Originaire à la fois de Bordeaux et de Paris, Arch Woodmann a déjà sorti un premier album autoproduit en 2007, et un second opus remarqué, Mighty Scotland il y a deux ans chez Monopsone – Differ Ant. Nous avons découvert ce groupe à l’occasion de la tournée pour la sortie de l’EP Life Forms Found on a Life Boat. Cet EP est une petite merveille : naviguant entre pop et folk, le tout mâtiné d’envolées post-rock classieuses, c’est un véritable concentré de mélodies accrocheuses. Vous y ajoutez des voix somptueuses, et vous avez entre les oreilles un petit bijou musical. Nous avons revu le quintet devenu quatuor à l’occasion de la dernière édition des Bars en Trans : le line-up d’Arch Woodmann s’est en effet stabilisé sous forme d’un quatuor composé d’Antoine Pasqualini (batterie, guitare), Lucie Marsaud (clavier, guitare), Thomas Rozec (basse), et Benoît Guivarch (guitare). Ce tout nouveau set était ponctué de titres du tout nouvel album paru le mois dernier, et on avait été surpris de découvrir des morceaux beaucoup plus pop-rock. L’écoute de ce troisième album éponyme avait confirmé cette impression : des titres qui sonnent clairement pop, mâtinés d’électro et de rock. Un virage musical qui fonctionne à merveille sur cet opus délicieusement marqué de l’empreinte DIY. Et aussi difficile que cela puisse paraître, c’est encore mieux en live ! Le concert donné à l’Antipode à l’occasion du festival des Embellies nous a confirmé tout le bien que l’on pensait de ce groupe : le quatuor réussit la prouesse de passer d’une petite ritournelle pop entrainante à la profondeur d’un morceau post-rock puissant avec une remarquable fluidité. Benoît et Antoine ont gentiment accepté de répondre à nos questions peu avant leur concert. Rencontre avec l’un des groupes les plus excitants de la scène pop-rock.
Photos : Solène
Alter1fo : Si vous deviez vous présenter en quelques mots, que diriez-vous ?
Antoine : Nous sommes un groupe de pop. La caractéristique principale du groupe est la mise en avant de la batterie sur scène. On s’est aussi tous mis en paquet sur scène, on joue très proche les uns des autres.
Benoît : Il y a une très grosse vocation scénique en ce moment, même si ça suit la sortie d’un album.
Antoine : On fait quasiment des disques pour faire de la scène.
Tu parlais justement de groupe. C’est votre troisième album mais il est éponyme. Généralement, l’album éponyme est le premier. Considérez-vous cet album comme le premier en tant que groupe ?
Antoine : Ce n’est pas vraiment parce qu’on est devenu un groupe à ce moment-là. C’est vraiment parce que c’est celui qui nous représente le plus : une synthèse de ce qu’on avait fait avant, avec un côté plus pop et plus direct. C’est le disque dont je suis le plus fier, et je pense que c’est le cas pour tous les membres du groupe.
Benoît : Oui, c’est un disque qui a été beaucoup travaillé par Antoine et Lucie. Sur l’enregistrement c’est Antoine avant tout et sur scène c’est l’ensemble du groupe.
On retrouve deux titres de l’EP Life Forms Found on a Life Boat sur cet album, What Did You See et That Summer : c’était une volonté dès le départ ?
Antoine : Il y a eu tout un échange avec le label Platinium Records, avec qui on a signé peu de temps avant l’enregistrement de l’album. Ils nous ont rencontrés par le biais de l’EP : c’était pour moi les deux titres porteurs du disque. On tenait à ces titres parce que l’EP a un format assez difficile à défendre. Les morceaux n’avaient pas été suffisamment exposés, portés au public.
On voit l’EP comme une transition entre Mighty Scotland et le nouvel album. Le choix de ces deux chansons, les plus pop de l’EP, correspondent bien à la coloration de ce troisième album. On sent que le côté folk et post-rock a disparu, au profit d’une pop indé plus directe et plus immédiate.
