On vous l’avait dit, le Carré Sévigné est plein de surprises. D’abord, c’est exotique quand on a plutôt l’habitude de passer ses soirées à l’Ubu ou à l’Antipode. Ensuite, la température y est tropicale. La preuve : on y a vu pousser des cactus géants et entendu frémir des carcasses de voitures rouillées balayées par des vents de poussière le temps d’une soirée, avec la prestation aussi généreuse qu’excellente de Calexico qui a littéralement transporté le public jusqu’au Mississipi, en passant par Cuba et la frontière mexicaine.
On doit d’abord noter qu’on est surpris par la disposition de la salle. Autour de nous, des sièges sur des gradins, dont l’accès est interdit. Tout le public est donc massé dans l’espace face à la scène, avec ce grand vide derrière. C’est assez bizarre d’avoir toutes ces rangées de fauteuils inoccupés, en hauteur, derrière soi. Ça donne l’impression que la salle est loin d’être pleine, alors que lorsqu’on regarde plus attentivement, on trouve qu’il y a quand même pas mal de monde qui a fait le déplacement pour voir les gars de Tucson.
Blind Pilot, groupe américain d’indie pop (peu connu en France mais bénéficiant d’une notoriété certaine aux États-Unis après avoir fait une une tournée de 30 dates environ en… vélo) assure la première partie. Il est huit heures tapantes lorsque le groupe de Portland, Oregon, commence son premier morceau.
Sur scène, les quatre musiciens s’installent : guitare sèche pour Israel Nebeker qui assure également le chant, batterie réduite à quelques toms pour Ryan Dobrowski, contrebasse pour Luke Ydstie, et dulcimer, banjo ou encore ukulélé pour Kati Claborn. Avec les premiers morceaux, on applaudit déjà la maîtrise du groupe et on reconnaît avec un plaisir certain que les arrangements sont vraiment bien troussés.
Tout est bien mené, la voix d’Israel Nebeker est aussi juste que chaude et envoûtante. Tout est très bon et parfaitement exécuté. On reste pourtant (un tout petit peu) sur notre faim : les morceaux des gars de Portland, Oregon, ont été capturés sur deux LPs: 3 Rounds and a Sound en 2009 et We Are The Tide en 2011 et ce qu’on avait pu en entendre nous avait déjà semblé classieux, certes, mais aussi parfois carrément tord-cœur sur certaines mélodies pop-folk et chœurs renversants.
On s’attendait donc à être rapidement bouleversé, or ce début de set, s’il est excellent, ne nous procure pas les frissons escomptés. Jusqu’aux trois derniers titres, réellement sublimes, sur lesquels les chœurs à trois voix nous font battre le cœur plus vite.
Déjà sur One Red Thread, le propos devient plus rythmé et les voix s’entremêlant en virages mélodiques nous font froncer les sourcils. Sur I buried a bone, Jacob Valenzuela de Calexico vient même ajouter quelques notes de trompette.
Pour notre part, on se fait littéralement cueillir par le refrain une nouvelle fois à trois voix de 3 rounds and a sound, complètement irrésistible par son emballement vertigineux, à trois mélodies et timbres différents . Au final, une très bonne prestation de Blind Pilot, qu’on se promet de suivre attentivement à l’avenir, et qui place la soirée sous de très bons auspices.
Le temps du changement de plateau, on sourit en entendant We Are Van Peebles ou Mermonte dans les haut-parleurs du Carré Sévigné. On soupçonne l’ATM qui co-organise le concert, d’y être pour quelque chose.
