BD en août : été sensible

RdVB0913chapo

Nous avons eu le temps de lire sur ce mois d’août et nous vous en faisons profiter. Après les noirceurs de notre sélection de juillet, voici quatre ouvrages délicats, lumineux et sensibles, histoire d’aborder plus sereinement cette rentrée tendue.

BrooklynQuesadillas

On commence par la très belle fantaisie d’Antony Huchette : Brooklyn Quesadillas. Cette fausse autobiographie délirante raconte le délicieusement surréaliste quotidien de Joseph, jeune réalisateur d’un talk-show animalier bizarroïde, ayant quitté Paris pour New York avec femme et enfant. Le tout devient encore plus étrange quand débarquent les sirènes de Governors Islands. Cette bande d’amazones constituée d’actrices oubliées de série des années 90 comme Sauvés par le gong ou le Prince Bel-Air, vont venir le tenter en lui faisant miroiter le secret de leur éternelle jeunesse.
Huchette bricole avec une jubilation contagieuse un univers à la fois doucement décalé et hautement personnel. A la façon des films de Michel Gondry, l’auteur brode avec bonheur, fantaisie bourrée de références télévisuelles ou cinématographiques et réflexion sensible sur la paternité ou le temps qui passe. Un livre très touchant tout en étant follement amusant, ça ne se refuse pas.

Chez Cornélius, mai 2013, format 17 x 24 cm, 72 pages, 14,50 €

lanuitducapricorne

Plus directement introspectif , La nuit du Capricorne, de Grégoire Carlé n’en est pas moins réussi. L’ouvrage s’ouvre sur une image d’une douce puissance : par une chaude nuit d’été dans une banlieue du Rhin des années 90, un adolescent écoute un petit ver qui s’est installé dans la porte de sa chambre, en ronger le bois lentement mais implacablement. La suite du récit met en scène avec poésie et une cruauté lucide, les grandes vacances de ce personnage en voie d’effectuer sa mue vers l’âge adulte. On y retrouve par fines touches mais avec finesse et acuité, le regard impitoyable porté sur les adultes, les amitiés bancales, la brutale sociologie des terrains de jeux… et une superbe scène fugitive de baiser volé aquatique. La nature, magnifiée par un graphisme en noir et blanc très vif et puissant, prend une place primordiale dans la narration et décale magnifiquement l’histoire par des effets sensoriels assez saisissants.
Une très belle BD qui réussit à trouver le périlleux équilibre entre expérimentations formelles et justesse émotionnelle.

Chez L’Association, avril 2013, format 19 x 26 cm, 128 pages, 16 €

lettreàmamère

Nous avions déjà remarqué dans l’anthologie Le Monde Diplomatique en BD, le libanais Mazen Kerbaj avec le récit qui donne le nom à ce recueil : Lettre à la mère, une superbe lettre d’amour et de haine adressée à Beyrouth, sa ville natale. Nous avons donc sauté sur l’occasion de découvrir les différents aspects du passionnant travail graphique de cet artiste atypique. Peintre, dessinateur, musicien, le monsieur a du talent à revendre et cet ouvrage en est la démonstration éclatante. Cette douzaine de courts récits, souvent acides, toujours puissamment évocateurs, montrent une impressionnante capacité à produire le maximum en en montrant un minimum. Si les techniques graphiques sont très variées (noir et blanc, travail sur les matières, bichromie explosive…), l’ensemble se distingue par un certain sens de l’épure où l’on a le sentiment que chaque trait, chaque mot est exactement là où il faut. Kerbaj parle de sa créativité, du temps et d’une rupture douloureuse, du pillage de son pays, des gens qui parlent, d’une salle de concert en plein Beyrouth, symbole des occasions ratées, nous explique pourquoi les bateaux n’aiment pas l’eau… en faisant preuve à chaque fois d’un regard d’une singularité et d’une acuité rare. Le volume oscille entre mélancolie douloureuse et humour féroce, avec une richesse qui surprend à chaque nouvelle lecture.
Voici donc l’occasion idéale de découvrir un artiste important qui vient à juste titre nous rappeler, qu’aujourd’hui, c’est bien en Orient que les choses se passent.

Chez L’Apocalypse, mai 2013, format 19 x 26 cm, 144 pages, 29 €

Goliath

On termine par un dernier petit bijou. Nous suivons avec gourmandise les hilarants strips hebdomadaires que Tom Gauld publie pour le Guardian, mais hélas leur humour caustique et très littéraire n’est réservé qu’aux anglophiles les plus confirmés. Merci donc mille fois à L’Association d’enfin traduire en français Goliath autre facette tout aussi passionnante du monsieur. Il y a de fortes chances que vous ayez déjà entendu l’histoire édifiante du combat durant lequel le jeune et encore frêle roi David terrassa d’un chanceux coup de fronde Goliath, le champion géant des Philistins. Avec l’esprit retors qui caractérise son humour, l’auteur écossais décide de raconter cet épisode de la bible du point de vue du perdant. On suivra donc jusqu’à son fatal destin le géant Goliath de Gath. Toute la saveur de l’ouvrage tient dans le décalage qu’opère Gauld entre la légende et l’homme. On y découvre un Goliath mélancolique, préférant la paperasse au combat, qui se retrouve malgré lui érigé champion de son armée par un capitaine manipulateur. Cette situation absurde nous vaut de sublimes passages d’attentes interminables où notre «héros» a de surréalistes conversations sur les rumeurs courant à son propos avec son jeune écuyer. Avec son rythme lancinant et son graphisme géométrique, ce petit livre s’avère tristement drôle et très touchant dans ce douloureux rendu d’humanité à un monstre de légende.

Chez L’Association, mai 2013, format 19 x 26 cm, 96 pages, 13 €

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires