– Mr B, qu’est-il sorti de très bon durant ce premier trimestre 2010, dans le domaine de la bande dessinée ?
– Le truc le plus impressionnant que j’ai lu dernièrement, c’est le nouveau BD reportage de Joe SACCO : Gaza 56 (en marge de l’histoire).
Loin devant les autres d’ailleurs. C’est tout récemment sorti chez Futuropolis. ça fait plus de 400 pages et on y entre un peu à reculons mais le voyage en vaut la peine.
– Expliquez-nous : BD reportage, c’est quoi ? Mr Sacco a remonté le temps ?
– Il y a un peu de ça mais non. La base du travail de Sacco, c’est qu’il rencontre des gens et qu’il les écoute. Ensuite, il vérifie, recoupe, complète, mets en perspective et fait une BD du tout. Un vrai boulout de journaliste quoi. Il avait déjà rencontré des palestiniens dans les deux tomes de Palestine et il avait excellement traité dans la guerre de Yougoslavie sur le même principe dans Gorazde : la guerre en Bosnie orientale et Derniers jours de guerre : Bosnie 1995-1996. La nouveauté dans Gaza : 1956, c’est justement qu’il s’est fixé comme objectif de revenir sur les racines du conflit Israelo-palestinien et plus particulièrement sur un incident : le massacre de Gazaouis à Khan Younis en novembre 56.
– Alors, pourquoi y rentre-t-on à reculons ? et pourquoi est-ce finalement si bien ?
– J’ai un peu trainé la patte pour m’y mettre parce que j’avais relu récemment les deux volumes de Palestine et que ces bouquins souffraient d’un certain effet de saturation. L’accumulation de témoignages allant de la trop banale vexation quotidienne aux récits de tortures et de violences, finissait par produire un certain vertige que reconnaissait d’ailleurs Sacco lui-même. Il s’en sortait en incluant ses propres lassitudes et doutes dans sa narration mais je trouvais quand même qu’il avait du mal à lier vraiment cette somme avec fluidité. La perspective de remettre le couvert après ça, m’effrayait un peu. Surtout que c’est un sacré pavé !
Le bonheur de voir qu’il avait réussi à résoudre ce problème n’en a été que plus grand. Comme je l’ai déjà dit : il a trouvé la solution dans le passé. En décidant de se focaliser sur un incident précis, il inclut un fil conducteur (la reconstitution la plus précise possible des évènements de cette journée) qui donne du corps à son récit et surtout permet une jeu d’aller-retours qui éclaire les faits plus récents. J’ai même trouvé que les parties où il prend un peu de recul sur son travail en évoquant ses difficultés et ses doutes y avaient également gagné. Du coup, le bouquin se lit d’une traite, sans baisse de rythme. Le gars se paye même le luxe de conclure sur une série de planches muettes en vue subjective qui resteront sans aucun doute dans les annales.
– D’accord Mr B, alors que nous proposez-vous ensuite ?
– Un truc qui devrait vous faire plaisir mon bon Fix. Il s’agit du second tome de La communauté de Tanquerelle et Yann Benoît, toujours chez Futuropolis d’ailleurs.
– Cet éditeur vous fait gagner de l’argent ou ils sont juste très bons ? Ne répondez pas, on devine. Dites-nous plutôt ce qu’est cette histoire de communauté ? C’est ce père qui raconte à son fils les utopies en action qu’il a vécu ?
– Presque. En fait c’est le dessinateur Tanquerelle (Professeur Bell, Lucha libre) qui a mis en images des entretiens qu’il a eus avec son beau-père sur son expérience communautaire dans la années 70. Le premier tome racontait avec une belle narration, inventive et variée, les origines puis la création de la communauté vendéenne de la Minoterie. La BD est essentiellement construite sur des dialogues entre deux générations mais ça fonctionne très bien. Le propos était riche tout en gardant un aspect frondeur tout à fait délicieux.
Le second volume avait la tâche plus délicate d’évoquer les tensions et les conflits qui ont mené à la fin de l’expérience. Malgré la difficulté d’évoquer plus des conflits larvés et des tensions sous jacentes que de simples évènements, les auteurs s’en sortent haut la main et ce second volume s’avère aussi prenant et passionnant que le premier. J’ai juste trouvé que l’usage des photos retravaillées en dessin était un peu trop systématique et que les petites astuces visuelles (les narrateurs deviennent tout petits et survolent la communauté à dos d’abeille par exemple) étaient moins bien inscrits dans le récit. Je pinaille, je pinaille mais ça se tient toujours très bien et il y aussi de très belles idées comme celle de donner la parole aux enfants du groupe en faisant témoigner sa belle.
– J’ai souvenir que dans le premier tome, l’échange était chaleureux mais on sentait qu’il y avait de vrais différences de vision du monde, dû aux parcours forcément différents des générations qui se sont suivis. Heureusement, il y a des valeurs communes aussi. Allez, on finit : Dernière oeuvre Mr B ?
– Oui, c’est vraiment une des beautés de la BD que cette complicité palpable entre les deux hommes malgré leurs différences de point de vue.
Allez, une petite gourmandise pour finir. Après cinq longues années d’attente, voici enfin que les éditions Milady se décident à traduire en français la BD la plus cool du monde : les épatantes aventures de Scott Pilgrim par le canadien Bryan Lee O’Malley
– Du comics pour conclure, ça ne m’étonne pas de vous ! Faites-nous l’article.
– Du comics oui, mais celui-là, avec ses personnages aux grands yeux, ses 168 pages et son petit format en noir et blanc, il a vraiment de faux airs de manga. Toutefois, l’action se passe à Toronto où l’on suit les mésaventures amoureuses de Scott Pilgrim. Ce jeune loser plus ou moins magnifique, vit dans un minuscule appartement pourri aux crochets de Wallace, son coloc gay. Il n’a pas de boulot mais il est tout de même bassiste d’un groupe miteux, les Sex Bob-omb. Soyons clair, nous avons ici affaire à une comédie romantique dont les principaux ressorts tournent autour de la vie sentimentale compliquée du héros. Légèreté donc, mais portée par une inventivité permanente et n’oubliant pas d’aborder avec délicatesse de beaux moments mélancoliques. Je vous laisse le plaisir de découvrir les milles surprises dont O’Malley émaille son récit. Sachez juste que si le gars utilise une belle palette de références « cool » : indy-rock, jeux vidéo, super-héros… ce n’est jamais au détriment de l’humanité de ses personnages.
– Merci d’avoir si bon goût et de nous en faire profiter. Un p’tit dessin pour la page d’accueil serait-il possible ?