On avait vu Savages à la Route du Rock. On n’en gardait pas un souvenir impérissable. On attendait donc, un peu dubitatif, de retrouver le quatuor sur la scène de l’Antipode ce vendredi 25 octobre, pour savoir si les quatre pétroleuses avaient gagné en épaisseur. Verdict.
En première partie, c’est John (de John & Jehn, donc, puisque Jehn est la chanteuse de Savages) qui ouvre la soirée avec son propre projet solo, Johnny Hostile. Seul sur scène, plongé dans un halo de lumières obscures, Johnny Hostile est seul à la basse. Au sol, une pédale reliée à un ipad et à un ordinateur lui permet de lancer les sons pré-enregistrés sur lesquels il ajoute notes basses jouées live pour gagner en groove glacé et infectieux. Puis encore sa voix, tout en feulements et cris rauques.
Chemise et pantalon noirs, visage émacié, Johnny Hostile allie rythmes lents qui sentent le souffre, posture vocale à la Alan Vega et lourdeur à la Joy Division. Joue de longues répétitions en épanchements crasseux, noirs charbon. Puis troque basse contre guitare, avant d’être rejoint par Gemma Thompson, la guitariste de Savages ou plus tard par Jehnny Beth, donc. Au sol, ses pieds chaussés de cuir noir dansent une sorte de twist sombre et malingre. Comme si la sueur rock’n roll s’était figée en sueur glacée, à coups de post-punk fuligineux. Au final, tout ceci est très bien fait, avec une réelle maîtrise, moins passéiste qu’il ne semble pourtant au premier abord, d’ailleurs. Mais, pour nous, l’encéphalogramme reste plat. Pas notre came sûrement.
On n’attendait pas énormément des Savages non plus. Leur prestation à la Route du Rock, l’an dernier, on l’avait rangée très vite dans la case « pas mal, mais trop vu, trop entendu » contrairement à d’autres, plus malins que nous, qui avaient adoré.
En revanche, on était très curieux de retrouver la bande des quatre menée par Gemma Thompson et Jehnny Beth, gageant que cette année passée à fourbir ses armes concert après concert, lp après ep, nuit après nuit, leur avait permis de gagner en épaisseur. Et beh, mes aïeux, le concert de ce soir a mis tout le monde d’accord. Entendons nous bien, toujours rien de nouveau sous le soleil (noir), mais quelle maîtrise scénique gagnée ! Sûrement aux forceps, d’ailleurs, dans des salles enfumées, pas forcément toujours bienveillantes, nuit après nuit, donc. En essayant, en se plantant, en essuyant les remarques bourrées (on extrapole). Mais voilà, ce soir, c’est un quatuor à la solidité scénique avérée qui va faire transpirer l’Antipode. Et dégommer le superflu pour aller à l’essentiel d’un rock frontal, bam dans ta face.
Après trois premiers titres en tour de chauffe (I’m Here, City’s full, Shut Up) dont le premier commence en lentes déflagrations par un bottleneck frotté sur les cordes par Gemma Thompson, les Miss imposent d’ores et déjà une section rythmique (notamment sur I’m Here) à réveiller banshees et esprits endormis dans une cave gothique enfumée. Batterie à la puissance nucléaire et basse profonde et imperturbable se déchaînent (oui, l’intro de Shut Up !). En dégraissant leurs morceaux du superflu, les Savages ont gagné en force de percutions.
Avec le quatrième titre, la bande des quatre toute vêtue de noir, commence à défourailler sévère et cela, dès l’intro d’ I need something new. Jehnny Beth, se lance a capella. Puis s’interrompt. Faisant progressivement tomber le silence dans la salle. Et grimper la tension. Elle reprend, s’arrête de nouveau. Et tient la salle dans un souffle, n’hésitant pas à faire de longues pauses et relançant toujours au moment opportun pour de nouveau happer tous les regards. I need something new, répète-t-elle comme un mantra rock. Give us something new, lui répond un spectateur. Il n’en faut pas plus pour que les quatre mercenaires ne démordent pas une seconde et déroulent le titre laissant dans leur sillage, une traînée de poudre. Noire. Jehnny Beth y laisse d’ailleurs ses escarpins en les envoyant l’un après l’autre d’un coup de pied, valser dans les airs sur un final à coup de boutoirs.
