La route selon Jack Kerouac

Dans son recueil La route selon Jack Kerouac, Bruno Geneste rend hommage au chanteur de Scaër, le Grand Youenn Gwernig.

Revivre le livre culte de Jack Kerouac

Dans les plus lointains de ses rêves, Bruno Geneste retrouve Jack Kerouac sur une plaque de béton chauffée à blanc. La route, ce matin là, était encore plus suffocante que des paroles de braises.

Peut-on rejoindre un disparu sinon par flash aussi intenses que passagers, d’un premier lointain, jusqu’au 25ème lointain (chaque chapitre est appelé lointain) ? Bruno Geneste, dans son recueil La route selon Jack Kerouac, tente de faire revivre en plein vent d’ouest, les bruits, l’odeur, et la vie bourdonnante de la Ford Mustang.

Cette teuf là, son seul trésor, vit des danses endiablées, où chaque virée le propulse vers l’Ouest, mais inéluctablement la Mustang revient retrouver les décors de son écurie à Big Sur, son point d’attache.

Difficile de décrire ce livre calcinant, Sur la route de Jack Kerouac, où l’on monte très haut dans les aigus et dans l’extase, mais où, au fil des kilomètres l’on descend très bas les verres à marée basse, les cheveux en tignasses à la rasta, et où les femmes finissent par décrocher, souvent dans le noir, en fin de nuit, épuisées.

Ce sont des fantômes qui planent sur la route 66, ce lieu qui dévorait l’espace. Quand vous quittiez des gens en bagnole, vous les voyiez rapetisser dans la plaine jusqu’à finalement disparaître ; la route : un lieu où tout finissait par s’amenuiser. La musique comme l’écriture participait à ce perpétuel souffle de liberté : tutoyer la raison, aller jusqu’à l’absurde jusqu’au dessèchement des sensations.

La nostalgie du pays perdu, la Bretagne

Ce chant dédié à Kerouac, originaire des Monts d’Arrée, est ponctué de Hip hop, de Jazz, de Soul music, où chaque phrasé semble réciter la nostalgie d’une Bretagne perdue. Il fallait que la musique renoue avec la magie, au promontoire des plus hautes fulgurances comme si les vagues venaient très loin dans les terres. Non pas de vagues lettres, mais des déferlantes sur lesquelles on pouvait surfer des nuits entières sur des musiques qui seules vous faisaient tenir et tenir encore.

Dans chaque lointain, Bruno Geneste explore ces paysages devenus leurs délires, baignés de drogues et d’accords saturés. A la rencontre de toutes les populations amérindiennes, il restitue l’itinéraire intellectuel de Kerouac, essayant de comprendre ce qui reste de leurs cultures ancestrales. Viendra aussi le temps de la réflexion et les rencontres de Henry David Thoreau, et de Jim Morrison.

De tous ces mondes, Kerouac le mystique à l’état sauvage nous rappelle qu’il vient d’un pays, la Bretagne. Ce sont d’abord les images, et une profonde nostalgie d’un Éden perdu à travers lequel il revit son enfance et ce frère disparu.

Ce sentiment de la mort qui le hante et l’étouffe l’accompagnera toute sa vie. Ce sentiment remonte à la mort, en 1926, de son frère Gérard, alors âgé de neuf ans. C’est Neal Cassady qui prendra sa place. Son ombre immerge à chaque débordement de ces vagabonds célestes.

« Il fallait avoir tiré cinq ans de taule pour se livrer à des extrémités aussi démentes » : « Neal portait dans son corps les sources de toutes les béatitudes : « suppliant aux portes mêmes de la matrice, il essayait d’y rentrer une fois pour toutes, de son vivant, avec en plus, la libido effrénée et le tempo d’un vivant« , raconte Kerouac.

Jack Kerouac et Neal allaient ainsi devenir les icônes de la Beat Generation, précurseurs de la libération sexuelle et modèles de vie pour une partie de la jeunesse.

De la Beat Generation à Youenn Cwernig

L’itinéraire devient « un lacet de folies quand le groupe se met à groover, et que le contrebassiste recroquevillé sur son instrument, cogne de plus en plus vite. Tout s’accélère, les accords. jaillissent du piano en cataractes, on croit, qu’il ne va pas avoir le temps, de les aligner mais ils déferlent en vagues successives, océaniques« .

Les éditeurs bouleversés par ces textes y ont surtout perçu une menace, le manuscrit doit être désodorisé. Muni d’un rabot, d’une gouge et de ciseaux, pour plaire à ses commanditaires, Jack Kerouac , râpe rogne, lime, découpe. C’est un passage par la casse, pour une revente en pièces détachées.

Après sa rencontre avec le poète breton Youenn Gwernig, né Yves Guernic le 5 octobre 1925 à Scaër, le livre de Geneste bascule vers la nostalgie. La deuxième partie établit des ponts entre les deux cultures, la Bretagne pays d’aventuriers et d’exilés, et l’Amérique où se retrouvent tant de Bretons à côté des Irlandais, ou des Gallois.

Le temps a manqué, le voyage de Jack Kerouac en Bretagne n’aura jamais lieu, laissant les poètes inconsolables, Bruno Geneste comme Youenn Gwernig et Xavier Grall. Ils se sont reconnus très vite à New York et ont échangé de très longues correspondances.
Youenn Gwernig, est un écrivain et poète, également sculpteur, musicien et chanteur, bien qu’il se soit révélé tardivement, le Grand Youenn venait remplacer Neal Cassady.

Un remarquable livre a d’ailleurs été édité sur leur rencontre et leur correspondance dans un mélange de français et d’américain.

La fin est un long poème sur la mer

Il rend un hommage à Jack Kerouac, car tous ces mots laissés à l’abandon, qui n’ont jamais pu être exprimés, reviennent ici sous la plume de Bruno Geneste.

La mer glisse
un nom
l’emporte
sous les sables
à flanc
sémaphorique
d’une cabane
la mer absorbe
le blanc autour des roches
la mer fissure
l’ombre

Nous vous invitons à relire Sur la route de Jack Kerouac dans la fabuleuse version de Gallimard (parue en 2010), en vous accompagnant de Mes Premières Jeunesses de Cassady, puis de relire leur correspondance.

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