Calexico
Et puis, dans les acclamations et les applaudissements, Joey Burns, chemise noire et guitare classique sur l’épaule arrive sur scène tandis que John Convertino s’installe derrière sa batterie avec son look à la Colin Firth dans A single Man, le col de chemise laissant apparaître un t-shirt blanc, des lunettes à grosses montures noires…
Ils sont accompagnés par Jacob Valenzuela à la trompette, aux claviers, au triangle, aux maracas, Martin Wenk à la trompette, à l’accordéon ou au synthé, Jairo Zavala à la guitare ou au pedal steel (?), un musicien à la contrebasse ou à la basse, et un autre qui assure tout aussi bien accordéon, ukulélé et autres claviers. Car autant le dire tout de suite, les musiciens sont époustouflants et passent d’un instrument à l’autre avec une facilité déconcertante tel Jacob Valenzuela qui joue de la trompette d’une main, tandis que son autre main agite une maracas.
Les musiciens commencent par l’addictif Epic qui débute le dernier album en date du groupe, Algiers, sorti en septembre dernier. Le groupe avait envie d’ailleurs, de quitter Tucson, Arizona pour enregistrer ce disque ; et notamment de venir dans notre bonne vieille Europe. Mais aller enregistrer en Europe, c’est cher et pas facile quand on a une famille aux États-Unis. Le groupe s’est donc rabattu sur la plus européenne des villes américaines : la Nouvelle-Orléans. Algiers est d’ailleurs le nom d’un de ces quartiers.
C’est pourtant avec un titre plus latino que le groupe enchaîne, puisque Across the Wire, issu de l’indispensable Feast of Wire (2003) dont chaque note est depuis sa sortie gravée dans chaque repli de nos lobes cérébraux, convoque accordéon de bal hispanique, arpèges de guitare latino et pedal steel ou choeurs de trompette pour emballer les corps. Et ça marche.
Menée par un Joey Burns, qui tape dans ses mains pour entraîner le public, la formation chauffe la salle en moins d’un morceau. L’énergique Splitter (toujours sur Algiers), moins marqué par les accointances du groupe avec la country ou les incursions mexicaines, continue le travail. La voix de Joey Burns est parfaite, toujours juste et envoûtante, comme sur Roka (Garden Ruin) qui suit et ralentit le tempo, avec des trompettes plus cubaines que mariachi. Le refrain en espagnol est chanté par Jairo Zavala, qui décidément, sait tout faire.
Joey Burns explique ensuite qu’ils vont nous jouer un inédit issu des sessions de compositions sur Algiers, Dead Moon. Le rythme reste encore lancinant et mélancolique avec l’émouvant Para, sur lequel Burns prend la guitare électrique. Sur ce morceau, les interventions de John Convertino à la batterie, tout en subtilité, sont renversantes de classe, notamment pendant les passages de trompettes.
On entend alors un train siffler dans le lointain : il annonce l’instrumental Minas de Cobre (The Black Light) qui fait aussitôt chalouper la salle tout en castagnettes, alors que Convertino continue ses développements rythmiques, comme si de rien n’était, une baguette dans une main, des maracas de l’autre, avec une aisance insolente. Le morceau déchaîne l’enthousiasme du public qui ponctue chaque accélération de claquements de main. Et cela ne faiblit pas une seconde sur l’enchaînement avec Inspiracion (Carried to dust), plus cubain que mexicain lui aussi, chanté par Jacob Valenzuela en espagnol. Claves jouées par le guitariste ou cloche parfaitement dosée par John Convertino soutiennent les déhanchements de la salle qui a migré vers Cuba le temps d’un morceau.
Avec Maybe on monday et Fortune Teller, le rythme ralentit et on applaudit le groupe qui sait ménager des pauses pour un set tout en relief. Car après les chœurs en douceur de Fortune Teller, les riffs de Two Silver Trees sont accueillis dans les cris. Pour le coup, le morceau n’est en aucun cas latino, il est plutôt rock. Mais fait tout autant le boulot et déchaîne le public. Et c’est peut-être à souligner, que le groupe, s’il nous offre un show enjoué et carré à l’américaine, est surtout un groupe aux compositions ciselées de mains de maître par ses deux leaders, qui nous offrent des titres aussi bons qu’il s’agisse de folk-rock ou de relecture indie de country ou de musiques latines.
