[Livre] : L’Absente de Lionel Duroy

L’Absente est un livre surprenant sur l’écriture : Lionel Duroy (Augustin dans ce livre) est à la recherche de la première ligne de son roman, cette ligne viendra de sa mère et de son secret.

Écrire pour Lionel Duroy, c’est comme pédaler pour W. Barguil : pour toucher les sommets ou pour échapper à « la bêtise » pire à la « cruauté du monde ». Ecrire au quotidien, c’est continuer à vivre malgré le tumulte que font les accidentés de la vie. Une fois encore l’écriture est la respiration du livre L’Absente, sa transpiration aussi. L’Absente qui aurait pu s’appeler Survivre, comme Échapper fut le roman qui précéda ce retour aux fracas de son enfance.

L’accidentée de la vie, c’est Suzanne, la mère, ou la conne, selon l’humeur des enfants, mais cette fois c’est aussi Augustin : « La perte de cette maison de Pertus est une souffrance si dense, si intense, aux conséquences dévastatrices » (p. 15). Sa quasi expulsion le projette dans le drame de sa mère, son effondrement moral, quand les gendarmes l’escortent de Neuilly à ce taudis, où elle s’effondre, dans l’incompréhension totale.

La trahison de sa famille de Bordeaux, les mensonges de Toto, le dénouement le plus absolu, comment ne pas « se jeter par la fenêtre« , quand on s’éclaire à la bougie, quand on n’y voit plus. Cette menace proférée à haute voix, criée souvent, reviendra comme un leitmotiv, perturbant profondément ses propres enfants, au lieu du modeste « si tu n’es pas sage » trop commun.

Que lui reste t-il aujourd’hui ? 2 vélos, une Peugeot, ses manuscrits, et quelques photos arrachées aux déménageurs ? Un copier-coller du drame de Suzanne expulsée de Neuilly.

Mais est-ce un drame pour Lionel Duroy ? Par dérision, il écrit : « Ils pourront bien te piétiner le corps, te couper l’électricité, vendre tes derniers meubles aux enchères, ils n’ atteindront pas ton âme et au fil des années tu nourriras ton travail de leur inhumanité. » (p. 90)

Cette dérision le rattache à Brautigan. Il affirme ses exigences littéraires, nous parle de ses auteurs préférés et avoue son acharnement à se mettre en scène et avec lui ses plus proches. Ce parti-pris relève pour lui de son défi à l’écriture. Il est le témoin insatiable et le plus tenace de son mal de vivre. Se fâcher avec la terre entière n’est pas son problème.

Les seuls témoins des conflits, des trahisons et des rancœurs sont peut être les photos qui restent du temps où Suzanne habitait Cestas, où pour son père mutilé en 1916, tout doit être tu, figé comme les souvenirs, derrière cette unique injonction, « tenir son rang ».

Tenir son rang pour Lionel Duroy, c’est écrire, encore et encore lorsqu’il erre sans trouver la première phrase, il souligne comme une boutade : « C‘est réconfortant d’être comparé à un bœuf car c’est dire qu’il peut y arriver, que ce n’est pas une question de talent, d’intelligence, de culture, mais seulement d’entêtement, de pugnacité. Tout à fait comme le vélo. » (p. 141)

Albert Cohen est rappelé à l’ordre, pour avoir écrit sans retenue ! À propos du Livre de Ma Mère : « Comment pouvait-on écrire de telles niaiseries et, de surcroît se faire encenser par la critique ? » ( » Je t’appelle au secours. Ayez pitié de ce mendiant abandonné au coin du monde je n’ai plus de mère je n’ai plus de Maman je suis tout seul et sans rien j’appelle vers toi qu’elle attend prier. » – p. 244)

Son obstination paye, il ira au bout de sa quête sur son histoire familiale, sur les secrets de cette famille bourgeoise de Bordeaux et des hôtes du château de Cestas. Cette longue enquête n’est pas triste, comme furent les amours de la tante Germaine : « La tante Germaine sur laquelle tout l’état-major allemand serait passé. Mais non, crétin pas les Jeeps et les tanks ! » (p. 156). Entre ces ballades en Félix Singer ou en Bernard Sangre, ses 2 vélos, et les digressions savoureuses sur ces mondes empesés qui reste sa vraie famille néanmoins, Lionel Duroy ne manque ni d’humour ni de verve.  A vélo sur une Singer ou en Sandre, Lionel Duroy  repart à la recherche de son passé.

Une belle dérision se dégage de ces pages. Il en faut pour digérer finalement le comportement exécrable de son père, chaud lapin, menteur invétéré et piètre vendeur. Toto savait une chose dans la vie, tromper tout le monde, sauf ses enfants trop souvent ses complices. Un récit plein de désordres, comme on les aime chez Lionel Duroy.

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