Ça y est, la valse des festivals a (enfin) commencé ! Le festival Art Rock, situé en plein cœur de Saint-Brieuc, mène la danse. C’est le premier festival de l’été et l’une des attractions phares de la ville. Pendant trois jours, tout Saint-Brieuc met le pied à l’étrier. La journée, la ville se transforme en une scène à taille urbaine. Au programme, spectacles de rue, expositions d’art numérique, concerts par les musiciens du métro et petit « village » aménagé. Et ce ne sont pas que les festivaliers qui en profitent, ce sont aussi les habitants. La journée, tous les concerts et expositions sont gratuits. S’enchaînent trois soirées de concerts et de spectacles dont Panorama de Philippe Decouflé et Zombie Aporia de Daniel Linehan. En « off » de la Grande Scène, trois concerts sont prévus au forum la Passerelle chaque soir ainsi qu’Artbis’trock, le festival dans les bars façon Bars en Trans. Pendant toute la durée du festival, Alter1fo est sur place.
Hier soir, le dimanche 28 mai, la soirée a été un énorme succès à la Grande Scène, tout autant que la première si ce n’est meilleure avec des groupes de tout bord musical, minutieusement choisis pour mettre l’ambiance et finir ce festival en beauté !
Après une journée très ensoleillée où les rues étaient bondées pour voir le spectacle Opérette animalière de la compagnie Off et après avoir vu le spectacle Panoramas de Philippe Decouflé qui a fait salle comble, je me précipite vers la Grande Scène où le groupe 1995 a commencé l’ultime soirée du festival Art Rock. Malheureusement, il ne me reste que dix minutes de spectacle. Et le groupe est déchaîné. Le public arrive en masse. Devant, il y a du mouvement. Mais cela ne suffit pas aux 5 membres du groupe, Nekfeu, Alpha Wann, Areno Jazz, DJ Lo’, Sneazzy West et Fonky Flav’. Réputée pour sa joie de vivre et son art de faire la fête, la Bretagne n’a pas l’air assez réveillée, pour ces cinq rappeurs. « Vous n’avez encore rien bu ? », demande Sneazzy West. A la dernière chanson, Laisser une empreinte, de leur premier EP, La source, le public saute les mains en l’air. S’ils laisseront une marque dans le milieu du rap français, on ne le sait pas mais, en tout cas, ils auront fait bouger la foule. L’ambiance est bouillante après le passage des « Un neuf neuf cinq ».
On peut critiquer l’agencement de la programmation, un groupe plus calme en milieu de soirée coincé entre deux groupes à l’énergie communicative. Cela a été le cas pour Thomas Dutronc le samedi et c’est le cas pour Brigitte, ce dimanche. On peut critiquer la programmation trop hétéroclite sur la Grande Scène qui ne correspond plus à du « Rock » contrairement à la Passerelle qui, elle, a tenu toutes ses promesses. Mais ce qu’on ne peut que souligner, c ‘est la cohérence globale du festival. A chaque soirée son rap. Vendredi, les Puppetmastaz. Samedi, OrelSan et dimanche, 1995. A chaque soirée son groupe « pop », Charlie Winston, Moriarty et Brigitte. A chaque soirée son groupe explosif, Dionysos, C2C et Shaka Ponk. A chaque soirée, son groupe d’ambiance, Sharon Jones & the Dap-Kings, Ibrahim Maalouf et dimanche soir, particularité pour le reggae de Stephen Marley.
Marley, père ou fils ?