Joey Burns s’amuse et comme son groupe, semble prendre un réel plaisir à être sur scène. Plaisir qu’il partage, sans compter avec le public. Il se rapproche en s’amusant de son guitariste, entraîne le public à applaudir, et met l’ambiance. Ses compères ne sont pas en reste, notamment Jacob Valenzuela, qui danse tout en soufflant dans sa trompette ou Jairo Zavala qui s’avance sur le devant de la scène pour s’approcher de la foule.
Sur Crystal Frontier, ce dernier va littéralement nous stupéfier avec ce petit riff à la guitare et pédale wah wah, totalement irrésistible, qui restera pour nous dans les annales. Les deux trompettes, une sur le devant de la scène, l’autre en fond, se répondent dans un duo époustouflant qui enflamme au public. Ajouter à ça cette petite pédale wah wah et des roulements à la batterie qui breakent et relancent le morceau et vous aurez une petite idée des danses et des cris qui agitent la salle.
Et puis (et c’est finalement assez peu fréquent pour qu’on le remarque), le groupe sait s’arrêter quand il le faut. Certes il ne s’interdit pas les développements plus longs, mais sait stopper pour qu’il n’ y ait pas de longueurs.
Sinner in the sea et son intro directement venue de Cuba aux claviers sont un enchaînement parfait pour une chanson finalement plus folk-rock. On notera l’utilisation d’un triangle comme percussion par un Jacob Valenzuela chaloupant. Plus tard, c’est la reprise de Love, Alone Again Or, qui nous en met à nouveau plein les oreilles : clapping avec le public, voix de Burns à réveiller le fantôme d’Arthur Lee, parties de cuivres impeccables et break sur un silence à la perfection. On en redemande !
Ca tombe bien, le groupe est généreux. Il a déjà joué plus d’une quinzaine de titres mais semble en avoir encore sous la pédale (steel). Le plan jazz de la batterie et la basse galopante de Puerto, se mêlent parfaitement aux arpèges latinos de la guitare et aux refrains en espagnol rehaussés par les cuivres. Le groupe quitte la scène mais revient volontiers pour un rappel conséquent.
Le groupe ré-apparaît (John Convertino restant derrière ses fûts) avec toute la bande des Blind Pilot pour une cover en partie a capella de Look at Miss Ohio de Gillian Welsh. Israel Nebeker assure la guitare folk tandis que Joey Burns redevient simple choriste.
Le moment est suspendu, notamment lorsque le solo à l’harmonica s’arrête et que toutes les voix s’entremêlent dans le silence. Magique. Les musiciens se prennent dans les bras les uns des autres. La complicité et le respect sont quasiment palpables entre les deux formations. Ils font plaisir à voir. Les Blind Pilot ne semblent pas peu fiers de partager la scène avec Calexico. Et on les comprend !
Après cet intermède tout en douceur, Calexico nous offre Black Heart (LE tube de Feast of Wire) avec un John Convertino démentiel derrière ses fûts. On regrettera juste pour notre part que la voix de Burns soit un peu trop en retrait. Mais quel titre, quand même !
Joey Burns explique également qu’il a choisi sa tenue (il porte une marinière sous sa chemise) en notre honneur et déclenche rires et applaudissements.
Le set se termine sur un final latino chaud bouillant avec Güero Canelo, joué avec une fièvre endiablée par toute la troupe, encouragée par un public totalement conquis. Et chacun de crier aux sollicitations des membres de Calexico, et de taper des mains. La soirée se termine sous des applaudissements fournis, avec les six musiciens qui saluent leur public, bras dessus, bras dessous. On ressort ravi en chantant à tue-tête « Güero Canelo, Güero Canelo » , emballé par la prestation aussi généreuse qu’excellente du groupe de Tucson Cesson, Arizona.
Photos : Caro
Comme si on y était, merci !
🙂 merci !!