Depuis plusieurs semaines, nous avions l’idée d’écrire un papier sur le droit de préemption urbain, ou DPU pour les intimes, exercé par la ville de Rennes. Mais cet article ne sera jamais publié, faute de réponses à nos questions. Tant pis !
Pour rappel, le DPU est une procédure qui permet aux communes d’acquérir en priorité, dans certaines zones préalablement définies, un bien immobilier ou foncier lorsque celui-ci est sur le point d’être vendu. Le DPU est, pour le dire vite, un outil mis à la disposition des municipalités pour réaliser des opérations d’aménagement urbain d’intérêt général, ou pour constituer des réserves foncières. Certes, cela semble limpide, mais nous aurions aimé approfondir le sujet, et surtout découvrir les coulisses !
Malheureusement, malgré une demande officielle d’interview adressée au premier adjoint à l’urbanisme via le service de presse, malgré nos relances, messages privés ou mails, nous avons été ghosté. Involontairement ou non, on ne le saura jamais. Après tout, n’étant pas journaliste, qui sommes-nous pour réclamer une attention particulière(1) ? Et au fond, ce n’est pas bien grave, juste un peu frustrant ! Du coup, avant de tout jeter à la poubelle, on vous cite quelques notes de préparation.
CHAPITRE1 – Le DPU, comment ça marche en vrai ?
La ville de Rennes a généralisé le droit de préemption urbain dès 1988. 35 ans plus tard, une des principales orientations du Programme local de l’habitat 2023-2028 de Rennes Métropole est de « recourir plus fréquemment au droit de préemption hors zones d’aménagement public pour maîtriser le foncier diffus et freiner l’envolée des prix des terrains constructibles. »
Question n°1 Comment sont définies les zones où le DPU s’applique. Comment évoluent-elles dans le temps ? Leur nombre est-il en augmentation, ou au contraire en baisse, et pourquoi ?
Le constat est partagé, répété par toutes et tous : à Rennes, il est de plus en plus difficile de se loger, en raison de loyers ou de prix trop élevés.
Question n°2: Pouvons-nous dire qu’un espace hors zone DPU est laissé volontairement à la merci du marché immobilier spéculatif ?
CHAPITRE2 – Le DPU : l’argent, le nerf et la guerre ?
Lorsqu’un bien est mis en vente et qu’il se situe dans une zone DPU, la mairie reçoit de la part du notaire la déclaration d’intention d’aliéner. À compter de la réception de ce document, elle bénéficie de 2 mois pour préempter, ou non, ce bien. Si la ville de Rennes décide de le préempter, elle devient prioritaire. Et ce n’est pas anodin, car tout compromis de vente déjà signé avec une tierce personne (physique ou morale) est par voie de conséquence annulé !
Question n°3 : Qui prend la décision de préempter ? Existe-t-il une commission dédiée, si oui, quelles sont les personnes qui y siègent ?
Question n°4 : Quels sont les critères pouvant déclencher la préemption d’un bien ? Sont-ce toujours les mêmes, sinon pourquoi et quelles sont les différences majeures ?
Une fois la décision prise, on distingue alors deux cas de figure. Soit, la commune accepte d’acquérir le bien au prix et aux conditions proposé·e·s par le ou la propriétaire ; la vente aura alors lieu dans les 3 mois. Soit, la commune décide de négocier le prix (le plus souvent à un montant inférieur au prix initial, NDLR) et là, ç’est le début des embrouilles, car c’est au propriétaire de donner son accord ou non.
On comprend donc que le prix proposé par la ville doit être calculé avec beaucoup d’attention et de subtilité, car :
- Si le prix est trop bas :
- le ou la propriétaire peut retirer son bien de la vente : dommage, si la ville a prévu un aménagement urbain, ou bien
- le ou la propriétaire peut le contester : dommage, puisqu’il faudra saisir une juridiction compétente en matière d’expropriation pour statuer, et la ville peut être qualifiée de spoliation par les propriétaires.
- Si le prix est identique : le marché immobilier étant devenu complètement fou, la municipalité peut alors être accusée d’entretenir cette hausse des prix en achetant au prix fort un bien immobilier.
