Fauve n’aura donc eu besoin que d’un seul EP, et d’un titre phare « Saint Anne » lancé sur le web pour fédérer un large public autour d’eux et rencontrer un succès que bien des groupes rêveraient d’obtenir. Aussi adulés que décriés, FAUVE ne laisse personne indiffèrent. La preuve en est : impossible cette année de ne pas avoir lu un article ou entendu parler de ce collectif parisien.
« Blizzard, vous avez dit Blizzard…comme c’est Blizzard ??!! »
Véritable phénomène générationnel ? Nouvelle mode ? Buzz à la communication magistralement orchestrée ? Il est encore trop tôt pour comprendre et expliquer cette réussite. Assurément, leur univers sombre, leurs clips soignés, les mots crus et hargneux balancés comme des uppercuts ont permis au groupe de se démarquer et provoquer un intérêt pour leur travail.
La sortie de leur album en début d’année prochaine sera une étape décisive pour la suite de leur aventure, même si les membres se défendent de tout carriérisme : « Fauve est un moyen, pas une fin en soi », aiment-ils à rappeler. Reste à savoir si le public, lui, s’y retrouvera et ne restera pas sur la sienne, de faim !
En attendant de découvrir leurs nouveaux morceaux, petit entretien en toute décontraction avec les 5 piliers du collectif, dans leur loge du 6par4 à quelques heures de leur concert donné à Laval.
► Alter1fo : La salle 6par4 à Laval affiche complet, vos concerts le sont régulièrement comment appréhendez-vous du coup votre montée sur scène ?
FAUVE : On est à la fois halluciné et très surpris par tout ce qu’il se passe. Pour le live, on est stressé, forcement parce que ce n’est pas évident de jouer devant beaucoup de monde alors que nous n’avons pas une expérience délirante de la scène.
► Comment expliquez-vous alors ce succès : Fauve devient un phénomène ?
Ce succès est très soudain et participe au côté surprenant de la chose mais cela reste quand même super. Cela nous a permis de changer de vie, de reprendre notre liberté de mouvement, et d’être ensemble : on est amis depuis très longtemps, bien avant Fauve. Il y en a qui se connaissent depuis qu’ils sont nés, d’autres depuis plus de 10 ou 20 ans
A propos du succès, c’est étonnant, et il y a un côté « Charlie et la chocolaterie », avec un mélange de « bienvenue chez les ch’tis » pour le côté genre « tu ne comprends pas trop pourquoi ». Entre nous, on se dit que c’est quand même un peu un gros canular. Ça nous fait cet effet là quand on voit l’état de maturité du projet, on est peut être sur la bonne voie, mais c’est encore bancal, c’est encore artisanal, et on peut mieux faire. L’emballement que l’on a l’impression de percevoir par rapport aux dates de concert qui tombent, nous parait du coup exagéré. C’est un peu comme le succès de bienvenue chez les ch’tis, le film n’est pas horrible loin de là mais bon…, Il a quand même eu je ne sais pas combien de millions d’entrées…
► Ce succès, cette attente provoque-t-elle chez vous des contraintes auxquelles vous n’aviez pas pensées ?
On a la chance d’être tous très amis, on est hyper soudé et du coup on arrive à être assez hermétique à ce genre de signaux. Et puis, il y en a toujours un pour rassurer l’autre. Par contre, le fait de savoir qu’il y a de plus en plus de personnes qu’avant qui nous écoutent, qui nous suivent et qui regardent nos vidéos, ça ne nous met pas une pression supplémentaire, non, parce que l’on ne raisonne pas comme ça… mais disons que nous devons les prendre en considération. Cela nous incite à gommer certains trucs qui ne sont pas indispensables. Le titre qui sort aujourd’hui, Voyou est un morceau super dur mais on avait vraiment besoin de l’évacuer pour raconter comment on était avant que Fauve n‘arrive, comment on se sentait dans nos têtes à cette époque, c’était presque la période du titre Sainte Anne. Quand on va l’amener au public, il faut expliquer ce morceau parce qu’il peut blesser ou faire du mal à certaines personnes. Ce sont ces choses là qui pénètrent notre bulle, notre bunker mais en gros, on fait les choses de manière égoïste presque thérapeutique : on le fait uniquement pour nous-mêmes, nos proches, ce que l’on appelle notre « périmètre » entre nous. On n’écrit pas pour « une génération », comme parfois on peut l’entendre ici ou là.
► Vous allez sortir votre premier album début 2014, vous pouvez nous en parler ?
Effectivement, on prépare un nouvel album pour le début de l’année prochaine. Il n’y aura que des titres inédits. On a eu envie de raconter tout ce qui s’est passé depuis deux ans et de nos préoccupations qui ont changé. Car finalement, ça a pas mal changé dans nos têtes, on n’est pas devenu « archi solide » comme on voudrait l’être mais on évoque la possible sortie du tunnel, temporaire ou non, on ne sait pas. On va donc raconter dans cet album tout ce cheminement, ça nous tient vraiment à cœur. Certaines chansons ont même été écrites avant cet « emballement médiatique» parce que l’on vivait des trucs avec FAUVE qui nous sortaient déjà du quotidien…
► Vous avez fait le choix de ne pas signer avec une maison de disques, pourquoi ?
