La science, ce n’est pas vraiment le truc qui nous a fait le plus fantasmer à l’école, on l’avoue. Pourtant, loin des équations à équilibrer ou autres molécules à liaisons bivalentes (c’était ça les termes ?), Maintenant propose une Nuit Arts et Sciences ce jeudi 16 octobre au Diapason qui devrait nous faire écarquiller les yeux et les oreilles. Et nous télé-transporter au Québec ! Explications.
Cette année encore, l’association Electroni[k] (qui organise Maintenant) affirme son désir d’être un terrain d’échanges et de rencontres. Entre les publics et les artistes bien sûr, mais également entre arts et sciences. En 2011, Cultures Electroni[k] avait proposé une première soirée, Alchimi[k], qui avait transformé la science en art (et vice-versa) sur le campus de Beaulieu avec un programme aussi époustouflant qu’exigeant [ici], puis avait réitéré l’expérience en 2012 (Trafik, Mondkopf, Roly Porter & MFO et on en passe) et en 2013 (sublimes Lesley Flanigan ou Erratic de Richard Eigner et Robert Seidel). L’équipe garde le même concept pour une quatrième Nuit Arts et Sciences ce jeudi 16 octobre, toujours sur le Campus de Beaulieu avec un programme accessible à tous (puisque la soirée est gratuite) et tout aussi jouissif !
Créer une œuvre musicale et visuelle simultanément à Rennes et Montréal avec la… chimie
On commence avec Miscible proposé par Manuel Chantre et Maotik qui invite publics français et canadien à interagir simultanément à Montréal et Rennes, en écho d’ailleurs à la monumentale installation Eotone place Hoche (créant une symphonie éolienne avec les vents de Québec, Rennes, Montréal et Nantes – voir là). Avec la collaboration d’enseignants (chercheurs, chimistes et électroniciens) de l’Université de Rennes 1 et l’équipe du Métalab de la SAT, le Québecquois et le Français ont en effet choisi de travailler autour de la téléprésence et de dépasser les aspects seulement visuels et sonores qu’on utilise aujourd’hui (vidéo-conférence, …). Ils ont ainsi décidé d’aborder la téléprésence en lui donnant une dimension sensorielle.
Les publics de Rennes et Montréal seront donc invités à participer simultanément à la création d’un spectacle en temps réel à pas moins de 5200 kilomètres de distance. Il s’agit en effet de créer une performance collective entre deux lieux en se concentrant d’une part sur la visualisation d’une expérience chimique (se servir par exemple de lumière ultra-violette pour faire apparaître la fluorescence de certains molécules présentes dans le Schweppes !, se servir de la neige carbonique, de colorants…), d’autre part sur l’aspect sonore. Les spectateurs pourront en effet jouer comme sur un instrument de musique audio-visuel simultanément à Rennes et Montréal. Le public est ainsi amené à manipuler différents liquides (un spectateur à Montréal peut par exemple ouvrir telle ou telle vanne à Rennes) et à observer les réactions chimiques qui se produisent. Ces « réactions chimiques engendrent elles-même du visuel et du son » explique Maotik, qui est « entendu à Montréal et à Rennes » simultanément. Pour ce faire, l’équipe a analysé les expériences, liquides, solutions, afin de pouvoir les amplifier en temps réel aussi bien visuellement que d’un point de vue sonore. Le but étant de créer une œuvre musicale et visuelle commune, jusqu’à la miscibilité totale, autrement dit l’homogénéité parfaite entre les actions des deux publics.
Retour plus qu’attendu d’Yro et Transforma avec leur nouvelle performance, Bsynthome
On poursuit avec une proposition dont l’annonce nous a fait bondir le cœur d’excitation : la présentation de la nouvelle création d’Yro et Transforma, Bsynthome.
