Malgré (ou à cause de ?) l’abondance de sorties, j’ai eu un peu de mal à trouver un trio de BD qui me plaise suffisamment pour ne pas hésiter dans ma sélection. J’ai donc un peu tergiversé avec moi même mais finalement, je n’utiliserais qu’un seul joker par rapport au sortie du moment.
On commence sans trop se soucier d’originalité, avec une des sorties les plus attendues de ce mois d’octobre. Les ignorants est le nouveau livre d’Etienne Davodeau dont les Rural ! ou Lulu Femme nue en ont séduit plus d’un.
Le principe en est simple. Davodeau s’étant lié d’amitié avec le vigneron Richard Leroy, il lui propose un délicieux échange de service. Pendant un an, il l’accompagnera dans son travail de la vigne et parallèlement il l’initiera au monde de la bande-dessinée et de son édition. Au fil de courts chapitres, narrés avec une belle maitrise, on se ballade avec bonheur entre : taille des vignes, discussion avec un imprimeur, vendange, ballade au festival de Saint Malo, discussion avec les négociants… Le point fort du livre est pour moi, la façon tendre et fine avec laquelle Davodeau dépeint son amitié avec Leroy. Pourtant, j’ai terminé le livre sur un sentiment un peu mitigé.
D’abord parce que quand on sort du flamboyant Portugal de Pedrosa, on ne peut que regretter que l’auteur s’en soit tenu au noir et blanc. On comprend bien que pour des raisons de rapidité, il ait fait ce choix, mais du coup, les scènes extérieures perdent en force d’évocation. On aurait aimé savouré davantage l’évolution des saisons au milieu des grappes de raisin.
Ensuite, parce que si la partie sur le vin m’a captivé de bout en bout, tout ce qui concerne la Bande Dessinée m’a paru plus convenu et m’a semblé rester un peu en surface de ce qu’est la BD aujourd’hui. L’auteur s’en fait d’ailleurs lui même (brièvement) le reproche par la bouche du dessinateur Nicoby lui disant qu’il a un peu tendance à montrer ça «comme un monde des bisounours où tout le monde est copain».
Dommage donc que les deux initiations m’ont paru un poil déséquilibré. Il reste quand même que c’est un ouvrage riche et diablement bien foutu, dépeignant un vigneron à la démarche originale et passionnante et qui garde donc de fortes chances de vous séduire.
Chez Futuropolis, octobre 2011, 272 pages, 24,50 €
On change radicalement de style avec une très impressionnante adaptation d’un roman méconnu d’Eugène Sue. Dans Atar Gull, Fabien Nury et Brunö nous narrent le destin hautement tragique du personnage titre. Ce roi africain ayant fait le serment à son père de ne jamais pleurer, sera réduit en esclavage, passera de propriétaire en propriétaire au fil de péripéties cruelles et finira par accomplir une vengeance implacable et dévastatrice.
Dès les premières pages, on est frappé par la puissance graphique du dessin stylisé et géométrique de Brunö. On avait déjà apprécié le travail du monsieur sur Nemo ou l’excellent Commando Colonial, mais il y a là une adéquation très particulière entre le souffle morbide du récit et les saisissantes compositions du dessinateur. Au final, cela donne un opéra vertigineux qu’on suit le souffle court et dont le final risque de ne pas vous laissez indemne.
Remercions au passage Monsieur Nury de nous proposer un monstrueux personnage de pirate mélancolique et psychotique, qui remet un peu les pendules à l’heure en ces temps de disneyïfication des flibustiers.
Chez Dargaud, octobre 2011, 64 pages, 21 €
On termine donc par un petit retour en arrière au mois de mai dernier.
Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins) de Sarah Glidden est un livre trompeur. D’abord par son titre tout à fait ironique, parodiant allégrement les guides pour hommes pressés et les méthodes miracles. Ensuite parce que quand on découvre son sujet : l’auteur raconte comment elle est partie en voyage en Israel en profitant du Taglit (programme mondial organisant des séjours en Israël de 10 jours tout frais payés, pour les jeunes juifs qui ne l’on jamais visité), on s’attend à un classique carnet de croquis commenté. Sauf que s’il y a bien voyage, le récit est pourtant construit avec une rigueur narrative exemplaire et une précision et une somme de détails presque maniaques.
La minutie dont fait preuve Sarah Glidden lui permet de garder ses lecteurs au plus près de son propre cheminement. Elle part en ayant un regard hautement critique sur la politique d’Israël en général et donc sur les risques de propagande de ce genre de séjour. Mais ses convictions se heurtent rapidement à la complexité de la réalité du vécu des personnes qu’elle va croiser. La brièveté du séjour, le manque de recul impliqué par ce point de vue au plus près, ne lui permettront pas de trouver la confirmation «de ses yeux vus» qu’elle venait chercher au départ. Sarah ne trouvera donc pas ce qu’elle est venu chercher et cette frustration nous vaut des très beaux moments cocasses ou poignants. Elle ne renoncera pas pour autant à ses convictions et réussira tout de même à peindre un portrait aussi honnête que possible de ce qu’elle n’a pas compris de ce pays. C’est un très beau livre sur un parcours de désarroi et de doute, qui montre avec douceur le cheminement intérieur de l’auteur.
Chez Steinkis, mai 2011, 208 pages, 18,50 €
A compléter, bien sur, par la lecture de l’extraordinaire Gaza 56 de Joe Sacco.