Maintenant 2017 – Le jeudi, c’est mieux à 2 !

Maintenant, c’était jeudi. Et ça avait un fort goût de demain. Avec deux soirées quasi concomitantes sur les deux campus rennais : Expérience 2 du côté de Villejean, Nuit Textiles 2.0 du côté de Beaulieu qui donnaient pareillement le goût du futur. Retour sur un jeudi soir 2 point zéro entre textile connecté, verres à vin agonisants, suspense haletant, ours en sweat musical, negro spiritual de métier à tisser et musicien enfermé dans une grosse boule bardée de leds.

Expérience 2, le concept

Dans la foisonnante programmation du festival Maintenant, vient se nicher un sextet de propositions particulièrement singulières. La série Expérience consacrée «à la découverte de formes expérimentales et vitrine des avant-gardes» nous emmène ainsi dans de délicieuses explorations de territoires sonores atypiques, parfois déconcertants, mais toujours excitants pour les oreilles et le cerveau.

Scalar V.002 par V4w.enko

On a donc commencé la soirée au Tambour, sur le campus de Villejean, avec l’Expérience 2 divisée en deux temps qui mettaient chacun en lumière deux performances autant sonores que visuelles. C’est Evgeniy Vaschenko aka V4w.enko qui débute, proposant au public de découvrir sa performance Scalar V.002. Nappes éthérées, crépitements crissants et résonances métalliques grésillent dans la salle plongée dans l’obscurité. En parallèle, des visuels abstraits, des formes colorées, flottantes, semblent se mouvoir en trois dimensions projetées sur un écran derrière la scène. Si on a du mal à se laisser totalement emporter au départ par ces crêtes sonores arides, déchiquetées et découpées au rasoir, on rentre progressivement dans le propos.

On n’aperçoit qu’à peine l’artiste ukrainien et on est bien incapable de comprendre ce qu’il est en train de faire. On a lu que le garçon créait en temps réel ses compositions musicales et visuelles à partir d’applications numériques qu’il développe lui-même. On apprend ainsi que Scalar V.002 génère un environnement sonore interactif qui réagit au mouvement de l’artiste. Tout comme l’outil de codage visuel qu’Evgeniy Vaschenko utilise également pour créer des visuels eux aussi interactifs. Les mouvements lents et rapides déclenchent différentes modifications sur le son et sur les visuels en trois dimensions qui flottent sur l’écran. Si ce n’est pas très lisible lors de la performance, cela ne nous empêche d’apprécier à leur juste valeur les sons ciselés à l’extrême, tout comme l’attention portée à la qualité des textures sonores. On n’est un peu moins emballé par les visuels, mais la performance a le mérite d’être relativement immersive, et si on l’aurait préférée un peu plus ramassée, concentrée dans le temps, on apprécie cette entrée en matière.

Autopsy.glass par Myriam Bleau : Dexter vs verres à vin

On est ensuite ravi de retrouver l’artiste canadienne Myriam Bleau de retour dans la programmation du festival. En 2015, on avait pu découvrir sa performance Soft Revolvers qui utilisait quatre étranges toupies lumineuses, translucides et bardées de senseurs. La vertigineuse rotation de ces toupies évoquant aussi bien la virtuosité des danseurs hip hop que les délices scratchés du turntablism et produisant une musique au groove gracieux et électrique parsemée de pétillants parasites. La Québécoise amatrice de sons inédits est donc de retour sur cette édition de Maintenant avec sa nouvelle création, Autopsy.glass, la bien nommée, une performance audiovisuelle qui explore le potentiel sonore et visuel de l’agonie de verres à pied.

Sur un immense plateau tout en longueur, une grosse trentaine de verres à vins est disposée, chacun prenant place dans un rectangle lumineux qui peut aussi bien s’éclairer que s’éteindre et même se mettre à trembler, secouant légèrement le verre qu’il supporte. Derrière cette immense table dressée, un écran qui permet à la fois de rendre encore plus saisissants les crépitements de la lumière, et d’immerger l’auditeur-spectateur dans des gros plans sur certaines des actions de l’artiste. Munie de gants (aussi bien pour se protéger des éclats de verre que pour jouer de la posture du scientifique/légiste), Myriam Bleau va et vient derrière la table, se saisit d’un verre, le repose, fait glisser son doigt sur le fil du verre pour le faire chanter, se déplace, féline, dans le cliquetis des verres provoqué par les vibrations des plaques lumineuses.

Sur la table, des micros sont disposés, amplifiant le son, le déformant aussi parfois. Commence alors la méthodique extermination de chacun des verres à vin. Les ciseaux crissent, le verre résiste, le geste est chirurgical, radical. Myriam Bleau insiste. Prend son temps, soigne ses effets, utilise les outils de la médecine comme instruments de torture, parfois avec douceur, parfois avec violence et brise méthodiquement chacun des verres qu’elle choisit. « J’avais envie de poursuivre et d’approfondir la notion de tension physique effleurée dans Soft Revolvers, lorsque les toupies risquent de tomber de la table. (…). Dans autopsy, je veux développer le stress d’une destruction anticipée, » expliquait la performeuse à Digitalarti.

