Après avoir commencé par une faute d’orthographe histoire de déjà dynamiter les frontières de la normalité dont il se réclamait un peu, le vaillant et indispensable label local Les Disques Normal est à l’honneur en ce mois de mai. Nés en 2006 et avec aujourd’hui quasi 70 références sous divers formats (vinyles, cd, download) à son beau catalogue, les Disques Normal fêtent leur quinze années d’existence en deux temps : une expo des pochettes d’une grande partie des disques du label (agrémentées de quelques unes de nos photos des groupes en live) au Jardin Moderne et deux soirées de concerts avec pas moins de 8 groupes du label à l’affiche les 20 et 21 mai, toujours au Jardin Moderne. Pour préparer dignement cette célébration, nous vous proposons quotidiennement jusqu’à la date fatidique une interview de chacun des groupes. On poursuit cette revue des troupes avec Les Marquises.
Quinze années déjà que le petit mais vaillant label local Les Disques Normal dessine et défend sa vision indépendante et sensible de la musique. En une décennie et demie et plus de soixante dix disques, la petite bande a bâti un ensemble à la fois hautement cohérent et pourtant délicieusement aventureux. De la folk intimiste de Jocari à la pop orchestrale du premier album de Mermonte en passant par le garage dandy de Lady Jane, le rock indomptable de Fat Supper, l’americana classieuse de Santa Cruz, le hip hop oblique de Yes Basketball! ou encore l’indie rock à vif d’Arianna Monteverdi… on ne compte plus les disques du label qui figurent désormais parmi nos galettes favorites. Nous sommes donc plus qu’heureux de participer aux célébrations des quinze premières années de cette belle aventure. Pour cela nous sommes allés à la rencontre des huit formations invitées sur les deux soirées de célébration. On poursuit avec Les Marquises, l’un des projets français dont on compile fiévreusement chacune des sorties, denses, inspirantes, jamais redite de la précédente, tant la formation parvient, année après année à toujours se renouveler avec des albums aussi captivants qu’addictifs.
Alter1fo : Vous jouez pour l’anniversaire des 15 ans des Disques Normal, label qui a sorti votre dernier album en date, La Battue, en 2020. Comment avez-vous rencontré Martial et son label et comment avez-vous décidé de travailler ensemble ?
Les Marquises (Jean-Sébastien Nouveau) : J’ai été la première fois en contact avec Martial en 2010. A la mort de Mark Linkous – Sparklehorse – Martial m’a contacté afin de savoir si je serais partant pour participer à une compilation hommage de reprises qu’il montait. J’ai alors repris Heart Of Darkness (écoutez là) avec mon projet solo Recorded Home.
Dix ans se sont ensuite écoulés, et lorsque j’ai cherché un nouveau label pour sortir notre nouvel album des Marquises, La Battue, il faisait partie des labels que j’ai contactés. Il a été très enthousiaste, nous a proposés un chouette deal et tout a commencé ainsi !
Vous venez de Lyon alors ce n’est peut-être pas évident… Mais de quels autres groupes du label vous sentez vous éventuellement proches ?
Pour être tout à fait honnête je connais assez mal les groupes du label, mais j’ai bien l’intention de combler ces lacunes en les découvrant en live lors du festival !
Pour La Battue, vous avez choisi de resserrer le propos avec Martin Duru plutôt que l’ouverture des précédents albums avec plein d’invités (ici à Rennes, on est forcément attentif aux présences de Bed, Olivier Mellano ou Christian Quermalet notamment), continuant une fois encore d’explorer et d’aller là où on ne vous attendait pas forcément, avec cette formule peut-être plus intime. Pourquoi ce choix?
Généralement je travaille seul sur la composition de mes morceaux jusqu’à ce que je commence à être bloqué, que je n’arrive plus à avancer. Là je demande à mon acolyte de toujours – Martin Duru – un coup de main pour faire progresser les morceaux et trouver d’autres arrangements.
