[2023] Des bouqu’1 sous le sap1 #13 : Les Abattus, noir et sans espoir

Marre de l’esprit de Noël ? Marre des infos cataclysmiques ? ça tombe bien, nous aussi ! Bienvenue dans notre 6ème calendrier de l’Avent Altérophile, dont on espère qu’il sera original et divertissant ! Tous les jours (ou presque) jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-amis, bon pour nos papetiers-amis, bon pour nos neurones. Sans prétention aucune, des coups de cœur qu’on a envie de partager, pas forcément des nouveautés, pas forcément des trucs inouïs. Juste des morceaux de papier, souvent imprimés, en format origami, d’une épaisseur à glisser dans les poches ou de gros pavés pour caler le sapin, qui nous ont émus, interpellés, questionnés, emballés ou intrigués… Et qu’on a envie de vous faire (re) découvrir. Ouvrez donc les pages jour après jour…

La frontière est subtile entre le polar et le roman noir. Les Abattus de Noëlle Renaude appartient plutôt à la seconde classification, à laquelle on pourrait rajouter celle du roman social. C’est lugubre, poisseux et sordide, du type accumulation de faits divers dans une chronique de la France ordinaire.

Le héros ou plutôt anti-héros, un jeune homme sans aspérités, narre sa vie dans une bourgade provinciale indéterminée entre 1960 et 1984. Et un départ dans la vie qui n’est pas des plus roses mais pose pourtant d’entrée de jeu le cadre du roman : « Je suis né au village un soir de novembre. Mon père était au bistrot. Ma mère m’a mis au monde seule. Je n’ai pas crié. […]. J’ai été un enfant tranquille. Mon père était garde forestier. Mon père trompait ma mère. Mon père buvait. Mes deux frères me maltraitaient. Ma mère les laissait faire. »

Un roman en trois parties. « Les vivants 1960-1983 » est le journal de ce jeune homme dont on ne saura pas même le prénom. Un journal qui décrit la famille dysfonctionnelle dans laquelle il évolue : une mère dépressive, un père alcoolique, deux frères tyranniques dont l’un devient le petit caïd du coin. Une banalité du (terrible) quotidien traversée par une accumulation de faits divers qui laisse à penser que cette famille porte la poisse.

En grandissant, le jeune homme se lie d’amitié avec un notaire, gay et excentrique, figure paternelle qui lui a fait défaut. Et ce dernier n’est pas avare de commentaires sur la vie et les attitudes de ses congénères : « Le notaire m’a prévenu, les fables humaines sont d’une laideur à faire peur, et surtout toujours les mêmes. Les hommes manquent cruellement d’imagination. »

Les années s’enchainent, toutes plus noires et plus poisseuses que les autres. Le style est saccadé, parfois elliptique mais finalement assez réjouissant pour traduire la misère humaine. La galerie de personnages qui gravite autour du héros est aussi lumineuse qu’une mine de crayon papier. Même l’animal domestique ne nous sauve pas de la noirceur miséreuse : « Le poisson rouge, toujours vivant, a la bouche collée au verre de son bocal et de ses gros yeux noirs il dissèque la vie qui se déroule au-delà de sa prison. Je ne vois pas ce qu’il aurait d’autre à faire. Mais je suis prêt à parier que s’il avait le choix, il n’échangerait pas son existence contre la nôtre. »

Quand il parvient à trouver un travail, puis une petite amie, la satire sociale ne s’éloigne pas : « Annette considère le monde de manière très simple et très carrée. Un peu à la façon du flic. Il y a la vertu. Le bien. Le mal. Et surtout une frontière nette entre le bien et le mal. Ce sur quoi on peut compter, la morale, la police, la justice.  Annette a vécu dans une bonbonnière. Jusqu’à il y a quelques heures. Son brusque et bref sursaut d’émancipation a vite pris du plomb dans l’aile, elle ne va pas tarder à regretter le confort, la stabilité, la sécurité que ses parents ont implantés et entretenus dans leur maison toute neuve à l’écart de toutes les formes de poisse. »

Et les faits divers continuent à graviter autour de lui : les voisins égorgés, la tenancière de bistrot à la cuisse légère, le braquage de son frère devenu caïd, le tabassage en règle du voisin pour une histoire de magot, une journaliste noyée étrangement… Comme si une toile d’araignée maléfique se tissait lentement mais sûrement autour de notre anti-héros.

D’un seul coup, au détour d’un chapitre, dans la deuxième partie « Les morts 1982-1983 », notre héros à la Zola disparaît. Le « je » est abandonné. Noëlle Renaude nous prend par surprise et fait disparaître le narrateur. Les uns et les autres prennent la parole, enquêtent sans être de vrais professionnels et s’interrogent sur cette disparition soudaine. Certains liens se font entre les personnages, d’autres s’avèrent moins pertinents. Le sort s’acharne sur notre anti-héros. Il était invisible étant enfant, il le redevient en tant qu’adulte, comme si son journal n’avait été qu’une sombre parenthèse.

La troisième partie, « Les fantômes en 2018 », forme un dénouement qui laisse encore le lecteur dans l’obscurité. On découvre ce que sont devenus les personnages qui gravitaient autour de notre anti-héros et on perçoit les tenants et aboutissants sordides de sa disparition… Ambiance poisseuse et lugubre pour achever ce roman noir. Aucun espoir ne nous sera accordé.

Un premier roman incisif, dérangeant et pas très optimiste. Un roman dont on aime la noirceur et l’indélicatesse. Un roman à déposer sous le sapin sans paillettes ni trompettes.

Les abattus / de Noëlle Renaude – Editions Payot Rivages (collection Rivages noirs) – 2021 – ISBN 978-2-7436-5220-3 Sur le site de l’éditeur

 

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