Un grand merci à Gwendal Le Flem pour toutes les photos de la soirée : http://ladnewg.net/
Avec cette 17ème édition de la Start’in block, l’Antipode mettait en avant quatre groupes (très) prometteurs de la scène locale… Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on a été bluffé par la qualité de la prestation de ces groupes émergents.
L’Antipode a entre autres pour vocation de mettre en avant la scène locale et de favoriser l’émergence des groupes en devenir. La salle rennaise a donc mis en place la Start’in block il y a déjà pas mal d’années. Le concept est simple : offrir un temps de résidence aux groupes émergents de la scène locale à l’Antipode et leur proposer d’investir la scène le temps d’un concert dans des conditions professionnelles.
Depuis lundi dernier, ce sont donc quatre nouveaux groupes qui ont arpenté la salle rennaise, à raison d’un jour par groupe, pour un travail en amont avec l’équipe de l’Antipode : Bertram Wooster, We are Van Peebles, Dead Swallows et The 1969 Club. Les musiciens ont été accueillis par l’équipe technique de la salle afin d’effectuer des répétitions plateau, filages ou d’élaborer leur fiche technique dans des conditions professionnelles… Avec bien sûr, en point de mire, le concert de ce vendredi réunissant les quatre groupes sur la même affiche.
Première belle surprise, ce vendredi soir : le public a répondu présent. Certes, l’Antipode n’est pas plein, mais l’affluence est tout de même plus que respectable pour une soirée sans tête d’affiche « connue » et mettant en avant la scène locale. Le prix d’entrée quasi dérisoire (3 euros ou gratuit pour les membres) n’y est certainement pas étranger et donne réellement la possibilité au plus grand nombre de découvrir ces groupes prometteurs.
Autre véritable point fort de la soirée : ne pas se cantonner à un genre musical et proposer une affiche variée. Les groupes retenus pouvaient tout autant proposer un croisement entre folk et toy music avec Bertram Wooster, qu’une noise post punk puissante toute guitare dehors avec les We are Van Peebles, flirter avec un garage rock tout en énergie pour The 1969 Club ou bien avec une pop psychée progressive mâtinée de krautrock pour Dead Swallows… On avait pressenti, à l’écoute des enregistrements de ces quatre formations, que la qualité risquait d’être au rendez-vous. En sortant de l’Antipode ce vendredi soir, on en est persuadé.
Quand on arrive, Bertram Wooster a déjà entamé son set et on a manqué quelques titres. La formation, menée par le musicien compositeur Olivier le Blouch depuis 2005, se présente ce soir sous la forme d’un quintet : guitare, basse, batterie, flûte et clavier. La sortie de l’album Popetry en octobre 2011 avait su charmer bon nombre d’oreilles curieuses, notamment avec son instrumentation riche et variée qui mêle toy piano, ukulélé, mélodica, métallophone, tambourin, accordéon, violon ou flûtes pour un univers pop folk aux réminiscences enfantines. On s’inquiétait donc de savoir comment la formation allait pallier cette luxuriance de l’instrumentation de l’album à seulement cinq sur scène. D’autant que comme l’a expliqué Olivier le Blouch en interview dans 90B (ici), il n’était pas du tout prévu de faire de scène si tôt après la sortie de l’album, mais plutôt de se laisser le temps d’élaborer un live pendant cette première moitié d’année 2012. Oui, mais voilà, la proposition de l’Antipode a tout chamboulé.
On imagine donc le stress des cinq musiciens sur scène qui n’ont pas réellement eu le temps de rôder leur set. Ils s’en sortent pourtant fort honorablement. Bien sûr, il y a parfois quelques approximations, des voix parfois un peu voilées par le stress, mais l’ensemble est convaincant. D’autant que l’instrumentation a été revue et vraiment remaniée. Et c’est une bonne surprise : les chansons de Bertram Wooster continuent de tenir la route, malgré une instrumentation plus minimaliste. Elles gagnent même parfois en énergie et puissance pour des envolées guitare-basse-batterie-flûte-clavier. En ce qui concerne les arrangements, on applaudit à deux mains le choix de la flûte traversière qui souligne autant qu’elle apporte la qualité des compositions. Elle donne une originalité plus que bienvenue aux chansons de Bertram Wooster que l’abandon des toy piano, ukulélé, mélodica, métallophone, tambourin ou autre accordéon aurait pu totalement gommer. Il n’en est rien grâce à cet apport de la flûte qui rappelle tout autant les arrangements soyeux d’une soul fin sixties début seventies que la pop délicate de Midlake.
