Maintenant 2018 – Une inauguration en fanfare ?

On vous l’avait dit, la joyeuse équipe de Maintenant ne fait jamais rien comme tout le monde et plutôt qu’une inauguration en fanfare, a préféré une inauguration en mélodicas. Et en ampoules crépitantes pour dancefloor. On vous explique.

On est toujours curieux, puis ravi, de découvrir de quelle manière l’équipe du festival a investi le Vieux St Étienne pour y mettre en valeur les installations qui y sont proposées, en faire un lieu chaleureux aussi family friendly que dancefloor addict et réussir à y faire battre le cœur du festival pendant 10 jours. Chaque année la disposition change et cette édition encore on est bluffé. Le Vieux St Étienne peut être un écrin magnifique avec ses vieilles pierres et sa haute charpente, mais rester un brin imposant et froid. Maintenant est une nouvelle fois parvenu à en faire un lieu chaleureux, où l’on se love dans des canapés ou d’énormes coussins, où l’on partage un verre avec les copains tout en découvrant des œuvres et des performances de haute volée. Aussi cosy que stimulant.

C’est au Santa Melodica Orchestra que revient l’honneur d’ouvrir les festivités. L’artiste autrichien Andreas Trobollowitsch qui nous avait scotché avec son orgue à ventilateurs l’an dernier (au Bon accueil et dans l’atelier mécanique de l’EESAB de Rennes) lors de la dernière édition du festival est en effet de retour avec une vingtaine de volontaires qui composent le Santa Melodica Orchestra. Le doux bonhomme concentre principalement son travail sur des compositions conceptuelles, des installations sonores et la création d’instruments de musique artisanaux… et inattendus ! Le garçon peut ainsi aussi bien écrire une partition pour trois musiciens-bûcherons armés de haches de différentes tailles qui l’exécutent face à des bûches de diverses longueurs et duretés (Hecker – le résultat est bluffant), qu’une pièce pour plante verte tournant sur une platine vinyle entre deux haut-parleurs, le son de sa rotation (notamment lorsque les feuilles viennent buter sur le micro) étant capté et diffusé par les enceintes. Sans compter cet immense hangar dans lequel il a suspendu des guitares classiques se balançant dans les airs au gré des interactions avec les performeurs, qui les désaccordent, les frottent avec un archet, les frappent légèrement avec une baguette ou les relancent dans les airs (Flamenco). Ce soir, c’est son Santa Melodica Orchestra qu’il présente.

Imaginez vingt immenses tuyaux, reliés à des mélodicas et des ballons de baudruche (oui, on le reconnaît, c’est dur à imaginer !), tenus par une vingtaine de jeunes gens qui alternativement, ou de concert, soufflent dedans, leur instrument ployant, se déployant au rythme du mouvement et du souffle qu’ils lui impriment. Le son qui en sourd est une sorte de drone assez onirique, prenant, même carrément fascinant pour peu qu’on prenne le temps de les écouter.

Pour cette entrée en matière, les vingt performeurs se sont répartis à l’entrée du Vieux St Étienne, à l’intérieur et à l’extérieur et forment comme une haie d’honneur aérienne et suspendue pour les festivaliers qui entrent et sortent. C’est assez dingue de voir ces immenses tuyaux danser au-dessus des têtes et accompagner les mouvements au son de ce doux et délicat bourdonnement. Beaucoup n’y prêtent qu’à peine attention. Nous, on est fasciné. D’autant que rentrer, sortir, passer sous le porche et sous ces arches mouvantes  fait entendre de nouvelles choses pour peu qu’on s’arrête, pour peu qu’on se déplace en ouvrant les oreilles.

S’il s’est d’abord défini comme un artiste sonore, Andreas Trobollowitsch a toujours intégré une dimension visuelle à ses performances, jusqu’à reconnaître désormais l’importance de cet aspect dans son travail. Le lent ballet des instruments et leurs musiciens possède déjà en soi un fort pouvoir hypnotique, un peu comme si la troupe de performeurs et les instruments devenaient ensemble un être propre, unique, organique. Mais la disposition choisie ce soir renforce encore la portée visuelle du moment (et ce, malgré les bâches de travaux sur le parvis de la vieille église qui coupent un peu l’effet) : la haie des musiciens joue sur plusieurs hauteurs : des performeurs sont debout sur le bureau d’accueil, campés, cambrés, en position de souffleurs antiques, tandis que dans l’alcôve d’une porte en pierre, Andreas Trobollowitsch leur répond. En sortant, entourés par les musiciens dont les mélodicas dansent au-dessus de nos têtes, on découvre, stupéfait, que d’autres se meuvent tout aussi poétiquement à l’intérieur des arches du clocher à plusieurs mètres au-dessus de nous. Un moment suspendu. Pour peu qu’on ait eu l’envie et pris le temps de s’y abandonner.

