Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4ème édition ! Pour ce sixième épisode, on double la mise avec un livre saisissant : À la ligne (Feuillets d’usine) de Joseph Ponthus, mais également son adaptation musicale par Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz.
Du livre…
À la ligne – feuillets d’usine, paru début 2019 chez La Table Ronde est le premier et unique roman de Joseph Ponthus. Commençons hélas par la fin. Le cancer a brutalement emporté l’auteur à l’âge de 42 ans début 2021. Cette injuste interruption de la ligne rend d’autant plus essentielle la découverte de ce livre. Né à Reims, l’auteur fait des études supérieures de lettres puis choisit pourtant la voie pas du tout royale de l’éducation spécialisée et travaille entre autre avec des jeunes sur des ateliers d’écriture. Suivant celle qui va devenir sa femme à Lorient, il va enchainer les missions d’intérim qui le mèneront d’abord dans des conserveries de crustacés et de poisson puis dans des abattoirs.
Ce sont ces journées de travail, aussi épuisantes et infernales que paradoxalement satisfaisantes, qu’il va quotidiennement coucher sur le papier (du moins les soirs où il n’est pas trop laminé pour le faire) que raconte ce texte dans une langue libre et acérée, sans ponctuation mais pas sans rythme. Un flot continu de mots construit en écho à l’inextinguible et monstrueux appétit des machines. La langue en vers libres et en coups de poing à la ligne décrit, ausculte, questionne, toute la complexité du rapport de l’écrivain à son lieu de travail, des rapports de classe mais aussi humains qui se jouent en ces lieux. Ces endroits et les gens qui y bossent invisibilisés, méthodiquement effacés du champ du réel, Ponthus les éclaire et leur rend toute leur matérialité avec rage, tendresse, acuité et humour. Un livre essentiel donc tout comme le sont les films documentaires Le Sang des bêtes de Georges Franju ou Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot.
photo : Service culturel – Université Rennes 2
… au live.
Quand La Station Service, la Carène, l’Hydrophone et le Stereolux proposent une carte blanche au toulousain Michel Cloup (guitare et voix dans Diabologum ou Experience), c’est donc ce texte qu’il choisit de mettre en musique. Pour se faire il retrouve son compagnon de route Julien Rufié (Batterie, électronique) mais également l’intense Pascal Bouaziz (guitare et voix dans Mendelson, Bruit Noir) avec lequel il avait déjà fait Ville nouvelle / Nouvelle ville en 2012. Plus encore que par l’album sorti en décembre 2020 chez Ici, d’ailleurs, c’est sur scène que nous vous conseillons vivement de découvrir le résultat de cette collaboration. Nous avons eu la chance d’écouter le trio sur la scène du Tambour de l’Université Rennes II, le jeudi 25 octobre 2021, dans le cadre du festival Transversales. Le concert fut précédé de la projection du film « Le Ballet mécanique », de Lorraine Féline, mettant en image l’étrange ballet mécanique d’une usine londonienne où l’on fabrique des ballerines de danse classique au son des tubes pop du moment.
photo : Service culturel – Université Rennes 2
Michel Cloup ouvre le concert en précisant qu’il ne s’agit pas d’une lecture musicale mais plutôt de chanter un livre. Dans une interview il expliquait également que la musique est déjà dans le livre de Ponthus. Les bruits, les chansons qu’on fredonne en boucle pour tenir… mais aussi la musique des mots, leur rythme, les répétitions, les assonances. Il y a comme une évidence à ce que ce soit ce trio qui s’empare de tout ça et le concert va le prouver de très belle façon. Si au départ Cloup et Bouaziz collent le texte au mot près, yeux rivés au prompteur, pendant que Rufié derrière ses futs profite plus rapidement de la marge de manœuvre qui lui est offerte, l’ensemble va progressivement se délier et retranscrire plus au corps à corps, guitare à guitare, l’intensité et de la précision incisive du texte. En équilibre instable entre noirceur industrielle et trouées de lumière d’humanité, entre assourdissantes répétitions, lente spirales aliénantes et suspensions le souffle court, le groupe réussit à insuffler sur scène le léger manque d’incarnation physique et de rugosité qui limite un peu le disque. Une montée en intensité qui laisse pourtant toute leur force aux mots de l’écrivain qui vibrent comme jamais, qu’ils soient susurrés ou hurlés à pleins poumons.
Cette putain de maladie a finalement mis un point final à celle de Ponthus. Grâce à ces trois intérimaires, la ligne continue, ne manquez donc pas de la croiser.
À la ligne – feuillets d’usine de Joseph Ponthus – 266 pages
paru en janvier 2019 chez La Table Ronde
EAN 9782710389668 – 18€
Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz sont en tournée. Ne les loupez pas
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