Autre originalité de Bertram Wooster : les textes. Plutôt que de proposer des paroles de son cru, Bertram Wooster a choisi de mettre en musique des poèmes signés de Byron, Yeats, Keats ou Lewis Carroll (rien que ça !). Alors certes, notre niveau d’anglais ne nous permet pas de profiter pleinement de ces perles littéraires et comme notre photographe préféré de l’Antipode nous le faisait également remarquer, on aurait peut-être davantage perçu le challenge et la réussite du principe si Bertram Wooster avait mis en musique des fables de Lafontaine, qu’on connaît forcément mieux… Mais force est de reconnaître qu’Olivier Le Blouch prend à chaque morceau le temps de préciser l’auteur du texte, donne quelques indications sur son contenu et rend le principe plus accessible. On dira même que cette littérarité des textes de Bertram Wooster lui donne parfois un petit côté Belle & Sebastian qui n’est pas pour nous déplaire.
Au final, malgré un set qu’ils n’ont pas eu le temps de rôder, les Bertram Wooster nous laissent une belle impression et on est d’autant plus confiant qu’on sent que leur marge de progression est encore grande, mais qu’ils en ont sous le capot.
Ce sont The 1969 Club qui enchaînent. Comme pas mal de monde, on avait imaginé que le trio garage briochin clôturerait la soirée tant il fait preuve d’énergie sur scène. Il n’en est rien. Il commence déjà par nous scotcher dès les balances qu’il effectue quelques minutes avant le concert. Bigre, les trois musiciens envoient déjà bien : le batteur comme la bassiste chantent devant nous a capella avec une puissance épatante et avec un professionnalisme étonnant pour une si jeune formation. Alors certes, me direz-vous, les membres de The 1969 Club jouaient dans Clark auparavant, et ont déjà fait pas mal de scènes, notamment pour les Rennais, Bars in Rennes en juin dernier (interview) et la 19ème édition de l’Echo du Oan’s (interview + concert acoustique). Mais il n’empêche, les trois musiciens assurent vraiment comme va nous le prouver la prestation qui va suivre.
Le trio propose des morceaux à forts voltages aux sonorités rock garage, bien électrisés par une chanteuse bassiste qui se fait appeler Hermann Lopez. La demoiselle a du charisme et dégage une sacrée énergie sur scène. Accompagnée par Charlie B. (guitare) et Douglas (batterie/chant), la jeune femme joue de sa basse de droitier à l’envers (?) tout en sautillant et en chantant avec force conviction. Pantalon et t-shirt rouge, mèche brune en avant, elle danse, emmène sa basse galopante de part et d’autre de la scène et chante avec une voix à la fois puissante et chaude. Le batteur à sa gauche assure également question voix et lui donne la réplique avec tout autant d’énergie. Il martèle ses fûts avec la même conviction et la même classe, tout comme le guitariste qui porte sa guitare bas mais décoche ses riffs tout en souplesse et en puissance.
On doit avouer que le rock garage n’est pas notre style musical de prédilection : on va pourtant rester sur le cul devant la prestation des trois musiciens. C’est à la fois carré, énergique et puissant. Aucun temps mort, ça dépote de bout en bout du set. On n’a vraiment pas l’impression d’assister à la prestation d’un groupe local peu expérimenté, mais d’un véritable groupe de scène qui maîtrise parfaitement son set. Et les compositions du trio nous surprennent plus qu’agréablement par leur variété, par leur habileté à ne pas faire tourner le même riff ou effet de manche pendant 3 minutes. C’est intelligent, bien pensé et toujours relancé. Dans la salle, les pieds remuent, électrisés par ce rock garage les deux doigts dans la prise.
On s’attend pour notre part à retrouver The 1969 Club sur de grosses scènes d’ici peu tant le groupe assure.
