[2021] Des bouqu’1 sous le sap1 #1 : maître Corbeau par maître Pastoureau

Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Et pour ce premier décembre et premier opus de la série, une case Histoire animalière sous la plume de l’historien Pastoureau : ouvrez grand votre cœur à Corvus corax et ses cousins !

Le-corbeau

Michel Pastoureau est un historien médiéviste passionnant et passionné ! On l’avait découvert, lui et son travail, aux Champs Libres il y a quelques années (en 2015 tout de même !) lors d’une conférence intitulée « L’animal et l’historien : l’exemple du Moyen-Âge ». Les statuts de l’ours, du loup et du cochon avaient été disséqués méticuleusement et non sans humour ! Puis, on avait assisté médusés à cette conférence sur « Le jaune dans tous ses états » en janvier 2020. Non content de s’intéresser à un bestiaire, l’historien s’était entiché des couleurs ! Et quel(s) voyage(s) ! Rouge, vert, bleu, noir… Une vraie mosaïque !

Michel Pastoureau a l’art et la manière de parler de ses sujets favoris simplement mais avec passion. Il sait mettre son savoir encyclopédique à la portée de tous et il pique notre curiosité comme personne. Alors, quand on a su qu’il publiait un ouvrage sur les corbeaux, on n’a pas attendu le Père Noël !

Il faut dire que les corvidés retiennent toute notre attention depuis notre visionnage du documentaire scientifique canadien « Les corbeaux ont-ils une cervelle d’oiseau ? » de Susan Fleming (2010). Un documentaire qui présentait les corvidés sous un autre jour : aussi intelligents que les primates et avec des comportements comparables (vie familiale, éducation des petits, apprentissage, mémoire collective, maniement d’outils, esprit de déduction très poussé et comparable à celui d’un enfant de cinq ans, sens de l’observation et notamment mémoire des visages humains pendant au moins deux ans…). Impossible de rester insensible à ces bestioles dotées d’une intelligence supérieure ensuite !

Michel Pastoureau, avec son dernier ouvrage Le Corbeau. Une histoire culturelle (publié au Seuil en octobre 2021) vient compléter voire amplifier le propos. Comme dans ses deux précédents ouvrages consacrés l’un au loup, l’autre au taureau, l’historien retrace l’histoire symbolique, littéraire, lexicale et artistique de Maître Corbeau sur son arbre perché. Un beau livre à la couverture souple, doté d’un certain nombre d’illustrations en couleur, d’un texte dense mais accessible même si on n’a pas fait d’études universitaires en Histoire. Bref, un joli bouquin à glisser sous le sapin pour ceux dont la curiosité est insatiable.

On y apprend que le corbeau a traversé les époques et les modes non sans heurts, notamment en Europe. Adulé dans l’Antiquité et chez nos voisins scandinaves, il était considéré comme le messager des dieux. Mais l’obscur Moyen-Âge pointe son nez et le corbeau sera banni et honni par l’Eglise catholique. Rien d’étonnant à cela, me direz-vous ! On connait en effet toute la bienveillance que peut porter l’Eglise à ses sujets, qu’ils soient humains ou relevant du règne animal… Affublé des pires vices et rattaché aux diableries sataniques, le corbeau subira donc massacres et campagnes de dénigrement.

Chez les Romantiques, il reste associé à la mort et son aura se traduit par malheur, tristesse et superstitions en nombre. Edgar Poe ne déroge pas à la règle dans son poème The Raven (1845). Et Gustave Doré illustrera la traduction de Baudelaire par une série de gravures macabres mettant en scène notre corvidé préféré. Les anglo-saxons, Shakespeare au premier rang, font aussi du corbeau la figure tutélaire du crime, de la mort et des malédictions…

Classé nuisible dès la moitié du XIXè siècle, il faudra attendre 2017 pour que le Conseil d’État annule en France le classement dans cette catégories de plusieurs espèces de mammifères et d’oiseaux, comme la pie bavarde, la fouine ou la corneille noire, dans une douzaine de départements.

« Petite boîte crânienne » dit-on des corvidés dans Les Oiseaux d’Hitchcock, n’empêche qu’aujourd’hui, la science les réhabilite pleinement, leur ré-attribuant même les signes implacables d’une intelligence supérieure. Malin et opportuniste, il sait jouer de son environnement, il utilise des accessoires pour arriver à ses fins, il communique par des signes, il sait imiter des sons… Michel Pastoureau finit son ouvrage en réhabilitant l’animal et lui reconnaissant certains défauts qui ont fait son malheur : « Les corbeaux jouent, les corbeaux parlent, les corbeaux observent et mémorisent […]. Le corbeau n’est pas seulement un intermédiaire entre le ciel et la terre, entre la vie et la mort, c’est aussi un mystificateur. Il trompe tout son monde, les animaux, les hommes, les dieux. Parfois, il trompe même l’historien. »

Une chose est sûre : après avoir dévoré ce livre, vous ne regarderez plus jamais corbeaux, corneilles, choucas et autres corvidés de la même façon…

Le Corbeau : Une histoire culturelle / Michel Pastoureau
Editions du Seuil – collection Beaux Livres
160 pages
ISBN 2021477932
Prix : 19,90€

 

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