Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! On repart dans les années 70 et on prend le large à la rencontre de « Celui qui a terrifié nos bains de mer pendant des années » : le grand blanc des Dents de la Mer version roman horrifique !
Il est reconnaissable entre mille, avec ses dents acérées, son petit regard noir, son aileron surdimensionné, son appétit d’ogre et surtout la musique lancinante qui l’accompagne dans tous ses déplacements télévisuels… Le requin des Dents de la mer est votre pire cauchemar de vacances estivales en bord de mer ! Et vous avez haï Spielberg nombre de fois !
A l’origine du film terrifiant sorti en 1975, il y a eu un roman : Jaws, publié en février 1974 par le journaliste Peter Benchley. Ce dernier se passionne pour les faits divers maritimes et son attention est un jour interpellée par la lecture d’un article du New York Daily News qui relatait les attaques de requins et la capture d’un requin de 2 tonnes au large de Long Island dans le New Jersey en 1916.
Son roman reprend donc ces éléments comme fil rouge. 310 pages qui dresse le portrait de ce requin, serial killer du monde maritime : « Le grand poisson filait silencieusement à travers les eaux ténébreuses qu’il fouettait de sa queue en forme de croissant, la gueule ouverte juste ce qu’il fallait pour assurer la circulation d’un courant d’eau sur ses ouïes. En dehors de ces coups de queue secs, il se contentait de soulever ou d’abaisser de temps à autre une nageoire pectorale pour corriger sa trajectoire apparemment sans but, comme un oiseau qui, pour changer de direction, incline tantôt une aile, tantôt l’autre. Ses yeux étaient aveugles dans l’obscurité et ses autres organes sensoriels ne transmettaient rien d’extraordinaire à son cerveau primitif et de volume réduit ». Ainsi démarre le roman de Peter Benchley et notre rencontre avec ce grand requin blanc.
Le massacre commence donc en pleine nuit, au bord d’une plage, lorsqu’un couple décide de se baigner pour se rafraichir les idées. Tom est ivre et s’endort tandis que la jeune femme Chrissie s’enfonce dans les eaux noires. [Musique du thème principal du film : Un ostinato, deux notes, mi et fa, jouées dans le grave] « Le squale s’était éloigné. Il avala la jambe de la femme d’une seule bouchée, sans mâcher, chair et os. Alors, il fit volte-face et se rua en direction du jet de sang s’échappant de l’artère fémorale. C’était pour lui un repère aussi parlant qu’un phare dans une nuit sans nuages. »
Il ne s’agit plus d’un grand poisson du début de roman mais bien plutôt du vrai visage d’un monstre sanguinaire ! Voilà donc la bête qui va détruire l’American Way of Life d’Amity, petite ville côtière de Long Island aux 19 000 touristes et avec une saison estivale à préserver. « Brody n’ignorait pas qu’une mauvaise saison aboutirait à multiplier par deux le nombre des chômeurs secourus. »
Martin Brody, qu’on ne vous présente plus, chef de la police locale, commence par en découdre avec Harry Meadows, directeur du Leader, la feuille de chou locale, toujours prompt à relater les faits divers les plus croustillants. Puis avec le maire Lawrence P. Vaughan, qui a un avis plutôt mitigé sur la fermeture des plages pour cause de requin mangeur d’hommes à quelques jours du 4 juillet et de la sacro-sainte fête nationale américaine. L’édile est en effet agent immobilier à ses heures perdues et les magnats des affaires qui louent de somptueuses demeures le long des plages et qui annulent leur location les uns après les autres ne sont pas du tout de son goût. C’est mauvais pour les affaires tout ça ! « Cette ville survit grâce à la population estivale, monsieur Whitman. Appelez cela du parasitisme si vous voulez : en tout cas, c’est ainsi. L’animal-hôte revient chaque été et Amity le dévore à belles dents, arrache chaque parcelle de subsistance dont elle peut s’emparer avant que l’hôte ne reparte avec le Labor Day. Enlevez-vous l’hôte et nous sommes comme des tiques qui n’ont pas de chien pour se nourrir. Nous mourrons de faim. Cet hiver sera, dans le meilleur des cas le plus dur que la ville ait jamais connu. Il y aura tellement de gens inscrits au bureau de chômage qu’Amity ressemblera à Harlem. Harlem-sur-Mer, ajouta-t-il en ricanant. » Quand les cadavres dévorés s’accumulent, la presse s’en donne à cœur joie et, contrairement au film de Spielberg, Brody n’en sort pas grandi…
Autre différence avec le film, le jeune scientifique appelé à la rescousse pour comprendre le pourquoi de la présence du requin dans les eaux côtières, Matt Hooper, est un beau gosse qui fait tomber les veuves et les pas encore veuves. Dont Ellen, la femme de Brody. Un motel, des dessous affriolants qu’on ne sort qu’une fois l’an et la certitude de pouvoir toujours séduire à 50 ans… Alors quand Hooper contredit Brody, le combat de testostérone démarre. Et la course contre le poisson aussi ! Quint, marin bourru, est recruté pour chasser le squale, avec comme matelots Brody et Hooper.
La 3è partie s’ouvre donc sur l’Orque, le navire de Quint. Entre appâts sanguinolents et échanges d’amabilités écologiques, les tensions sont vives. « Le rire sec de Quint rompit la tension. « Quelle paire de cons vous faites, vous deux ! Je l’avais deviné à l’instant même où vous êtes montés à bord, ce matin ! ».