Expérience 1

Le lendemain, le samedi 6 octobre, c’est sur la Place Rallier du Baty, en plein marché des Lices que le Santa Melodica Orchestra a pris place. A midi, au milieu d’une foule de Rennais surpris et amusés, juchés sur une fontaine, au sol ou aux fenêtres des immeubles entourant la place, la poétique troupe a fait doucement résonner ses mélodi(cas) perché(e)s, arrêtant les poireaux et autres cucurbitacées, étonnés. On y a même entendu : « Vu qu’ils soufflent, ça doit être le Grand Soufflet » …

Les images par Mr B :

Maintenant 2018 - Expérience 1

 

 

A l’intérieur de la grande nef, laissée libre, la sculpture/structure mouvante monumentale Polygon bouge au-dessus des têtes qui écoutent (plus ou moins) sagement les quelques discours d’inauguration. Le Théâtre du Vieux St Étienne accueille en effet l’œuvre de l’artiste belge Lawrence Malstaf. Prix Ars Electronica 2009, le garçon, également scénographe de théâtre et de danse, aime à créer des œuvres immersives qui intègrent les spectateurs au cœur de leurs dispositifs : que vous vous retrouviez coincé dans un tube de plexiglas en pleine tempête de polystyrène (Nemo) ou allongé sur un convoyeur sous un miroir (Transporter), ou même que vous vous perdiez dans un labyrinthe de murs mouvants à la configuration toujours changeante (Nevel), Lawrence Malstaf aime jouer avec vos sens et vos perceptions, en vous plaçant au centre de l’œuvre et en vous faisant vivre une expérience à la fois physique et sensorielle.

C’est donc l’immense Polygon qui est suspendu au cœur de la vieille nef. Autrement dit une forme mouvante, complètement hypnotique, composée simplement de tubes très légers articulés ensemble. Grâce à un mécanisme utilisant moteurs et contrepoids (à noter le mécanisme est complètement visible), la structure devient un paysage géométrique en mouvement et semble même quasi dotée d’une vie propre, les illusions d’optique transformant notre regard. D’autant plus que les mouvements de l’installation, l’ajustement de sa forme et son équilibre dans les airs restent totalement imprévisibles, comme menés par le hasard et la coïncidence.

Maintenant 2018 – Inauguration – crédits Photo : Erwan Keromen pour Maintenant

C’est assez épatant de voir la structure se mouvoir au-dessus du public sans que celui-ci n’y prête garde. Ou plutôt si, justement, c’est un peu comme si ce Polygon quasi doté d’une vie propre se rappelait à nous soudainement, faisant descendre ses contrepoids d’un côté ou de l’autre au moment où on avait presque oublié sa présence. C’est d’autant plus drôle au moment des discours : les têtes tournées vers la scène sursautent à plusieurs reprises à cause d’un mouvement impromptu et inattendu.

Le lendemain, d’ailleurs pour l’Expérience 2, alors qu’on est assis, couché, évenlé sur les coussins sur le sol de la nef en train d’écouter la douceur mélancolique de Saudaà Group, on se laisse complètement hypnotiser par les mouvements graciles de la sculpture au-dessus de nos têtes. Non seulement, entre les hautes arches et les vieilles pierres de l’ancienne église, l’œuvre prend une résonance encore nouvelle, mais celle-ci s’épaissit encore à chacune des performances qui se déroulent dans la vieille nef. Le dialogue qui se noue entre l’œuvre et ces performances risque bien d’ailleurs d’être une autre des belles réussites du festival. Magique.

Après un salut aux magnifiques créatures imaginées par le studio graphique nantais composé des directeurs artistiques, illustrateurs et designers graphiques Julien Brisson et Blow by blow, Plasticbionic, qui composent l’identité graphique de cette nouvelle édition de Maintenant, on file découvrir le Pianographe en chair et en os, ou plutôt en bois et en métal. A la concordance des temps, à la croisée de l’harmonium du 19ème siècle et des synthétiseurs actuels, le pianographe inventé par les frères Florent et Romain Bodart, petit clin d’œil aux musiques d’ameublement de Satie, culbute les époques et les esthétiques. Mais également les disciplines artistiques, puisque ce clavier permet de jouer des notes, de la musique et de créer simultanément une œuvre visuelle puisque chaque touche permet le déclenchement d’une séquence visuelle différente.

