BD en février : état temporaire des lieux

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C’est une petite tradition personnelle que de consacrer le début d’année à fouiner de ci de là pour dénicher les bonnes Bandes Dessinées de 2010 ayant échappé à ma vigilance. En général je musarde tout simplement dans la sélection d’Angoulême et dans les tops de divers sites ou blogs.
En préparant la petite triplette qui va suivre, je me suis aperçu qu’elle finissait par dresser un panorama assez pertinent du monde des bulles d’aujourd’hui.

D’abord parce qu’il m’a fallu de la patience pour les récupérer.

Les chiffres des ventes d’albums BD sont en baisse pour la première fois depuis de nombreuses années. En réalité, les ventes de manga masquaient un peu la misère et c’est une tendance qui s’amorçait depuis déjà quelques années. La réaction des gros éditeurs a été tout à fait rationnelle : balancer le plus de bouquins possibles. Du coup, ce n’est pas moins de 8 000 BD qui sont sorties cette année. Avec 150 nouveautés par semaine, vous vous doutez que le temps d’exposition en librairie devient minime et que le travail de mise en avant de titres par les libraires frise le cauchemar.

Parallèlement à cette fuite en avant, des petits éditeurs indépendants développent des initiatives originales et intéressantes sur un domaine encore très mal maitrisé par les grandes maisons : internet. C’est ainsi que le petite maison d’édition angoumoisine Ego comme X, propose depuis peu des livres « à la demande ». Il s’agit de rééditions d’ouvrages ou de tirages spéciaux exclusivement disponibles à la commande sur leur site.soeurs-zabyme

Premier livre de la série : la réédition du merveilleux Les sœurs Zabîme d’Aristophane paru initialement en 1996. L’auteur était un drôle de personnage. De son vrai nom Firmin Aristophane Boulon, ce guadeloupéen d’origine est décédé des suites d’un terrible accident à l’age de 37 ans et laisse derrière lui des ouvrages aussi déroutants et complexes que brillants graphiquement.
Les sœurs Zabîme est largement le livre le plus abordable que j’ai pu lire de lui. Il s’agit du récit du premier jour de vacances à la Guadeloupe de trois sœurs d’une dizaine d’années environ. Leurs chamailleries, aventures, mésaventures et rencontres font une histoire à la fois dense et légère. Les thèmes abordés sont plein de surprise et le tout est narré avec une justesse de dialogues rarissime quand on parle d’enfance. Le dessin est lui aussi de toute beauté. L’encrage en noir et blanc réhaussé au pinceau est d’une grande subtilité et d’une force évocatrice peu commune.
N’hésitez donc pas à tenter l’aventure. Vous soutiendrez une petite maison dans une belle tentative et vous vous procurerez une œuvre sensible et profonde d’un auteur dont la trop brève carrière ne doit pas minimiser l’importance.

Uniquement sur le site Ego comme X, 16 €


Le second album nous amène sur un terrain plus douloureux. Il est paru en mars 2010 chez l’Association. Cet éditeur majeur de la Bande Dessinée indépendante des 20 dernières années a récemment traversé une crise dont les conséquences réelles sont encore à venir. La grève ayant opposé Jean-Christophe Menu aux sept salariés de la structure aura pris une place conséquente dans les conversations du dernier festival d’Angoulême et aura surtout montré l’état de tension dans lequel se retrouvent les petites structures en ce début d’année.

coneyislandbaby

Le livre s’intitule Coney Island Baby et a été écrit et illustré par la jeune Nine Antico. L’album s’ouvre sur un Hugh Hefner (le fondateur du magazine Playboy) pleine page accueillant deux playmates potentielles en déclarant : « Jeunes filles, avez-vous la moindre idée de là où vous mettez les pieds ? ». On est prévenu. Hefner va ensuite édifier les demoiselles en leur narrant l’ascension puis la chute de deux icônes de l’industrie pornographiques américaines : Bettie Page (la pin-up la plus célèbre des années 50) et Linda Lovelace (la vedette de Deep Throat, film précurseur de la vague porno chic des années 70).
Attention, le livre n’est pas pour autant une simple biographie de ces deux femmes mais plus une divagation extrêmement maitrisée dans leurs vies, ponctuée de commentaires souvent goguenards des deux apprenties pin-ups.
Là encore, le livre est très riche mais parfaitement fluide abordant une foison de thèmes avec humour ou férocité mais toujours une certaine étrangeté tout à fait plaisante. Le graphisme est tout aussi réussi avec un noir et blanc proche du graffiti. Un style qui me rappelle avec bonheur celui du formidable Eddie Campbell (From Hell, Alec).
L’Association fait donc une fois de plus ce qu’elle fait le mieux : sortir un ouvrage ambitieux et atypique, affirmant haut et fort l’énorme potentialité des arts graphiques.

Même si rien ne paraît vraiment résolu, la grève des salariés s’est finalement interrompue le 17 février. Un site internet doit s’ouvrir prochainement. Je souhaite de tout mon cœur que l’aventure ne s’arrête pas là et que l’Association continue encore longtemps d’explorer les possibilités du neuvième art tout en rééditant des essentiels et mettant en avant de jeunes auteurs.

Chez l’Association, 22 €



On termine avec Les derniers jours d’un immortel de Gwen de Bonneval & Fabien Velhmann. Le livre est sorti en mars 2010 chez Futuropolis. Il est assez représentatif d’une certaine BD d’auteur, grand public, issue des traditionnelles maisons d’éditions ayant donné des merveilles, comme des horreurs. Dans le cas présent, on est largement dans le bon.lesderniersjoursdunimmortel
Fabien Wehlmann (Seuls, le marquis d’Anaon mais aussi Jolies ténèbres ou les cinq conteurs de Bagdad) s’attaque à un très joli exercice de style science-fictionnel. Comment vit-on quand la technologie permet l’impossible, qu’on est immortel, qu’on peut se téléporter n’importe où, changer de corps à volonté ou se multiplier à volonté ?
Tout ça est habilement abordé par le truchement d’enquêtes successives d’Elijah, agent à la police philosophique. Il a la lourde tâche de résoudre les nombreux conflits entre races extraterrestres causées principalement par d’immenses différences physiologiques ou culturelles. On apprendra aussi petit à petit à mieux connaître ce personnage d’abord assez froid. Ces difficultés amoureuses ou amicales nous ramènent à son humanité alors que son mode de vie pourrait presque paraitre divin de notre point de vue. C’est la grande force de ce livre que de broder un conte philosophique sans perdre ni humour ni sensibilité. Le somptueux dessin de Gwen de Bonneval, par son élégance proche de celle d’Emmanuel Guibert ou son étrange inventivité proche d’un Topor, est surement aussi pour beaucoup dans la réussite de l’ensemble.

Chez Futuropolis, 20 €

1 commentaires sur “BD en février : état temporaire des lieux

  1. Row

    Merci pour ces chroniques, qui respirent la passion, et nous guident dans la jungle des parutions!

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