Roman en décembre : la dignité des psychopathes

SigmaringenCa se passe à Sigmaringen, Allemagne, et en France; en 1944 et en 40, et ailleurs, et avant. Ca se passe quand l’armée française est en déroute et quand le Troisième Reich s’écroule.
Il y a des personnages très connus (Céline, Doriot, Déat …) et d’autres qu’on suppose fictifs. Ce sont ceux qui nous intéressent : Albert Mordefroid est un soldat qui ne sait plus quoi faire, qui rentre chez lui retrouver sa femme. Alexandre de Saint-Furchac est un fils de grande famille bourgeoise et un connaisseur en saloperie.
Ca s’appelle « La Dignité des psychopathes » et s’est bourré d’un humour qui grince juste comme il faut, troussé dans des formules qui font penser à la plume du père de Bérurier. C’est, très bien, écrit par Frédéric Paulin.

 

Dialogue.

 

Bonjour ou bonsoir Mr Paulin, la première question qui m’est venue à la lecture du livre c’est : Pourquoi cette période ?

– La Dignité des psychopathes se déroule pendant une période particulièrement exceptionnelle. A plusieurs titres : d’abord, elle suit une débâcle militaire sans précédent de la France mais elle correspond aussi au point culminant d’idéologies fascistes, racistes et extrêmement violentes. La France a sa part de responsabilité dans la catastrophe qui ravage l’Europe pendant ces années-là: les démocraties ont laissé s’installer les fascismes et leurs avatars, ils ont accepté de les voir s’armer et se préparer à la guerre. Et puis, Les Français, même s’ils se sont longtemps considérés comme faisant partie du camp des vainqueurs, ils ont aussi participé à la barbaries nazie. On sait aujourd’hui que Pétain et les collaborateurs, Laval, Darnand, Déat, Doriot, Luchaire, etc. ont été les alliés fidèles et zélés des Nazis, qu’ils ont souvent devancé leurs ordres. Comme d’ailleurs beaucoup de Français qui ont été des collaborateurs efficaces, parfois passifs mais pas seulement : A Sigmaringen, à partir de l’automne 1944 se retrouvent les plus actifs de ces collaborateurs, ceux qui risquaient douze balles dans la peau s’ils étaient faits prisonniers par les Alliés, et surtout par les Français de la France Libre.
Alors, pourquoi cette période m’a-t-elle intéressée? En fait, la période de la 2ème guerre mondiale et particulièrement l’épisode de la fin de la collaboration française (la débacle et l’installation des Français à Sigmaringen) est un moment qui accélère le meilleur et le pire qu’il y a dans chaque être humain. J’aime bien les « fins de route », les moments où les héros (qu’ils soient sympathiques ou répugnants) savent qu’ils vont devoir passer à la caisse. Certains se résignent, d’autres se radicalisent encore, quelques uns tentent leur chance dans la fuite. Une période qui offre de beaux personnages de roman.

 

Si j’ai bien compris, le précédent roman (le premier ?) se situait pendant la première guerre mondiale ?

– Oui, « La Grande déglingue » commence en août 1914 et se termine le 11 novembre 1918. Là encore, la 1ère Guerre Mondiale est une période exceptionnelle où toute la médiocrité humaine est amplifiée. Parfois ce sont les qualités de l’homme qui triomphent. Mais, c’est sans doute mon côté pessimiste, en période de guerre, je crois que c’est la médiocrité humaine qui est exacerbée. Je ne crois pas trop aux héros magnifiques. D’ailleurs, comme dans « La Dignité des psychopathes », les héros le deviennent bien souvent sous la pression des circonstances. Les salauds, c’est différent…. je crois que c’est une prédisposition qui s’épanouit durant les périodes tragiques. La Guerre 14-18 comme la seconde, vingt ans plus tard, est extrêmement favorable aux petits dégueulasses de toutes sortes…

 

Il faut imaginer un prochain roman qui se déroulerait quand alors ? Déjà des idées ?

– En gros, j’ai 2 pistes de travail : les romans noirs historique (comme La Dignité des psychopathes et La Grande déglingue) et puis le polar d’aujourd’hui. Récemment, j’ai signé dans une maison d’édition (Pascal Galodé éditeurs) qui bosse en collaboration étroite avec mon éditeur actuel (Alphée). 4 polars paraîtront à partir du Printemps 2011 et là, les histoires se passent de nos jours et peut-être même à Rennes… Mais un roman noir historique devrait suivre « La Grande déglingue », il se déroulerait à Berlin en 2010. Une façon de clore le cycle. Je travaille dessus en ce moment.

