Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. Aujourd’hui, coup de cœur pour un album jeunesse de saison aussi doux que drôle à lire les yeux pleins de rires et de magie.
Succès assuré et immédiat toujours renouvelé chez les loupiots auxquels on l’a fait découvrir, l’hilarant et merveilleux album de Sebastian Meschenmoser L’écureuil et la première neige est un livre de saison à glisser sous le sapin et vous promet éclats de rire écarquillés à partager au réveil au milieu des chaussons.
Car voilà, l’écureuil est bien embêté. Comme il hiberne, il n’a jamais vu l’hiver, et surtout la neige. Alors quand le bouc lui parle du merveilleux manteau blanc qui va bientôt recouvrir la forêt, l’animal ébouriffé en reste tout perplexe au bout de sa branche. Les oiseaux migrateurs ont pris leur envol avant la première page, les arbres ont perdu leur feuilles et les troncs crayonnés s’élancent dans un fouillis plus ou moins esquissé. L’automne s’achève dans un dénuement humide tandis qu’au sol, feuilles mortes, racines, souches s’entremêlent dans un gris et blanc fascinant. Alors l’écureuil, seule tache colorée rousse et lumineuse, décide de tenter le tout pour le tout : cette année il va resté éveillé.
Oui mais quand on est un petit écureuil aux doux poils cuivrés, pas facile de lutter contre son instinct naturel. Plus le froid avance, plus l’hiver met de temps à arriver et plus la bataille contre le sommeil se révèle ardue… et hilarante.
Car notre petite boule de poils, comme les minots qui ne voudront pas aller dormir le 24 au soir, lutte contre les paupières lourdes et le progressif engourdissement qui l’étreint subrepticement. En une double page merveilleusement expressive, l’animal tout en poils embroussaillés attire l’immédiate sympathie de ses petit.e.s lecteur.rice.s (et grand.e.s – nous on craque total). Les oreilles alertes, l’écureuil fait du mieux qu’il peut pour se tenir droit, stoïque, accompagnant la chute lente (mais tellement lente) de la dernière feuille de l’arbre. Avant de s’affaisser progressivement de plus en plus dangereusement sur sa branche, l’œil totalement hagard, l’oreille désormais en bataille. Et d’y finir affalé de tout son long, le museau aplati sur la branche. Et l’animal endormi de se redresser d’un coup, comme un diable sortant de sa boîte après une panne de réveil, le sourcil en accent circonflexe.
Perplexe, l’animal tout dépeigné se gratte la tête et tente de trouver d’autres moyens pour ne pas sombrer à nouveau dans les chaleureux et réconfortants bras de Morphée. Il opte d’abord pour le sport, hilarant et frénétique défoulement qui déclenche les rires des loupiots mais qui réveille également le hérisson déjà parti pour la longue nuit de son hibernation. Les épines en bataille, des feuilles mortes et un gland piqués dans son dos, le museau au vent et l’œil morne, le hérisson pas encore repeigné se demande bien d’où vient ce remue-ménage. Avant d’opter lui aussi pour le réveil et l’attente « A deux, on reste plus facilement éveillé. Avec quatre yeux, on ne manquera pas de voir les premiers flocons » assure l’écureuil, l’œil lourd du sommeil à rattraper.
Et le hérisson de l’accompagner dans la lutte qui se révèle aussi harassante pour lui que pour son ami. Les deux compagnons décident alors de pousser la chansonnette (« car quand on chante fort on ne s’endort pas »). Véritables stars de l’opéra de douche, nos deux héros hurlent à qui mieux mieux. Et le dessin pourtant silencieux, est tellement expressif qu’on a immédiatement l’impression de les entendre emplissant leur coin de forêt d’un bien joyeux vacarme. Qui ne manque pas de réveiller l’ours. A côté de ses minuscules voisins qui mènent tapage diurne hivernal à pleins poumons, l’imposant animal tout aussi hirsute avance une mine renfrognée et chiffonnée à laquelle, on l’avoue, on a du mal à ne pas s’identifier.
Pas rancunier, l’ours décide de s’associer à leur attente car lui non plus n’a jamais vu la neige (puisque lui aussi hiberne en hiver). Mais les trois amis soudain pris d’un insoutenable doute, s’inquiètent : le premier flocon est peut-être déjà tombé et ils ne l’ont pas remarqué. Comment savoir ce que c’est quand il s’agit de quelque chose qu’on n’a jamais vu ? Avec les indices donnés par le bouc « blanc, froid, humide et doux » les trois aventuriers se dispersent dans la forêt à la recherche du flocon perdu. Et reviennent chacun avec un désopilant flocon qui ne manquera pas d’égayer les zouzous qui en savent pour le coup, plus long que nos ébouriffés personnages.
Et quand, avec l’écureuil planté comme le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich sous une pluie de flocons inattendus (qui sentent même le fromage), l’image se transforme en revendication écologique romantique, c’est l’adulte qui sourit. On est définitivement dingue des dessins de ce talentueux auteur allemand, dont les crayonnés merveilleusement expressifs sont aussi doux que désopilants et dont les cadrages, toujours renouvelés, empruntés au cinéma (ou l’inverse), renforcent encore l’expressivité des images : gros plans, contre-plongée, travelling arrière, plans séquences. On en prend plein les yeux… et les zygomatiques.
Et quand enfin, le premier flocon tombe entre les trois amis (la page est aussi drôle que sublime), c’est l’explosion euphorique assurée. Avec l’arrivée de la neige et de son molletonné éclatant, Sebastian Meschenmoser passe avec une progression époustouflante du crayonné à la peinture dans une fantastique vue plongeante. C’est sûr la magie de la première neige est là et bien là. Et nos trois amis pelotonnés dans leur tanière les uns sur les autres, enfin endormis l’ont vécue avec autant d’étoiles dans les yeux et d’émerveillement que les minots aussi hilares que fascinés. Que le clin d’œil final du bonhomme de neige de la troisième de couverture finit encore de réjouir. La magie se cache parfois dans ces petits moments du quotidien : le premier flocon de l’hiver, le silence enveloppant de la neige, trois amis touffus finalement endormis, un album merveilleusement dessiné à partager sous la couette entre petites mains et bras chaleureux alors que le froid tombe dehors comme la nuit.
[Et si vous êtes davantage printemps qu’hiver, on vous conseillera également L’écureuil et le printemps du même auteur chez le même éditeur : l’histoire y est à peine moins forte, mais le dessin tout aussi sublime, y est aussi à pleurer de rire notamment lorsque le hérisson s’apprête pour aller séduire sa dulcinée. Irrésistible.]
L’écureuil et la première neige de Sebastian Meschenmoser, traduit de l’allemand par Julie Duteil, Minedition (2009).
A noter que l’album existe en grand format, mais aussi en petit pour les budgets plus modestes. Une version à caresser est également disponible mais on a tendance à lui préférer la version crayonnée finalement tellement plus douce à l’œil et au coeur.
Encore un !!! 😀