Parcours Sensibles : La photographie pour se rencontrer

Parcours sensibles 2014 - L'inconnu - ElectroniK et Richard Louvet - alter1fo (11)Un chariot photographique ambulant réalisé par des personnes en grande précarité sociale pour partir à la rencontre d’Inconnu(s) en plein centre de Rennes ? Voilà le principe.

Dans le cadre de Parcours Sensibles, l’association Electroni[k] et Richard Louvet ont en effet proposé à plusieurs résidents de différents CHRS (Centres d’hébergement et de Réinsertion sociale) ou travaillant aux Ateliers d’Insertion du Pays Rennais (AIPR) de réaliser un chariot photographique ambulant afin de partir à la découverte de l’Inconnu (autrement dit des passants) pour favoriser les rencontres. Ce mercredi 30 avril, le chariot ambulant était de sortie dans le centre ville de Rennes. Récit.

Parcours Sensibles : favoriser l’implication, l’expression et la valorisation des personnes en situation d’exclusion sociale au travers d’un projet artistique et culturel

Parcours sensibles 2014 - L'inconnu - ElectroniK et Richard Louvet - alter1fo (12)Initié par Cultures Electroni[k], l’Association Trans Musicales (ATM), trois des MJC rennaises (Le Grand Cordel, la MJC Antipode et la MJC Bréquigny) et 8 structures de la FNARS (Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale) en 2010 dans le cadre de l’année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Parcours Sensibles est un projet fort, permettant à des gens qui sont habituellement laissés de côté, de reprendre une place. Leur place.

Depuis la mise en place de Parcours Sensibles, les structures rennaises ont ainsi eu la possibilité de monter des projets destinés aux usagers des associations d’accueil et de réinsertion sociale, le plus souvent en très grande précarité. Pour ces personnes, on pense d’abord au logement, au fait de se nourrir, de se vêtir… L’accès à la culture n’est envisagé qu’après. Que lorsque tout le reste est « réglé ». Or, ne peut-on pas penser qu’il s’agit pourtant là d’un vecteur important d’épanouissement et d’inclusion sociale?

Ce projet, dans la pratique, cela veut dire permettre à des personnes en situation de grande précarité sociale d’aller à des concerts,  à des spectacles, de participer eux-mêmes à des ateliers de création et de pratique artistique.

Parcours sensibles 2014 - L'inconnu - ElectroniK et Richard Louvet - alter1fo (16)Depuis 2010, l’association Electroni[k] continue de proposer différentes actions pour faire vivre le projet. On se souvient entre autre du projet Eclipse, pour lequel l’équipe d’Electroni[k] avait convié en 2012 des résidents du foyer ADSAO à participer à un atelier d’initiation à la photographie argentique encadré par Richard Louvet, photographe membre du BIP (Bureau d’Investigation Photographique) réunissant 7 photographes vivant entre Nantes, Arles, Rennes et Lille, tous « réunis par la volonté d’aller sur le terrain, et de proposer l’image là où elle fait œuvre de partage et d’expérience. »

De la prise de vue au développement, du réglage de la lumière au positionnement du modèle, de la chambre noire (ou presque) à la numérisation des négatifs, les participants avaient ainsi pu découvrir plusieurs aspects de la photographie argentique. Les prises de vues s’étaient déroulées pendant le festival Cultures Electroni[k] lors de la Nuit Art et Sciences dans le hall du Diapason. Les réalisations avaient ensuite été exposées à l’ADSAO.

Un chariot photographique ambulant pour partir à la rencontre de l’autre

Parcours sensibles 2014 - L'inconnu - ElectroniK et Richard Louvet - alter1fo (26)Si cette première expérience avait été un succès dans plusieurs domaines, Richard Louvet nous explique cependant avoir été frustré par l’aspect assez « confiné » de ce premier atelier. Il souhaitait donc initier un nouveau projet où les différents participants pourraient réellement partir à la rencontre des autres.

C’est ainsi qu’est née l’idée d’un chariot photographique ambulant, sur le modèle des (anciens) chariots de rémouleur. Réalisé à partir de plans conçus par Richard Louvet et des pensionnaires de la Maison Relais et des foyers Benoit Labre et ADSAO de Rennes, le chariot a pris forme aux Ateliers d’Insertion du Pays Rennais (AIPR) à partir de matériel de récupération le plus souvent. Et autant dire que l’engin est des plus ingénieux, puisqu’il se présente sous la forme d’un chariot à bras étonnamment léger (on a essayé !), particulièrement maniable (malgré deux roues de vélo facétieuses). Un petit toit protège la chambre noire et un banc amovible (et sur coulisses, s’il vous plaît !) permet à tous (même aux plus anciens) de venir s’y faire tirer le portrait en confiance. A l’intérieur, une petite cavité permet même au photographe de ranger ses affaires (autorisation de prises de vues en bonne et due forme, plaques à insérer dans la chambre noire…).

