Clap! Travelling 2013, destination Scotland, Action! Mardi 19 février, l’équipe de Clair-obscur inaugure le focus d’une semaine sur les villes écossaises de Glasgow et Edimbourg. Beaucoup d’évènements dans de nombreux lieux de la métropole accueillent la patrie du haggis, des highlands, du kilt, du whisky et de Robert-Louis Stevenson. Mais Travelling, c’est d’abord du cinéma: « S’il s’agit toujours de découvrir des villes, des histoires avant tout urbaines, le véritable invité du festival est bel et bien le Cinéma, au passé, au présent, voire au futur« . Entretien avec Anne Le Hénaff, directrice artistique du festival.
Alter1fo: Pourquoi avoir choisi deux villes, pour la première fois à Travelling?
Anne Le Hénaff: Quand on a décidé de partir vers l’Écosse, le lien s’est fait très vite. Le cinéma écossais est un cinéma jeune, et pour le cinéma réalisé par des Ecossais, en Écosse, avec des Ecossais, il s’inscrit dans la banlieue de Glasgow et d’Édimbourg, et dans ces villes. D’habitude, on choisit une ville, et là, spontanément, on aurait pu dire que c’était Édimbourg, puisque c’est la « capitale » (l’Écosse n’est encore qu’une région du pays, le Royaume-Uni, il faut faire attention, même s’ils revendiquent leur autonomie).
En creusant, on s’est rendu compte qu’Édimbourg n’est pas si présent que ça à l’écran. Il y a des films comme Trainspotting de Danny Boyle qui se situe entre Édimbourg et Glasgow, pour des raisons de production et de financement. Il y a tous les films de Peter Mullan, Lynne Ramsey ou Ken Loach où Glasgow est beaucoup plus présente à l’écran, et donc, pourquoi ne s’attacher qu’à cette idée de ville capitale, alors qu’en Écosse, on est dans un cas particulier ou la majorité des Ecossais vivent sur ce qu’on appelle « the belt », au sud, qui fait le lien entre Édimbourg et Glasgow? Il y a 60km entre les deux villes.
Glasgow est plus présente à l’écran par son histoire, sa tradition ouvrière, elle a vécu des mutations très importantes, et elle correspond, je pense, à un pan d’un genre cinématographique très ancré au Royaume-uni qui est celui du working class hero, ce réalisme social qui peut trouver un lien très fort avec une ville de tradition ouvrière. En même temps, Édimbourg s’est retrouvée filmée de manière plus réduite, en lien avec l’univers de Stevenson, mais aussi avec d’autres. C’était cohérent d’inviter ces deux villes-là.
Y a-t-il des thématiques communes, des éléments caractéristiques des films écossais que vous allez projeter?
À Glasgow, on va retrouver une « écossité » qui ne va peut-être pas être apparente comme ça, mais qui existe par l’appartenance à ce genre du working class hero, pour certains. Mais ce qui va en rajouter, d’une part, c’est l’accent: voilà, quand on est en Écosse, il y a cette langue qui s’est nourrie de gaélique, mais aussi des couches d’immigration successives, qui ont réellement existé avec les mines, les chantiers navals…Ce sont des ports, il faut pas l’oublier, l’un ouvert vers l’Europe, l’autre vers les Etats-unis et le Canada.
Donc d’abord, il y a cette oralité et ensuite, on retrouve une « écossité » par les gens que l’on suit; il y a cet héros prolétaire, avec une inscription plus brute que certains films anglais dans ce quotidien et ces parcours de vie avec toujours une notion d’énergie très forte. Les tonalités qui y sont associées, aussi… On parle d’humour anglais, ce côté pince-sans-rire, cette ironie, ce côté débordant parfois, qui fonde cette « écossité » aussi.
Il y a des films de genre, aussi, avec Edimbourg, c’est peut-être plus lié à cette ville, son contexte historique très fort, mais qui n’est pas le seul; il fait le lien avec les univers de Stevenson ou Dickens. Le comédien Gary Lewis vient, qui vit à Glasgow, ainsi que les monteurs anglais de Ken Loach et de Peter Mullan et David McKenzie, ils sauront traduire cet aspect, je pense.
