[2023] Des bouqu’1 sous le sap1 #06 : Farallon Islands ou le #MeToo îlien

Marre de l’esprit de Noël ? Marre des infos cataclysmiques ? ça tombe bien, nous aussi ! Bienvenue dans notre 6ème calendrier de l’Avent Altérophile, dont on espère qu’il sera original et divertissant ! Tous les jours (ou presque) jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-amis, bon pour nos papetiers-amis, bon pour nos neurones. Sans prétention aucune, des coups de cœur qu’on a envie de partager, pas forcément des nouveautés, pas forcément des trucs inouïs. Juste des morceaux de papier, souvent imprimés, en format origami, d’une épaisseur à glisser dans les poches ou de gros pavés pour caler le sapin, qui nous ont émus, interpellés, questionnés, emballés ou intrigués… Et qu’on a envie de vous faire (re) découvrir. Ouvrez donc les pages jour après jour…

C’est un peu notre fil rouge de l’année : mer, phares et balises… pourrait presque être le sous titre de Farallon Islands. Et pour un premier roman, Abby Geni a frappé fort ! Direction les îles Farallon un archipel au large de la côte nord et centrale de la Californie, droit devant San Francisco. Si cet endroit est un éden océanique pour les phoques, les requins blancs, les baleines et les oiseaux marins, on ne peut pas en dire autant pour la petite communauté de scientifiques qui y séjourne ! Et l’héroïne du roman, Miranda, jeune photographe en mal de paysages extrêmes, va en faire les frais.

« Il y a bien longtemps, on appelait cet endroit l’archipel des Morts. Maintenant je comprends pourquoi. L’île du Sud-Est fait à peine plus d’un kilomètre carré de surface. Les autres îlots sont nus, pelés, déchiquetés. Pas une seule plage de sable. Le rivage est veiné d’algues, les pics escarpés et morcelés. Les îles sont disposées par taille comme les invités sur une photo de mariage. Leurs contours renvoient une certaine crudité. Si Dieu a bien créé le monde, il semble avoir délégué le façonnage des îles Farallon à son beau-fils encore mineur qui, en plus, s’est servi d’une mauvais argile. » (p. 21) Le décor est planté d’emblée. Ici point de plage accueillante et de climat sympathique ! Les îles Farallon sont battues par les vents et présentent ce qu’il y a de plus sauvage et acérée. La vie y est difficile, que ce soit pour les humains ou les animaux. Un environnement hostile, dangereux, violent. Dans les flots environnants, une multitude d’animaux marins trouvent refuge : phoques, baleines, requins blancs, éléphants de mer. Dans les airs, une armada de goëlands tolérant assez peu la présence humaine. Sur terre, des colonies de souris. Et au milieu, une poignée de femmes et d’hommes, scientifiques prêts à tout supporter, même l’hostilité environnante, pour mener à bien leurs recherches diverses et variées. Un microcosme tout aussi étonnant que leurs sujets d’étude. Une micro-communauté aux caractères bien trempés et aux autismes bien déclarés.

Entre les biologistes et la photographe, une relation mi-respectueuse, mi-circonspecte s’installe. Il faut dire que Miranda n’est pas non plus un modèle de sociabilité. Jeune femme écorchée, dont la sensibilité est entachée par le décès récent de sa mère, elle peine à se lier à ses congénères, préférant la beauté de la nature. « Les îlots sont les étoiles principales d’une galaxie de vie marine. Il y a les grands requins blancs, en visite périodique, qui quittent leur orbite mystérieuse pour venir traîner au large. Les baleines, pareilles à des comètes lointaines, qui viennent ici en quête de krill. Il y a les macareux huppés. Les loutres de mer. Les cténophores. Je suis bien partie pour rester une année entière sur ces îles. J’aurai besoin de tout ce temps pour photographier ce coin de bout du monde. »

Un huit-clos oppressant s’installe au fil des chapitres et de cette écriture rythmée et incisive. Les faux-semblants s’effacent pour laisser place à des relations sournoises et malsaines. Le moindre mot devient provocation et suscite haine et vengeance… L’insularité sauvage renforçant le tout, les hommes et femmes redeviennent des animaux, pas plus civilisés que leurs congénères.

« La photo est la captation neutre des événements, la chronique du sublime comme de l’effroyable. » Miranda raconte sous forme épistolaire son année sur ces îles, son cauchemar îlien et humain. On ne spoilera rien, toujours est-il que ce roman fait froid dans le dos, est glaçant et oppressant à souhait et qu’on vous le recommande quand même chaudement. 

Le roman a remporté plusieurs prix : Meilleure Fiction 2016 décerné par la Chicago Review of Books et le prix 2017 de la Découverte Barnes & Noble.

Farallon Islands (The Lightkeepers) / de Abby Geni – Actes Sud – 2017 – ISBN 9782330078386
Sur le site de l’éditeur

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