 

Frederic Paulin
On rencontre pas mal de gens ayant réellement existés dans le dernier roman. Ca a été un gros travail de recherches ? Il semble que l’histoire a été dans ton parcours plus qu’une passion.

– L’histoire… Voltaire disait que l’histoire est un mensonge sur lequel tous les historiens s’accordent. Chez moi c’est une passion peut-être parce que c’est un matériau assez difficile à manier. J’aime combler les mystères, les zones d’ombre des périodes historiques sur lesquelles je travaille, par des moments romancés, inventés mais qui auraient pu avoir lieu. Dans La Dignité des psychopathes, l’assassinat de Doriot que personne n’a jamais pu attribuer à l’un ou à l’autre des belligérants, aurait pu être celui que j’invente. Mais l’Histoire est un matériau difficile à manier aussi parce le révisionnisme est un piège dans lequel il est facile de tomber.
Et puis, il ne faut jamais oublier que l’Histoire comment elle est enseignée, comment elle est retenue dans la mémoire collective est un instrument au service d’une politique. Même dans les démocraties, elle sert une vision du monde qui n’est pas forcément la réalité. Il y a quelques années, j’ai été professeur d’Histoire en collège et en lycée. Quelques fois (pas souvent mais ça m’est arrivé) des élèves on remis en doute ce que je leur enseignait, sur le mode de « et qu’est-ce qui prouve que ça s’est vraiment passé comme ça? ». Cette question tenait bien plus de la provocation que de la réflexion personnelle mais il y avait du vrai : qu’est-ce qui nous prouve que les événements historiques que l’on apprend dans les manuels scolaires se sont vraiment déroulés comme ils nous sont enseignés ?

 

J’en viens à un élément fondamental du bouquin : l’humour. Cette forme, c’est quoi ? La politesse du désespoir ? Une protection face à la connerie ou la saloperie comme chez Frédéric Dard ?

– J’imagine que l’humour évite de se prendre au sérieux (une belle porte ouverte enfoncée, n’est-ce pas?). Mais dans mes bouquins, je n’aimerai pas donner des leçons de morale : c’était pas bien de faire ça, on aurait pu faire ça, A votre place j’aurais fait ça, etc… L’humour cependant n’empêche pas les jugements et les prises de position. Je dirai que l’humour est un excellent mode d’engagement idéologique, politique. Et littéraire (donc idéologique et politique). Je me souviens de la polémique qu’avait déclenché La Vie est belle de Roberto Benigni. Rire quand on traite de la Shoa c’est inadmissible, entendait-on ça et là. Moi je n’en suis pas convaincu : Je crois qu’il est parfois intéressant de traiter de manière légère des sujets graves. On peut rire de tout mais pas avec tout le monde, disait Desproges. Il y a de ça… Et puis, au-delà des considérations théoriques, je dois fonctionner comme ça dans la vrai vie…

 

cleb_PubAlors parlons du journal. Tu peux nous raconter l’aventure « Le Clébard à sa mémère » ?

– Le Clébard à sa mémère est un mensuel (devenu au bout d’un an et demi, un irrégulomadaire à 5 numéros par an) qui est né en 2004 et dont le dernier numéro est sorti fin 2008. Une vingtaine de numéros qui traitaient de politique, de société et même de culture sur un mode satirique et humoristique (l’humour encore!). Sortir ce journal, c’était clairement un engagement politique, essayer de faire entendre une voix médiatique dissonante sur Rennes. On a fait quelques numéros qui se sont très bien vendus. Enfin tout est relatif : le Clébard faisait de 300 à 1200 exemplaires… Même certains élus de droite l’achetaient… C’était une histoire de potes, ex-étudiants pas tout à fait insérés dans la vie active mais passablement énervés par le néolibéralisme ambiant, ce qui nous donnait le temps et la fougue pour faire vivre un tel objet. A la fin, certains d’entre nous ont eu des gamins, des boulots, des envies d’ailleurs aussi, et le Cléabard s’est endormi dans sa niche, tranquillement. Sortir un journal comme le Clébard le faire vivre, c’est presque un boulot à plein temps… Sur le long terme, parfois c’est désespérant: on s’aperçoit que les gens lisent ce qu’on leur dit de lire dans les médias « mainstream ». Malgré tout, Rennes reste une ville très conservatrice : Ouest-France est le seul référent médiatique de nombreux rennais. Parfois, on parle encore d’en ressortir un numéro…

 

Tenez-nous au courant et un grand merci pour l’échange.

La Dignité des Psychopathes
Frédéric Paulin
Les Inclassables, Editions Alphée
260 p, 19.90 €

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires