Marre des attestations de sortie ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des injonctions contradictoires ? Marre des jauges à tout-va ? Marre des chiffres balancés sans vergogne et sans filets et qui conditionnent nos vies ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. Après le Grand Nord et ses aimables ours polaires, direction les Appalaches et ses ours bruns qui valent de l’or.
Dans notre palmarès des polars, il y a les romans nordiques d’un côté et les « nature writing » de l’autre. Dans la gueule de l’ours, le premier roman de James A. McLaughlin, fait partie de cette seconde catégorie. Et c’est ursus americanus qui mène le jeu cette fois-ci. Enfin à moitié, car on le trouve plus souvent éventré et éviscéré que vivant et gambadant dans les forêts primaires des Appalaches…
Ce, au grand dam de Rice Moore, ancienne mule d’un cartel en Arizona, qui se rachète une bonne conduite. Devenu garde-forestier après avoir livré ce qu’il savait sur le puissant cartel mexicain qui l’employait aux autorités, il veille désormais sur la réserve privée de Turk Mountain dans les montagnes du Sud-Ouest de la Virginie. Logé dans un chalet, loin de toute civilisation (et donc de tout narcos vengeur), il vit/survit comme un vieil ours solitaire et s’acclimate assez bien à ces étendues sauvages. La faune locale cependant ne manque pas de l’agacer un tantinet, surtout quand des braconniers se mettent à éventrer les ours bruns vivant sur la réserve pour récupérer leurs vésicules biliaires et leurs pattes. Rice Moore met à jour un trafic destiné au marché asiatique et n’hésite pas à mettre en danger sa couverture de biologiste-garde forestier pour sauver les ursidés, au risque d’attirer l’attention du cartel.
James A. McLaughlin signe un roman entre thriller et écologie qui reste avant tout une magnifique description des Appalaches, faune et flore comprises. Les autochtones humains y sont rugueux, parfois odieux ; les chiens, les abeilles et les oiseaux y sont présentés sous leur meilleur jour. Et l’animal n’est pas là où l’on pensait le trouver.
Violence et noirceur sont bien entendu au menu. Et sont le fait des autochtones, qui semblent avoir perdu toute humanité au profit d’une bestialité bien ancrée. Les bûcherons défendent violemment leur gagne-pain en s’opposant aux millionnaires qui achètent des terres pour protéger leur propre idéal de nature ; les dealers de meth s’activent à défaut d’avoir un autre boulot dans cette région gagnée par le chômage ; les braconniers élaborent des pièges sophistiqués, armés de fusils à pompe et de lunettes à infra-rouge. Et quand les garde-forestiers se mettent en travers de leur route pour protéger nature, faune et flore, les incivilités sont légions. Mais les chasseurs deviennent bientôt la proie de « ghillie man », un garde-forestier qui n’hésite pas à devenir plus sauvage qu’eux…
Un roman de 432 pages captivant, mêlant vie de Rice Moore dans les Appalaches et en Arizona pour dévoiler les contradictions profondes d’un ancien criminel pour qui la défense de la nature devient une mission première, au-delà même de la valeur que peut avoir sa propre vie. Le chapitrage utilise d’ailleurs un logo étrange, entre gueule d’ours et piège de braconnier, entre animal et être humain. A chacun d’y voir ce qu’il préfère.
Dans la gueule de l’ours est donc un très bon représentant du « nature writing » et des défenseurs de la nature, une thématique revendiquée par l’éditeur français Rue de l’échiquier, une maison d’édition indépendante, spécialisée dans l’écologie et dans tous les sujets s’en approchant tels le changement climatique ou l’engagement citoyen. Initialement constitué d’essais de référence ou de vulgarisation, leur catalogue s’est diversifié et offre désormais livres pratiques, albums jeunesse, bandes dessinées et fictions.
L’auteur James A. McLaughlin a grandi dans ces montagnes de Virginie et parvient à en transmettre l’essence même. Son roman, Bearskin en VO, a obtenu le prix Edgar-Allan-Poe 2019 du meilleur premier roman ainsi que le Grand prix de littérature policière 2020. Unanimement salué par les critiques littéraires américaines, il devrait faire la joie des lecteurs à qui vous le confierez.
Dans la gueule de l’ours / James A. McLaughlin
Titre original : Bearskin
Traducteur : Brice Matthieussent
Editeur : Rue de l’échiquier
Collection : Fiction
Date de publication : 16 janvier 2020
ISBN : 2374251985
Prix : 23€ (broché) – 11,99€ (ebook)