, mais sans certitude]. J’aime vraiment ses films. Je voulais faire une bande musicale. Tout ça, en fait, avant qu’on ne parle de faire cette vidéo ensemble avec eux. Mon idée était de donner deux ou trois concerts, de montrer le film, de demander à mes amis Yann Tiersen et Warren Ellis, de Dirty Three, de jouer avec moi. Et comme il y aurait eu ces invités, ç’aurait été pour une soirée, pas pour une vraie tournée. Mais ça n’a pas marché.
L’Orchestre de Paris a fait exactement la même chose, à peine deux mois après que je n’en aie eu l’idée, ce qui est assez dingue.
Donc, finalement, quand je leur ai parlé, je leur ai dit que ce serait chouette s’ils pouvaient se servir de papiers découpés animés. Je voulais un loup. Il y avait aussi ce livre japonais que j’avais offert à des amis, en noir et blanc, tout à fait similaire, sans textes, avec seulement les illustrations… L’idée originelle était de faire un cd, avec un volcan en éruption et une ville qui s’écroulait. Et tous les animaux regardaient cela d’en haut : « vous les humains, vous avez fait ça !» Finalement ils ont changé un peu l’histoire, mais je suis très heureuse car elle tourne autour de la même idée. Ils ont fait un travail magnifique.
Vous avez dit que leur travail « donnait vie à l’inoubliable loup qui vit dans votre tête. » (Rires). C’est le même loup que vous dessinez sur nos disques quand vous les signez ? (Re rires.)
Peut-être. Je ne sais pas. Pour ce loup, je me souviens qu’étant petite j’ai vu ce film qui m’a beaucoup touchée. C’était un film pour les enfants. C’était l’histoire d’un loup, à l’époque où Los Angeles grandissait, grandissait et cette croissance énorme chassait les animaux plus loin dans la forêt. Mais ce loup continuait de revenir dans les parages parce que c’était sa maison. Ce film m’a tellement touchée quand j’étais petite… Les loups sont en même temps assez effrayants et intenses, mais aussi tellement beaux. [Après recherche, on penche pour « The Legend of Lobo », mais sans certitude, là encore]. Je crois que je me sens liée avec cet animal. Peut-être que j’étais un loup dans une autre vie, qui sait…
Un loup noir. (Rires)
[en français] Ah oui.
Je crois qu’il y a un lien…
A bridge…
Oui. (sourires)
On a lu que vous n’aimiez pas trop en parler mais on aimerait en savoir plus à propos de Crowsdell, parce que c’est là que vous avez commencé…
C’était un tout petit groupe. C’est étrange parce que ce sont les premières chansons que j’aie jamais écrites. Je crois que j’ai écrit peut-être cinq chansons et on s’est immédiatement retrouvé à faire un album sur une grosse maison de disques. Je ne jouais de la guitare que depuis un ou deux ans, je crois…
Je suis encore une enfant sur cette musique. Vous savez, souvent, les gens attendent un long moment, font souvent partie de plusieurs groupes pendant une longue période avant d’être signés. Alors que nous, nous avons enregistré l’album avec Stephen Malkmus [Pavement] avant de partir directement en tournée, pour jouer devant 2000/3000 personnes. On était simplement des gamins de Floride. C’est une incroyable expérience, mais on était juste des gamins timides, gentils. A cette époque-là, j’en étais encore à me demander comment on écrivait une chanson, comment ma voix sonnait dans le micro. C’est comme si c’était un embryon de ce que j’ai pu faire par la suite.
[David et Raphaël passent la tête par la porte dans le noir, s’excusant de devoir nous couper. Il est temps de plier guitares et bagages et de retrouver la civilisation -chaleur, toilettes et lumières-. On finit donc en quelques secondes, histoire de laisser Shannon et son équipe se mettre au chaud.]
Votre question préférée. En deux mots, vos projets pour la suite ?
Quand j’ai composé la bande originale du film de Guillaume Nicloux, j’ai écrit beaucoup de musique. … J’ai donc commencé à composer mon prochain album. [Explosions de joie de notre part suivie de rires]
J’en ai joué quelques parties à David et il a été très enthousiaste. Ils ont l’air d’être emballés. Donc on va voir, peut-être qu’on enregistrera l’année prochaine… [2018]
Photos live, prise de son et aide à la traduction : Caro
Un immense merci (encore et toujours) à Guillaume Le Collen de Vicious Circle pour avoir rendu tout ça possible une nouvelle fois.
Pour ceux qui ne les auraient pas, rééditions vinyles remastérisées (globe audio) sur Vicious Circle des albums de Shannon Wright Let in the Light (sortie originale : 2007) et Honeybee Girls (sortie originale : 2009) le 30 mars 2018.
Plus d’1fos sur Shannon Wright