Explorant tout autant les relations entre formes visuelles et musicales, que transposant les principes de la composition des musiques électroniques (assembler plusieurs samples, plusieurs séquences sonores) vers la création visuelle (celle que chaque spectateur/acteur invente en combinant les séquences visuelles), Romain et Florent Bodart donnent à chacun la possibilité d’interroger les interactions entre musique et vidéo.

 

Les deux frères, issus d’une famille de luthiers et de sculpteurs sur bois, doivent avoir un réel attachement à l’artisanat, pour avoir choisi de réaliser patiemment cet instrument fabriqué à la main (on adore les poétiques potards en bois aux formes rondes « ondes célestes » ou « échos des montagnes » ) et l’objet est superbe, alliant bois et métal, facture analogique et circuit électronique. Une installation interactive ludique dont chacun ce soir, des plus jeunes aux plus chenus, semble se saisir avec la même curiosité et le même plaisir. Les visuels, variés (ondes lumineuses striées, formes géométriques stylisées ou remplies de couleurs, lutteurs impromptus en noir et blanc, formes triangulaires colorées ou faisceaux lumineux, par exemple) sont projetés sur les vieilles pierres de l’alcôve. Mention spéciale à la médiatrice qui toute la soirée, avec la même patience et le même enthousiasme accompagne chacun dans sa découverte de l’instrument. Et autant dire qu’il y a foule.

Plus loin, entre d’épais rideaux noirs, dans une nouvelle alcôve, on découvre la fascinante œuvre de l’artiste rennais Tristan Ménez. Si vous êtes un habitué du Bon Accueil, vous connaissez peut-être déjà le garçon, notamment peut-être avec l’un de ses précédents travaux, l’hypnotique Interférences qui voyait 64 sections de cordes élastiques reliées à de petits pylônes en aluminium vibrer et tourner au son d’ondes basses-fréquences amplifiées de La et de Mi (jouées aux synthétiseurs et amplifiées par plusieurs haut-parleurs). Éclairées par un stroboscope à leds à rayonnement ultra-violets, les rotations des cordes étaient rendues visibles au ralenti pour un rendu sacrément fascinant. Utilisant une expérience scientifique sur les ondes stationnaires réalisée par le physicien allemand Franz Melde au 19ème siècle, Tristan Ménez s’attachait déjà à rendre visible le phénomène sonore.

Installation sonore et visuelle, Bloom se révèle encore plus spectaculaire. A la manière des physiciens du 19ème Franz Melde donc, Jules-Antoine Lissajous ou August Kundt qui ont tenté de créer des dispositifs (avec des moyens particulièrement rudimentaires) afin de visualiser les phénomènes acoustiques et sonores, l’artiste renno-morlaisien a inventé un système de jet d’eau bluffant. Mise en vibration à l’aide d’un haut-parleur diffusant des infra-basses (regardez bien en dessous du jet d’eau, vous verrez la baffle mouvante), l’eau colorée en blanc se retrouve affectée par les phénomènes vibratoires du son. Ceux-ci sont alors rendus visibles par un système stroboscopique. Celui-ci fige le mouvement de l’eau en d’impressionnants mouvements : gouttes suspendues, explosions aquatiques, tout est en même temps immobile, suspendu dans le temps et pris dans les rets de l’éphémère puisque la sculpture reste toujours en mouvement, est toujours changeante (un peu comme si Parménide et Héraclite se rejoignaient enfin). Le résultat est aussi impressionnant que surprenant. On n’entend pas trop la partie sonore de l’installation (infra-basses et nappes de synthés) vu le monde qui se presse entre les rideaux clos, mais on est complètement fasciné. Et au vu de la foule qui attend, on est très loin d’être les seuls.

Le Vieux St Étienne ne désemplit pas, au contraire, et c’est tant mieux, tant la performance qui va suivre va se révéler spectaculaire et hypnotique. m-O-m, le projet de Thomas Laigle se propose de nous faire écouter la lumière. Si, si.