Le reggae est toujours très attendu lors d’un festival. Cela met l’ambiance sans pour autant avoir besoin de bouger. C’est une grande réunion entre amis. C’est comme si tout le monde s’était révélé un penchant pour le mouvement hippie, en communion avec les autres et l’environnement qui les entoure. Comme le calumet de la paix, le parfum de Marie-Jeanne se répand tout autour de la scène. Le soleil rasant, caché derrière quelques nuages, donne une ambiance encore plus prompte à une musique calme et « posée », comme on dit en langage « jeune ». Les musiciens de Stephen Marley arrivent, deux choristes prennent place. Un grand drapeau jamaïcain est brandi et posé sur le côté gauche de la scène. Le ton est donné, Stephen Marley est là pour défendre la musique de son pays, le reggae. Il demandera d’ailleurs trois fois au public : « Est-ce que vous aimez la musique reggae ? »
Mais voilà, quand on est « le fils de » et surtout de Bob Marley, l’étiquette est dure à enlever. Elle colle à la peau, elle fait partie du jeu. Le public attend essentiellement des chansons de la légende du reggae et il l’a prouvé une fois de plus, à Saint-Brieuc, ce week-end. Les chansons qui ont fait un tabac sont celles de son père, Buffalo Soldier et Every Little Thing Gonna Be Alright, fortes d’un succès intergénérationnel et reprises en chœur par le public sans que Stephen Marley le demande. Le fils de Marley a mis l’ambiance, même si l’ombre du père planait sur la sienne. Les chansons de son deuxième album Revelation Pt 1 : Roots of life sont plus calmes et entraînent moins. Le rythme typique du reggae est toujours présent, agrémenté de guitare électrique qui lui rend un côté plus « rock » et énergique. Duos planants, chansons solo énergiques accompagnées de deux choristes, Stephen Marley envoûte un public déjà conquis d’avance sans vraiment donner sa patte musicale. Le public n’est pas là pour découvrir une nouvelle façon d’appréhender le reggae mais pour bel et bien revivre une époque révolue dont la plupart du public n’a jamais connu l’existence.
Theophilus London : le plus romantique des rappeurs américains
Quand on voit « hip-hop » venu des Etats-Unis, on pense tout de suite aux clips tournés dans les piscines avec tout le côté paillettes et strass. Je le concède, c’est cliché. Mais ce sont les choses véhiculées par la télévision à travers des clips musicaux. Outre une petite chaîne argent et une casquette où est marqué en rouge « USA », Theophilus London porte une veste noire, un t-shirt à manches courtes, un pantalon slim noir et des petites lunettes de soleil noires. Le rappeur fait très propre sur lui, autant que ses chansons. Sans rayure, sans dépassement.
Originaire du quartier Brooklyn à New-York, on sent qu’il est largement inspiré des soirées faites là-bas, New-York, ville américaine aux airs européens. Les chansons sont très douces comme un mot susurré à l’oreille d’une belle jeune fille. Theophilus London a l’apparence et la musique faite pour êtré catégorisé comme un « loveur ». Un homme qui aime les soirées et les jolies jeunes filles. Dans ce monde new-yorkais très prisé, il reste le plus européen des américains.
Malgré un son qui laisse à désirer, le public venu pour le rappeur américain saute, dans les premiers rangs. Ce n’est qu’une petite troupe de personnes qui bouge, les « irréductibles » bretons qui ont décidé de s’amuser quelle que soit la musique et l’ambiance. Le reste du public reste sceptique. On s’assied, on mange, on sirote ou on discute. C’est vrai qu’après un 1995 déchaîné, un Stephen Marley posé et entraînant, Theophilus London ne sait pas comment faire pour redynamiser le tout. La chanson phare du rappeur, Humdrum Town, est reconnue et appréciée. Le reste des chansons de l’album Lovers Holidays II : Rose Island est plaisant mais sans plus.
Coup de coeur : le côté girly de(s) Brigitte(s)
Passer avant le groupe SHK PNK a été la chose la plus difficile du festival. Les Brigitte ont relevé le défi et l’ont passé haut la main, même si cela a été plutôt le public féminin, dont je fais partie, qui a été (re)conquis. Le tube Battez-Vous a fait le tour des ondes ces derniers mois et il peut vite en devenir lassant. Les deux chanteuses qui composent le groupe Brigitte, Sylvie Hoarau et Aurélie Saada, la brune et la blonde, sont bien présentes sur scène sans être excentriques. La foule n’a pas beaucoup bougé au début. C’est le souci de la chanson française. Le public se focalise trop sur les paroles et reste coit, c’est aussi ce qui s’est passé pour Thomas Dutronc. Mais leur prestation a été très plaisante et remarquée.