Parcours sensibles 2014 - L'inconnu - ElectroniK et Richard Louvet - alter1fo (23)Après deux premières sorties (dont l’une sur le marché Ste Thérèse), les participants ont décidé de déambuler dans le centre ville de Rennes ce mercredi 30 avril pour proposer aux passants une « photo gratuite en noir et blanc« 

Partie de l’ADSAO, la petite troupe remonte sous le soleil jusqu’à la place de Bretagne. C’est Richard qui prend les photos, mais c’est aux participants de s’avancer vers l’autre, de proposer une photographie et d’expliquer le projet. Quitte à ce que Richard, comme les coordinateurs du projet, viennent en appui si nécessaire (pour la maîtrise du français pour l’un d’entre eux, pour les aider à vaincre leur timidité pour la plupart).

Ainsi, après des débuts timides, le chariot ambulant stimule les curiosités. A République derrière la Poste, plusieurs personnes acceptent d’écouter la présentation du projet. Certains acceptent même de s’asseoir pour être pris en photo et beaucoup s’arrêtent pour poser des questions.

Parcours sensibles 2014 - L'inconnu - ElectroniK et Richard Louvet - alter1fo (34)La recherche d’un casse-croûte rue Vasselot devra même être interrompue par de nouvelles rencontres, souvent très enthousiastes pour un projet comme celui-là. « Nous cherchons des inconnus. Vous n’êtes pas un inconnu, bien sûr mais vous êtes un inconnu pour moi. Est-ce que vous voudriez être pris en photo ? » Parfois, les inconnus se transforment pourtant en personnalités puisque place du Parlement, c’est Echo Minott (figure du dancehall jamaïcain, auteur du hit Murder Weapon en 1992) que les participants abordent et qui s’assoit volontiers à son tour sur le banc amovible.

Mais ce n’est pas là le principal. Toutes les rencontres sont importantes. Tous ces chemins vers l’autre sont d’égale importance. Plus loin, une dame qui récupère son vélo offre aux participants un sourire aussi bienveillant qu’altruiste durant les prises de vues. Certains participants eux-mêmes acceptent d’ailleurs pour la première fois d’être photographié en groupe, devant d’autres regards. Ce qui était complètement impensable pour certains au début du projet, nous souffle Christian Bazin de l’ADSAO, l’un des coordinateurs du projet.

Parcours sensibles 2014 - L'inconnu - ElectroniK et Richard Louvet - alter1fo (35)On est d’ailleurs ému de voir que chacun participe à sa mesure. D’aucuns se lancent sans trop de craintes dans les discussions avec les passants curieux, d’autres restent plus en retrait. On devine pourtant que pour eux, le fait même de participer, de se tenir à côté du chariot est déjà un grand pas. Pas besoin de mots pour le comprendre, les yeux brillants du plaisir d’être là, à côté du chariot qu’ils ont contribué à construire, de participer à cette aventure, se lisent tout aussi aisément.

Ce petit chariot, aux antipodes des « captations d’image numérique des voitures de Google Streetview » fait le pari de l’aléatoire, prenant les chemins de traverse pour dresser une cartographie plus sensible de l’humain. Les photographies prises par le chariot mobile sont ainsi de très gros plans, en noir et blanc et en négatif, au plus près de nos épidermes. Ceux-là « mêmes que Google floute systématiquement » . Les visages photographiés, terres à rides à parcourir, sont autant de nouveaux territoires à découvrir, « des cartes muettes de (…) visages inconnus [qui] tentent de nous mener chez l’autre » .

A chaque rencontre, ce sont ainsi deux photographies qui sont prises, l’une les yeux ouverts, l’autre les yeux fermés. Les yeux fermés pour que nos regards qui cherchent instinctivement celui de l’autre, se permettent de regarder le visage en plein, et de le découvrir vraiment. Mais aussi les yeux fermés pour la confiance dans la relation établie avec le photographe, la confiance dans la rencontre.

Nous on en aura une nouvelle fois fait de sacrées, des rencontres, pendant ces quelques heures à suivre le chariot et ses participants. Et on restera longtemps ému par ces visages bien souvent rayonnants d’avoir trouvé une place dans ce projet… Leur place, serait-on tenté à nouveau d’ajouter.

A NOTER : Pour ceux qui souhaiteraient partir à la rencontre de l’Inconnu, le chariot ambulant fera d’autres sorties dans Rennes prochainement. Les prises de vues seront ensuite exposées au CRIJ et vous pourrez rencontrer les participants lors du vernissage de l’exposition le mardi 27 mai à 18h au CRIJ. On vous y promet de belles rencontres.

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Plus d’1fos :

Le site de l’association Electroni[k] : http://blog.electroni-k.org/2470/reunion-plate-forme-parcours-sensibles-3/

Le site de Richard Louvet : http://www.richardlouvet.com/

1 commentaire sur “Parcours Sensibles : La photographie pour se rencontrer

  1. Politistution

    bravo pour l’article! j’aurais bien voulu y être, tiens.

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