Nous sommes dimanche 20 août et c’est déjà la dernière soirée de concerts au Fort St Père. Cette édition dense et riche sera décidément passée comme un charme. Après la flamboyance du vendredi et la demi-teinte pourtant très satisfaisante du samedi, qu’allait-il en être de cette ultime journée ?
Nous en sommes les premiers surpris mais, au bout de trois jours très intenses de festival, nous arrivons à l’heure pour l’ouverture de cette ultime soirée au Fort. La veille, les Cold Pumas nous avaient fait la démonstration de comment brillamment ouvrir le bal. Le quartet The Proper Ornaments ne va hélas pas doubler la mise. Les londoniens déploient pourtant une pop folk teintée de psychédélisme qui devrait parfaitement accompagner le soleil perçant les nuages de cette fin d’après-midi. Sauf que les gars alourdissent inutilement leurs plutôt agréables ballades de passages de jam planant et mollasson et de soli de guitares aussi interminables que peu inspirés. Ils cumulent de plus un autre défaut rédhibitoire à nos oreilles : ne pas savoir comment conclure un morceau. Bref, on se fait gentiment suer mais ça ne va pas durer.
On se souvient de la folk inspirée de la jeune Angel Olsen, pas nian-nian pour deux sous, la demoiselle (coiffée d’une serviette-éponge sous les draches d’eau tombant du ciel breton) n’hésitant pas à durcir le ton ou à sortir les fantômes du placard sur la scène des Remparts en 2014. Depuis, se dit-on en la voyant apparaître sur la (plus grande) scène du Fort entourée de cinq musiciens (deux guitaristes, un batteur, une bassiste, une choriste qui joue aussi parfois d’un synthé Korg et d’un tambourin) en costume gris évoquant l’élégance de la country voire d’un certain sud américain des fifties, la musicienne a fait du chemin. Même si autour de nous, la belle guitariste subit la malédiction des jolies filles et suscite malheureusement davantage de commentaires sur son physique avantageux que sur sa performance musicale. Ce qui nous fait d’autant marner que la demoiselle du Missouri et sa bande en ont à dire.
Bien moins folk qu’à ses débuts, l’ancienne choriste de Bonnie Prince Billy propose un set aux arrangements davantage teintés d’americana, voire de classic rock. En partie à l’image de son dernier album partagé entre pop songs directes diablement efficaces et ambiances ouatées plus soulful. Ainsi après un inaugural High and wild plutôt rock midtempo, le tube Shut up Kiss Me mélodiquement imparable fait irrémédiablement bouger les festivaliers. La voix d’Angel Olsen, profonde et déchirante, trouve un contrepoint juste sublime avec les harmonies de la choriste (impeccable elle aussi) et l’alliance de leurs deux timbres est une magnifique réussite, notamment sur un pont diablement émouvant. Give it up, puis Not Gonna kill You avec son intro essentiellement vocale tout aussi touchante, suivent. La délicatesse paisible et le lyrisme mélancolique du dernier album se trouvent ici gonflés par des explosions un peu plus rock ou quelques guitares plus musclées. Mais surtout les arrangements transpirent l’Amérique profonde, notamment sur un Sister teinté de country, et s’ils peuvent parfois sembler manquer de relief pour nos oreilles d’Européens, ils font montre d’une impressionnante subtilité. Pour peu qu’on prenne le temps de s’y abandonner. Sister est à ce titre une pépite, dont les arrangements vocaux nous collent des frissons. On entend tout ce que la jeune femme met de puissance, de sincérité et de fragilité dans sa voix (et qu’elle planque sous son sourire malicieux). Those Were The Days, encore plus lente, ou Woman, plus tard, sont du même niveau. Tout ça perd forcément quelques festivaliers en route. Un set un poil plus musclé et plus pop aurait remporté davantage d’adhésion. Mais ç’aurait été tronquer l’univers de la musicienne et ç’aurait été grandement dommage. Au final, on reste donc pour notre part plutôt emballé par la prestation de l’Américaine, avec certes des longueurs, mais aussi de vrais moments de beauté suspendue.
Sur le papier et après quelques écoutes rapides, les anglais de Yak ne nous excitaient guère et nous retournons donc vers la scène des remparts sans grand enthousiasme. Nous nous étions bien plantés dans les grandes largeurs. Dès les premiers riffs, les londoniens nous remettent les pendules à l’heure avec un rock garage, certes aussi extrêmement classique qu’anglais, mais joué avec une fougue et une précision irrésistible. La proximité de moue lippue du chanteur guitariste Oliver Burslem avec celle de Mick Jagger nous mène instantanément à trouver une énergie toute stonienne à ce concert qui a tous les atouts pour plaire : un jeu hyper carré avec notamment une base rythmique très impressionnante, un son bien agressif à souhait, de l’attitude à revendre avec un frontman n’ayant ni peur du contact ni des crachats et des compos redoutablement efficaces et solides comme le roc(k). Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à nous laisser envouter par cette joyeuse tornade de riffs, et quand retentit leur irrésistible Harbour The Feeling, et même s’il est encore bien tôt dans la soirée, le public s’enflamme dans un épatant et communicatif boxon.
