L’une des (nombreuses) facettes du kaléidoscopique festival Maintenant reflète les myriades irisées qui illumine(ro)nt maintenant (et demain) les nuits électro et techno de leurs productions racées et pointues. Pour ses soirées clubbing, Maintenant aime ainsi concocter des programmations exigeantes, alliant talents en devenir, têtes chercheuses et efficacité sur le dancefloor avec des artistes emblématiques d’une recherche actuelle, qui parlent tout autant à la tête qu’aux jambes, histoire de danser toute la nuit sur un futur en train de s’écrire… Ce samedi 14 octobre, c’est donc pour la Nuit Electronique 2 que nous retrouvons l’Antipode pour une programmation qui nous fait d’ores et déjà frissonner d’impatience. Compte-rendu.
SKY H1 Rhor Sha
On attendait avec impatience la venue de SKY H1 à l’Antipode MJC. Làs, l’ouragan qui fit le ciel tout jaune les jours suivants, eut aussi la mauvaise idée de clouer au sol tous les avions en provenance de Grande-Bretagne. La jeune femme, coincée à l’aéroport d’Heathrow, dut donc être remplacée au pied levé par Rhor Sha issu du collectif rennais NVNA fondé en 2013. Le garçon, accompagné par Opasse, le fondateur dudit collectif, a la délicate tache d’assumer le warm up et d’amener progressivement tout le monde sur la piste. Autant dire que les deux Rennais assument et assurent : l’intensité et la densité du live montent progressivement, comme les décibels. On se laisse gagner par cette esthétique entre techno et ambient post-industrielle, pleine de crépitements sournois, de nappes sombres et de beats hypnotiques qui petit à petit amène tout le monde sur la piste et nous met sur les meilleurs rails pour la techno polaire qui va suivre. Les garçons osant même s’accorder un final bruitiste, magma sonore plutôt abstrait (sans pied marqué), qui finit de convaincre le(s) plus noiseux d’entre nous.
Varg
Le garçon qui suit, sans quasi temps mort, partage avec les précédents une même profonde affection pour le black metal. Capuche vissée sur la tête, clope au bec, Varg, en transpose les sombres atmosphères dans ses paysages électroniques à la fois profonds et désolés.
Le co-fondateur du label Northern Electronics, qu’Abdulla Rashim a converti aux machines au début de la décennie, commence ainsi son live avec de magnifiques nappes ambient, profondes et aériennes, des voix fantomatiques sur lesquelles viennent très progressivement s’agréger de sombres concrétions de rythmes brouillés, quasi crissants.
Alternant ou mélangeant nappes à la Badalamenti, vagues figées par le gel, grésillements et stridences obsédantes, rythmiques en même temps martiales et tournoyantes (à la Plastikman/Hawtin), Jonas Rönnberg ouvre la voie à un parcours somme toute foisonnant (et parfois déroutant) mais bien souvent passionnant : jouant de montées progressives où les rythmiques infernales ne peuvent que nous catapulter les bras en l’air, saturant nos synapses de stridences qui laissent étonnamment toute la place dans nos oreilles aux événements sonores les plus lointains et infimes émergeant du brouillard, imposant à nos corps le mouvement irrépressible, Varg nous emmène où il veut. Coupant d’un coup les rythmiques, nous roulant, trempés de sueur dans de nouvelles nappes brumeuses, nous ramenant, hébétés sur des étendues sonores glaciales.
Techno mentale, montées acid, ambient malade et bpm arides en mode rave (avec une saillie hip hop déprimée) se succèdent, même se mélangent, pour un live hyper construit, sûrement abrupt, parfois déroutant pour qui souhaite garder pied(kick), mais qui nous fait finalement un effet de dingue. La manière dont ce gars-là amène ses sons, parvient à modifier les atmosphères, est particulièrement docte et intrigante. Varg multiplie ses angles d’attaque et se révèle bien souvent passionnant.
Abdulla Rashim
Le blondinet Abdulla Rashim/Anthony Linell fondateur émérite de l’excellent label Northern Electronics, dont la qualité et l’exigence des sorties n’est plus à démontrer, enchaîne lui aussi avec un live et va nous offrir une (trop courte) heure de pur plaisir, pour ne pas dire une suée définitivement libératrice sur le dancefloor.