Signer sur un label, effectivement, cela concrétise ton projet, tu obtiens une sorte de statut quasi officiel et donne un côté rassurant pour tes parents (rires). Mais pour nous, cela s’est tellement bien passé depuis la sortie de l’EP Blizzard que l’on s’est dit finalement que l’on n’en avait pas besoin pour l’instant. On s’est rendu compte que toutes les galères rencontrées durant la création de l’EP ont renforcé les liens du groupe, renforcé la cohérence du projet. Cette fragilité que l’on a en nous, que l’on sent dans ce côté « bancal » de l’EP, on voulait la garder sur l’album pour que cela nous ressemble et ne pas la perdre au détriment d’une structure plus professionnelle. En faisant tout nous-mêmes, de manière autoproduite, cela rejoint notre logique de toujours progresser et de supprimer pas mal de contraintes vu que l’on décide de tout. En contrepartie, ça demande beaucoup de travail car il y a des choses que nous ne savions pas faire au départ mais c’est un choix. Par contre, cela ne veut pas dire qu’on ne travaille pas avec d’autres personnes, on peut s’entourer de partenaires, un éditeur, un distributeur, par exemple.
► Et concernant l’enregistrement comment cela s’est passé ou cela se passe-t-il ?
On aurait pu se dire « on va aller enregistrer dans un studio pour avoir un meilleur son par rapport à l’ EP » mais cette marche à franchir était encore trop haute, on a eu besoin de creuser encore, et voir jusqu’où on pouvait aller dans l’autoproduction. Cela nous permet de continuer de garder ce côté authentique dans la prod’, ce truc bancal qui au début nous faisait chier mais dont on a finalement pris goût. En studio, on aurait été en stress, avec des contraintes d’horaires, d’un ingé son qui n’aurait pas compris comment on fonctionnait. Du coup, on a tout enregistré chez nos parents, avec notre propre matos, isolé dans une baraque et en bossant à notre propre rythme. Faut dire qu’on travaille un peu à l’envers, on n’est pas des musiciens professionnels. C’est super bricolo mais c’est à notre image.
► Comment se passe l’écriture de vos textes ?
L’écriture est une soupape. On n’est pas des mecs bons en français, on ne fait pas de la poésie et on le dit sans fausse modestie. On aurait pu faire de la boxe ou un truc comme ça mais l’écriture est arrivée au bon moment comme pour un journal intime. Notre démarche n’est pas de faire des belles phrases mais de mettre les mots justes sur les bonnes choses, il s’agit encore une fois d’une sorte de thérapie, un peu comme la thérapie cognitive « mettre le doigt sur le bon truc avec le bon mot »
► Les mots sont mis en avant par rapport à la musique, est-ce réfléchi ou cela vient naturellement dans le processus de composition ?
Le texte arrive toujours en premier, le processus d’écriture d’une chanson est super simple. On vit nos vies, et dès qu’un sentiment apparaît un peu plus fort que les autres, qu’il soit positif ou négatif, un texte va en découler car on a besoin de verbaliser cet état passager, ou permanent. Ensuite, on va affiner le texte pour n’obtenir que la « moelle » ou l’essence même de ce que l’on souhaite exprimer. Vient ensuite l’instru pour donner une couleur aux mots, puis on tourne une vidéo. Tout découle du texte finalement, c’est comme un fil rouge : le texte est le moteur pas le carburant. Par contre, si tu lis le texte de Fauve sans rien autour, ça ne veut rien dire. Y a des gens qui fantasment le truc, qui nous déclament comme les nouveaux Rimbaud ou Baudelaire, c’est tellement faux, que du coup cela entretient le côté « polémique ».
► Vous parlez souvent du côté thérapeutique, mais une thérapie a une fin normalement, Fauve peut-il s’arrêter un jour ?
Tu sais, ce serait vraiment bien si cela se finissait comme cela. Cela voudrait dire que l’on est bien dans nos vies, dans nos têtes et qu’on a plus besoin de tout ça. C’est vraiment ce que l’on souhaite avant tout. Ce n’est pas de vieillir comme de « vieux musiciens », ni de prendre de la coke ou avoir du succès avec les meufs… ce n’est pas ça le but. Fauve, on le fait pour aller mieux dans nos vies personnelles. Fauve est un moyen pas une fin en soi, même si cela prend beaucoup de place dans nos vies et nous fait vivre des choses extraordinaires. On s’en branle que dans tels ou tels magazines, on parle de Fauve… ce qui est important, c’est ce que l’on vit entre nous, c’est ce truc un peu mystique, c’est ça qui nous restera à vie.
► Ce mot »collectif » revient régulièrement, c’est pourquoi comment travaille-t-on au sein de FAUVE ?