Qu’est-ce que c’est bon de se faire surprendre de la sorte ! Ce fut assurément un des meilleurs concerts de la soirée (et même de l’édition pour certains de la bande).
Après un passage, à peine réveillé, sous le soleil et sous une montgolfière en 2014, le très attendu gratteux lo-fi Mac Demarco est de retour sur la scène du Fort ce dimanche alors que la nuit tombe. La foule est dense, ravie et prête à la déconne. Comme il ne fait rien comme tout le monde, le Canadien commence par présenter ses musiciens et nous invite, goguenard à nous installer confortablement et à rester hydraté avant de débuter par le lancinant On the Level issu de son dernier album en date This Old Dog. Basse lente et groovy, synthé so eighties, le garçon joue les crooners -à casquette- et lance les hostilités à la cool. Salad Days et ses guitares passées aux pédales chorus ravit tout autant les festivaliers tandis qu’en bord de scène, tout aussi à la cool Angel Olsen et ses musiciens, assis autour d’une table fleurie et d’une bouteille de vin, profitent du concert aux premières loges. Toujours facétieux, le musicien se saisit d’un épi de maïs qu’on lui a lancé, le croque avant de le faire passer à ses camarades. Plus tard, c’est une canette qu’il tient entre ses dents et qu’il repose hilare ou un slam qu’il débute en crawlant sur les mains des festivaliers pour finir le concert. La reprise du tube de Vanessa Carlton Ten Thousand Miles, est quant à elle partiellement massacrée, notamment progressivement ralentie puis accélérée, le batteur, les guitaristes et le pianiste se battant en duel à celui qui lâche le premier. Bref, Mac Demarco et sa bande de joyeux zébulons cultivent comme toujours cette image de branleurs qui leur sied parfaitement. Ce qu’attend d’ailleurs la foule totalement raccord pour partager un moment de déglingue avec le prince farfelu du cool.
Le public ondule d’ailleurs encore davantage sur le plus rythmé The Stars keep on calling my name ou le chaloupé This old dog (dont le refrain est repris en chœur par les premiers rangs) avant de devenir encore plus survoltée sur Cooking up something good sur laquelle Mac alterne voix de velours et petits cris. Sans compter l’hymne Ode to Viceroy, dont les premières notes sont accueillies dans les hurlements. En parallèle, les titres plus langoureux (pour l’essentiel) de The Old Dog tels Moonlight on the river, For the first time ou One more lovesong, sont sirupeux et chaloupés à souhait. Encore que Moonlight on the river s’achève sur des stridences soniques qui viennent soudainement faire dégringoler le taux de sucre dans l’air. Mais réduire le concert du groupe à ces facéties très souvent irrésistibles serait une erreur. Car Mac Demarco, avec ces faux airs je-m’en-foutiste et sa désinvolture à flirter avec les limites du goût (il y aurait presque du Georges Michael sur les nouveaux titres) parvient tout de même à trousser des chansons aussi rafraîchissantes que fédératrices et à les interpréter avec un savant dosage entre sérieux, humilité et déconne. On comprend que la prestation en irrite (et pour la musique, et pour l’ambiance potache) mais voir une (très grosse) majorité du Fort et le groupe partager le moment avec autant de plaisir reste particulièrement jouissif.
La tête engoncée sous notre capuche, c’est à la Route du Rock, à l’été 2002, qu’on avait découvert Interpol (ils étaient aussi venus en 2001). On en garde (contrairement à d’autres membres de l’équipe, on le précise par souci d’honnêteté) un souvenir sacrément ému. Leur premier album, Turn on the bright lights allait sortir quelques jours plus tard sur Matador et on ne connaissait rien, absolument rien des New Yorkais. Vêtus de noir dans des nappes lumineuses de brouillard rouge, Paul Banks (voix, guitare rythmique), Daniel Kessler (guitare lead), Carlos Dengler et sa mèche à la basse (portée très bas) et Sam Fogarino à la batterie, avaient déroulé l’essentiel de ce premier album qu’on allait ensuite user à force d’écoutes. On se rappelle juste que cette nuit-là, on aurait voulu que le concert dure toujours. Alors certes, on était jeune, et oui, nos copains plus vieux et plus érudits avaient déjà entendu ça ailleurs et ça ne leur faisait pas grand effet. Mais là, sous le crachin breton (cette fois interrompu), il s’était passé quelque chose. Depuis, on n’écoute plus vraiment Interpol. On a vieilli, écouté ailleurs. Pourtant, malgré un frisson d’agacement pour ces groupes qui rejouent leurs vieux albums en entier lors de tournées anniversaires, l’idée de ré-entendre l’intégrale de ce disque qu’on connaît par cœur nous colle d’ores et déjà des fourmillements dans le ventre et la poitrine. Et à défaut de pouvoir enfiler notre t-shirt de l’époque (celui avec la pochette du disque) dans lequel on ne rentre définitivement plus, on se serre contre la foule qui accueille le groupe dans les cris.
