Le problème avec le Portugal, c’est que quand on y va, on y retourne. Et parfois, on a envie qu’on nous en parle.
C’est l’histoire de 5 femmes, mais surtout celle de Solange de Matos, et de Joao de Lucena. Qui commence d’ailleurs par la Nuit parfaite, dans l’empire instantané.
C’est étonnant comme un prologue et un épilogue peuvent donner des couleurs à un roman. Comme des épices ou un vin qui va vous faire percevoir si différemment ce que vous êtes en train de manger.
Lidia Jorge a de la légèreté. Elle aère. Elle prend des libertés. Un peu trop dans la Nuit Parfaite et on se dit qu’on ne va pas rentrer dans cette histoire.
Mais les souvenirs racontés sont plus clairs. Ils ont 21 ans. Et Solange dans ceux-ci, 19.
A cette époque, elle est étudiante, vit dans une pension à Lisbonne, mais se fait aborder par les sœurs Alcides parce que, déjà, elle est parolière. Elle doit devenir celle de Gisela Batista. Ou plutôt du groupe que celle-ci monte.
La cinquième s’appelle Madalena Micaia, et son surnom est « the African Lady ». La tragédie a la peau noire comme Mahalia Jackson, la voix aussi.
Joao de Lucena, c’est le chorégraphe qui donne les nombres. Ce que chacune doit perdre sur la balance. Il revient de New-York et toutes l’admirent. Mais l’amour est pour Solange.
Un amour de 19 ans. Comme l’admiration qu’elle porte à Gisela Batista, plus agée qu’elle. La maestrina décide, et obtient de Mr Simon, l’homme riche.
Elle obtient un miroir immense pour le garage où elles répètent, elle obtient des moyens pour enregistrer …
Solange a grandi en Afrique que ses parents avec elle ont dû quitter. Le Portugal aussi a eu ses colonies. Le souvenir du départ ressemble à un abandon.
Tout le monde a été une jeune fille. Alors tout le monde peut sans doute pardonner les choix qui sont fait par les personnages de cette histoire, choix qui font parfois soupirer.
Beaucoup de gens ont été cet étudiant en sociologie qui essaye d’ouvrir la porte de Solange. Beaucoup de gens ont rêvé d’absolu.
Un livre court avec des phrases toutes seules. Avec plus de phrases belles que de celles qui en font trop.
« On peut comprendre qu’il soit resté pour travailler à sa thèse sur le grand mensonge communicationnel de l’Occident. En revanche, le fait que je sois revenue de Sobradinho trois jours plus tôt est incompréhensible. Je suis la preuve pour lui que la déraison règne et ne choisit ni l’âge ni le sexe. « Si ça continue tu vas tomber dans un piège qui te réduira en poussière… » m’avait-il prévenue la veille, quand il m’a croisée à l’improviste dans ce couloir. La méfiance avait succédé à un bref moment de joie où ses yeux bleus avaient brillé avec l’intensité sereine de la douceur. « Qu’est-ce que tu es venue faire à Lisbonne ? Qu’est-ce qui se passe dans ta tête ? Pourquoi tu ne me parles pas, Solange ? Tu es revenue et tu ne m’as rien dit ? » Mais en cet instant – il est neuf heures du soir de ce côté-ci du monde- l’année n’a plus que trois heures à sa disposition et cela impressionne une partie de l’humanité, Murilo tient le combiné à la main et me le tend en détournant la tête… »
Hélène a trouvé une photo de sa mère, dont elle n’a quasiment aucun souvenir. Elle est morte quand elle avait trois ans. Son père et la femme qui l’a adoptée n’ont jamais voulu lui révéler comment. Lui n’est plus là maintenant, non plus. Son épouse est malade, le temps amenuise les possibilités qu’elle raconte ce qu’elle sait.
Reste cette image, où Nathalie n’a qu’une trentaine d’année, elle est entourée de deux hommes. Qui sont-ils ? Une annonce dans plusieurs journaux permet à une première lettre d’arriver. Stéphane reconnaît son père. Il y aura beaucoup d’autres courriers.
Les « Chère madame Hivert » et « Cher Monsieur Crüsten » seront remplacés par « Ma chère Hélène » et « Cher Stéphane », le papier sera suspendu quand l’histoire s’accélèrera. Courriels et SMS auront leur temps, mais les stylos reviendront.
Il y a plusieurs façons de lire un livre fait d’une correspondance. Il s’agit d’une enquête. La curiosité, très bien aiguillée malgré les évidences, peut faire tourner les pages très vite. Ou bien le lecteur voudra se rapprocher du temps de ces personnages qui doivent attendre la disponibilité de l’autre (qui voyage beaucoup), les pauses ne nuisent pas à ce roman. L’absence est à l’amour ce qu’est au feu le vent.
Il est doux celui-là. Suranné et doux. Même après s’être touchés, ils se vouvoient encore. Peut-être parce qu’il faut faire avec le passé. Avec ce qu’ont laissé ceux dont on vient.
Il n’y a pas que des lettres. 14 photos sont décrites. Finement. Placées comme une suite de chapitres.
« Eux sur la photo » est le premier roman d’Hélène Gestern.
Il y a des souvenirs aussi dans le deuxième livre de Jeff Sourdin. Les nôtres. Villejean, la fac, le Stade, la bande de potes, les histoires d’amour à la con, les boulots de merde, la stabilisation, l’arrivée des enfants, le parcours des amis qui inquiète etc …
La quatrième de couverture nous informe que l’auteur a grandi à Fougères. Il a du passer du temps à Rennes aussi pour en parler ainsi. Même s’il semble que sa vie soit à Paris maintenant (comme un paquet de Bretons), on lui suppose une dose de nostalgie pour balader comme ça son personnage principal : le surnommé Troski.
C’est idiot d’hésiter à parler de choses locales dans le monde du livre (pour grands). « Le clan des poissards » est un bon roman. L’éditeur « La Part Commune » habite la même ville qu’Alter1fo. C’est pas une raison pour en parler, ni pour les bouder. Leur catalogue fait se télescoper vieilleries et actualités. Il paraît même que ces gens sortent de la poésie.
La nuit des femmes qui chantent
Lidia Jorge
Editions Métailié
324p, 22 €
Eux sur la photo
Hélène Gestern
Arléa
274p, 19 €
Le clan des poissards
Jeff Sourdin
La Part Commune
224p, 16 €