Lors de leur précédente venue, pour la présentation au Tambour (lors de la soirée anniversaire des 10 ans de Cultures Electroni[k]) de la première partie de la trilogie, Asynthome (suivra logiquement un Csynthome) le collectif allemand Transforma (qu’on avait pour notre part découvert avec la performance vidéo live Waiting Room avec Chloé en 2008) et le plasticien Yro (alors Yroyto) nous avaient totalement subjugués.
Pourtant, sur le papier au départ, on ne s’attendait pas à être emballé. Filmées, captées puis montées en temps réel, des manipulations d’objets (des papiers découpés, des boules, de l’encre, un bac en plastique transparent, des saladiers, bref, rien a priori d’extraordinaire) devenues images (puisque filmées, montées en temps réel pour être projetées sur un écran en fond de scène) génèraient elles-mêmes le son qui accompagnait la performance. On n’aurait jamais pensé être aussi ému devant un plateau de verre recouvert d’encre mouvante, par des bulles qui se créent dans un liquide ou de simples triangles de papier. Et pourtant…
Pour Bsynthome, les principes restent essentiellement les mêmes : ce sont les actions des artistes sur les objets, les éléments présents sur scène qui vont permettre de fabriquer les images et les sons en temps réel. En utilisant l’espace scénique comme un laboratoire, les artistes présentent simultanément le processus de création et son résultat, aussi bien sur scène qu’à l’écran (la projection sur l’écran est aussi captivante à la fois dans sa mise à distance que dans sa recréation esthétique du moment) afin de créer « une chorégraphie complexe à la frontière entre concert, cinéma et théâtre. » On l’avoue sans peine : Bsynthome est sûrement la proposition artistique qu’on attend avec le plus impatience dans cette programmation de Maintenant. Vivement !
Pénétrer dans la collection d’instruments scientifiques de l’université de Rennes 1 avec un casque ?
On retrouvera également une pièce sonore réalisée dans le cadre du dispositif Métropole Electroni[k]. Depuis 2008, l’association propose en effet à des musiciens (mais aussi à des plasticiens) de réaliser des créations sonores pendant une résidence dans un lieu de Rennes Métropole (Maison de retraite de Cleunay, Médiathèque de Betton, gare SNCF, aéroport pour n’en donner que quelques exemples). Les artistes investissent le lieu de résidence, développent leur projet puis restituent leur création au public sous la forme d’une carte postale sonore. Pour les créateurs de Métropole Electroni[k], ces projets permettent « de découvrir ou de redécouvrir des espaces urbains, d’appréhender la ville par l’oreille et ne plus la penser simplement comme source de bruits et de nuisances » . Depuis le lancement de Métropole Electroni[k], 15 cartes postales ont déjà vu le jour. Celle proposée par Nicolas Bernier (dont on a parlé il y a quelques jours ici) est donc la 16ème.
Connaissant l’intérêt plus que développé pour les diapasons de Nicolas Bernier (Frequencies, présentée l’an dernier était une performance sonore mêlant les fréquences acoustiques des vibrations des diapasons à d’autres totalement numériques) Damien Simon a invité l’artiste à découvrir la collection d’instruments scientifiques de l’Université Rennes 1. Armé de multiples micros, l’homme s’est immergé dans la collection et a créé « une banque de son articulée autour des diapasons, des cylindres de Marey et des ambiances même du lieu » . En plus de ces sons captés, Nicolas Bernier a ajouté au montage la voix de Dominique Bernard qui explique la vie et l’histoire du lieu, plaçant cette carte postale sonore entre création documentaire radiophonique et création musicale.
Mettez la main à la pâte : des installations interactives
En plus de la création d’une œuvre visuelle et musicale avec les Canadiens, Maintenant vous invitera également à participer avec d’autres installations.
