Couvrez ce SDF que je ne saurais voir…

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Sans jugement ni culpabilité, qui n’a pas un jour baissé les yeux afin d’éviter de croiser le regard d’un SDF sinon de ne pas y prêter attention ? Les SDF sont là et pourtant nous ne les voyons pas ou plus… sauf lorsque les températures hivernales nous rappellent à notre bonne conscience. La preuve en est, cette vidéo d’une association New-yorkaise Rescue Mission piégeant des passants ne reconnaissant même pas leurs proches déguisés en SDF. Comme invisibles.

Pire, alors que le nombre de sans-domicile fixe a augmenté de 44% en 11 ans, certaines municipalités rivalisent d’ingéniosité pour expulser ces personnes hors des centres villes et de notre champ de vision grâce à l’implantation de  mobilier urbain bien spécifique. Cachez ce SDF que je ne saurais voir !

En France, un sondage publié en pleine crise des subprimes (2) indiquait que plus de 60% des personnes interrogées jugeaient possible qu’elles-mêmes ou un de leurs proches se retrouvent un jour sans domicile fixe .

« Plus la crise économique s’installe dans la durée, plus la peur progresse. Dans l’inconscient collectif, la figure du SDF est un double qui nous attire et nous répugne. Par son exclusion, il incarne les parties de moi que je n’accepte pas. En ce sens, je pressens que je pourrais connaître le même sort car, après tout, s’il en est là, pourquoi pas moi ? » analyse Virginie Megglé, psychanalyste spécialiste des dépendances affectives(3).

Cela peut être un début d’explication pour comprendre notre attitude ambivalente presque bipolaire entre empathie et rejet.

Mais que savons-nous finalement ? Qui sont ces SDF que nous pouvons croiser ? Quelles sont leurs histoires ?

Comme pour casser l’image commune et familière du SDF aviné et résigné, des étudiants de Rennes 2 se sont réunis sous le nom du collectif « Que suis je sans toit? » et ont eu l’idée de réaliser leurs portraits au fil des rencontres dans les rues rennaises. Ces portraits disponibles pour l’instant sur leur page Facebook seront peut être exposés prochainement : impossible cette fois-ci de ne pas prendre quelques minutes de notre temps pour les regarder en face, apprendre d’eux et qui sait, changer notre regard à l’avenir…

Interview

  • DSC_5278Alter1fo : Bonjour, pouvez-vous nous présenter les membres de votre collectif  ?

Que suis je sans toit? : Nous sommes trois étudiants en première année de licence à la fac de Rennes 2 en Géographie, Aménagement et Environnement  : Quentin (19 ans), Louise (18 ans) et Mathilde (18 ans).

  1. Je suppose que l’on ne se lève pas un matin en se disant tout simplement « Tiens, je vais aller photographier des SDF « …  du coup quelle est l’idée de départ de ce projet?

L’idée était vraiment de faire tomber les préjugés, les discriminations, les différents a priori que l’on pouvait avoir. Nous souhaitions donc photographier toute personne susceptible d’être jugée pour son apparence : jeunes des banlieues, SDF, artistes de rues, personnes handicapées et toutes les personnes associées à une certaine religion…

Et puis, la problématique imposée par la discipline dans laquelle nous réalisions ce projet a restreint la cible de ces photos. La problématique étant devenue : Comment améliorer la solidarité et l’économie dans les logements sociaux ? Nous avons alors poussé la problématique encore plus loin pour nous intéresser aux personnes n’ayant même pas accès aux logements sociaux, c’est à dire les SDF. Nous avons donc démarché, interrogé et pris en photo des SDF dans la rue. Étonnés du succès de la page Facebook (NDLR : plus de 1000 abonnées), nous avons décidé de continuer.

  1. Vos photos sont toutes en noir et blanc : est-ce un choix artistique assumé ?

Choix artistique, oui ! Nous trouvons que le noir et blanc donne plus d’expressions et de profondeur aux photos. Le noir et blanc rend la photo plus esthétique et, forcément, l’image que l’on a des SDF en devient plus positive. On porte alors un autre regard sur eux.

  1. Comment réagissent les personnes SDF à votre encontre et à votre approche ?  Est-ce que certaines refusent catégoriquement ?

Les réactions sont multiples, tout dépend du caractère de la personne aussi.  Nous sommes bien accueillis avec parfois des refus, mais rarement car les SDF comprennent la portée de notre action : nous prenons vraiment le temps de leur expliquer notre projet. Certains sont plus bavards que d’autres. On découvre avec ces échanges un peu mieux le monde de la rue. Dialoguer avec des personnes leur fait du bien, ils se sentent moins seuls. La solitude est un vrai problème dans ce monde…

  • Comment choisissez-vous les personnes que vous souhaitez photographier ?