Antoine : En fait tu réponds mieux à la question que moi (rires). En effet, ce sont les deux titres les plus pop, on ne va pas dire des autoroutes mais qui sont assez directs. C’est principalement avec ces deux titres que j’ai senti qu’on prenait une nouvelle direction, qu’on commençait à être décomplexé vis-à-vis de certaines choses : on a introduit plus de claviers, des chœurs plus rigolos, comme le « cha cha cha » de That Summer. Effectivement, c’était deux morceaux qui représentaient des pistes pour les titres à venir.
Sur les précédents enregistrements, pas mal de styles se côtoyaient, alors qu’il y a là une plus grande homogénéité.
Benoît : C’est assez difficile de répondre à ça quand tu es à l’intérieur du projet. Je trouve que ça part encore dans tous les sens ! Mais il y a peut-être quelque chose qui lie l’ensemble, c’est le développement des chœurs. Et c’est aussi le cas sur scène. Déjà parce qu’on adore ça ! Et on trouve que c’est un bon moyen de partager les choses avec le public.
On avait déjà remarqué cette différence entre vos deux passages rennais (en mars 2012 au Sambre et en décembre 2012 à la Trinquette), avec une plus grande mise en avant des chœurs. Il y avait aussi des passages où Antoine était seul à la guitare il y a un an. Il y a eu une évolution, non ?
Antoine : C’est aussi le développement en tant que groupe.
Benoît : Entre temps, il y a eu des résidences. On a aussi bossé récemment avec le Krakatoa à Bordeaux. Ça nous a permis de développer ce travail de groupe : on s’est rendu compte qu’on avait tous envie de chanter. Il y a même des parties lead qui commencent à être chantées par d’autres membres du groupe, comme Lucie sur I Should Be Fine, moi aussi sur scène sur Turn Twenty Again.
Antoine : On essaye de faire une meilleure répartition du travail en fait (rires).
Pourquoi avoir réenregistré What Did You See pour l’album ?
Benoît : Il y a eu un vrai travail de direction artistique de la part du label. On leur a envoyé des mix, ils nous les ont renvoyés en nous demandant un peu plus de choses. On a travaillé différemment, avec des gens qui ont déjà une grosse expérience. Ils nous ont aidés à affiner notre son. Je suis vraiment content du résultat.
Antoine : Pour What Did You See, on était en toute fin d’enregistrement avec Romain (qui a réalisé le disque). On était vraiment dans un état de fatigue avancé : et ça nous a excité de faire quelque chose qui tabasse.
Il y a toujours ce sentiment d’une chevauchée.
Antoine : Oui, c’est la chevauchée ! C’est notre côté « cheveux dans le vent ».
Benoît : Là, c’est un peu plus « cheveux dans le synthé » (rires)
Comment composez-vous ? C’est plutôt Antoine qui compose et le reste du groupe qui affine sur les arrangements ?
Antoine : C’est moi qui compose les morceaux à la base. Ça change en fonction des morceaux : Lucie a beaucoup travaillé sur les claviers avec Romain. Benoît a effectué le travail sur les guitares. C’est le début d’une nouvelle manière de composer. On se rend compte qu’on gagne beaucoup sur la composition collective. C’est bien d’avoir l’un d’entre nous qui apporte quelque chose d’assez construit, ça permet de gagner du temps. Mais il y a plein de couleurs auxquelles on ne pense pas forcément quand on compose un morceau. Les morceaux sont plus vivants quand on fait rentrer d’autres idées dans le processus de création.
D’où la richesse des arrangements ?
Benoît : Les morceaux sont passés par de nombreuses phases, ils ont énormément évolué depuis les premières maquettes d’Antoine.
Antoine : Ils ont tous été composés très rapidement, avec des collages, etc… Ce sont les arrangements qui ont permis aux titres d’évoluer pendant plusieurs mois.