Les journées s’étirent molles et calmes sur l’océan… mais Carcharodon Carcharias ne tarde pas à pointer son museau. « Nom de Dieu ! » balbutia Brody. Le museau plat et conique d’un requin avait surgi à moins de trois mètres de la poupe, un peu à tribord. Il émergeait de près de soixante centimètres. La tête du squale d’une teinte gris foncé, était percée de deux yeux noirs. De part et d’autre de ce museau, là où la peau grise devenait d’un blanc laiteux, s’ouvraient les narines, sillons profonds creusés dans le cuir épais. La gueule entrouverte était une obscure caverne que défendaient d’énormes dents triangulaires. » Entre fascination et répulsion, seul Quint garde les pieds sur terre (mer ?) : « Mais il ne faut pas non plus vous en faire une montagne. Ce n’est rien de plus qu’une poubelle géante. » S’engage un face à face entre les 3 hommes et le sélacien, un jeu de piste où on ne sait plus qui est la proie ou le chasseur.
Le 3è jour, l’étau se resserre. « Enfin, il s’immobilisa à six ou sept mètres de l’embarcation et resta un instant comme figé. Sa nageoire caudale disparut, l’aileron s’éloigna et s’évanouit. Alors il sortit la tête de l’eau. Une tête massive dont la gueule béait en un ricanement cruel. Ses yeux étaient deux gouffres de ténèbres. Brody, muet d’horreur, avait l’impression de ressentir ce que l’on doit éprouver quand on regarde le diable en face. »
C’est à ce moment que la curiosité scientifique de l’ichtyologue atteint son apogée et qu’il se jette à l’eau dans une cage en métal. « Il baissa les yeux, leva la tête et regarda à nouveau. Le requin ! Il s’élevait lentement, sans à-coups, sans efforts apparents, ange de la mort se rendant à un rendez-vous fixé de toute éternité. […] Quand la bête passa devant ses yeux – avec désinvolture comme si elle était fière de faire admirer sa masse et son poids incalculables -, sa tête glissa à quelques dizaines de centimètres des barreaux. D’abord le museau, puis la gueule molle et souriante, hérissée de dents triangulaires, pressées les unes contre les autres. Ensuite, un œil noir, sans fond, qui semblait rivé sur le plongeur. Ses ouïes frémissaient, plaies exsangues fendant son cuir métallique. »
Faisons fi des spoilers. Contrairement au film de Spielberg où le jeune scientifique survit, ici, le poisson, bête surgie des enfers, aura raison de lui et en fera son quatre heures. Rendant fou de rage et de vengeance ses co-équipiers. « Je tuerai ce requin, Brody. venez avec moi si vous voulez. Restez chez vous si vous préférez. Mais je le tuerai. » Ses yeux étaient aussi noirs, aussi insondables que ceux du squale. »
Quatrième jour, page 299 sur 310, la fin est proche. Et le combat sera rude. Le poisson est tour à tour salaud, salope, fumier, bouffeur de merde, saloperie de merde, saloperie. Le combat est âpre, rude, violent. Seul Brody s’en sortira : « Le squale coulait en décrivant une lente et gracieuse spirale, entraînant le corps de Quint, bras écartés, la tête rejetée en arrière et dont la bouche béante semblait hurler une muette protestation. »
Un petit livre étonnant et amusant donc. Où les premières parties s’attachent aux tergiversations humaines (politiques, sexuelles et testostéroniennes) avant de se consacrer pleinement à cette incarnation du Mal le plus pur. Le squale est un suppôt de Satan qui vient détruire ce que l’humanité n’a pas de plus pur assurément. Animal mystique (Hooper évoque son ancêtre le mégalodon avec des paillettes dans les yeux), il n’en reste pas moins assimilé au Léviathan. Le requin draine aussi dans son sillage les ravages économiques et sociologiques de sa présence dans cette zone touristique. Parallèlement à la mafia qui tient les parties intimes du Maire Vaughan entre ses poignes (un détail étonnamment éludé dans le film de Spielberg). Il faudra toutefois le sacrifice de plusieurs êtres (quelques poulpes, un dauphin prématuré, un mouton, un océanographe et un marin bourru) pour que le requin passe enfin l’arme (la nageoire ?) à gauche.
Un livre devenu best-seller après sa première publication en février 1974 : le roman est en effet resté sur la liste des meilleures ventes durant 44 semaines ! Et sa version poche a été vendue à des millions d’exemplaires l’année suivante (plus de 9,5 millions d’exemplaires aux États-Unis et 20 dans le monde). Plusieurs fois, Peter Benchley, décédé en 2006, a dit que s’il avait mieux connu les requins, il n’aurait jamais écrit Les Dents de la mer. Plus tard, il a même rajouté une préface en forme d’excuse, plaidant pour la sauvegarde d’une espèce en danger. Mais le monstre était né et il reste tapi dorénavant dans l’ombre de chacun de nos bains de mer…
Mais si vous voulez rattraper les erreurs de Peter Benchley, allez faire un tour sur Ocearch pour suivre des requins blancs munis d’une balise GPS. C’est tout à fait fascinant… Et vous pourrez toujours acheter un joli tee-shirt « I love Sharks » sur le shop…
Jaws [Les Dents de la mer] / Peter Benchley
Hachette / Le Livre de poche
310 pages
ISBN 9782253013099
Livre d’occasion déniché à un tarif défiant toute concurrence.
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