Cette fois on tout composé à deux dès le départ, à égalité. Nous venions chacun avec des démos dont s’emparait l’autre pour se les approprier et les faire progresser ailleurs. De même pour les paroles, certaines sont de Martin, d’autres de moi. Cela a été un vrai travail de duo, et au moment d’enregistrer véritablement les titres, j’ai souhaité que l’on essaie au maximum de limiter les interventions extérieures. De même, sur les deux albums précédents (Pensée Magique, sorti en 2014, et A Night full of collpases, paru en 2017) il y a toujours plusieurs chanteurs. Là je voulais que le propos soit recentré et que seule ma voix mène les titres. Pour gagner en cohérence et en intimité.
Justement, comment ça se passe pour écrire les textes ? Qu’est-ce qui fait que vous envisagez plutôt l’anglais ou plutôt le français ? Est-ce que les textes servent de point de départ pour composer la musique ou est-ce l’inverse ?
Lorsqu’une démo prend un peu forme je commence à bredouiller dessus des choses en « yaourt ». Si c’est en français le morceau sera en français, et si c’est en anglais ça restera en anglais. Ensuite, nous essayons toujours de coller au maximum au yaourt que je fais pour chercher les paroles. Je considère que dans la première prise de voix il y a toujours une sorte de vérité qui m’échappe, qui reste à découvrir, et donc on s’essaie de s’y coller au maximum en trouvant les mots qui se rapprochent le plus de ces sonorités.
Comment composez-vous ? Pour La Battue, spécifiquement puisque le propos était différent dès le départ, avez-vous improvisé à deux ou bien retravailliez-vous ensemble une partie déjà écrite ?
Avec Martin nous travaillons essentiellement à distance – lui est à Paris et moi à Lyon – en nous envoyant des idées que l’autre poursuit. On échange ainsi pendant assez longtemps et au bout d’un moment, quand les choses prennent forme, on fait une résidence de quelques jours où l’on reprend tout ensemble. Généralement c’est un gros travail d’élagage car on empile les pistes chacun de notre côté, et après on fait des choix ensemble.
Mais nous n’improvisons jamais. Cela ne nous ait jamais arrivé d’ailleurs. Quand on fait des résidences de composition, nous sommes chacun dans une chambre à chercher, à enregistrer des idées, et en fin de journée on se fait écouter ce que l’on a fait, on trie, et on repart dans nos chambres !
Vos morceaux sont en même temps denses et complexes tout en étant très directs, attrapant directement l’oreille. Est-ce que c’est quelque chose qui est important pour vous quand vous composez ?
C’est exactement ce que nous recherchons à faire ! Une musique dense, foisonnante et déroutante, mais jamais froide, absconse et austère. Même si nos morceaux sont « indie », nous conservons toujours une certaine idée de la pop, que notre musique doit rester «catchy».
Votre projet est depuis le départ tendu par l’idée de ne vous interdire aucune direction de toujours ouvrir le monde des possibles. Vos albums et les modes de création semblent toujours très différents et vous vous renouvelez sur chacun. Pour autant, ils possèdent tous une singularité commune (la formule est curieuse). Avec les années et le recul, y voyez-vous un fil directeur ?
Il y a un fil directeur, c’est indéniable. Je ne peux pas tout changer, tout renverser. Je conserve une approche qui m’est propre avec surtout des sonorités que j’aime et que je réutilise. Tout en creusant mon propre sillon je m’efforce cependant de ne pas répéter les mêmes formules, et pour ça il faut créer de nouveaux cadres, de nouvelles situations. Par exemple, le prochain disque ne sera constitué que de deux morceaux instrumentaux de 20 minutes. Cette situation m’amène nécessairement à appréhender la musique d’une autre manière. Construire une musique de 5, 6 minutes n’a rien à voir avec la construction d’un morceau de 20. Les enjeux sont totalement différents. En 5, 6 minutes je recherche une certaine efficacité « pop » qui doit se mêler avec un désir d’aventure, d’exploration, de digression. En 20 minutes, je cherche à instaurer un climat immersif, méditatif, où l’auditeur pourra errer mentalement comme s’il faisait une longue rêverie.