Brad Truax a depuis remplacé Carlos Dengler à la basse tandis que dans les brumes rouges, on ne peut apercevoir distinctement le visage du clavier qui les accompagne en fond de scène (et qui assure également les chœurs). Le groupe débute le set non par Turn on the bright lights, mais avec un Not Even Jail (Antics) pêchu, à la basse ronde et massive qui pose tout de suite les choses. Deux autres titres d’Antics (Take you on a cruise mais surtout l’énergique Slow Hands) ainsi qu’un des morceaux de leur dernier album en date All the Rage back home précèdent la très attendue setlist issue de Turn on The Bright Lights, Paul Banks évoquant alors leur concert sur la même scène quinze ans auparavant. C’est l’intégrale des 11 titres de l’album qui va être jouée, dans l’ordre, et sans qu’ils soient beaucoup réarrangés. On n’aurait pas été des fans absolus du disque, la prestation à l’identique nous aurait peut-être dérangés, mais là, entendre chacune de ses notes qu’on connaît par cœur nous file une banane irrépressible. L’intro d’Untitled à la guitare tremblante nous cueille encore une fois dès le début du set avant que la voix et le chant mélancolique et désespéré de Paul Banks ne nous hypnotisent complètement. Le dialogue de guitares d’Obstacle 1, sa basse racée et puissante, ses relances constantes, la mélancolie de NYC, les virages mélodiques de PDA, la montée toute en tension retenue d’Hands Away, les tubes Stella was a diver and she was always down ou Obstacle 2, on retrouve tout comme au premier jour. Tout ce qui nous a toujours plu dans cet album : l’épatant dialogue entre les deux guitares, le timbre grave de Paul Banks, cette basse ronde et profonde, les virages mélodiques, cette capacité à relancer à l’intérieur même des titres. Devant, les premiers rangs sont tout aussi ravis que nous et s’agitent encore davantage sur le rock’n’roll Say Hello to the Angels ou le puissant Roland, marqué par un couple basse-batterie qui dégomme sec. Il faut dire que les cinq New Yorkais balancent leurs morceaux avec toujours autant d’élégance et de maîtrise. Nous on fond dangereusement sur le refrain de The New et l’arrivée du titre Leif Erikson (le dernier) nous surprend étonnament. Comment, déjà ? Le groupe remercie alors chaleureusement le public et achève le set par l’un des tubes d’Antics, Evil, qui finit de mettre la foule des fans en ébullition. Alors certes, rien de nouveau sous le soleil (noir) des Interpol et si d’aucuns pourront sûrement regretter la prestation très cadrée et à l’identique, l’effet madeleine a pour nous complètement fonctionné.
Dernier groupe de notre triptyque britannique de groupes attendus de pied ferme par l’équipe sur cette édition : The Moonlandingz déboule sur la scène des remparts et on compte fermement sur eux pour foutre le feu aux poudres. Le groupe est au départ une blague, un combo fictionnel inventé par les grands malades de Sheffield de The Eccentronic Research Council pour leur album de 2015 (On prend son souffle) : Johnny Rocket, Narcissist and Music Machine…I’m Your Biggest Fan. Les zigues ont ensuite décidé de pousser le délire encore plus loin en donnant vie au groupe. Pour se faire, ils ont vu large en recrutant ces merveilleux malades de Lias Saoudi et Saul Adamczewski de Fat White Family, Rebecca Taylor du duo Slow Club mais aussi Sean Lennon pour la production de leur crapuleusement irrésistible album : Interplanetary Class Classics !
Le set démarre sous les meilleurs auspices en reprenant dans l’ordre les trois premiers titres du disque. La rythmique implacable et le refrain entêtant de Vessels sont suivis du sautillant Sweet Saturn Mine avec son savoureux climax hurlé : « I DON’T FELL ALRIGHT ! », puis par les synthés virevoltants et le pont délicieusement gothique à l’anglaise de Black Hanz. On part sur de très bonnes bases avec un Lias Saoudi toujours aussi cabot avec ou sans son pull immonde et d’hypnotisantes rythmiques n’ayant strictement honte de rien. Sauf que sur la longueur, la sauce (à la menthe) ne va pas vraiment prendre. On prend quand même beaucoup de plaisir à savourer à plein volume les ritournelles stupides, répugnantes et pourtant pleines d’aplomb de la bande mais il manque le grain de folie qui aurait rendu ça grand.
