The Yardbirds – Greg Russo

Certains groupes des sixties ont eu une influence notable sur la musique moderne. On pense aux Beatles, aux Stones et peut être aux Kinks ou aux Who (qui ça ?). Mais rares sont ceux qui vont citer les Yardbirds, ce groupe génial mêlant les racines du Blues et la musique expérimentale. Mais leur fait d’arme le plus important, est d’avoir compté en leur sein, les trois plus mauvais guitaristes du rock, Eric Clapton, Jeff Beck et Jimmy Page.

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Le groupe voit le jour au début des années 60 à Londres. Dans ces années là, tous les futurs protagonistes du British Rythm & Blues se côtoient dans les clubs ou dans les écoles d’art qui sont un vivier pour les groupes de rock. La première mouture du groupe se stabilise avec Keith Relf au chant, Chris Dreja à la guitare rythmique, Jim Mc Carty derrière les futs, Paul Samwell-Smith à la basse et Eric « Slowhand » Clapton à la guitare solo. Le groupe joue principalement des adaptations de Blues. Mais à la différence des Stones qui jouent des chansons courtes, les Yardbirds font durer les chansons et les improvisations sont une partie importante de leur show. Les Yardbirds sont un groupe plus orienté vers les interprétations Live que par les versions figées du studio. Logiquement leur premier disque est un disque Live, le fameux « Five Live Yardbirds ».

Five-Live-Yardbirds

Malgré un très bon niveau technique et de très bons concerts, le groupe a du mal à percer au niveau des ventes de disques. Les premiers essais (Boom Boom de John Lee Hooker, Good Morning Little Schoolgirl) ne sont pas concluants. On leur propose alors « For Your Love » d’un inconnu de Manchester, Graham Gouldman. Clapton déteste le morceau aux consonances Pop avec notamment des parties de clavecin. Il fait sa vierge effarouchée et quitte le groupe. Manque de pot, le titre est un tube et son départ l’empêche de toucher les dividendes de son travail. Tant pis pour lui et bon vent.

Le remplaçant pressenti est un requin de studio du nom de Jimmy Page. Il a joué sur un bon nombre de disques de l’époque, comme le solo terrifiant du « Please Baby Don’t Go » de Them. Mais Page n’a pas envie de se risquer sur un groupe qui n’a pas encore percé. Il propose alors Jeff Beck, un autre guitariste assez doué mais qui a l’air de sortir d’un garage auto. Le premier boulot du manager Giorgio Gomelsky est de lui couper les cheveux et de lui acheter un costume correct. Les Yardbirds, vont devenir le sommet de sa carrière vestimentaire et musicale. Sous l’impulsion de Jeff Beck, le groupe va s’aventurer vers des contrées qu’il n’aurait pas pu imaginer. C’est un guitariste instinctif. Il joue sur des guitares qui ne sont jamais accordées, mais il est toujours juste. C’est un des premiers à faire un usage intensif des effets, comme le Feedback, la distorsion ou la Fuzz.

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Le groupe enchaine les tubes. Gouldman leur propose « Heart Of Soul » avec une intro au sitar que personne n’arrive à jouer. Jeff Beck réussit alors l’exploit d’imiter le son du sitar à la guitare. Le titre cartonne et monte à la 2ème place des Charts. Le batteur de Manfred Mann de son coté amène « You’re A Better Man Than I », un titre très soul, dont la thématique rappelle étrangement le « You Can’t Judge A Book By Its Cover » de leur idole Bo Diddley. Le groupe commence aussi à composer. Des titres sont proposés indifféremment par les uns ou les autres. Dans les plus belles réussites on a le lugubre « Still I’m Sad » avec son chant grégorien, « Shape Of Things » inspiré par le « Pick Up Sticks » de Dave Brubeck, ou « Over Under Sideways Down » issu d’un parfait travail collectif. C’est l’apogée du groupe. Les Yardbirds maitrisent aussi bien leurs gammes issues du blues (voir leur version de « I’m A Man » de Bo Diddley) que des chansons plus élaborées voire expérimentales mais toujours dans une veine Pop. Difficile de faire mieux.

