Né en 2001, le collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes (CSPSP 35) souffle cette année ses à-peu-près 20 bougies d’existence. Saisissant ce prétexte, et à quinze jours de la présidentielle, le CSPSP a décidé d’organiser plusieurs évènements sous le slogan revanchard de « Vive l’immigration ! » afin de faire entendre un autre son de cloche que les discours populistes et anti-immigration que l’on entend à longueur de journée dans les médias. À cette occasion, nous avons eu envie de parler avec ces personnes anonymes qui ne comptent pas leurs heures et qui œuvrent au sein du groupe. Entre les assemblées générales, la préparation des actions, le tractage… c’est qu’il en faut de la volonté et de la ressource pour suivre le rythme.
Les débuts
Le rendez-vous est pris dans un troquet du centre-ville. Une fois sur place, à peine avons-nous le temps de saisir notre téléphone portable pour annoncer notre arrivée que nous voilà joyeusement hélés : « Nous sommes là ! ». À force de traîner nos guibolles dans les manifestations, certains visages nous sont déjà familiers. Nous saluons alors nos interlocutrices du jour, car oui, « il n’y a que des femmes ce soir », rigolent ensemble Charlotte, Nadine et Céline.
Charlotte participe au collectif depuis septembre 2005. « Je l’ai connu à la suite d’une mobilisation en soutien à un parent d’élève que je connaissais, nous explique-t-elle. Le père était sans papier et allait être mis en rétention. Depuis, j’essaye de participer le plus souvent possible, même si j’ai eu besoin de prendre une pause pendant quelque temps. » Sa voisine de table, Nadine, a intégré le CSPSP presque au même moment, vers l’été 2006, quand le collectif se battait déjà contre le projet de construction du centre de rétention à Saint-Jacques-de-la-Lande (qui a ouvert ses portes en 2007, NDLR). « Des affiches en ville appelaient à un rassemblement pour s’y opposer. J’y suis allée, j’ai rencontré du monde et nous avons échangé nos coordonnées. C’est comme ça que, tout naturellement, j’ai rejoint le collectif. » Céline à notre gauche est la plus jeune activiste en âge et en ancienneté du groupe. Mais elle n’est pas pour autant la moins combattive, au contraire. « J’ai d’abord pris contact avec la permanence juridique Délit de Solidarité qui nous a ensuite parlé d’un rassemblement. J’y suis allée avec ma mère. C’était en 2020, un an après mon arrivée en France. Et depuis, je milite dans le collectif. »
Le fonctionnement
Parler du CSPSP avec celles et ceux qui le font vivre, c’est avant tout évoquer son mode de fonctionnement, car il nous donne l’impression d’être le ciment invisible de sa longévité. Charlotte le décrit ainsi. « Être au CSPSP, c’est militer et lutter ensemble. La forme est aussi importante que le fond. C’est-à-dire que nous tendons au maximum vers un fonctionnement horizontal. Chaque voix compte. C’est difficile, nous le savons bien. Prendre la parole peut être compliqué pour certain·e·s, mais nous nous efforçons de nous y tenir. » Nadine acquiesce, et poursuit. « Personnellement, je me sens portée et en confiance au sein du collectif. Ce n’est jamais un sacerdoce que d’y participer et, de toute manière, rien ne nous empêche de prendre des pauses de temps en temps, et de revenir. »
Le collectif a surtout été pensé pour que les personnes sans-papiers puissent prendre toute leur place dans leur lutte. Comme l’expliquait auparavant un autre militant (lire ici, NDLR), « il faut surtout voir le collectif comme un soutien ». Comprendre « être aux côtés de » plutôt que « faire à la place de ». Ici, ni carte d’adhésion, ni laissez-passer ni passe-droit … Dès qu’une personne se mobilise, elle fait partie du collectif et peut exprimer sa position individuelle. Le consensus ou le manque de consensus en AG fait ou défait le reste…
Les actions
La vie n’est pas un long fleuve tranquille, et encore moins au sein du collectif. D’autant plus que les actions pour dénoncer les politiques migratoires rythment régulièrement l’agenda rennais. Occupations, rassemblements, parloirs sauvages, manifestations… Aucun répit, sauf pendant la période morose covidée. « Contrairement peut-être à d’autres organisations, toutes nos actions sont préparées et validées en AG, nous précise Charlotte. C’est-à-dire que le jour J, on sait ce que l’on va faire, et aussi les limites à ne pas dépasser. La présence des personnes sans-papiers à nos côtés nous oblige à cela. Il nous est impossible de prendre le moindre risque face à une éventuelle répression policière ». C’est un aspect qui leur est régulièrement reproché. Dans les milieux plus libertaires aguerris aux actions frontales, « on » se moque de leur côté trop plan-plan. « Franchement, on s’en fout ! », rigole de bon cœur Nadine. « Le collectif n’est pas une entité. Nous sommes des individus à part entière avec parfois des opinions divergentes. Le fait de préparer nos actions permet à chacune et chacun de s’engager sans être pris à défaut. »
Forcément, en deux décennies, il y en a eu du changement. Les gens, comme une chanson populaire, ça s’en va et ça revient. Mais une tendance se dessine depuis ces dernières années. « Les femmes sont de plus en plus nombreuses au sein du collectif, se réjouit Nadine. Je pense que la création du groupe “femmes” a eu un effet bénéfique. Ce nouvel espace de paroles permet aux unes et aux autres de se libérer, et de donner véritablement leur opinion, et je trouve ça chouette. »
Au cours de la discussion, on s’est sentis un peu nigauds. Leur demander un souvenir marquant parmi les centaines d’actions que le CSPSP a pu mener en vingt ans n’était pas notre meilleure idée. « Il y en a eu tellement (rires…) », se moque gentiment Nadine. Sans concertation, elle et Charlotte se remémorent à voix haute leurs premières visites auprès des personnes enfermées au CRA, peu de temps après son ouverture. Cela marque les esprits. Trop peut-être. « Ce sont des moments très intenses, très difficiles. Après, je n’y suis plus retournée », lâche presque timidement Nadine. Pour Céline, pas de doute, elle a apprécié la dernière manifestation du 8 mars dernier. « On a organisé une marche de Villejean à République. Notre collectif de “femmes” était un peu différent des autres organisations au sein du cortège, car nous revendiquions pour les droits des femmes partout dans le monde. Migrantes ou françaises », nous explique-t-elle.
