De Springfield à Athènes : tous dans le même (Goldman) sachs!

***

« Le monde naît, Homère chante. C’est l’oiseau de cette aurore.» Victor Hugo

Capture

***

La compagnie théâtrale rennaise «Lumière d’Août», créée en 2004, est avant tout la rencontre de plusieurs passionnés de théâtre et amoureux des lettres.  Alexis Fichet (auteur et metteur en scène) et Nicolas Richard (auteur et performer) font partie de ce joyeux collectif  et ont rapidement mis en commun leurs talents complémentaires. Leur collaboration débouche alors sur la création de plusieurs performances : l’une en 2007 «Brouille», proposition rythmique et sonore,  une autre  en 2009 «Propriété» où les deux acteurs lisent de manière synchronisée un texte identique, jeu pervers et magnétique qui fait perdre au spectateur la notion du «Je».

Pour ce troisième volet, les deux compères ont voulu casser un peu ce côté formel, ce côté lecture contemporaine liée à la poésie sonore.

«Pour cette pièce, nous voulions  (Nicolas et moi) partir d’un vrai sujet, essayer de le comprendre totalement et pouvoir l’expliquer. L’économie est quelque chose qui  nous parlait assez bien, et j’ai de plus une formation scientifique donc cela ne m’était pas totalement inconnu.» _Alexis Fichet

*

Le déclic fut donné suite à la lecture du quatrième roman d’Eric Reinhard «Cendrillon»  qui retrace une vision froide  et cruellement désenchantée d’un monde financier à la dérive à travers le récit d’un trader. Ils ont alors conçu «Grise». Mais après l’avoir jouée deux fois, les auteurs retravaillent la forme afin de l’amener vers le théâtre. «Grise» devient alors «Homère Homer».

***

«Homère homer» se réapproprie les personnages des Simpsons, image typique d’une famille américaine issue de la classe moyenne bercée par l’ « americ-âne dream » pour nous expliquer la crise des subprimes et de ses conséquences tragiques : maison confisquée, famille disloquée, pauvreté, errance. Comme Jean Vilar qui attribuait au théâtre «des intérêts pédagogiques, littéraires et politiques», Alexis Fichet et Nicolas Richard vont ainsi décortiquer les rouages d’un mécanisme pervers imaginé par des cerveaux qui le sont tout autant : ces prêts toxiques étant même qualifiés par les financiers de «prêts à neutrons», sous-entendu, des armes détruisant les ménages mais en laissant intactes les maisons.

Mais n’ayez crainte, même si le sujet semble complexe et difficile à imaginer sur scène, la pièce est loin d’être aussi ennuyeuse que la lecture des pages du « Figaro Économie » ou qu’écouter une chronique de Jean-Pierre Gaillard, bien au contraire! Comme l’expliquait Jean-Michel Ribes, directeur du Rond Point à Paris : «la réalité est une chose qui nous ennuie, il faut des pièces qui parlent de la réalité mais en la détournant, en la ridiculisant, en faisant rire, en dénonçant, en dérangeant». Pari réussi pour «Homère Homer», la pièce est remplie d’humour, souvent caustique, se  jouant même des codes des tragédies grecques : Sophocle et les chœurs ne sont jamais très loin. Les spectateurs se trouvent ainsi à l’intérieur d’une fausse séance de travail où les deux auteurs s’interpellent, s’interrogent, évoquent plusieurs points de vue sur la crise. 

«La tragédie nous permet d’aller dans le surjeu et l’exagération : s’immoler dans sa maison, se crever les yeux pour devenir Homère, l’utilisation d’alexandrins, jouer des personnages caricaturaux. Nous pouvons nous le permettre puisque, à côté de cela, nous sommes au plus près de la réalité à travers l’explication du mécanisme des subprimes : du coup, cela n’est plus une simple parodie.»_Alexis Fichet

*

Homère Homer aux métallos***

La pièce «Homère Homer» peut prendre différentes formes de mises en scène, une où les auteurs s’amusent à jouer tous les rôles et à commenter eux-même la pièce, forme que l’on verra au Triangle ou une autre, avec la présence d’acteurs-amateurs, vue notamment au festival Bonus à Hédé cet été.

«Il y a dans cette performance l’ idée initiale de s’interrompre nous-mêmes. Avec la présence de personnes extérieures,  cela renforce ce côté «formation» et «explication» même si tout est écrit durant les ateliers. Il y a cette utopie, assez jolie, de pouvoir discuter sur scène de la pièce à faire. En mode duo, la pièce gagne en radicalité et en brutalité mais il faut bien savoir que cette forme duo a été nourrie par l’expérience du travail fait avec les amateurs.»_Alexis Fichet

*

Même si le théâtre n’est pas là pour apporter des réponses mais plus pour questionner le spectateur, «Homère Homer» nous démontre, l’air de rien, comment la bulle des subprimes a fini par exploser, comment une grande banque comme Goldman Sachs a pu spéculer sur l’effondrement de ses propres produits financiers qu’elle refourguait cyniquement à ses propres clients, comment certains ont pu créer des mécanismes financiers aux dépens de leurs compatriotes et ainsi ouvrir des boîtes de pandore (pour rester dans la mythologie…) que personne ne sait refermer.

De Springfield à Athènes, finalement, il n’y a qu’un pas, aussi fin qu’un billet d’un dollar : le New York Times et l’hebdomadaire allemand Spiegel ont découvert que certaines banques de Wall Street comme Goldman Sachs ont permis à la Grèce de camoufler artificiellement l’ampleur de sa dette publique, grâce à des montages financiers complexes ressemblant étrangement aux subprimes.  Ces mêmes banques ne se sont d’ailleurs pas gênées pour investir ensuite sur un défaut de paiement de la Grèce. La bourse ou l’avidité du toujours plus.

«Homere-Homer»  a du sens sur cette crise précise qui évoque les années 2000 et ce cataclysme en 2008. Quand on joue cette pièce, il y a un aspect militant –forcément– dans le fait de comprendre les choses et de montrer qu’il y a des responsables. Mais une telle pièce, même si elle est utile à l’échelle humaine locale, reste  malheureusement insuffisante par faire évoluer foncièrement les choses… »_Alexis Fichet

*

L’ennemi est la finance disait un certain candidat en 2012. Un ennemi qui n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti… Calcul politicien et promesses de dupes puisque, aujourd’hui, rien ne semble avoir changé

 « Le fait d’écrire, de jouer,  est une soupape pour moi. Je souffrirais encore plus si je ne faisais rien puisque je me sens concerné, cela me fait du bien mais cela ne résout pas grand chose : l’ennemi en face est tellement puissant. Ç’est presque décourageant mais il faut continuer et faire de nombreuses autres pièces comme cela. »_Alexis Fichet

*

Le théâtre ne se joue peut être pas là où l’on croit…

***

 

plusd1fo

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires