Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Alors que Noël approche avec ses gros sabots incrustés de leds clignotantes, nous vous invitons à découvrir la vison merveilleusement tordue de l’excellent Saad Z. Hossain du monde pas toujours si magique que ça des djinns.
Explorer la fertile collision entre mythologie millénaire et notre monde contemporain est un exercice assez courant chez les anglo-saxons. De Neil Gaiman à Terry Pratchett, ils sont nombreux à s’être essayés à l’exercice et souvent avec bonheur (dans Sandman, American Gods ou De Bons présages par exemple). Par contre, aucune de ces lectures n’avait atteint la folie et le délicieux niveau de perversité de Djinn City de Saad Z. Hossain. Nous avions déjà adoré Bagdad, la grande évasion son polar déjanté, sombre et hilarant sorti en 2017 chez Agullo. Nous avons donc été particulièrement ravis de voir Djinn City, le second roman de cet auteur bangladais enfin traduit en octobre 2020 toujours chez Agullo.
Ce généreux pavé de presque 600 pages a pour personnage central le jeune Indelbed. Ce bengladais déjà un peu paumé du fait d’une mère disparue et d’un père alcoolique et fantasque relégué au banc du puissant clan Khan Rahman, va voir sa vie basculer franchement dans le chaos quand son géniteur sombre dans un étrange coma. Indelbed va alors découvrir que le vrai métier de son paternel était émissaire des bien réels Djinns et que ses origines sont bien moins ordinaires qu’il ne le pensait. Il va alors se retrouver plongé au cœur des jeux de pouvoirs aussi antédiluviens que pervers auxquels se livrent ces mythiques créatures.
Avec un imaginaire totalement débridé et aussi une cruauté certaine, Hossain nous ouvre grand les portes vers un monde dissimulé dans le nôtre et plein de terrifiantes merveilles. On y croisera des villes englouties et des cités dans le ciel, de fascinants dirigeables et un sous-marin nucléaire russe… mais aussi des dragons ne correspondant pas vraiment à nos stéréotypes habituels. Il prend surtout un plaisir immense et communicatif à nous livrer sa très personnelle vision des djinns. Oubliez les bedonnants et enturbannés génies hollywoodiens, dans Djinn City, ces créatures surnaturelles de la mythologie arabe sont surpuissantes, manipulatrices et dangereuses à l’extrême… mais aussi procédurières et passionnées par de tentaculaires et insondables règles administratives. Ajoutez à ça une controverse ancestrale entre djinns créationnistes et évolutionnistes qui n’est pas sans rappeler de bien humaines préoccupations, et vous obtenez un mélange délicieusement explosif.
Avec un humour féroce et absurde, une imagination en roue très très libre et un sens du rythme remarquable, Hossain nous offre une saga virevoltante et complexe mais d’une immense générosité. Ce récit vertigineux et retors s’ingénie d’ailleurs à nous emmener sur des territoires bien éloignés de tout ce à quoi on peut s’attendre de l’exercice et ce n’est pas la moindre de ses qualités. Plongez vous donc dans Djinn City, mais réfléchissez bien d’abord à ce que vous souhaitez avant d’exprimer vos trois vœux.
Djinn City de Saad Z. Hossain
Traduit de l’anglais (Bangladesh) par Jean-François Le Ruyet
Paru en octobre 2020 chez Agullo
576 pages – 22,50 €
ISBN 979-10-95718-85-7
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