Futur
On ne peut comprendre la vie qu’en regardant en arrière , disait un poète danois. De fait, après un coup d’œil dans le rétroviseur, l’évolution générale qui s’en dégage n’est pas franchement vouée à l’optimisme. « Pour avoir tenu certaines permanences à Délit de Solidarité, on observe bien que les lois sont de plus en plus dures et répressives, précise Nadine. Ici à Rennes, c’est aussi très compliqué avec la préfecture et la mairie. On le voit bien avec ce qu’il se passe au gymnase de la Poterie, où les personnes sont ballotées de droite à gauche sans solution pérenne. Le logement est vraiment un problème flagrant et prégnant qu’il faut résoudre rapidement. »
Alors des victoires, il y en a eu, et c’est heureux ! Malheureusement leur nombre ne semble pas suffisant pour contrebalancer l’atmosphère qui devient de plus en plus irrespirable et angoissante avec la banalisation des discours extrémistes d’un Zemmour, d’une Le Pen, d’un Dupont-Aignan ou d’une Pécresse-aka-Ciotti… Sans oublier les conséquences dramatiques de la guerre en Ukraine qui jettent sur la route des millions d’exilé·e·s et qui exposent au grand jour un accueil de l’état français à géométrie variable. Plusieurs associations d’aide aux migrant·e·s comme la Cimade dénoncent justement dans un communiqué de presse « l’hypocrisie de la politique européenne et des politiques nationales qui opèrent un tri entre les ‘bons réfugiés’ et les ‘mauvais migrants’ pour tenir à l’écart et nier les droits des populations du Sud. » Ce constat est partagé par Charlotte qui dénonce amèrement ce système hypocrite. « Ce n’est pas politiquement correct de dire cela, mais le choix des migrants se fait à visage découvert, et c’est choquant. Nos évènements sont donc là pour proposer un autre discours, dénoncer les clichés sur l’immigration et redonner du sens aux chiffres qui sont souvent instrumentalisés. »
Les années passent, les revendications restent et se répètent. Tel un jour sans fin ? Pas forcément. « En tant que citoyenne française et européenne, je n’ai pas envie que toutes ces politiques migratoires soient menées en mon nom. Je veux montrer que je ne les cautionne pas ! Tant qu’on peut encore le faire, il n’y a pas à hésiter », clame convaincue Charlotte. Le collectif permet ainsi à beaucoup de citoyennes et citoyens de ne pas baisser les bras, et de ne pas subir sans résister. Mais pour combien de temps encore ? « Je continuerai à lutter, et peu importe les obstacles, martèle Céline. Car si j’abandonne, qui le fera à ma place ? »
Au programme, les prochaines « festivités » :
* Jeudi 31 mars, 18h30 – 20h30 à la MIR, 7 quai Chateaubriand
Conférence-débat : « Les politiques migratoires : l’État contre les étrangers » par Karine Parrot, enseignante-chercheure à l’Université de Cergy
* Vendredi 1 avril, 18h30 – 20h30 à Carrefour 18, 7 rue d’Espagne
La parole aux organisations solidaires des sans-papiers de Rennes
* Samedi 2 avril 2022 à 10h Manifestation « Vive l’immigration ! »
Départ à 10h du Marché du Blosne / Arrivée : Marché des Lices
* Jeudi 7 avril, 18 h 30 – 20 h 30, Maison Internationale de Rennes (MIR), »
Le dernier mot aux sans-papiers sur la « vie de sans-papiers »
* Lundi 11 avril à 18 h, Place de la mairie à Rennes,
Rassemblement-débat de rue contre les idées anti-migratoires après le 1er tour des présidentielles
à lire sur alter1fo :
Des parloirs sauvages pour amener un peu d’humanité à l’intérieur du CRA de Rennes
Retour sur « la cérémonie d’intronisation au RN de Florian Bachelier »