« La Tendresse » par et pour les hommes (et un peu beaucoup pour les femmes aussi !) en rires et sourires, en émotions, en silences, en décibels et en mouvements, c’était la proposition de Julie Berès durant deux soirées à l’Aire Libre dans le cadre du Festival Mythos 2022. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette Tendresse, elle secoue et elle remue. Retour en mots et en images sur la soirée du lundi. 

 

Ils arrivent en meute et tagguent le décor ardoise. Ils marquent leur territoire à la craie, tels des alphas, en recouvrant les surfaces anthracites de leurs prénoms. Ils crapahutent sur les fauteuils dans le public en scandant le refrain Bande organisée de Jul (une histoire de canebière, de quartiers nord et de morts sur port…).

La meute, ce sont 8 jeunes hommes qui vont nous tenir en haleine, en émois et en éclats de rire pendant 1h30. Au gré de leurs postures d’hommes ou de celles qu’on les a obligés à tenir depuis leur tendre enfance… Ils racontent, sous la houlette de Julie Berès et son équipe (Kevin Keiss et Lisa Guez et aussi avec la collaboration d’Alice Zeniter), cette Tendresse dont ils ont été privés. Celle qu’ils voudraient donner ou recevoir.

Les dialogues se succèdent autour de leurs premières fois (ou pas), autour des femmes, « ces continents totalement fascinants », autour de leurs corps masculins, loin des mensurations à la Terminator attendues… Leurs histoires d’amour sont aussi un vaste sujet et finissent mal en général, en leur laissant des « cicatrices de coeur ». Eux qui sont trop cérébraux et pas assez « Macho man ». Ils racontent aussi les consentements incompris et les enjeux de #MeToo…

Car ces garçons ont grandi depuis tout petits dans une marmite de potion magique destinés à faire d’eux des mecs héros et guerriers, des mecs qui savent se battre. A peine échographié, le foetus mâle sera compétitif, sportif et combattant ; il ira plus haut, plus vite, plus fort. Il sera Président ou Roi ou Prophète dans un monde d’hommes par les hommes et pour les hommes… Magie ! La scène se transforme alors en un champ de bataille. Le public est plongé dans un film de guerre (avec les sons des balles qui sifflent et les cris qui vont avec). Un seul survivant fait corps avec un mât chinois et nous offre une danse à l’épreuve des munitions.

Et puis, c’est au tour des figures paternelles d’en prendre pour leur grade. Celui qui t’éduque par la ceinture ou celui qui est absent et t’oublie à la sortie de l’école. On oscille en permanence entre rires et larmes. Mais pas une minute pour s’épancher ! c’est l’heure de la douche et du strip-tease, de la danse et de la démo de hip-hop. Car au-delà de leurs talents de jeunes comédiens, Bboy Junior, Natan, Naso, Alexandre, Tigran, Djamil, Romain et Mohamed savent danser : hip-hop, breakdance, acrobaties ou danse classique. Le tout avec une énergie communicative !

Ils écorchent aussi gentiment les femmes, qui seraient entrées dans un délire de vengeance historique et sociale. Tigran dévoile ses peines de coeur et sa fragilité, évoque son ex-copine dans un élan de vulgarité poétique. Toutes des salopes sauf la Daronne ! Et dans un joyeux bordel de courses poursuites, les clichés et les stéréotypes des chansons machos et leurs simulacres d’actes sexuels sont dénoncés. Un joyeux bordel qui se transforme en défilé de baffes, de coups de poing et de bagarres… Car la violence n’est jamais loin des guerriers alphas…

L’homosexualité fut aussi un parcours du combattant. Quand tout est « PD », tu n’es plus un homme et tu n’existes plus au fond. Les déboires d’Alex donnent lieu à une démonstration de drague dans le public de toute subtilité ! Car si tout est exagéré et volontairement grossi à la loupe, les faits résonnent dans nos propres expériences personnelles. Le public rit, sourit, retient son souffle, se tait quand les propos émeuvent.

Un cygne noir entravé, juché sur pointes roses, raconte son addiction au porno et les dérives de ce dernier, à grands coups d’entrechats et d’arabesques. Big Jim, quant à lui, dévoile sa plastique et l’horreur qu’il éprouve face aux corps des hommes et à cette communauté masculine violente, assassine et esclavagiste. Revêtu d’une robe de soirée violette des plus seyantes, il milite pour un mur des femmes violées et une obligation de visites masculines autour de ce mémorial.

La meute revient, transformée, en robe, juchée sur des talons. Elle se démène, en mouvements saccadés dans la fumée et interroge sa propre paternité. Elle pointe les contradictions et injonctions permanentes de la masculinité et rappelle combien son besoin de douceur, de tendresse et de délicatesse est criant.

Standing ovation immédiate à la tombée du rideau. Un public conquis, régulièrement hilare au cours de ce spectacle. Sous le charme de l’énergie débordante de ces jeunes comédiens talentueux. C’est drôle, sensible, bourré de vérités et de conseils à transmettre, dont celui d’offrir des « girafes-tendresse » à nos fils. Croyez-les, ça en vaut véritablement la peine !

Une Tendresse jubilatoire donc, pleine d’espoirs sur ce que porte cette nouvelle génération d’hommes. Les mots sont ciselés, un brin couillus et provocateurs, les postures sont tranchées mais pas figées et les mouvements sont joyeux et puissants. Une vraie réussite !