Ce Week-End à Rennes organisé par l’Antipode nous aura permis de retrouver avec bonheur les excellents Mermonte pour une prestation majuscule, et le pianiste Bachar Mar-Khalifé et ses mélopées orientales chaloupées.
Mermonte
Quatre ans. Quatre ans que les excellents musiciens de Mermonte n’avaient pas foulé la scène de l’Antipode. Leur concert a beau débuter dès 20h30, c’est un public incroyablement dense (la soirée affichait complet) qui est présent lorsque les neuf musiciens débarquent sur scène. La faute à un troisième opus, Mouvement, qui, dès la première écoute, était frappé du sceau de l’évidence : cet album est une pure merveille, un chef d’oeuvre de pop orchestrale qui fourmille d’idées, et que l’on (ré)écoute avec une jubilation qui ne fait que croitre. Sachant qu’on les a déjà vu une bonne douzaine de fois en live, et qu’aucun de leurs concerts ne nous a déçus, on s’attend à passer un excellent moment.
Et une fois de plus on s’est fait cueillir comme des bleu(e)s, tant les arrangements de la bande de Ghislain Fracapane magnifient les compositions et vous collent des frissons de bonheur. Le set commence avec le lumineux Acroamatic, qui ouvre également l’album, avec ses petites notes introductives qui vous font frémir avant l’envolée instrumentale tant attendue. Sans transition, l’enchainement redoutable avec l’ébouriffant Motorique est impeccablement effectué : les notes de xylophone montent progressivement, avant de laisser place à une imparable rythmique, de celles qui vous restent gravées dans un coin de votre tête toute la journée. La ligne de basse de Mathieu Fisson nous chatouille les orteils, les choeurs sont éblouissants et nous donnent irrésistiblement envie de donner de la voix.
Mouvement passe l’épreuve du live avec brio : on savoure Atma, morceau typiquement mermontien, avec ses délicieuses sonorités vintage, mais aussi Lude, impressionnante composition essentiellement rythmique, qui réussit la prouesse de monter encore en puissance lorsqu’on pense avoir atteint le paroxysme percussif (mention spéciale à la disposition scénique en cercle autour de la batterie de Mathieu Noblet). Et puis il y a Les Forces de l’Ailleurs, l’un des plus beaux morceaux qu’il nous ait été donné d’entendre ces dernières années, enregistré avec Dominique A sur l’album : lorsque les premières notes résonnent, on esquisse un large sourire. Et notre regard balaie l’ensemble des membres de Mermonte lorsque le couplet démarre : on reste alors sans voix, bluffés par la voix de Pierre Marais (que l’on avait pu apprécier avec Lady Jane) qui donne un éclairage différent à cette splendide composition. Un moment magique.
Les Forces de l’Ailleurs symbolise parfaitement le virage pris avec ce nouvel album. Le chant y prend une place beaucoup plus importante, apportant une dimension nouvelle aux titres, tout en s’appuyant sur ce qui fait la beauté de Mermonte : les merveilleux choeurs d’Astrid, Ellie, Julien, Pierre et Ghislain et les mélodies solaires surprenantes, avec ce qu’il faut comme ruptures et structures complexes pour nous captiver totalement. Sans oublier l’invité surprise, Pierre Marolleau (batteur d’un nombre incalculable de groupes rennais), que l’on aurait pu attendre derrière ses fûts puisqu’il a participé à l’enregistrement de l’album : mais c’est son flow précis que l’on aura eu le plaisir d’apprécier, comme un clin d’oeil à son tout nouveau projet Yes Basketball (dont on vous reparlera sur Alter1fo).
Mermonte nous gratifiera bien entendu de quelques incursions puisées dans leurs précédents albums. Au cœur de l’exploration de Mouvement, le groupe nous offre une triplette magique issue d’Audiorama : un Karel Fracapane parfaitement réarrangé, le bondissant Angélique Beaulieu, et Fanny Giroud (avec une petite intro tropicale du plus bel effet). Les 9 musiciens reviennent pour un rappel qui fleure bon les tous débuts, avec l’incontournable Monte et le feu d’artifice final Romain Paumard. Les musiciens de Mermonte ont non seulement sorti l’un des albums de l’année, mais ils ont réussi à faire vivre Mouvement sur scène de la plus belle des manières. Quel album, quel concert, quel groupe !
Bachar Mar-Khalifé
Après une telle décharge émotionnelle, on a quelques craintes quant à notre perception du concert de Bachar Mar-Khalifé. Le pianiste franco-libanais, que nous avions découvert en solo aux Champs Libres, était parvenu sans peine à captiver son auditoire. Il était revenu en trio piano/basse/batterie à l’Antipode en 2015 pour y présenter l’excellent Ya Balad, et avait littéralement enchanté le public présent. Mais on était resté sur notre faim l’année suivante lors du festival Mythos, avec un set exclusivement dansant et délaissant un peu trop, à notre goût, les morceaux sensibles et délicats. Dans son dernier album, The Water Wheel, en hommage à l’oudiste Hamza El Din, on retrouve ce qui fait la spécificité de cet artiste : une musique qui se joue des frontières et des genres, avec des accents beaucoup plus rock qu’à l’accoutumée.
On espérait retrouver sur scène toute la palette d’émotions qui se nichent dans les galettes du pianiste. Le set commence avec quelques notes percussives de piano, introduisant l’excellent Wolf Pack, et sa montée en puissance progressive et diablement efficace. Bachar Mar-Khalifé se présente sur la scène de l’Antipode en quatuor cette fois-ci, le trio s’étant enrichi d’un violoncelliste. Ce dernier nous gratifie d’ailleurs d’une merveilleuse introduction instrumentale sur Hela Lisa, très jolie titre issu du dernier album. On est beaucoup moins fan de Greetings, aux arrangements un peu trop stéréotypés, taillé pour passer sur les ondes, mais qui nous laisse de marbre. Fort heureusement, le groupe enchaine avec l’intro Bonjour Bonsoir du subtil Balcoon et sa rythmique reggae passée à la moulinette orientale.
Le set va alors baisser en intensité : Distance en version solo est un magnifique morceau, toute en émotion feutrée au casque, mais qui souffre de quelques longueurs sur scène. Une impression qui se confirme avec The Water Wheel, à la coloration jazz expérimental : ce titre de près de dix minutes sur album fait retomber le soufflé du début de set et notre attention commence à papillonner dans la salle, preuve que l’on décroche progressivement. Une baisse de régime qui ne nous empêche pas d’apprécier le talent des musiciens (le virtuose batteur Dogan Poyraz), et la voix étonnamment riche du pianiste Bachar Mar-Khalifé.
On reprend le fil du concert avec le magnifique Layla, somptueuse ballade qui s’accélère progressivement pour finir dans une quasi transe, avant un final (très) attendu par le public : Bachar Mar-Khalifé met enfin le feu à l’Antipode avec la chanson traditionnelle koweïtienne Ya Nas et l’imparable Lemon (composé avec sa mère) qui a le don de vous coller des fourmis dans les jambes. Les spectateurs dansent, le sourire aux lèvres, et réservent une belle ovation finale au groupe, visiblement touché par l’accueil (le pianiste évoquera d’ailleurs les bonnes ondes de la salle, et émet le vœu de les retrouver intactes dans le nouvel Antipode). Un petit déséquilibre dans la setlist (ce n’est que notre avis) qui n’aura pas empêché le quatuor d’un soir de faire chalouper une nouvelle fois le public de l’Antipode.
Diaporama (photos : Yann)