On a tous des egos, on est tous un peu narcissique, etc… et ce sont des choses qui peuvent nous faire souffrir mais aussi faire souffrir les autres. Fauve nous permet d’annihiler ça, car dans Fauve on travaille tous ensemble, main dans la main, nos travaux respectifs ne nous appartiennent pas mais appartiennent à FAUVE, même si ce n’est pas un « truc marxiste » (rires). Lorsque l’on invite des gens du CORP à venir travailler avec nous, il faut un laps de temps pour qu’ils s’habituent à bosser de cette manière. Aujourd’hui, tout le monde veut montrer sa gueule partout, sans réellement raconter ce qui lui arrive, FAUVE c’est l’inverse : ce sont des mecs qui racontent les choses les plus dures et sans montrer leurs gueules, car ce n’est pas ça qui est important.
NDLE : Fauve existe depuis 2010. Il comporte cinq membres permanents, mais en général 12 ou 13 personnes contribuent aussi au projet. Cela peut être une contribution assez diffuse, via des photos et des vidéos. Ces personnes font partie intégrante de ce qu’on nomme le FAUVE CORP
► Justement vous contrôlez vos images, vous semblez vouloir garder l’anonymat…
A la base, nous ne sommes pas des gens très à l’aise avec notre propre image tout simplement, comme avec les photos de famille, ou les photos de classes, question de pudeur, aussi sans doute. En plus, comme nos textes sont transparents, il n’y a pas besoin de montrer en plus nos tronches. Depuis, on se rend compte que l’on a bien fait, cela évite toutes les séances photos, d’être reconnu dans la rue, cela arrive mais c’est rare. Mais cela ne veut pas dire que Fauve n’a pas d’image, bien au contraire ! On travaille ça avec les clips, les visuels sur internet et les réseaux sociaux.
► Anonymat dans la vie et du coup sur scène aussi…
Dès le début de FAUVE, cela a été réfléchi dans le sens où cela nous faisait peur d’être exposé en live. Comme on a pris le parti de ne pas se montrer, il fallait rester cohérent et garder cette ligne directrice également sur scène. Même si on a rien contre les photographes pros, vu que il y en a dans le CORP, cela nous aurait dérangé de les voir « prendre » nos têtes et les monétiser derrière. Du coup, on utilise des vidéoprojecteurs, on crée ainsi une sorte de filtre, comme une barrière psychologique. Et puis, la vidéo-projection crée aussi une ambiance, cela participe à un tout et finalise le projet complet, c’est important. Bien sûr, le public qui vient nous voir peut nous distinguer à l’œil nu et prendre des photos souvenirs, on s’en fout, car ils ne sont pas là pour les revendre.
► Justement vous vous sentez plus à l’aise sur scène depuis que vous avez commencez à tourner régulièrement, notamment cet été?
Pour le live, ce sont surtout les festivals de cet été qui nous ont « dépucelés ». Maintenant cela va beaucoup mieux même si cela est toujours aussi intimidant. A chaque fois que l’on monte sur scène, on se demande « mais qu’est-ce que l’on va vivre ce soir ? Dans une salle à taille humaine ça va, mais quand on se retrouve devant 3000 personnes, comme à Metz la semaine dernière par exemple, tu ressens comme un sentiment de violence. Tu ne te sens pas légitime d’être là devant tout ce monde, ni la force d’aller jusqu’au bout du truc… heureusement que l’on est tous ensemble pour se soutenir. Et puis enchaîner les concerts c’est éreintant, c’est un peu « tu meurs chaque soir à la fin du concert et tu renais chaque soir avant le début du suivant». Ton cerveau pète du coup un câble, comme ton corps, ton foie, tes poumons (rires) mais cela fait partie du truc.
Depuis un an et demi, on a énormément travaillé notre set avec les vidéos, les enchaînements, on a tout appris sur le tas finalement. Par exemple, au début, on parlait énormément entre les chansons, on faisait des pauses de 5 mn parfois et un jour, un mec nous a dit en face « ça va pas du tout les gars, ce serait bien de faire des transitions ». Du coup, on a construit notre live au fur et à mesure. Finalement, un mot qu’on aime bien et qui nous définit bien serait le mot « empirique » : « on progresse par la pratique »… Il y a un truc à faire, et bien, même si on n’a pas les moyens pour le faire comme on l’imagine ou comme cela doit se faire, on va le faire quand même avec ce que l’on a sous la main, et puis on fera mieux la prochaine fois. Ce sont nos éducations qui reviennent un peu à la charge à ce niveau-là. Ça apprend à être moins dans l’ego et beaucoup plus humble et être toujours dans la création et l’action..
C’est Jeudi 10 octobre que devait sortir le nouveau titre de Fauve « Voyou » à 19h sur leur page facebook. Un bug, un raté a eu lieu car le titre était dispo très tôt le matin sur des plateformes de téléchargement… Réactions à chaud du groupe FAUVE :
► Merci à Fauve pour leur disponibilité !