Ainsi, un peu à la manière de l’extraordinaire collectif allemand Transforma avec Yroyto qui nous avaient subjugués avec Asynthome  en 2010 dans la même salle, mettant en scène l’inéluctable fin d’un ballon se gonflant face à un clou immobile et inévitable, la musicienne réussit à capter le chant d’agonie d’un verre de cristal pris dans un étau, qu’elle referme progressivement, à lents tours de manivelle. Filmé en gros plan, qui s’affiche sur grand écran, le moment de torture est haletant, dérangeant. Comme dans les tragédies, la fin est connue, mais observer l’objet aller inéluctablement vers sa fin devient rapidement hypnotique. D’autant que le moment de l’agonie s’en trouve ralenti, amplifié.

La tension que la manipulation des verres peut susciter, la tension résultant de l’anticipation de la destruction sont amplifiées par la mise en scène, jouant tout en même temps d’effets lumineux et sonores. La temporalité se retrouve fragmentée, par des jeux de lumière, des noirs soudains, des éclats lumineux (a priori générés numériquement si on a tout compris), des effets sonores faits de débris, de résonances et d’éclats. Un peu à la manière d’un séraphin vénitien (entendez un plateau de verres plus ou moins remplis d’eau dont on joue en en glissant ses doigts mouillés sur les rebords des verres en cristal) ici méthodiquement explosé. Le mélange particulièrement inspiré, entre films noirs, thrillers, ou autres séries criminelles (cadrages, sens du timing, de la mise en scène, jeu de citations) qui sont ici sous-texte à l’œuvre, et art conceptuel est sans conteste l’une des plus belles réussites d’Autopsy.glass. La performance, extrêmement physique (on ne dévoile pas le final à ceux qui ne l’auraient pas vu), est brève, ramassée (25 minutes tout au plus), mais particulièrement intense. Au final donc, un moment aussi incisif qu’éblouissant, qui se place définitivement dans notre top du festival.

Nuit Textiles 2.0 : Do it 2gether

On se précipite alors au Diapason sur le campus de Beaulieu pour y découvrir les propositions du festival sur cette deuxième partie de soirée. Enfin, plus exactement et ce malgré notre célérité entre les deux campus, nous restons patienter un moment à l’extérieur, tant le lieu est plébiscité et plein comme un œuf.

Il faut dire qu’y sont entre autres exposés/présentés, les prototypes et résultats de travail des Workshops initiés par Maintenant autour du textile encadrés par Bérengère Amiot et Lucie Le Guen (designers), Florence Bost et Lucile Drouet (designers textile), Agathe Mercat (couturière), Morgan Daguenet (musicien) Jean-Baptiste Le Clec’h et Jean-Marc Méléard (makers) et qui ont eu lieu entre fin septembre et mi-octobre. Ces derniers ont rencontré un vif succès et les réalisations sont nombreuses.

On n’a pas le temps de tout voir mais d’un côté ça tricote à tout va, tandis que de l’autre d’étranges étoffes tissées attirent l’œil, plus loin des coussins lumineux s’éclairent, des mannequins de couture également, alors qu’une machine à tricoter circulaire (Circular Knitic par Varvara et Mar dont les plans sont en open source et réalisables à l’aide d’une imprimante 3d) tourne et travaille, infatigable.

On assiste tout de même  au défilé musical des SweatZIP réalisés par la couturière Agathe Mercat et dirigé par le chef d’orchestre Morgan Daguenet (aka Bertuf). Habillés de vêtements conçus comme des instruments de musique, cachés derrière de très beaux masques d’animaux en cartons pliés, une poignée d’étudiants réalise ainsi une création musicale et sonore étonnante, baissant ou montant leurs fermetures éclairs, joignant leurs poignets ou leurs mains équipés de capteurs et autres branchements numériques, pour un moment rafraîchissant et sympathique.

Plus loin, on retrouve Uluce, qui a bien grandi depuis l’an dernier. Les trois comparses du collectif Récif ont imaginé une structure participative, poétique et sensible, un objet à 13 faces sensibles, tendues de toiles, qui agissent comme des interrupteurs, des capteurs. Autrement dit lorsqu’on touche la toile de l’une des faces, on déclenche un signal lumineux et un signal sonore. Si un second spectateur/utilisateur touche la toile en divers endroits de concert avec le premier,  une « symphonie sonore et lumineuse improvisée » voit le jour. Si le prototype réalisé l’an dernier a évolué, Uluce se veut toujours aussi poétique que favorisant les échanges.  Et obtient encore un joli succès.