Quelles petites pépites avez-vous découvert en préparant cette édition?
Oui ! En cinéma écossais récent, moins, mais j’ai découvert ceux que eux appellent les fondateurs du cinéma écossais, Bill Douglas et Bill Forsyth. Bill Douglas, avec sa trilogie, qui sera projetée une seule fois, avec le premier volet qui s’appelle My childhood, inscrit dans un village de mineurs près d’Édimbourg, quasiment autobiographique et pour moi, c’est un chef d’œuvre de poésie, fait avec des bouts de ficelle. L’autre versant, c’est Bill Forsyth, avec Gregory’s girl, qu’on a réussi à trouver et qu’on va projeter. Il faut les prendre avec ce qu’ils sont, des films d’époque (fin 70-80), qui ont été réalisés par des gens qui avaient envie de porter une réelle Écosse à l’écran, inscrite dans leur région, avec des gens… Avec déjà, cette réalité sociale, économique, qui apparaît. Ils sont dans la lignée d’un cinéma plus large, celui de Ken Loach, ou en prise directe avec le free cinema né dans les années 50 en Angleterre (peu de moyens, une caméra embarquée, quelque chose de proche du documentaire). On a eu du mal à visionner et à trouver les copies.
Une autre découverte, c’est cette Écosse dite « romantique », filmée en contrepoint de cette Écosse vue par les Ecossais. Ça a toujours été une terre de tournage. Depuis les années trente, on venait planter ses caméras en Écosse. Une Écosse imaginaire, attachée à une littérature ou à une stylistique, sans prise avec l’Écosse moderne. J’ai redécouvert Whisky à gogo, un des premiers films de Mackendrick, qui fonctionne en miroir avec La part des anges. Pour moi: une histoire de whisky, d’iliens, de joyeux excentriques. Il y a aussi I know where I’m going de Michael Powell qui est vraiment un film où le romantisme transparaît à l’écran, aussi bien dans le cadre, la photo, les espaces sauvages battus par le vent, les références à la culture gaélique… Ça a été une découverte, même si les copies étaient difficiles à trouver. Tout ça rejoint le sujet même du propos artistique du festival, et ce sont d’autres pistes de lecture que l’on a, aussi bien cinématographiques, que plus largement.
C’est aussi un peu en réaction, à ce cinéma des mythes, qu’est né le cinéma écossais, ce que eux appellent le « tartarian film », où il y a les kilts, les brumes, le château…C’est une réalité de l’Écosse aussi, qui a continué de se développer avec Braveheart, un film américain plus « folklorique », qui revisite l’histoire d’un héros du XIIIème siècle. On a aussi redécouvert l’œuvre de Robert-Louis Stevenson, né à Édimbourg, écrivain prolixe, qui a une écriture très riche à plusieurs degrés qui vont du roman d’aventure au roman de réflexion sur la morale ou la foi. C’est un des écrivains les plus adaptés. Relire, revoir les adaptations, ça a été une redécouverte, il y aura une sélection. Notre entrée, c’est le cinéma, mais avec des liens vers la littérature, on aura un espace librairie en collaboration avec La Courte Échelle et Greenwich.
On retrouve cette année la même organisation, avec un espace central au Liberté?
On essaie d’avoir une ligne éditoriale cohérente, mais aussi avec des rendez-vous qui deviennent réguliers avec le public. Le Liberté reste notre cœur de festival. Il se modifie dans les propositions. Le festival évolue, il y a des contraintes aussi.
On commence le mercredi avec un concert, François Audrain, et son travail sur la sortie d’école qu’il a finalisé avec des jeunes d’Édimbourg, qui ont filmé leur ville. Il y aura le blindtest de Canal B, une journée ciblée sur Dr Jekyll & Mr Hyde, avec des rencontres autour de l’adaptation, en lien avec le ciné-concert de Loup Barrow et les projections, situées elle en salle… C’est la même équipe qui décore, qui est partie à Édimbourg et Glasgow il y a quinze jours, Marine et Audrey et toute l’équipe, qui sont en chantier pour préparer cette déco et mettre le Liberté à l’heure écossaise!