Nous ne choisissons pas vraiment les personnes que l’on photographie… En effet, ils n’acceptent pas tous. On établit d’abord une relation de confiance avec eux, on essaye d’apprendre à les connaître un peu mieux, en peu de temps. Quand on sort dans la rue pour prendre des photos, on se fixe un objectif d’au moins 3 portraits… qui n’est pas toujours atteint.

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  • Pouvez-vous nous décrire comment se passe une séance photo habituellement ?

Tout d’abord, on discute avec eux et on leur explique notre démarche. Nous essayons d’établir une relation de confiance pour qu’ils puissent s’ouvrir et nous parler sincèrement. Puis, après ces échanges qui peuvent parfois durer longtemps, nous leur demandons si cela est possible de les photographier. La photo se fait spontanément. On prend la photo tels qu’ils sont dans la rue, sans mise en scène particulière, sauf quand ils ont un chien car ils veulent généralement qu’il soit aussi sur la photo. Après, nous leur montrons le résultat et ils semblent plutôt satisfaits !

  1. Derrière ce terme SDF, la réalité semble très hétérogène : jeunes hommes, sans emploi, personnes âgées, étrangers… qu’est ce qui vous étonne le plus en écoutant le parcours de vie de ces personnes ?

Ce qui nous étonne le plus ? C’est difficile à dire… Chaque parcours est différent mais je pense que c’est leur espoir qui est le plus étonnant. Ils en ont toujours… même dans les situations les plus difficiles. Ils nous parlent de leurs rêves et de leurs projets. Cela nous fait réfléchir car il nous arrive de nous plaindre pour des détails alors que nous avons cette chance d’avoir un toit.

  1. Grâce à vos précédentes rencontres, que diriez-vous : les SDF subissent-ils la rue ou est-ce un choix ?

Ils subissent la rue, mais c’est aussi un choix. Il n’existe pas de profil type, ils sont tous différents avec des caractères, des vécus et des objectifs différents! Certains se retrouvent à la rue quand d’autres ne se voient pas habiter quelque part et ne plus bouger…

  1. Malgré leurs différences, ces personnes ont-elles des revendications communes ?

Ce qu’ils dénoncent principalement est l’absence d’aide ou l’ignorance… Cette ignorance que l’on porte sur eux, mais aussi l’ignorance des autorités, des associations, des hôpitaux.

  1. Votre projet a l’ambition de déboucher sur une exposition mais aussi que cela devienne un levier pour récolter des fonds et créer des partenariats avec diverses fondations. Avez-vous déjà commencé ces démarches ?

Nous allons exposer nos photos lors de concours photos. Même si nous ne gagnons pas, notre but est de participer pour diffuser un maximum nos photos et ainsi toucher le plus de personnes. Récolter des fonds, créer de partenariats, oui mais c’est difficile car nous sommes seulement des étudiants et, à notre échelle, cela est compliqué.

  • 11130343_884804128237684_6446111201668131718_oExiste-il une sorte de suivi avec les SDF photographiés ou est-ce difficile notamment à cause de leur grande mobilité par exemple…

Non, malheureusement c’est trop compliqué car ils bougent tous les jours. Quand on les croise dans la rue, on leur dit bonjour, on leur parle, ils nous reconnaissent. On discute un peu avec eux et on comprend très vite que leur situation n’a pas vraiment changé. La rencontre se passe bien, tout comme la première rencontre d’ailleurs. Mais malheureusement, ça s’arrête là. C’est la limite de notre projet.

  1. Que pensez-vous par exemple de l’initiative telle que l’exposition « Prises de rue » où 30 photos exposées ont toutes été prises par des SDF?

Cette initiative est vraiment bien. En effet, quand vous êtes dans la rue, tout projet qui permet de vous exprimer, de vous reconstruire est important !

  1. Si vous pouviez changer une chose face à la situation de ces personnes en priorité, laquelle serait-elle ?

Si nous pouvions changer quelque chose ? C’est dur de choisir : il y a tant de choses à changer… Je dirais le regard méprisant des gens sur les SDF. Quand les SDF veulent sortir de leurs situations, le comportement de certaines personnes envers eux les freine.

  1. Merci à vous.

 

Page Facebook du collectif.

Pour les contacter : quesuisjesanstoit [ @ ] gmail.com

 Photos : Tous droits réservés © Copyright 2015 Que suis-je sans toit ?

 


 

 

(1)  Mal logement : le nombre de SDF a augmenté de 50 % en trois ans

(2) Source : sondage TNS Sofres, réalisé les 23 et 24 septembre 2008 auprès d’un échantillon représentatif de mille individus.

(3) Source : Virginie Megglé, auteure notamment de Couper le cordon (Eyrolles, 2005).

 

1 commentaires sur “Couvrez ce SDF que je ne saurais voir…

  1. ROBBY 56

    C’est bien ce que vous faîtes ! Bravo. Jean-Philippe

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