Nouveau cluster au CRA de Rennes, le témoignage de Félicy.

Le 27 juin dernier, un foyer épidémique de Covid-19 a été découvert au centre de rétention administrative de Rennes-Saint-Jacques-de-la-Lande. Le deuxième en 6 mois. Pour mieux comprendre la situation, nous avons discuté avec Félicy, enfermé au CRA depuis 28 jours exactement. Dans cet article, vous trouverez son témoignage, ses mots (et maux), et surtout sa souffrance.

Le 27 juin dernier, au centre de rétention de Rennes-Saint-Jacques-de-la-Lande, un nouveau cluster est détecté. C’est le deuxième en seulement six mois, le dernier datant de janvier dernier. Preuve que les protocoles sanitaires en place ne permettent pas de protéger la santé des personnes enfermées. Dès lors, le CRA est placé en septaine ou quarantaine, on ne sait plus trop, les mots ayant perdu leur sens. Conséquences directes : les entrées sont gelées, les visites interdites, et les expulsions annulées jusqu’à nouvel ordre. La CIMADE, association de solidarité active avec les migrant·e·s et les réfugié·e·s, est de nouveau montée au front pour vilipender l’obstination de l’administration à maintenir, quoi quil en coûte, les personnes enfermées « malgré l’absence de perspectives d’éloignement et les risques élevés de contagion. »

À l’intérieur du centre de rétention administrative

Félicy, que nous avons joint au téléphone, est retenu depuis un mois. Il nous explique que des tests sont réalisés plus ou moins régulièrement. Celles et ceux qui refusent de s’y soumettre sont isolé·e·s dans le bâtiment H1, et les personnes positives le sont dans le bâtiment H4 pendant 10 jours. « Moi-même, malade mais asymptomatique, je suis mis à l’écart depuis plus d’une semaine. Il n’y a pas vraiment de mesures ou de protections supplémentaires, que ce soit entre nous ou avec la police des frontières. », nous avoue-t-il. Ses propos confirment ceux de la CIMADE et des autres organisations, le respect des gestes barrières à l’intérieur d’un CRA est impossible à tenir.

Pire, à leur arrivée dans le bâtiment H4, Félicy et ses camarades d’infortune déplorent son état pitoyable, et s’en plaignent. « Les chambres étaient quasiment insalubres. Tellement que quelques-unes ont dû être condamnées. Ça sentait mauvais. Certaines personnes malades crachaient parfois du sang à cause du COVID, et tout n’était pas correctement nettoyé. Il restait des flaques par terre. On a pété un câble. »

Les bâches et le grillage du centre de rétention administrative

Premier séjour à l‘intérieur d’un CRA, Félicy doit donc le passer en quarantaine. Sans contact, ni visite. Confiné en étant privé de liberté, un comble. « Cest psychologiquement horrible. Et très dur. On se retrouve enfermé sans possibilité de voir sa famille, presque sans aucun contact. » On l’évoque régulièrement sur alter1fo, les conditions de vie sont toujours aussi rudes : perte de repères, notion du temps qui s’évapore, manque de soins, ennui, et des repas toujours aussi ternes. « Le soir, pour nous compter, on nous appelle avec notre numéro, pas avec notre nom. À force, on perd notre identité. C’est très frustrant. » Pour l’anecdote, Félicy nous demandera explicitement de ne pas anonymiser son prénom. Comme une revanche face à cette invisibilisation qu’il subit.

