[Livre] La Légende des montagnes qui naviguent de Paolo Rumiz

Pour les passionnés des Alpes, notamment italiennes, Paolo Rumiz, invite ses lecteurs sur 16 grands itinéraires, depuis la Slovénie (Ljubljana) jusqu’aux Apennins, à réaliser à pied, à cheval, ou en Topolino (la Fiat 500, pas Mickey Mouse…). 

Parti pour s’échapper des médias, Paolo Rumiz est revenu avec un pavé de 464 pages aux caractères serrés. Il faut en avoir des choses à dire ! En décapant les Alpes puis les Apennins des vieux clichés, avec ce regard obstiné du journaliste besogneux, l’écrivain a laissé une trace de près d’un million de signes pour dessiner La légende des montagnes qui naviguent. Cette navigation terrestre, loin de vous plomber, devient un enchantement. Et au fil du temps et des découvertes de la nature, le pavé s’allège !

L’ouvrage est « condensé » en 16 chapitres, 8 pour balayer les Alpes puis 8 pour les Apennins, deux livres en un. Écrivain voyageur, Paolo Rumiz vous ballade, et vous séduit, il s’empare de vous et ne vous lâche plus avant la pose du chapitre suivant.

Trois chapitres

Les trois chapitres qu’on se propose d’évoquer donnent une idée de cette chevauchée…

« De la mer à la Drave«  : La Slovénie : le chapitre s’ouvre sur un bref aperçu des multiples guerres qui ont émaillé son histoire : « On hissait le drapeau blanc… est-ce fini ? Ça paraissait impossible« . Rêve ou cauchemar, les Slovènes firent le tour complet des nationalités européennes. Mais où est ce pays ?

La suite comme un hommage à Brautigan, nous promène parmi des ours insaisissables, tel l’ours Vida. Trop nombreux, ingérables, solitaires et individualistes, gourmands insatiables. On abandonnera ensuite les plantigrades pour découvrir la vraie personnalité de Jörg Haider, très bon grimpeur… Mais « sa belle prestance s’alliait à une moralité douteuse » (p. 52). On retrouvera au long de ce récit la lucidité du journaliste peu enclin à édulcorer ses critiques.

« De Chiavenna au Tessin » : Paolo Rumiz nous y invite à prendre la mesure du sol, celui qui nous porte, jusqu’aux vallées les plus profondes, et découvrir l’étendue vivante du sous-sol, gangrené de tunnels, qui affleurent par endroits, avec les grondements sourds de ces monstres mécaniques, qui pour être « restés trop longtemps sous terre » viennent vous terrifier, tel «  le hurlement de la mer archéozoïque » (p. 159).

C’est un autre visage de la Suisse que hennit notre cheval errant, avec une modernité qui s’accommode mal des zones retirées, comme si les Alpes Suisses formaient la plaine du Pô. Le canton qui a donné naissance au pays, le canton de Schwyz, a voté à 70% contre l’Europe. En Suisse, on dit « Si tu n’es pas sage je t’envoie dans le canton de Schwyz » (p. 164).

Depuis le col enneigé de la Furka, « Je lis que 150 Mercedes vont et viennent tous les jours entre la France et la Suisse, toujours les mêmes, elles appartiennent à la mafia. La police le sait, mais ne peut rien faire » (p. 168). La Suisse mérite sans aucun doute la palme de l’ambiguïté. C’est du moins le sentiment qui se dégage du pavé lancé par Paolo Rumiz, dans un Léman de bons sentiments, la vache qui rit aux étrangers meurtris.

Échappons aux monstres des tunnels et remettons à demain la caporalato (exploitation des immigrés) pour préparer nos carcasses à affronter les Apennins en esquivant une chaîne d’ouvrages gigantesques.

Il fallait repartir de zéro, retrouver les fossés, les impasses, éviter les embrouilles avec le moyen de transport le plus lent qui fut, une guimbarde pour attelage, un solide bijou de technologies, née en 1936, la Topolino Fiat  ! « Une petite souris », capable de rouler comme l’Oural (la moto mythique de Sylvain Tesson) par + ou – 30°, dépassant rarement les 30km à l’heure.

« De Savone au val Trébia«  : 1er chapitre dans les Apennins, enfin ! Pas de concessions aux lignes droites, aux ronds-points : choisir la via buissonnière, à la recherche des routes perdues. Paolo Rumiz fait appel à un guide sorti des monts chauves, un berger, esthète, aquarelliste et amoureux de la petite reine. Albano Marcarini est ce personnage démodé, qui seul peut traverser les Apennins sans croiser un gendarme ou une autoroute. D’ailleurs, l’autochtone, dans « la brouillasse du col de Faiallo, fait le point à l’aveuglette, un guide de 1896 à la main » !

Ce livre est à l’image de Marcarini : il s’agit de changer de braquet et de s’imprégner, avant qu’il ne soit trop tard, de la nature sauvage démultipliée, encore là pour ceux qui savent couper le contact.

Après la lecture de ce récit exceptionnel, on ne regardera plus son Marcarini de la même façon. Ce vélo sur mesure d’une trentaine d’années semble encore digne d’aller flâner aux Apennins et fuir la modernité ou l’éprouver.

C’est donc avec un talent fou que Paolo Rumiz se déploie dans ce pavé. La traduction est pleine d’humour, d’un humour grinçant pour toutes les absurdités déployées par les hommes. Paolo Rumiz nous parle beaucoup de l’aveuglement des élites comme des biens pensants. Ou nous fait découvrir des personnages hors du temps. A lire sans chercher une suite logique aux chapitres : ils sont indépendants.

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Paolo Rumiz / La légende des montagnes qui naviguent [La leggenda dei monti naviganti]
Traduction (Italien) : Béatrice Vierne
Editions Arthaud
Paru le 06/09/2017
464 pages
ISBN : 9782081408296

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