C’est un peu étonnant de ressortir d’un concert en étant frustré parce qu’il a juste été « bon » mais nous aurions tant aimé que ce fut le grand moment de dinguerie de la soirée.
Nous retournons donc presque bougons vers la grande scène. Nous n’allons pas le rester longtemps. C’est en effet l’heure pour Ty Segall d’officier pour une grande messe garage. Le quatuor débarque tout de rouge vêtu. L’infatigable petit prince du rock garage U.S. est bien entouré puisqu’on retrouve avec lui le fidèle Mikal Cronin à la basse, l’affuté Emmet Kelly à la seconde guitare, le stoïque Ben Boye au clavier et l’échevelé Charles Moothart derrière les futs. Fidèle à leurs habitudes, le set va démarrer à fond les ballons et ne ralentira pas. Ils entament les festivités par le duo Break A guitar, Freedom puis enchainent avec pas moins de deux nouvelles chansons juste histoire de démontrer une fois de plus la créativité insatiable et phénoménale du bonhomme. Sur un somptueusement dissonant duel/duo de guitares, ils ouvrent ensuite un morceau rien de moins que monstrueux, mélangeant puissance Black Sabbathesque, envolées et accélérations électrifiantes et contre-braquages de haute volée. Les groupes actuels mélangeant les styles de rock sans peur ni vergogne sont nombreux. Ils sont par contre rares à le faire avec le même talent et la même inspiration que Ty Segall, La bande passe ainsi d’un rock garage survolté à un heavy surpuissant sans oublier le blues le plus électrique et les circonvolutions psychédéliques ou (plus rares heureusement pour nous) progressives avec une facilité et une fluidité déconcertante. Autant dire qu’après ça, le Fort est en feu et que le public conquis saute à l’unisson en headbangant consciencieusement comme un seul homme. Derrière cette splendide cathédrale sonique, le quatuor va enquiller les morceaux sur un rythme démoniaque en alternant fulgurances étourdissantes avec quelques (très) brefs moments de répit pour mieux repartir à pleine vitesse. Au milieu de tout ça ils trouvent le temps de célébrer sur scène l’anniversaire de leur pote avant de conclure le concert sur la berceuse électrique Sleeper.
Nous ressortons de là aussi exsangues que ravis d’avoir participé à ce grand moment de communion rock’n’roll offert avec une générosité remarquable par la tornade blonde californienne et ses acolytes.
Alors qu’un chat (ou un loup, on ne sait pas comment vous dites chez vous) rafraichissant s’organise entre les festivaliers devant la scène du Fort, les (comme toujours) impeccables djs des Magnetic Friends soulagent les lombaires et réchauffent la foule avec un nouveau set particulièrement réjouissant (avec notamment le remix Tu te moques de Christophe par les Mansfield.TYA ! Merci les Magnetic ;-)). C’est de coutume avec eux, mais il est important de le souligner, avant de passer à l’électro des Italiens de Tale Of Us qui boucle la soirée. Si le duo basé à Berlin a sorti un premier album cette année (Endless chez Deutsche Gramophon) plutôt tourné vers l’ambient, mixant sonorités électro et subtiles touches d’instruments classiques, c’est bien sûr la version dancefloor de leurs prestations qu’ils offrent en cette fin de festival. Techno mélodique, plutôt lente, marquée par un pied puissant mais racé, aux textures hyper travaillées, la musique des Berlinois d’adoption joue plutôt sur les développements subtils que sur le tabassage massif. L’accroche hyper mélodique de chacun des titres permettant aussi sans doute une adhésion encore plus évidente, la foule encore présente danse quasi comme un seul homme sur ses paysages sonores aux rythmiques luxuriantes toute en finesse. La prestation du duo finissant d’achever avec subtilité cette fort réussie 27ème édition du festival malouin.
Comme d’habitude, nous avons réussi à aller assister entre deux concerts à la conférence de presse données par Alban Coutoux et François Floret et notre traditionnel bilan général du festival arrive très vite.
Photos : Mr B
Compte-rendu écrit par Mr B et Isa, en équipe réduite et sur les genoux, avec mille pensées pour le reste de la team prise par d’heureux événements…
Des bises à ceux qui étaient avec nous mais aussi à ceux qui n’y étaient pas.
La Route du Rock Collection Eté 2017 a eu lieu du jeudi 17 août au dimanche 20 août.
Plus d’1fos : http://www.laroutedurock.com/