Le garçon qui affole en effet toute la sphère des musiques électroniques aventureuses et ce depuis ses premières sorties, aussi bien sur son tout premier label Abdulla Rashim Records (6 eps sous le pseudo Abdulla Rashim entre 2011 et 2013) que sur Prologue et Semantica, tout comme sur ses passages au long format transformés haut la main, que ce soit sous le nom d’Abdulla Rashim ou celui d’Anthony Linell, va en effet nous coller les pieds au dancefloor sans qu’on arrive à s’en détacher la moindre milli-seconde.
Avec sa techno hypnotique aux textures travaillées et triturées jusqu’à la moelle, le jeune suédois nous surprend par la maturité confondante de son set et l’étendue de sa palette. La classe au-dessus, se dit-on déjà lors des premières boucles, tant le son est ciselé avec finesse, tant les textures à l’ébouriffante densité se révèlent fluides et addictives.
Sans aucun temps mort, et sans jamais envoyer l’artillerie lourde, le musicien déplace pour nous l’Antipode en apesanteur. Percussions anguleuses et concassées avec bonheur, textures à l’insondable profondeur, nappes toxiques et puissantes qui ne ne jouent jamais sur les stridences, le garçon à la dense intégrité enchaîne tout avec une classe étourdissante. Pépites de deep techno aventureuses et racées, inépuisables et hypnotiques, déferlent sans qu’on ne puisse s’en détacher. On fait corps avec le son, on décolle (ce n’est pas une image, condensation et bières renversées rendent le dancefloor tour à tour glissant et adhésif) toujours plus intensément nos pieds du sol. Chaque boucle, chaque kick s’imprime puissant, sans qu’on en perde la moindre nuance. Le set s’achève, nous laissant aussi ruisselant qu’extatique. Avec le sentiment de n’avoir rien vu venir, étonnés que nous sommes que le temps se soit en même temps condensé et étiré à ce point, tant on a conscience de s’être plongé dans chaque seconde du live du Suédois. Bigre, on en ressort aussi essoré qu’immensément reconnaissant.
Knappy Kaisernappy
On n’a même pas le temps de redescendre que l’on retrouve déjà Knappy Kaisernappy (qu’on connaît aussi par ici pour ses créations graphiques, dont le Projet Pilot réalisé avec Antoine Martinet aka Mioshe présenté pendant l’édition de Maintenant de 2014), qui a déjà proposé live ou dj set à plusieurs reprises sur le festival (les éditions précédentes), derrière deux platines vinyles pour un mix aussi généreux que chaleureux.
Souriante, en salopette, le casque sur les oreilles, la jeune femme enchaîne les sélections sur ses platines vinyle tout en se permettant d’ajouter des arrangements de son cru à l’aide d’un synthétiseur analogique et d’un sampler, les deux instruments multipliant d’autant les possibilités de jeu de la jeune femme.
Avec un enthousiasme communicatif, la musicienne déroule un set particulièrement bien senti, dont on n’entend qu’une partie (on est déjà bien moulu) mais qui nous emballe tout à fait. Et dont on n’a aucun doute qu’il porte les danseurs sans faiblir jusqu’aux premières heures du matin.
Lorsqu’on ressort de l’Antipode, le sourire jusqu’aux oreilles, on ne doute pas une seconde que l’épaisse brume qui nous accueille ne soit en réalité le corollaire de fumée de la techno incendiaire des deux fondateurs de Northern Electronics. On est rincé mais aussi ravi que reconnaissant : on a incontestablement dansé toute la nuit sur un futur en train de s’écrire.
Photos : l’inépuisable Mr B.
Maintenant 2017 a eu lieu du 10 au 15 octobre 2017.
« Knappy kaisernappy » pas « Knappy Kaiserknappy » 😉
wow ! toutes mes excuses pour la faute de frappe dans le texte, Elsa, c’est corrigé 🙁
Merci beaucoup pour ton article concernant cette date ! Néanmoins, la bonne orthographe n’est pas « Rhor Sha », mais « Rohr Sha ».
Amicalement