À Rennes, la municipalité veut stopper une expérimentation maraichère autogérée

L’endroit se fait discret, caché derrière une imposante rangée d’arbres longeant l’avenue des Préales, à la limite entre Rennes et Cesson-Sévigné. Encore (trop) peu connu du grand public, il faut traverser un long terrain vague, et puis un deuxième sur lequel quelques caravanes ont pris leur quartier, avant de pouvoir commencer à l’apercevoir. Lui ? C’est l’îlot U, situé au Nord-Est de la zone d’aménagement concerté (ZAC) de Baud-chardonnet. Depuis le confinement, il s’est transformé en un lieu autogéré d’expérimentation maraîchère… Une réappropriation de l’espace public, en somme. Sauf que l’îlot U est aujourd’hui menacé de destruction par la municipalité de Rennes. La contre-attaque s’organise. 

Potager îlot U

Nous sommes arrivés en avance à notre rendez-vous, mais deux personnes nous attendent déjà, profitant du soleil de ce chouette début de soirée d’avril. Avant de les rejoindre, notre regard se porte au loin. On aperçoit un potager, plusieurs cabanes aux allures de huttes, des arbres fruitiers, un four à pain ou pizza, et même une cabine de douche cachée par des hautes herbes.

Terrain vague et laissé à l’abandon autrefois, le lieu est aménagé en plein confinement en 2020 par un groupe d’individu·e·s rêvant autrement que par le béton. La densification fait bien assez de dégâts dans la ville pour tenter de faire pousser autre chose que des cages à lapins. Au fil des saisons, les personnes se suivent et ne se ressemblent pas. La friche se mue en un espace d’agriculture urbaine. On parle ici de permaculture, car la dimension humaine est tout aussi importante que la biodiversité. « Lieu de rencontres, les gens viennent ici pour tisser des liens et échanger des infos, nous explique un usager régulier de l’îlot U que nous appellerons Dominique (prénom modifié, NDLR). C’est un espace de convivialité et d’apprentissage collectif, et surtout, non marchand. Pour nous, cela est très important ! »

Zone UO1 de l’îlot U du PLUi Rennes Métropole

D’abord restreinte à un cercle d’initié·e·s, l’information s’est ensuite propagée et le bouche-à-oreille a fait le reste. Aujourd’hui, les gens viennent de tous les horizons de manière plus ou moins régulière. Une trentaine de personnes composent cependant un noyau dur. En mode Do-It-Yourself, certaines vont travailler la terre, bricoler, recycler, se salir les mains à la tâche, quand d’autres vont juste profiter de cette « oasis naturelle » pour flâner ou simplement partager un repas. À cent lieues des projets habituels des aménageurs, où tout espace doit avoir sa fonction et une utilité distincte, ici, chacun·e fait, fait, fait c’qui lui plaît, plaît, plaît. « L’idée principale est de ramener de la nature dans une ville de plus en plus urbanisée, explique Lhasa (prénom modifié, NDLR), une autre usagère. Libre ensuite à chacune et chacun de tenter des choses créatives et récréatives. »

Cabanes – îlot U

Malheureusement, la municipalité a décidé de mettre un terme à cette réjouissante dynamique écocitoyenne. Le verdict est tombé. Le squat bucolique doit cesser au plus vite, et tout le monde est invité à faire place nette avant le 16 mai. Demain, quoi. Il ne faudrait pas que l’initiative se propage et donne des idées aux autres rennais·es. Pire, que cela fasse un « appel d’air pur ».

Une réunion a quand même eu lieu entre les deux parties, mais ⊗AlerteSpoiler⊗ tout était joué d’avance. « La discussion a été assez virulente. Nos collègues se sont senti·e·s déconsidéré·e·s, presque humilié·e·s, on leur a mal parlé ! Bref, en totale opposition avec les valeurs de dialogue et de participation citoyenne que tente d’afficher la mairie, peste Dominique. Aucun de nos arguments n’ont été entendus. Le pire est que ce lieu répond parfaitement au projet porté par la nouvelle majorité élue en 2020 : ‘agriculture urbaine’, ‘végétalisation’, ‘insertion et hébergement solidaire’. On coche toutes les cases ! Alors pourquoi nous demander de partir ? » Lhasa acquiesce, et rajoute déterminée : « Nous dénonçons ce mépris et ce double discours entre les paroles et les actes ».