L’architecture de base est pop, mais vous y ajoutez pas mal de choses : vous avez le sentiment d’avoir trouvé un « son Arch Woodmann » ?
Antoine : Quand j’y repense, je trouve Mighty Scotland un peu tristoune. J’ai eu envie que notre musique fasse bouger un peu plus, et qu’elle touche éventuellement un peu plus de personnes aussi, même si ce n’est pas ça qui dirige la composition des morceaux. On s’est aussi décomplexé par rapport à ce qu’on peut écouter : aimer Godspeed You Black Emperor et écouter aussi Justin Timberlake.
Benoît : On a tous eu une phase où on a énormément écouté d’indé, on ne jurait que par ça. Depuis deux, trois ans, il y a une forme de détente, on commence à réécouter pas mal de choses différentes, du r’n’b, de la bossa… On assume aussi tout ce qu’on a écouté en secret pendant des années, sous prétexte qu’on faisait partie de la chapelle indé. On a dépassé ce cap-là.
Antoine : On avait aussi un nouvel entrain avec le groupe, on a trouvé notre équilibre dans le line-up. C’est arrivé aussi au moment où on a signé avec Platinum. Quand on a proposé d’écrire des morceaux qui allaient faire bouger la tête, on s’est rendu compte qu’on était entouré d’une équipe de gens motivés.
Les orchestrations sont vraiment riches sur album, comment faites-vous pour retranscrire ça sur scène ?
Benoît : Non, ce ne sont que des bandes (rires).
Antoine : Effectivement, on a été obligé d’inclure quelques bandes : il n’y en a pas beaucoup au final. On charge pas mal Lucie ! Elle a deux claviers, une guitare. Les chœurs prennent aussi beaucoup de place. On reprend par exemple une partie de trompette à la voix. Au final, on ne perd pas forcément en efficacité par rapport aux arrangements.
Benoît : Les quelques bandes ne sont jamais vouées à remplacer un musicien. Ça permet juste de grossir un peu le son à quelques moments. Il n’y a aucune frustration là-dedans.
Antoine : On est suffisamment focalisé sur nos instruments pour s’emmerder avec des bandes. Il faut se caler dessus, c’est un peu galère.
Benoît : Quand on est dans le public, on n’a pas forcément envie de revivre l’album sur scène. On propose des choses différentes qu’on assume complètement, et qui nous intéressent plus. Ça nous fait évoluer vers un autre album.
Antoine : Ça peut permettre aux gens qui ont assisté au concert et qui ne connaissent absolument pas le groupe, de faire le chemin inverse et de découvrir des orchestrations un peu plus riches sur album.
Plutôt que de nous parler de vos influences, si vous deviez citer chacun trois albums sans lesquels vous en pourriez pas vivre, que diriez-vous ?
Benoît : Sail Away de Randy Newman, Antidotes de Foals, qui m’a collé une sacrée claque.
Antoine : L’album blanc des Beatles, The Argument de Fugazi. Je ne trouve pas de troisième…
Efterklang ?
Antoine : Oui, j’ai usé leurs disques, j’aime vraiment ce groupe, mais ça ne sera jamais autant ancré que d’autres groupes que j’ai écoutés quand j’étais au lycée.
Benoît : All Delighted People de Sufjan Stevens ! Je pense qu’on est d’accord tous les deux, non ?
Antoine : Oui !
L’artwork est très réussi comme le précédent. C’est toujours Mathieu Hautquier qui les fait ?
Antoine : Oui, c’est Mathieu Hautquier. C’est lui qui devait prendre la trompette mais il joue avec les Crane Angels maintenant. Mais il a fait les trompettes sur l’album.
Vous lui avez passé commande pour la pochette ou c’est lui qui vous a proposé des choses ?