Question n°5 : Quel sont les mécanismes ou critères qui permettent de définir le juste prix ?
Question n°6 : Rennes prévoit-elle dans son budget une enveloppe financière dédiée au DPU ?
Question n°7 : Quel est l’évolution du nombre de préemption depuis les dernières mandatures, et le prix moyen ?
CHAPITRE3 – Le DPU, exemple concret
Dernière étape de notre « entretien imaginaire », nous voulions revenir sur deux cas concrets afin d’avoir quelques explications pour illustrer au mieux le DPU.
Exemple n°1
La ville de Rennes a exercé 3 fois son droit de préemption rue Pierre Legrand. Elle a en effet proposé de racheter les biens.
- situé au 3 rue Pierre Legrand, d’une superficie de 144 m² pour 357 500 euros ;
- situé au 1 rue Pierre Legrand, d’une superficie de 309 m², pour 561 000 euros ;
- situé au 7 rue Pierre Legrand, d’ une superficie de 278 m² pour un montant de plus d’un million d’euros (source !
En plus de signer des gros chèques, la ville a annulé 3 compromis de vente au nez et à la barbe du promoteur Bouygues Immobilier qui s’était porté acquéreur des biens. Sachant qu’au forum urbain qui a eu lieu dans le quartier Nord, ledit promoteur a indiqué vouloir construire un immeuble, nous nous interrogeons sur les raisons précises qui ont poussé la ville à préempter ces 3 maisons voisines.
Question n°8 : Est-ce que la ville utilise le DPU comme bouclier pour contrer le projet de Bouygues immobilier ?
Question n°9 : Est-ce que la ville va revendre ces biens, mais sous certaines conditions ? Par exemple, on imagine que le futur promoteur devra s’engager à vendre ses futurs appartements à un prix au mètre carré plafonné, ou qu’il s’engage à construire plus de logements aidés, etc.
Question n°10 : Est-ce que la ville a le droit de revendre ces biens en se faisant – au passage – un bénéfice ?
Question n°11 : Comment évolue la relation promoteur-municipalité après cela ? On imagine que cela a pu en énerver plus d’un chez Bouygues immobilier…
Exemple n°2
Contestant la volonté de la municipalité de préempter leurs biens immobiliers situés boulevard Émile Combes, deux sociétés ont porté l’affaire devant la justice. Et patatras. Le tribunal administratif a condamné la ville à dédommager les deux sociétés, et annulé le DPU. Le tribunal justifie son jugement ainsi, « rien ne permettait d’identifier la nature de l’opération ou de l’action pour la réalisation de laquelle la commune a exercé son droit de préemption. » Nous aurions voulu avoir l’opinion de la ville sur ce qui ressemble à un camouflet.
Question n°12 : Est-ce que le dossier était (si) mal ficelé, comme l’indique le jugement : « en l’absence d’autre élément détaillé, d’identifier la nature de l’opération ou de l’action pour la réalisation de laquelle la commune a exercé son droit de préemption […] les sociétés requérantes sont dès lors fondées à soutenir que les décisions de préemption attaquées sont insuffisamment motivées au regard des dispositions de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme. » ?
En 2022, notre site alter1fo évoquait une crise interne en 2018-2019 au sein du service Droits de sols de Rennes Métropole (lire ici, NDLR).
Question n°13 : Peut-on relier ces 2 événements, et conclure à une « charge de travail devenue trop importante » au sein du service urbanisme de Rennes, ville et métropole ?
Voilà, c’étaient principalement ces questions que nous voulions poser. Bien sûr, nous restons disponible pour un échange avec la municipalité. Notre mail, si besoin → politistution [@ ] protonmail [ . ] com
(1) Ce n’est pas la première fois que cela nous arrive. Fin 2022, nous avions déjà tenté d’obtenir une rencontre avec le chef de projet de la plateforme de partage et d’accès aux données locale RUDI. Sans plus de succès.
Notre carte qui référence toutes les DPU à Rennes depuis 2023 → Voir en plein écran
[Droit de préemption] : Et à la fin, c’est la banque qui gagne !
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