Essai : Retromania

Quand on a envie de chercher un nouveau bouquin parlant intelligemment de musique, on a de grandes chances d’aller voir ce qui sort chez « Le Mot et le Reste » (c’est un compliment, maintenant vous pourriez peut-être faire un effort sur la relecture ?). En voyant un titre signé Simon Reynolds, on se dit qu’on ne va pas pouvoir passer à côté. Ce gars a déjà maintes fois prouvé qu’il savait penser cet art-là, prenez parmi d’autres l’exemple de ce qu’il disait en inventant l’étiquette post-rock. Mais quand on voit quelle est sa thèse, l’enthousiasme baisse d’un cran : « Retromania, comment la culture pop recycle son passé pour s’inventer un futur. » dénigre a priori les évolutions récentes. On risque de se taper plusieurs centaines de pages de c’était-mieux-avant. Reynolds est-il devenu un vieux con ?

Le livre est découpé en trois parties (en plus de présenter une introduction ET un prologue) : aujourd’hui, hier, demain.

Dans la première, le monsieur nous parle d’abord de musées du rock, de reformations, de documentaires à la gloire du passé. Premier « c’est-vrai » : on n’a jamais autant célébré le patrimoine. Puis il est question de youtube, de l’i-pod etc … Deuxième « c’est-vrai » : on est dans une époque où le passionné de musique risque la noyade. On apprend ensuite l’existence du curateur rock, pas un fan de Robert Smith mais une sorte de commissaire d’exposition/compilateur, enfin on fait un tour au Japon, le pays où tout le monde peut avoir un public et où copier les autres c’est leur rendre hommage.
Tout cela est tellement bien raconté qu’on commence à s’incliner. Et la déprime s’installe.

La deuxième partie, « Hier », est là pour nous montrer que les regards dans le rétroviseur existent depuis toujours ou presque. Ce qui a quand même un côté rassurant. Dans les années 70, on regrettait les 50’s, les années 80 ont connu un retour des 60’s etc …Le punk avait une bonne base réactionnaire. D’après Reynolds ce sont tous les à-côtés de sa musique qui en ont fait de la dynamite. Car notre érudit ne se cantonne pas à la passion des sons. Les évolutions de la mode nous sont narrées. Les parallèles sont sacrément éclairants.
Le panorama des passéistes de tous poils (Northern Soul, Mods, Deadheads) est très amusant.

« Demain » nous emmène dans l’espace. Après avoir décerné bons (l’hantologie) et mauvais points (le mash-up), Simon s’avoue fan de SF, cette littérature qui jadis, racontait l’avenir. Et c’est là que ça recoince, où on se dit qu’on avait raison. Notre Londonien-Californien est né en 1963. Selon lui, la pop a connu trois périodes d’avancées majeures : les sixties, le post-punk (oui, c’est lui qui a écrit « Rip-it Up and Start Again ») et le mouvement rave dans les années 90. Soit : son enfance, sa plongée dans la musique et sa période jeune journaliste.

 

simon-reynolds

 

Le (soi-disant) retour des guitares des années 2000 ne l’a (pour le moins) pas emballé. Le premier mot qui lui vient à l’esprit pour qualifier cette décennie est : « plat ». Passons sur la limite de ses goûts : on avait l’habitude que la musique violente soit totalement écartée, elle ne cesse pourtant d’inventer, d’incorporer, de polliniser. Attardons-nous plutôt sur cette liste de grands groupes, censée montrer que les 12 dernières années n’en ont pas connu, les deux derniers sont Guns and Roses et Nirvana. Qu’est-ce qui distingue ceux-là de leurs contemporains ? le succès ! Simon, tu sais quand même ce qui est arrivé à l’industrie musicale au XXIè siècle ?

Comme on a lu (et beaucoup aimé) son précédent livre, il nous revient cette phrase où il disait en substance ressentir comme un début de constipation à force de s’enfiler du post-punk (qu’il défend pourtant). Nous constatons que l’écoute en continue de la pop des années 2000 nous procure un autre sentiment : le bonheur. Mc Lusky, Radiohead, The Notwist, Phoenix, Bloc Party, Arctic Monkeys, Animal Collective, TV On The Radio, Modest Mouse, Liars, The National, MGMT… On pourrait continuer longtemps.

Quand William Gibson (l’auteur de SF) voit le futur partout autour de lui, Reynolds ne perçoit que la permanence.

Et pourtant. Vous en connaissez beaucoup des rock critics capables de citer Badiou, Derrida ou Barthes de manière appropriée, des journalistes qui sont allés un peu partout interroger les acteurs les plus intéressants de cette histoire, des auteurs qui balancent toutes les 3 pages des anecdotes qui ne font pas qu’illustrer, faire marrer ou interroger mais tout ça à la fois et plus encore ? Parce qu’une des plus grandes qualités de Retromania est de faire sacrément cogiter.

Simon Reynolds est un vieux con. Un vieux con passionnant. Puissions-nous vieillir moitié aussi bien.

Retromania
Simon Reynolds
Le Mot et le Reste
480 p, 26 €

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