De son côté, l’équipe de la CIMADE travaille avec les moyens du bord, et fait au mieux. Elle intervient le matin en présentiel, en respectant les gestes barrières, et puis à distance, l’après-midi. « L’accès aux droits et à la justice des personnes encore maintenues au sein du CRA est dégradé, insiste l’association. Plusieurs personnes n’ont pas été présentées devant la Cour d’appel de Rennes, qui a confirmé des décisions de prolongation de la rétention sans la présence des intéressés, pendant que d’autres ont dû assister à leur audience par visioconférence. »

Revue de Presse (non exhaustive)

Notre interlocuteur nous parle d’une voix posée mais lasse. Il n’a dormi que trois heures la nuit dernière. Pas beaucoup plus, les fois d’avant. Et ce n’est pas à cause des températures estivales. C’est que ça tourne en boucle dans sa tête. Félicy ne comprend toujours pas ce qui lui arrive. « Je n’en ai strictement aucune idée. Cela est sans doute lié à mon passé, à mes erreurs d’autrefois. » D’abord incarcéré à Châteaudun sans possibilité de fournir à temps les justificatifs réclamés, le voilà directement placé en centre de rétention. « J’ai réussi à regrouper l’ensemble des documents, mais c’était déjà trop tard ! On ne nous donne que deux jours avant de passer devant le tribunal administratif. Depuis, cela me porte préjudice. Je me retrouve bloqué dans un processus qui m’échappe. »

Pourtant, Félicy, natif du Congo, a toujours vécu en France depuis l’âge de ses 7 ans. Son dernier CDI ? il l’a signé l’année dernière avec une importante boite d’intérim. « J’ai toujours travaillé. Toujours. Toute ma famille, ma femme, mon enfant, mes frères, et mes sœurs vivent ici. Mon dernier employeur est prêt à me reprendre dès ma sortie. Il était aussi surpris que moi de cette situation. » Dans ce flou juridique kafkaïen, Félicy évoque ses angoisses. « Je ne sais pas comment cela va se passer, ni comment cela va se terminer. Je suis beaucoup stressé ! »

[22 septembre 2020] – Un jour, une photo : La CIMADE s’affiche

Le confinement a pris fin samedi dernier, sans qu’aucune nouvelle campagne de test général ne soit effectuée pour vérifier que le Covid-19 avait bel et bien disparu. Enfin, « puisqu’il faut vivre avec », comme dirait notre nouveau ministre de la santé… pourquoi faire du zèle ? Au p’tit bonheur la chance, le centre de rétention a donc rouvert ses portes. Huit nouvelles personnes ont déjà été placées au CRA depuis : 2 ce weekend, et 6 lundi dernier. Comme s’il fallait rattraper le retard accumulé… Félicy, lui, n’a pas été libéré suite à son passage devant le juge des libertés, et son recours devant la Cour d’Appel n’a pas été entendu. Malheureusement, malgré nos tentatives et à l’heure où nous publions cet article, nous n’avons pas pu le joindre pour prendre de ses nouvelles.

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1 commentaire sur “Nouveau cluster au CRA de Rennes, le témoignage de Félicy.

  1. celuiquiconnaitfelicy

    Très intéressant cet article … surtout lorsque l’on connaît le passé de la personne interviewée..
    Peut être aurait il fallu creuser un peu. Lui demander pour quelle raison il était dans cette situation.
    Peut être vous aurait il parle du nombre incalculable de fois où la mère de son fils s’était retrouvée aux urgences victime de ses coups.
    Peut être vous aurait il également parlé de son penchant pour l’alcool, pour la drogue, du nombre de séjours qu’il a effectué en établissement pénitentiaire, des pensions alimentaires non payées (curieux pour quelqu’un qui a toujours travaillé !), ou du rapport des éducateurs de la maison de la parentalite mission es par le juge de la famille qui ont refusé de lui confier son propre fils, estimant qu’il le mettait en danger.
    Alors, certes, les conditions de détentions sont peut être difficiles. Mais avez vous pensé aux conditions de « detention » que lui a fait subir à sa compagne et à son fils pendant des années ?
    En comparaison, son séjour au CRA apparaît plutôt doux.
    Il y a toujours deux faces à une pièce. Et lorsqu’on s’attache à admirer l’une d’entre elle, il ne faut pas oublier de la retourner pour prendre connaissance de celle que l’on cherche à cacher.

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