Antoine : On avait une idée de base et pendant un mois et demi, on a tourné en rond, on n’arrivait pas à trouver le truc. Et puis un beau matin, il a proposé cette pochette : ça nous a plu et ça a plu au label tout de suite aussi. On aimait bien que l’idée puisse déplaire parfois à certaines personnes. Le premier retour de Magic sur l’album a été très bon mais ils nous ont dit : « qu’est ce que c’est que cette pochette ? » (rires). Au moins on n’est pas dans l’indifférence.
Benoît : Et finalement, ils ont fini par aimer cette pochette !
Mathieu est aussi trompettiste de Crane Angels, toi tu es batteur de Botibol : est-ce que vous êtes tenté de rejoindre le collectif Iceberg ?
Antoine : On n’est pas trop dans le trip « collectif ». Je suis pote avec l’ensemble de ces personnes, mais ils se connaissent vraiment depuis longtemps, certains se connaissent depuis le collège. Sans oublier l’aspect géographique. On est heureux en tant que groupe, ça ne nous empêche pas de nous entendre avec eux mais on n’est pas dans cette dynamique-là.
Benoît : On n’arrive déjà pas à faire quatre heures de route à quatre alors si il faut se taper le bus (rires).
Justement en parlant de Bordeaux comment s’est passé la rencontre avec l’excellent label Platinum Records, qui est plutôt marqué electro à la base ?
Antoine : Oui c’est plutôt marqué électro mais ils ont quand même sorti The Delano Orchestra à une époque, il y a aussi Bikini Machine, Success… Mais ils ont aussi du hip hop américain, c’est assez varié. J’ai fait écouter le disque à deux membres du label, Fabienne et Laurent : ça leur a plu et ils sont venus nous voir en concert. Même si on a fini le concert torse nu, eh bien ils nous ont quand pris sur le label ! (rires)
On vous a vu jouer au Sambre et à la Trinquette dans une ambiance assez décontractée, est-ce que l’on est aussi détendu avant d’aborder une scène comme l’Antipode ?
Benoît : Oui il n’y a aucun problème, on aime bien toutes les configurations : même sur les lieux où l’on sait que ça va être plus galère, notamment au niveau du son, ça se passe bien quand même. En fait on joue très groupé sur scène vers la batterie : on est aussi serré sur une grande scène que sur une petite scène.
Antoine : On s’est rendu compte que cette configuration était idéale parce qu’on peut la transposer sur toutes les scènes : elle fonctionne visuellement dans un bar comme sur une grosse scène.
La question à la fois la plus importante et la moins importante : à propos de vos clips quel est votre film préféré dans lequel joue Patrick Swayze ? (ndlr : le clip de Good God est composé d’extraits de films avec Patrick Swayze)
Antoine : Dirty Dancing forcément !
Benoît : Road House, indiscutablement : c’est le film de mon enfance ! (rires)
Pour les prochains clips, envisagez-vous de vous mettre en scène vous même ?
Antoine : Oui c’est en cours mais ça prend du temps de faire des clips. L’idée du clip de Good God vient de Thomas, notre ancien bassiste : on trouvait que les premières notes du morceau collaient merveilleusement bien avec l’extrait de Dirty Dancing. Pour Turn Twenty Again, je trouve que les images du Monde du Silence se marient très bien avec la musique. C’est un film qui m’a bouleversé : c’était un choc visuel entre la violence des images et en même temps le côté très doux. Ça permet vraiment de voir les images d’une autre manière.
Pour finir, concernant vos projets, vous avez des dates dans les semaines à venir ?
Antoine : On va jouer en mai en Ile de France, puis dans des festivals cet été : vous pouvez retrouver toutes nos dates de concerts sur notre site.
Benoît : On va aussi entrer dans une nouvelle période de composition.
Antoine : Et partager un peu plus la composition.
Merci beaucoup !
Antoine : Merci à vous !
Arch Woodmann : l’incruste au Musée des Beaux-Arts à Rennes en mars, pendant le festival des Embellies :
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