BD en avril : un foutoir créatif, onirique et initiatique

La sélection de ce mois d’avril est à nouveau diablement éclectique, voire limite foutraque. Deux magazines très inspirés, une revue-nègre onirique et le retour de Jérôme. Pas vraiment de lien entre tout ça, mais au moins, il y en aura pour tous les goûts.

RdVB0413 2Ce n’est guère dans nos habitudes, mais voilà que nous commençons par deux revues.

THCmagazine

On ne va pas vous refaire l’article sur les formidables éditions The Hoochie Coochie dont on a déjà amplement salué la qualité des publications. Les sorties simultanées au mois de mars dernier des deux revues maison, nous incitent pourtant à vous faire une petite piqûre de rappel.
A tout seigneur, tout honneur, l’anthologie séminale Turkey Comix revient pour un imposant 21ème numéro. Comme d’habitude la forme est superbe. Derrière l’élégante couverture linogravée de Christophe Hittinger vous trouverez rien de moins que la totalité des auteurs du cru. Gérald Auclin, Alex Baladi, Yoann Constantin, Gautier Ducatez, Tarabiscouille, Christopher Hittinger… sont donc à nouveau de la partie mais on a aussi le grand plaisir de retrouver L.L. de Mars ou Matti Hagelberg. Impossible de citer la grosse trentaine d’auteurs qui s’en donnent à cœur joie. En effet, l’équipe a décidé de tout simplement s’affranchir des règles fixées pour limiter la croissance exponentielle de la bête (pas de feuilleton, des récits de moins de 20 pages). Résultat, on a donc droit à un véritable feu d’artifice aux formes les plus variées. On y croise par exemple 32 pages en couleurs, une gravure, un superbe cahier sérigraphié de 8 pages… Au delà de la forme, l’épais volume témoigne surtout d’un foisonnement créatif extrêmement réjouissant qui confirme que les publications de la maison sont à suivre de très très près.
DMPP (ex DaMe PiPi Comix), le petit cousin initié par Gérard Auclin revient lui aussi avec son inimitable format italien pour un 9ème tome. On retrouve avec beaucoup de plaisir la formule habituelle de la revue : un très bel article de fond sur Lev Youdine (un illustrateur russe élève de Malevitch) superbement illustré par un carnet couleur, moult critiques de très bons goûts (dont l’excellent Au travail d’Olivier Josso Hamel), des illustrations, des récits… et des gadgets (un safari à monter et un billet fait maison à découper). Encore une revue très dense donc, qui accompagne et complète parfaitement l’autre volume sus-cité.

Chez The Hoochie Coochie, mars 2013
Turkey Comix #21 : format 16 x 21 cm, 344 pages, 23 €
DMPP #9 : mars 2013, format 24 x 15,5 cm, 208 pages, 18 €

blackfacebanjo

Après le sublime Meteor Slim et un Lomax souffrant un peu de la comparaison, Frantz Duchazeau continue sa carrière solo en explorant l’Amérique du Nord du 19ème, avec Blackface Banjo. Au premier coup d’œil, on peut croire que le livre est dans la ligne directe des deux précédemment cités. On y suit un charlot noir et unijambiste, fort habile de sa jambe de bois et navigant entre Minstrel’s show (spectacle où des blancs grimés, jouaient d’atroces sketchs racistes) et Medicine show (où l’on vendait des potions miracles). Alors que notre héros est embauché dans un spectacle où un mystérieux chef indien propose un de ces élixirs, rôde autour de lui la menace du Coon Coon Clan, version black du KKK s’attaquant violemment à ce genre de divertissement.
Sauf qu’à partir de cette intrigue Duchazeau brode un récit bien étrange et onirique. D’éclats de violence en moments franchement bizarres ou burlesques, en passant par des digressions rêveuses, l’album navigue très librement sur un fil ténu qui frustrera sans doute les amateurs de narration linéaire mais ravira ceux qui aiment se laisser porter au fil de l’imagination d’un auteur. Comme nous sommes de la seconde catégorie, nous avons adoré l’album, surtout que le graphisme au fusain au noir et blanc très marqué, est une merveille de fluidité et de dynamisme.
Recommandé donc aux lecteurs n’ayant pas peur de lâcher prise avec le réalisme.

Chez Sarbacane, avril 2013, format 20 x 28 cm, 144 pages, 23,50 €

Jéromeetlaville

Après Flblb et un petit passage chez le Colosse de Jimmy Beaulieu, Nylso et Marie Saur poursuivent chez les Contrebandiers avec Jérôme et la ville, les formidables aventures de l’ex-apprenti libraire et écrivain en devenir.
Si vous ne connaissez pas encore les récits très librement inspirés par Nylso de l’expérience de son ami Jérôme, tenancier de la mythique et, hélas, désormais en sursis, librairie Alphagraph, c’est l’occasion ou jamais de vous y mettre. Vous avez même un petit «Previously in Jérôme» sur les premières pages de l’album.
Après le long périple du tome précédent (Jérôme et la route), notre héros et son amie Sultana sont donc arrivés à la ville. Le premier va partir en quête d’une chambre et d’un boulot compatible avec ses aspirations littéraires, la seconde vient entamer ses études. Les deux sont bien embarrassés par leur encombrante passagère clandestine : une petite fille au caractère bien trempé. Ils décident donc de la laisser en périphérie dans leur roulotte en compagnie de Bourrique le cheval. Mais la demoiselle ne compte pas en rester là.
Même si vous n’êtes pas des familiers du travail de Nylso, vous risquez bien de tomber sous le charme unique de ce splendide récit d’initiation dont la subtilité des dialogues de Marie Saur apporte une superbe musique sur les minutieuses compositions du dessinateur. Une BD qui ne ressemble à aucune autre et dont la poésie et le charme singulier font qu’elle est un de ces si précieux petits trésors, qu’on a à la fois envie de ne garder que pour nous et de partager au plus grand nombre.
A acheter à Alphagraph bien sûr. Profitez-en tant que c’est encore possible.

Chez Les Contrebandiers, février 2013, format 19 x 20 cm, 152 pages, 19 €

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