C’est ensuite à la noise de We are Van Peebles de nous emballer. On était prévenu : les retours qu’on avait pu entendre des quelques prestations du trio rennais étaient positifs voire dithyrambiques. Aussi pour qui apprécie les Shipping News, Shellac, At the drive-in, Mc Lusky ou plus près de nous Papier Tigre (nous en sommes), la musique de We are Van Peebles valait le détour. On imagine que pour ceux qui aiment moins la noise, la déferlante prestation du trio aura été moins accrocheuse qu’elle ne l’a été pour nous. Mais de notre côté, on en a pris plein les oreilles.
Première caractéristique : le groupe ne propose pas un trio guitare-basse-batterie, mais deux guitares-batterie. Et tout ça au service d’une noise du meilleur aloi, qui tabasse bien. Les guitares se répondent, jazzmaster à gauche, telecaster à droite, avec l’une parfois tout en distorsion et l’autre en ligne claire. Mais pas que. Parce que les musiciens de We are Van Peebles ont plus d’une idée dans leur besace et bien plus de subtilité dans leur vocabulaire.
Parfois aussi, les musiciens se servent d’un clavier sur la gauche de la scène, mais avec parcimonie, peut-être en référence avec l’une de leurs influences revendiquées, entendez Future of the Left.
Des compos à la fois puissantes et inventives, avec de vraies bonnes trouvailles, un batteur qui dépote sans être monolithique, un dialogue entre les guitares tout en richesse et les trois musiciens qui alternent aux voix (on ne dira pas « chant » , on est davantage du côté des Shipping News que de, au hasard, Morrissey) font du trio l’une des révélations de la scène noise locale.
Là encore, c’est carré, malin, parfaitement mené. Le batteur est d’une implacable maîtrise et les breaks sont tout en intelligence. On n’a d’ailleurs plus vraiment l’impression d’être à Rennes, mais plutôt à Chicago, Louisville ou Washington DC le temps de la prestation. D’ailleurs, d’aucuns se lancent dans un pogo devant la scène durant le dernier morceau du trio. Pour les amateurs de « musique indociles » , les We are Van Pebbles sont définitivement l’un des groupes noise à suivre par ici…
L’Antipode a décidé, après cette déferlante sonore, de clôturer la soirée dans des ambiances plus calmes et éthérées puisque ce sont les Dead Swallows qui délivreront la dernière prestation. Guillaume Mouillet (guitare, voix), Geoffroy Langlais (batterie, percussions), Nicolas Terroitin (basse, chœurs, mais aussi parfois guitare) et Antoine Garrec (claviers, chœurs) investissent la scène de l’Antipode dans des éclairages davantage psychédéliques (D’ailleurs, on ne pense jamais à le dire, alors réparons cette injustice pour une fois, mais le son et les éclairages auront une nouvelle fois été nickel toute la soirée !).
Les quatre musiciens n’ont a priori pas beaucoup de concerts derrière eux (l’Ubu en juin, tout de même) : pourtant, eux aussi vont dérouler leur set avec maîtrise pour la partie qu’on en verra.
Le chanteur guitariste barbu arbore un blouson et une chemise très seventies très raccord avec les ambiances planantes développées par les compositions du quatuor. Entre pop progressive et psychédélique, leur musique navigue entre des ambiances musicales qui nous rappellent Virgin Suicides avec un titre comme Anyway, et ses claviers mélancoliques, mais peut aussi mélanger dans un même morceau break de pop planante et sons plus crades par exemple. Des intros à la guitare tout en douceur sont souvent suivies d’un final tendu, souvent lent, mais tout en progression psyché. Les ambiances se veulent sombres, et curieusement à la fois légères et pesantes.
Une fois encore, dans un style musical totalement différent, les Dead Swallows impressionnent eux aussi par leur maturité et leur maîtrise.
Au final, on quitte donc l’Antipode plutôt bluffé par l’ensemble des prestations. On a passé une fort bonne soirée, pleine de bonnes (si ce n’est de très bonnes) découvertes musicales et on se promet de suivre ces quatre-là avec la plus grande attention.