L’équilibre va être rompu par le départ du bassiste Paul Samwell-Smith. Le poste est de nouveau proposé à Jimmy Page qui se laisse tenter. Il faut dire que les Yardbirds plafonnent aux sommets des Charts et que Page flaire la bonne affaire. Et on peut lui faire beaucoup de reproches, mais pas celui de son sens des affaires. Après quelques ajustement, Dreja passe à la basse tandis que Page récupère la guitare. Puis après plusieurs défections de Beck souffrant, il passe à la guitare solo. Belle progression pour un nouvel arrivant. Le groupe compte donc 2 guitaristes solos, chose assez inédite.

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C’est ce line-up que l’on retrouve dans « Blow up » le chef d’œuvre de Michelangelo Antonioni sur le Swingin London des années 60. Pour l’une de ses séquences, Antonioni voulait un groupe. Il ne pourra avoir ni le Velvet Underground, ni Tomorrow, ni les Who. Il se rabat sur les Yardbirds. Ils joueront le Tain Kept-A-Rollin’ version Burnette Trio mais avec des paroles modifiées à cause d’un problème de droit d’auteur. Le groupe est en feu et Jeff Beff énervé, détruit sa guitare produisant une scène choc dans le film assez lent d’Antonioni. Si la scène est jouée, Jeff Beck est mal à l’aise dans cette configuration. Il se sent en compétition perpétuelle avec Page. L’équilibre est de nouveau instable. Ils enregistrent néanmoins « Happenings Ten Years Time Ago » un nouveau single très en avance sur son temps, qui pourrait préfigurer le Post-Punk. Le disque est un échec et Jeff Beck usé par les tournées lâche le groupe fin 66.

Le départ de Jeff Beck laisse un plus grand vide que celui de Clapton. Page n’a pas le grain de folie qui pourrait transcender le groupe. Les tournées s’enchainent et le groupe est toujours aussi remarquable sur scène. Mais le nerf de la guerre, ce sont les disques, et comme toujours les Yardbirds n’arrivent pas à reproduire leur énergie sur les galettes noires. Il manque un catalyseur. Qu’ils ne soit pas de grands compositeurs complexifie le problème. Leur manager leur fait jouer des chansons qui ne correspondent pas du tout à leur style. Le dernier album « Little Games » pour ces raisons est un cran sous les précédents. En 68, le groupe part en sucette. Relf et Mc Carty veulent faire du folk-rock et donnent leur démission. Page continue avec Dreja, mais il a déjà d’autres projets en tête et part faire son Led Zeppelin. Les érudits du rock admettent communément que les Yardbirds furent le bac à sable dans lequel Jimmy Page a puisé les éléments pour son futur super groupe. Pour ma part, je pense que Led Zeppelin fut, a l’inverse, une version pauvre et abâtardie des flamboyants Yardbirds. Quoi qu’il en soit, laissons le mot de la fin à Chris Dreja. « Jimmy a fait fortune avec Led Zeppelin, qui n’est, quelque part qu’un prolongement des Yardbirds. J’aimerais bien que Jimmy sorte de ce schéma, pour l’amour de l’art, pour la musique. Par rapport à ses capacités et à son talent, il joue vraiment de la daube ».

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Le livre de Greg Russo est un pavé de presque 600 pages qui devrait ravir à peu près tous les publics. En plus de la biographie extrêmement précise et détaillée du groupe, une très riche iconographie illustre l’ouvrage ainsi que de très nombreuses annexes qui listent les discographies du groupe et de leurs membres, le détail de toutes les sessions d’enregistrement ainsi que la liste exhaustive de l’ensemble des concerts. Le livre est vivant, bien écrit et très bien traduit. Il se lit avec plaisir grâce aux mille anecdotes qui ponctuent le récit. Greg Russo donne aussi une liste de rééditions qu’il faut absolument se procurer. De mon coté, je conseillerais de se ruer sur les rééditions du label allemand Repertoire. Le label n’existe plus, mais on peut encore dénicher facilement leurs superbes digipacks. Sinon, Rhino a publié un double album ‘Ultimate’ qui peut parfaitement convenir. Quoi qu’il en soit, n’importe quoi fera l’affaire, pour vous convaincre qu’avant de faire du Heavy Blues indigeste ou pire du Blues insipide, certains guitaristes, quand ils se mettaient au service d’un groupe, pouvait produire des pans de musique tout à fait excitants.

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The Yardbirds – Greg Russo – Camion Blanc – ISDN : 9782357790636
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