Style singulier revisitant les années 70 et 80, Brigitte est habillée d’une robe grise à paillettes avec des lunettes à la Camélia Jordana, façon « hipster », et d’un serre-tête hippie. Brigitte, c’est la femme moderne de l’année 2010 mais qui n’oublie pas ses bons vieux « classiques » tel que Brigitte Bardot, chanteuse et muse des années 70 ou encore aux airs pop de Claude François et ses Claudettes. Brigitte, c’est la bonne copine avec qui on se pose dans un bar pour discuter pendant des heures et qui nous raconte ses aventures quotidiennes. Déçue, elle déplore son besoin d’affection (Battez-Vous), donne des conseils sur les garçons (Cur de chewing-gum), parle de sexualité, est possessive quand elle a un copain (La vengeance d’une louve) et boit quand elle se fait larguer. Leur ultime chanson, lors du rappel, a été la reprise de la chanson Eye of the Tigre façon acoustique. Très apprécié par le public, les garçons se sont aussi pris au jeu. Brigitte est une bonne copine qui est toujours là quand il y a un souci, elle remonte le moral et nous donne envie de danser. Cela n’a pas été du goût de tout le monde mais contrairement à leur apparence « girly » et leurs textes à première vue niais et sans fond, les deux chanteuses, leurs musiciens et les deux boucs en plastique posés à côté des chanteuses ont su mettre à l’aise le public. Un coup de cœur inattendu pour un groupe qu’on peut vite catégoriser comme inintéressant.
Le concert tant attendu n’a pas déçu
Pour certains, cela faisait deux jours qu’ils attendaient le groupe. Pour certains, cela faisait des mois. C’est en terre conquise que Shaka Ponk arrive quand le groupe entre en scène. Cela faisait déjà dix minutes que le public hurlait en voyant le décompte sur le visuel rond qui accompagne chaque concert. Je les avais déjà vu, en mars dernier, au Liberté et le groupe avait offert plus de deux heures de show. Les Rennais avaient même réussi à faire pleurer Frah; le chanteur, en début de concert. Cela n’a pas été la même chose hier soir, à Art Rock mais cela a été tout aussi bien ! Les Shaka ont fait bouger la foule toute entière.
Dur de croire que cela fait douze ans que le groupe est sur les routes. Crée en 2000, Shaka Ponk se fait un nom en France, depuis seulement deux ans. A la sortie de son dernier album The Geeks and the Jerkin’ Socks, en 2011, le groupe français se fait désormais connaître dans son propre pays. Comme le groupe Dionysos, les sept membres du groupe se créent un langage et un univers propre. Goz, le singe, est devenu la mascotte du groupe. A chaque concert, sur le visuel en forme de rond, le singe fait toujours des apparitions, chante et danse en même temps que Frah et Sam, chanteuse du groupe, qui est présente sur scène depuis la sortie du dernier album. Leur langage est un mélange d’anglais et d’espagnol. Seule la chanson Palabra Mi Amor, duo avec Bertrant Cantat, est en partie chantée en français.
Coupe afro et bandeau gris argenté qui lui sert de haut pour Sam, nattes et casquette pour Frah, les deux chanteurs se font remarquer par leur apparence physique et leur prestance scénique. Shaka Ponk aime les Bretons pour leur sens de la fête, véritable « territoire de festivals » et ces derniers le leur rendent bien. Le groupe enchaîne les titres de leurs deux premiers albums Bad Porn Movie Trax et Loco Con Da Frenchy Talkin’, sortis en 2009. Cela permet au public de connaître ce que peut faire le groupe. En effet, si leur succès est dû au dernier album jugé trop « commercial » par certains fans, et la chanson My Name Is Stain qui passe très régulièrement à la radio, leurs chansons qui bougent le plus sont dans les deux premiers. El Hombre Que Soy, Twisted Minda, Sex Ball, I’m Picky, How we kill stars, les titres s’enchaînent. Le spectacle est rodé, le côté visuel très travaillé. Frah n’hésite pas à se lancer dans le public et Sam, à le faire participer. Les rappels, Palabra Mi Amor et French Touch Puta Madre, feront exploser le public qui hurlera encore à la fin de l’ultime tube. « Quelle que soit l’heure, quelle que soit le temps, vous [les Bretons] êtes énormes!« , hurle Frah. De quoi flatter l’égo et finir la soirée en beauté !
Globalement, la vingt neuvième édition du festival Art Rock nous a offert un très bon week-end ! (Re)découvertes avec les Puppetmastaz et leur hip-hop militant ou Ibrahim Maalouf, le trompettiste virtuose. Coup de cœur avec Sharon Jones et The Dap-Kings et leur soul envoûtante, Rover et son côté androgyne et Brigitte et ses airs girly sans être cruche. Déception avec Charlie Winston et Thomas Dutronc. Je n’ai pas pu non plus aller aux concerts à la Passerelle voir les Mansfield.TYA, BRNS et Breton, malheureusement, mais cela sera pour une prochaine fois ! A l’année prochaine !
Merci à Gwendal Le Flem pour ses superbes photographies !