Un roman choral qui parle du travail, du harcèlement, de burn out et qui finit mal, ça vous tente ? Précipitez vous sur ce court polar d’Elisa Vix : « Elle le gibier » publié aux Editions du Rouergue en 2019. En ces temps incertains où on veut nous imposer de travailler plus, ce roman sonne comme un pamphlet contre le travail déshumanisé… Et sa lecture vaut tous les discours du monde.
Le personnage principal, c’est Chrystal. Archétype de la fille « amour, gloire, intelligence et beauté ». Un PhD sur la maladie d’Alzheimer, des études brillantes malgré un père décédé trop jeune, un physique parfait agrémenté d’une intelligence et d’une perspicacité chevillée au corps : « Vénus sortant des eaux, avec un PhD » (p. 25)
Elle est embauchée chez Medecines, entreprise privée car remerciée après un post-doc de trois ans dans un labo de recherche public, faute de financements permettant à son directeur de l’embaucher. Medecines est une entreprise en noir et blanc : parfaite côté vitrine – enfin presque – leader dans le monde de l’information médicale, travaille pour de grands laboratoires pharmaceutiques, mais inhumaine côté salariat malgré un label Great Place to Work : pas de salle de pause, turn over des salarié.es, call center digne d’un abattoir à appels téléphoniques, reporting plus précis qu’un horloger suisse à effectuer…
- – Cendrine O et Erwan L, deux collègues embauchés en même temps qu’elle ;
- – Jean-Christophe D, médecin-consultant dans cette entreprise qui a compris ce qui se passait mais n’est pas intervenu : « Ce que je veux dire, c’est que Chrystal avait une forte personnalité. Une personnalité qu’on ne brise pas comme ça. Il a fallu du temps, il a fallu l’avoir à l’usure, à la chignole, forer là où ça fait mal, dans l’amour-propre, longtemps et profondément. Il a fallu être persévérant et cruel, il a fallu lui faire mettre un genou à terre, puis l’autre, il a fallu frapper au plexus pour couper sa respiration, remplir sa bouche de terre, couper ses ongles et quand elle a été trop faible pour se défendre, trop épuisée, trop dégoûtée, lui infliger le coup de grâce. Mais ils n’avaient pas imaginé ça… » (pp. 60-61) ;
- – Claire J, médecin parfaitement consciente des dégâts liés au travail, qui reconnait une situation de harcèlement moral pour Chrystal : « Les patients malades de leur travail, j’en vois tous les jours. Et c’est presque tout le temps la même chose : des organisations délétères, des petits chefs sadiques, des salariés sacrifiés sur l’autel de la rentabilité. Des dirigeants incompétents malmenant des employés tétanisés par la peur du chômage. Le cocktail détonnant. » (p. 83) ;
- – Sylvie E. sa mère, qui ne s’est jamais remise du décès brutal de son mari dans un accident de voiture ;
- – Karim Z, un ami d’enfance, amoureux transi depuis toujours, qui va réconforter Chrystal lors de son séjour chez sa mère : « Je lui ai rendu son sourire et lui ai demandé si elle allait bien. Juste un peu fatiguée, a-t-elle répondu. Le surmenage, elle avait besoin de calme et d’une bonne cure de sommeil… » (p. 110) ;
- – Maria F, caissière du supermarché du village de Karim et Sylvie : elle aussi a subi ce que le travail peut générer de pire, se retrouve affublée du sobriquet « la caissière sadique » parce qu’elle a fini par prendre en otage sa directrice : « Il y avait tant de haine ne moi. C’est la haine qui m’a fait agir ainsi. La haine qu’on avait plantée dans mon coeur. Pourquoi j’aurais été tendre avec cette femme qui nous avait transformées en esclaves ? Qui avait eu recours à la violence en premier ? Qui a terrorisé l’autre en premier ? Pas moi. La sauvagerie appelle la sauvagerie. » (p. 136)
144 pages
ISBN 978-2-8126-1770-6
16,50 €
D’une plume trempée dans le vitriol, Élisa Vix sonde la noirceur du monde de l’entreprise et retrace l’implacable genèse d’un fait divers.