Pour imposer sa vision et reprendre ce qu’elle considère comme son dû, la mairie utilise le prétexte d’une pollution des sols pour interdire cette expérimentation. L’argumentaire venant de la part d’une municipalité qui a fourni de la terre polluée aux métaux lourds à la ferme urbaine du Blosne, ou qui a autorisé la construction d’un complexe scolaire sur des sols inaptes à cette fonction, est pour le moins étonnant sinon risible. Cette « technique de négociation » a d’ailleurs déjà été utilisée pour mettre un terme aux jardins familiaux de la plaine de Baud en 2013. L’histoire se répèterait-elle ? « Un rapport d’Enviropol-Conseils démontre qu’il n’y a qu’une zone minime au nord du terrain qui est à proscrire pour certains usages, commente Dominique. Ben, ça tombe bien parce que cette zone n’est pas cultivée (rires…) ». Comme dirait l’autre, « elle a bon dos l’écologie quand il s’agit d’expulser des jardins qui sont comme par hasard, situés dans les zones les plus convoitées(1). »

Prunier Myrobolan – îlot U

Depuis, virage à 180°, l’idée serait à présent de récupérer ce terrain pour y installer l’Élaboratoire, en sursis depuis des années (relire L’Élaboratoire : vers une future ZAD (Zone Artistique Déterminée) dans le quartier Baud-Chardonnet ?). Un argument que balaye aussitôt de la main Dominique. « Ce n’est pas l’Elabo’ qui souhaite la disparition des cabanes, des espaces d’artisanat et des activités agricoles, mais bien cette mairie qui prépare les lieux pour mieux poursuivre l’aménagement minéral, vertical et standardisé. » Au contraire des légumes racines qui poussent dans ce « nomade-land », la hache de guerre est donc loin d’être enterrée entre la ville et les îlotien·ne·s. « On va défendre l’îlot U, car il faut préserver ce genre de lieux qui sont trop rares en ville. On n’arrête pas de nous parler d’écologie, mais ça bétonne à tout va, s’exaspère Dominique. Du coup, on souhaite que la ville se positionne publiquement. »

Après la Prévalaye, menacée par l’extension des infrastructures du Stade Rennais et de la guinguette de Mem, ou encore le projet de Viasilva, qui a pour objectif d’artificialiser pas moins de 650 hectares, ou bien la Courrouze, dont les anciens terrains militaires en friche ont laissé place à un urbanisme dense, vertical, et austère, la liste des espaces naturels détruits à Rennes continuent de s’allonger. Cela n’a pas donc pas de fin.

En soutien à l’îlot U, plusieurs évènements sont prévus (voir ci-dessous) :

[Mardi 26 avril]
Des personnes de 650ha et de l’Îlot U proposent un déplacement collectif et cycliste, une vélorution partant de Beaulieu à 18h pour traverser les chantiers urbain Viasilva jusqu’aux terres menacées à l’Est, avant de terminer dans un îlot U de fraîcheur et de verdure autour d’une p’tite collation !

[Samedi 7 mai]
Un convoi de vélo démarrera place de la République à 14h pour rejoindre l’îlot U pour y organiser une grande fête où il y aura à manger, à boire, du son, des ballades naturalistes, du jardinage, de la poterie, du foot, des grenouilles et des tritons ! Plusieurs collectifs se mobilisant contre l’urbanisation des terres à Rennes seront également présents. Une discussion sur l’avenir de l’îlot U se tiendra en fin de journée.

(1) extrait de L’art de déloger les jardiniers Rennais

DIAPORAMA

À Rennes, la municipalité stoppe une expérimentation maraîchère autogérée

 

L’Élaboratoire : vers une future ZAD (Zone Artistique Déterminée) dans le quartier Baud-Chardonnet ?

[07 Janvier 2018] – Un jour, une photo : Les portes du pénible chantier…

[Urbanisme] : Le jardin du Triangle, prochaine victime de la densification ?

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