Juste avant les animaux connectés de SweatZIP, on apprécie particulièrement le Métier à Tisser Sonore présenté dans un encadrement de rideaux tissés désormais ouverts. Collaboration entre Elodie Fiat (bruiteuse à Radio France), Hélène Hingant (l’une des graphiste de MyFish IsFresh) et Lucile Drouet (designer textile), la performance est aussi intrigante qu’envoûtante. Cherchant à entendre le chant du métier à tisser, ou peut-être le chant des métiers tout court, les trois jeunes femmes allient dans un même geste work songs (oui, on pense aux esclaves afro-américains des champs de cotons), répétitions rythmiques créées par les mouvements du métier à tisser mécanique actionné à la main, sons des travaux (l’eau, la planche pour laver le linge), mélodies vocales et modélisations graphiques du tissage (avec un clin d’œil aux notations musicales des chants grégoriens ?) projetées en arrière-plan (est-ce que le changement d’armures -modèles de tissage- crée des chants différents, en est-on alors à se demander ?), tous tissés avec beaucoup de nuances pour un résultat au final bien plus envoûtant qu’on ne l’aurait cru. Une propositions simple, mais réalisée avec beaucoup de talent et de finesse.

La soirée s’achève alors (pour nous !) avec la seconde présentation d’Entropia par Fraction et Starnault, étrange installation/performance immersive installée dans la salle du Diapason. Au centre un immense globe lumineux, dans lequel se glisse Fraction et derrière lequel un écran circulaire sert de toile de projection aux animations visuelles. Entropia se propose d’immerger le public dans un environnement dynamique qui interroge les limites entre installation et performance. Initié en 2014, dans le cadre d’une résidence à la SAT (Montreal), le projet est d’abord pensé par Fraction qui souhaite explorer les possibilités de la spatialisation du son, de la musique électronique qu’il crée, en temps réel. Fraction est un musicien français, compositeur et producteur de musique électronique expérimentale dont le travail explore les limites de la composition spatiale du son dans la création d’expériences immersives. Après la sortie de son premier ep Superposition chez InFiné, Eric Raynaud s’est en effet éloigné des champs de musiques actuelles plus traditionnels pour se concentrer sur les arts numériques, et aime à mélanger les médias qu’ils soient visuels, sonores ou physiques dans son travail, mêlant un son immersif 3D avec des questions d’architecture contemporaine (comme avec Entropia).

Fraction a donc commencé par créer une trame sonore, avant d’être rejoint par Louis-Phillipe St-Arnault avec lequel il a ensuite travaillé la scénographie, l’image et la lumière. Inspiré notamment par les travaux de Buckminster Fuller, l’architecte à qui l’on doit l’extension du dôme géodesique (c’est à dire une structure sphérique, ou en partie sphérique, en treillis dont les barres suivent les grands cercles -géodésiques- de la sphère. L’intersection des barres géodésiques forme des éléments triangulaires qui possèdent chacune leur propre rigidité, provoquant la distribution des forces et des tensions sur l’ensemble de la structure. Elle est donc autoporteuse, laissant l’intérieur entièrement disponible -et donc sans piliers-), le projet Entropia demande à Louis-Phillipe St-Arnault d’imaginer une structure géodésique bardée de leds, à l’intérieur de laquelle Fraction génère le son, et qui apparaît comme le contrepoint visuel et lumineux de la performance sonore.

Les deux hommes demandent ensuite à Nature Graphique (mapping video) et Creation Ex Nihilo de les aider à créer la projection de visuels génératifs. Le spectateur-auditeur, aujourd’hui assis face au dôme, se trouve ainsi totalement immergé entre les différentes couches de la performance (la bande sonore créée à l’intérieur du dôme, spatialisée en temps réel, le ballet des leds lumineux sur le dôme géodésique et les visuels projetés sur l’écran, eux aussi générés en temps réel). Si on apprécie particulièrement la qualité des visuels et les géniales manifestations lumineuses sur le dôme central qui crépitent, rayonnent, étincellent ou fourmillent, on regrette un tantinet la formule proposée ce soir qui exclut l’immersion du spectateur dans un visuel à 360°. De la même manière, on s’attendait à être totalement immergé dans le son, ce qui n’est pas complètement le cas. Nos attentes préliminaires étaient peut-être trop élevées. On ne remettra néanmoins pas en question la qualité de la performance proposée, tout comme l’engagement du festival à proposer un accès à des propositions de grande qualité à tous les publics (le tarif de la soirée Expérience 2 était de 5 euros, l’entrée à la Nuit Textiles 2.0 était entièrement libre). On saluera enfin la volonté de l’équipe de Maintenant, soucieuse de mettre en avant le faire ensemble, l’échange, à l’image, non seulement des croisements entre les arts et les disciplines, mais également des workshops proposés qui ont su tout autant mêler publics et makers, et rendre poreuses les frontières. Une belle réussite.

Photos (une maille à l’endroit, une maille à l’envers) : Mr B

 


Maintenant 2017 a eu lieu du 10 au 15 octobre 2017.


 

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