Aussitôt enchaîné avec le titre suivant, Strife. Et c’est là qu’on voit que les Savages ont bigrement gagné en charisme scénique. Elles enchaînent sans temps mort. Mais savent aussi ralentir le rythme pour gagner en charme hypnotique, puis relancer la machine toujours au bon moment. En quelques mois, les Savages se sont forgé une image. Un son. Une identité scénique. Tous parfaitement cohérents entre eux.
Aussi les lents développements de l’intro de Waiting for a sign, tombent sacrément justes, sur un public désormais gagné à la cause des quatre jeunes femmes et qui, au retour de la basse solide comme le marbre, semble se laisser hypnotiser. Puis Gemma Thompson remonte et descend tout en stridences le long des frettes, tandis que Jehnny Beth (de nouveau rechaussée, tiens !), à côté d’elle, se penche et mime le long solo.
Les jeunes femmes se lancent ensuite dans une reprise de Suicide, Dream baby dream, quitte à la dynamiter de temps à autre par une double pédale sur la grosse caisse, ou bien la ralentir sur un pont parlé par Jehnny Beth du plus bel effet.
Sur She will et son refrain haleté she will, she will, she will, Fay Milton martèle sa cymbale comme si elle voulait l’occire, prise d’une rage indicible, tandis qu’Ayse Hassan, les yeux toujours fermés, n’a rien oublié des basses obsédantes du post punk. Le refrain de No Face, repart pied au plancher, tout en disto tordue et la salle conquise, se montre de plus en plus enthousiaste.
Ça ne s’arrange pas sur Hit me qui commence à toute berzingue.
Tell me I’m miserable now, hit me, hit me, commande Jehnny Beth, faisant encore progressivement grimper la tension jusqu’à un Husbands libératoire. Les yeux dans les yeux (à nouveau pieds nus !), elle fixe le public et somme chacun de ne pas la quitter du regard. Les premiers rangs headbanguent désormais franchement. « It’s a twist » explique-t-elle, invitant le public à la rejoindre dans sa danse haletante et frénétique.
Après cette quadruplette infernale, tout en montée progressive et rage dégainée, les Savages concluent leur set sur Fuckers.
Ayse Hassan, la main sur les cordes de sa basse pour les empêcher de sonner, gratte ses accords pour une intro rythmique qui s’étire longuement tandis que Jenny Beth, en français, explique que le lendemain elles seront de retour à Londres, reviendront en février, puis demande une traduction de Fuckers. Ce à quoi la salle s’empresse de répondre avec moult subtilités. Jusqu’à ce que l’un des spectateurs termine les échanges dans les rires par un « Vive la Révolution ».
Jenny Beth finit par un conseil « Don’t let the fuckers get you down » avant de reprendre quasi a capella (seule la basse aux cordes opaques et bloquées joue) une intro, au chant étonnamment rythmique. Puis la basse résonne enfin, accompagnée par le pied qui frappe la grosse caisse et la guitare qui dégaine, prête à en découdre pour un final furieux, dans les cris de la foule.
Au final, les quatre sont peut-être moins sauvages que leur patronyme le laisse entendre, mais ce sont elles, qui, à la seule force du poignet et ne comptant que sur elles seules, ont réussi ce soir à dompter le public de l’Antipode.
J’ai trouvé ça vraiment intense, plus fort qu’une claque ces sauvages nous ont foutu une belle déculottés! Ps : de toute façon je venais acquis à leur cause puisque je les avais adoré à la RDR2012 😉
Merci pour ton commentaire 🙂
Et bien comme quoi elles ont vraiment mis tout le monde d’accord 😉
Quelle prestation, et quelle énergie, un bon set bien exécuté et qui envoi des watts. très sympa et avec quelques sourires de jehnny à la fin…see you soon…