Entouré d’ampoules suspendues (torsadées, à tungstène, halogènes, stroboscopes…), de néons assemblés selon les lois de la géométrie et répartis à plusieurs endroits (losange de néons sur la scène dans le transept, potences d’ampoules au centre de la nef, stroboscopes -on ne sait pas où !-…), aux commandes d’une tripotée de machines et de potards, Thomas Laigle, également au centre de la nef, amplifie les vibrations lumineuses produites par les ampoules de tous bords.

Les sons ainsi captés, amplifiés, triturés deviennent matière à un live sonore particulièrement expressif, ce qui ne semble a priori pas évident lorsqu’on imagine écouter des ampoules. Mais quelle performance ! Les fumées qui diffusent la lumière des ampoules en halos et plongent les voûtes de l’église dans des brumes électriques se teintent tour à tour d’ocres incendiaires, de crépitements blancs étincelants ou de bleus fantomatiques enveloppants. Pour peu qu’on se déplace pendant la performance, les perceptions varient encore, gagnent de nouvelles épaisseurs.

On parlait plus haut des dialogues qui se nouent entre un lieu et une performance : le live de m-O-m au dessous du Polygon de Lawrence Malstaf dans l’impressionnant écrin de poutres boisées et de pierres centenaires du Vieux St Étienne s’y déploie avec une force nouvelle et gagne encore en pouvoir d’immersion. Lumières, fumées, crépitements englobent la foule qui se laisse totalement gagner par l’énergie du moment. A la fin de chaque « morceau » le public crie son enthousiasme et son envie d’encore en découdre.

Car loin de se cantonner aux grésillements des filaments (et autres réactions entre électrons et vapeur de mercure) uniquement amplifiés, Thomas Laigle essaie d’enrichir, et les timbres produits (notamment en les faisant passer au travers de pédales analogiques qui augmentent la richesse spectrale sonore des ampoules) et les rythmiques proposées. Pour un résultat tout autant bruitiste que techno, aussi ambient qu’indus, mais avec toujours une extraordinaire expressivité.

Au milieu de la nef, Thomas Laigle triture ses potards tout en observant ses ampoules du coin de l’œil, bondit au milieu de ses machines devant un public captivé. Particulièrement bien pensé en termes de relief, le set alterne couleurs (au sens propre et figuré), variations rythmiques et d’intensité : des moments d’apaisement succèdent à des tsunamis de basses grésillantes, de profondes montées saisissent le public pour l’emmener ravi dans un grand raout sonore. Immersif, le live de Thomas Laigle est ce soir une réussite de bout en bout et apparaît déjà comme l’une des performances marquantes de cette édition.

« Ardu mais vraiment bien » résumera notre voisin, posé sur un canapé sous les grandes arches de pierre. « Y a encore des trucs ? » poursuivront ses voisines. « J’crois pas, mais ce qui compte, c’est profiter de l’ambiance. On est bien là » . Dont acte. A la différence près que nous on reste aussi pour le live de Nkisi.

Melika Ngombe Kolongo aka Nkisi que l’on connaît comme fondatrice du collectif Non Worldwide, réunissant des artistes africains ou issus de la diaspora, enchaîne en effet un peu plus tard sur la scène au fond de la nef pour conclure la soirée en mode dancefloor. Elle commence par quelques nappes aux textures profondes et chaudes qui nous propulsent immédiatement d’un canapé sur la piste. Le son est ample, particulièrement ciselé et progressivement concassé par des rythmiques en même temps abruptes et subtiles.

Allergique au conformisme, la musicienne délivre en effet une hybridation aussi personnelle que passionnante, entre IDM, rythmiques hardcore, nappes ambient et chaos sonique techno. Elle percute les épidermes tout en les caressant, vrille les oreilles et les jambes avec un doigté de velours. On reconnaît même plus tard, ravi, quelques notes de son dernier ep, le bien nommé The Dark Orchestra, éclatante réussite où la productrice parvient à une collision des genres à l’affolante cohérence. A la première montée vraiment techno, au pied marqué, les cris fusent et font sourire la productrice. Au dessus des têtes Polygon ajoute encore à l’envoûtement qui saisit. On s’arrache à regret, néanmoins persuadé que la musicienne finira de lancer cette première journée du festival sur les rails de la nuit avec une belle classe.

La bonne nouvelle, c’est que Maintenant, ce n’est que le début.


En 2018, Maintenant a lieu du 5 au 14 octobre à Rennes.

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