[2021] Des bouqu’1 sous le sap1 #21 : BD et girls power

Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Pour cette 21ème escale, on vous offre un généreux triplé de Bande Dessinée ayant en commun des personnages féminins hauts en couleurs. Go girls !

Les personnages et les autrices féminines sont clairement de plus en plus présentes dans le petit monde pourtant encore très majoritairement masculin de la Bande Dessinée. Dans cet élan salutaire, on peut certes parfois sentir un peu d’opportunisme ou d’artificialité, au point que ça en devienne parfois le seul argument pour défendre des œuvres pas bien folichonnes. Heureusement, il y a bien sûr de nombreux excellents ouvrages.  Nous vous proposons donc une petite sélection de trois des ouvrages qui nous ont récemment le plus marqués dans cette mouvance.

On démarre ce triptyque par l’impressionnant Le Grand Vide, premier ouvrage publié de Léa Muriawek paru en août 2021 chez 2024. Dans un monde parallèle, mais bien proche du notre, imaginé par l’autrice, la présence est tout. Votre notoriété et plus prosaïquement le nombre de fois qu’on pense à vous déterminent rien de moins que votre durée de vie. Les célébrités de ce monde deviennent ainsi des immortels reconnaissables à leur regard de Dieux égyptiens. La pourtant pétillante Manel Naher a un problème : une chanteuse ayant le même patronyme qu’elle, est en train  d’affoler les charts. Alors qu’elle planifiait avec son pote Ali de quitter la cité pour aller explorer le Grand Vide qui l’entoure, elle se voit obligée, pour survivre, à regagner un semblant du temps de pensée sur sa populaire concurrente.
Fable enlevée et virtuose sur nos addictions bien actuelles aux vues ou aux likes, la BD de Léa Muriawek nous a surtout plu par son épatant traitement graphique. Du jeu mouvant sur les visages qui passent au fil des cases de simples émoticônes à une ligne claire ultra expressive, en passant par le travail sur les couleurs ou par les vertigineuses perspectives des immeubles bardés de myriades de panneaux publicitaires où les noms des gens ont remplacé les marques, l’autrice imprime sa personnalité sur chaque page avec une force et une vigueur réjouissante. Un début en fanfare donc pour une autrice dont on suivra de très près les futures aventures.

Le grand vide de Léa Muriawek
Paru en août 2021 chez 2024
204 pages – 25 €
ISBN 978-2-901000-70-9

Nous avons déjà clamé dans ces colonnes ici et tout le bien que nous pensons des formidables aventures de La fille maudite du capitaine pirate imaginées et dessinées par Jeremy A. Bastian. Ces péripéties follement picaresques d’une jeune fille en quête d’un père dont elle sait seulement qu’il est l’un des cinq capitaines pirates voguant sur les fantasques mers d’Omerta sont servies par un dessin hors-normes entre la puissance d’un Arthur Rackham, la précision d’un Gustave Doré, la folie baroque d’un Gary Gianni et l’onirisme hyper détaillé d’un Tony Millionaire.
Après cinq années d’une interminable attente, voilà enfin le troisième volet de ce récit hors-normes. La fille maudite s’enfonce de plus en plus profondément au fond de l’océan pour en percer les secrets et c’est toujours un bonheur incomparable de l’y suivre. Chaque page de l’Américain est un plaisir graphique si généreux et foisonnant qu’il serait diablement dommage de passer à côté. Dans un style ultra-référencé et pourtant unique, Bastian bâtit de véritables odes au pouvoir incomparable de fascination du dessin. Alors que drapé dans sa numérique bêtise, le cinéma semble bien décidé à massacrer une par une nos lectures les plus marquantes (Watchmen, Sin City… et bientôt Sandman ou l’Incal), Bastian nous rappelle qu’avec un papier, un crayon et beaucoup de talent, on peut atteindre d’inépuisables sommets d’imaginaire et de poésie qu’aucune de ces adaptations n’approchera même de très loin.

La fille maudite du capitaine pirate tome 3 de Jeremy A. Bastian
Paru en novembre 2021 aux éditions La Cerise
56 pages – 15 €
 ISBN 978-2-918596-24-0

On termine notre sélection par la plus explosive du lot. La Fun Girl d’Elizabeth Pich, publiée chez Les requins Marteaux, est en effet la plus dévastatrice des tornades littéraires du moment. Plus maladroite que Gaston Lagaffe de Franquin, plus désinhibée que le gros dégueulasse de Reiser, plus provocatrice que Megg la sorcière junkie de Simon Hanselmann, Fun girl est une hilarante et grinçante catastrophe ambulante. Sa coloc (et ex-petite amie), son nouveau copain hyper sensible et son patron chelou des pompes funèbres vont se retrouver emportés à leur corps très défendant dans le sillage de cette ouragan piétinant avec un implacable flegme toutes les bornes de la bienséance et des conventions sociales. Avec son dessin bien crado et ses irrévérencieuses références aux grands classiques du 9ème art, Elizabeth Pich pousse avec une jubilation irrésistible le bouchon trop loin et les curseurs sur 12. Entre éclats de rires et rictus de révulsions, l’autrice retrouve toute la folie auto-destructrice et la verve malaisante qui ont fait les grands jours des publications des Requins Marteaux. Saluons là le plaisir de retrouver en aussi grande forme, un petit éditeur qui aura réussi à (littéralement) survivre au temps qui passe en conservant la chouette et communicative énergie punk qui l’anime depuis ses débuts.

Fun Girl d’Elizabeth Pich
Paru en novembre 2021 chez Les Requins Marteaux
260 pages – 30 €
ISBN 978-2-84961-313-9

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