La première nous évoque une autre installation présentée dans le cadre du Premier Dimanche d’Electroni[k] aux Champs Libres, Moc, par le collectif multimédia Lab 212. Il s’agissait en effet de faire pousser en arbre en sifflant (et pas forcément sur l’air de savez vous planter les choux !), puis faire varier sa forme et son ramage en fonction de la tonalité, de l’intensité du son, et cela en temps réel, sur un grand écran placé en face du jardinier en herbe qui sifflotait dans un micro. C’est un peu la même chose avec ce Stimmmaler aux trois m (de Stimme, voix et Maler, peintre en allemand) avec lequel Benjamin Böhm vous propose de peindre avec votre voix. Dans les mains, vous avez un mégaphone (composé d’un micro et d’une télécommande de wii cachés) que vous dirigez face à un grand écran blanc. En gros, le mégaphone, c’est le pinceau. Mais pour pouvoir peindre avec en dirigeant vos mouvements vers l’écran, vous avez besoin de peinture. Et la peinture ici, c’est votre voix. Sachant que le volume et la hauteur de votre voix définiront les couleurs de la peinture et le type de pinceau utilisé. Bref, là encore, ça devrait être drôle de naviguer entre L’air des bijoux et le growl des métalleux.
La seconde nous rappelle le Spacecube, réalisé par (déjà) Romain Scordia et Ronan Thersiquel, présenté l’an dernier. Il s’agissait d’une surface interactive (entendez une grande table écran tactile au décor interstellaire) qui permettait de mixer de la musique avec des cubes et autres palets de bois : en posant simplement de petits cubes sur la surface tactile éclairée, vous maitrisiez les paramètres d’un son séquencé : vous en modifiiez le volume en tournant le cube, vous rajoutiez et pilotiez des effets, la construction de l’espace sonore étant définie par la position des objets sur la surface. Pour ce Noise Field Synthesis, inventé par le collectif CosmicGarden (dont font partie les deux garçons cités), les principes semblent être sensiblement les mêmes : une table tactile et cinq objets à déplacer pour faire naître des sonorités puis varier la position du son dans l’espace afin de créer des paysages sonores uniques. A la différence que cette fois-ci, l’installation mêle sons « naturels » (issus d’enregistrement dans la nature) et sons de synthèse, avec l’objectif de « renforcer l’ambiguïté entre concret et abstrait, naturel et artificiel. » Aussi intuitif que simple d’utilisation, l’installation Noise Field Synthesis devrait ravir le public du Diapason.
On finit avec un étrange bac à sable, le bien nommé Bac à sable VS bac à sons, imaginé par Sylvain Garnavault, davantage connu comme jongleur et créateur de la compagnie Parabole pour laquelle il a inventé des spectacles mêlant jonglages et multimédia (notamment Interfaces utilisant le jonglage comme élément de contrôle multimédia). On ne pourra donc pas vous dire grand chose de ce prototype « en volume où les transformations du paysage et les écoulements de l’eau sont autant de notes mises à disposition du public » . On a en tout cas hâte d’essayer.
En outre, notez que la scénographie de la soirée devrait cette fois encore avoir été imaginée par Aline Brugel et Cyril Cosquer, tandis que l’ambiance musicale dans le hall du Diapason devrait être l’œuvre du co-fondateur des soirées Arithmetic, Fox.
Finalement, les sciences, ça devient intéressant si on les applique aux arts, se dit-on après avoir feuilleté le programme.
Retrouvez tous nos articles sur Maintenant là.
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Maintenant présente Nuit Arts et Sciences avec Bsynthome de Transforma et Yro, Miscible de Manuel Chantre et Maotik, Carte Postale sonore de Nicolas Bernier, Fox, Aline Brugel & Cyril Cosquer, le collectif CosmicGarden, Benjamin Böhm, Sylvain Garnavault, … au Diapason (Campus de Beaulieu, 263 av Général Leclerc – Rennes) le jeudi 16 octobre de 21h à 1h.
Entrée libre.
Plus d’1fos : le site de Maintenant
Le festival Maintenant a lieu à Rennes du 14 au 19 octobre 2014.