Confinées mais pas mortes, les scènes musicales rennaises continuent de vivre malgré la morosité ambiante et la privation de concert jusqu’à date indéterminée. Histoire de soutenir celles et ceux qui se bagarrent pour continuer de défendre une vision frondeuse et indépendante de la musique, nous vous proposons quelques chroniques de disques plus ou moins locaux à découvrir dans le respect des gestes barrières aux grandes plateformes. Aujourd’hui on vous invite à vous plonger dans la généreuse étrangeté de Post-humanité, le second album des rennais d’Ex Fulgur
Les trois multi-récidivistes qui forment Ex Fulgur sont bien connus de nos services comme des amateurs rennais de musiques frondeuses. On y retrouve en effet Odilon Violet au chant et aux textes, Saitam aux machines et arrangements et la Mistress Bomb H à la guitare et arrangements aussi. Leur premier disque Noires sont les galaxies, sorti en 2017 chez les locos locaux de Kerviniou Recordz, proposait huit morceaux de post punk/cold wave cinglants et vénéneux (de la frontwave comme on dit chez Kérozène) qui faisaient la part belle à un groove froid et à des paroles dadaïstes et emphatiques du plus bel effet. Le genre de disque qui donne furieusement envie de pleurer de rire, de danser jusqu’au vertige ou d’aller s’immoler sur la place du Colombier. Les titres comme le groupe en live se sont avérés hautement addictifs et, à défaut de nouveaux concerts, nous avons été particulièrement heureux de découvrir en fin d’année 2020 toujours sur le même label Post-Humanité, second long format de la bande.
Ce qui frappe dès la première écoute, c’est la montée en puissance impressionnante du groupe entre leur premier essai et ce second. Dès l’inaugural et incisif Derrière la porte, on comprend que le trio a méchamment bossé et élargi son spectre d’action. Multiplication des couches de synthés et de guitares, finesse des rythmiques, gros travail pour accentuer encore la dinguerie du phrasé déjà peu banal d’Odilon Violet, tous les potards montent d’un cran. Le tout est remarquablement servi par un son saisissant à la fois ample et précis, minutieusement peaufiné avec l’aide du redoutable explorateur de sons et magicien des machines Thomas poli (Laetitia Schériff, Dominique A, Montgomery, ESB…). On y perd peut-être un peu de l’efficacité du dépouillement glacial de son prédécesseur mais les regrets ne vont pas tenir bien longtemps. Le second titre De La Confiture De Barbe ralentit le tempo (mais pas les dissonances) pour mieux s’engluer langoureusement dans un stupre haut en sucre. Insolation nous emmène ensuite vers une inquiétante baignade sur une plage écrasée par les assauts des basses impitoyables, les vrilles de la guitare et un chant dont la sombre retenue et la montée en puissance n’ont rien de rassurant. Suit Prière et son prêche plein de fureur et de corporalité emprunté aux Poèmes et vents lisses hautement de Sony Labou Tansi qui s’infuse dans une ambiance de cataclysme cosmique. Sans vous laisser le temps de vous en remettre, la bande décoche ensuite les spirales synthétiques d’Odalisque qui vous entrainent dans un irrésistible striptease dansant dont on sort aussi exsangue qu’embarrassé. Après ces rondeurs méchamment groovy, Idées-Confort vous cloue au sol avec ses basses massives et ses vrilles sévères de guitare ou de synthé pour un safari massacre bien chaotique. Prosélytes, non. assassine ensuite avec une précision lente mais experte les tristes bonimenteurs qui constituent la sinistres musique de fond de notre époque. Enfin, Gnou s’envole implacablement sur des nappes synthétiques et des vagues électriques pour un ultime voyage des plus vertigineux avant de de s’esquiver sur des bruits de pas.
Ce second album d’Ex Fulgur développe brillamment l’univers aussi drôle que qu’impitoyable de la bande. A la fois méchamment intimiste et viscéralement ancré dans son temps, Post-Humanité étend amplement le terrain de jeu du trio et c’est un vrai bonheur de s’y perdre en leur compagnie. Dans ce jeu de massacre, vous y perdrez peut-être quelques plumes au passage mais vous y gagnerez aussi un sentiment de libération aussi puisant que salvateur.
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