Les influences que vous citez pour la création de vos albums sont souvent visuelles (notamment cinématographiques). Par exemple l’illustrateur Henri Dager ou La Terra Trema de Visconti pour Lost Lost Lost (?), Werner Herzog, Jean Rouch ou Sa majesté des mouches de Peter Brook pour Pensée Magique, Lynch pour A night full of Collapses… Quel rôle jouent les images dans votre processus de création ?
J’aime m’entourer d’images quand je crée. Dans mon atelier il y a des images qui m’inspirent aux murs, et souvent je visionne des vidéos en même temps. Ça peut être un documentaire sur une ascension, un extrait de film, une webcam qui filme un volcan etc. Ça me donne une première piste. Il me suffit d’une lumière, d’un grain qui me plaît pour que ça m’inspire un son qui me mènera plus loin.
Vous avez également réalisé la musique du film de Vergine Keaton Le tigre de Tasmanie qui avait fait pour vous le clip de Vallées Closes. Comment s’est articulée la création de la musique avec les images ? C’est quelque chose que vous aimeriez initier à nouveau dans le futur (j’ai vu, Jean-Sébastien, que tu avais également réalisé la musique du film Vercors de Sébastien Berlendis -2021- avec ton projet solo Recorded Home) ?
Avec Vergine Keaton on se connait depuis très longtemps car nous avons fait les mêmes études de cinéma à l’université Lyon 2, et tout se passe très limpidement lorsque nous travaillons ensemble. Nous aimons chacun nos univers, et ils s’enrichissent parfaitement. Quand nous réalisons la musique d’un film, la collaboration intervient assez tôt dans le processus. Pour « Le tigre de Tasmanie » nous avons commencé à faire des propositions dès que nous avons eu le scénario en main.
Justement, et ça ne m’arrive pas souvent, mais j’ai acheté Lost Lost Lost (l’édition vinyle) à Total Heaven il y a longtemps, sans connaître votre musique, à cause de la pochette qui m’a vraiment intriguée. Et j’ai adoré ce que j’y ai découvert. Les artworks de vos disques sont vraiment aussi frappants qu’inspirants. Qui les réalise et comment ont-ils été élaborés ?
Merci ! C’est en effet très important pour nous ! Nous désirons que les pochettes soient frappantes, intrigantes, voire dérangeantes. En tout cas qu’elles interpellent et ne laissent pas indifférent. Il faut qu’elles suscitent de l’interrogation, du désir.
Généralement, soit on fait appel à un artiste qu’on aime pour réaliser notre artwork, soit on prend une image déjà existante d’un artiste que l’on aime.
Vous disiez dans une interview que faire de la musique était une façon de combattre la mélancolie. Vous pouvez nous expliquer ?
Je dirais maintenant que c’est plus une manière de l’entretenir, de la nourrir ! Auparavant je me sentais beaucoup plus mélancolique, et faire de la musique permettait en quelque sorte de vivre totalement ce sentiment pour l’exorciser dans ma vie. Maintenant que la mélancolie au quotidien m’a un peu quitté, je sens que parfois elle me manque – comme une intimité – et je ressens le désir de m’y rebaigner comme si c’était là qu’était l’origine de mon être, de ma sensibilité.
Si vous deviez citer trois disques sans lesquels vous ne pourriez vivre…
Le premier sans hésiter serait le disque solo de Mark Hollis (Mark Hollis, 1998), un sommet indétrônable pour moi [et un bon moyen de soigner sa mélancolie…]. J’y retourne toujours. Ensuite je choisirais le second album de Tindersticks (1995), et sans doute Washing Machine (1995) de Sonic Youth.
Évidemment tous ces disques datent de la fin des années 90. Entre 16 et 20 ans c’est là que tout s’est joué pour moi musicalement. J’avais une sensibilité à fleur de peau, et c’est à ce moment là que j’ai vécu mes grands chocs musicaux. Et même 20 ans après je ne m’en remets pas ! Ça a fondé mon ADN musical.
Comment s’articule pour vous le passage de l’enregistrement au live ?
Lorsqu’on fait un album on cherche à atteindre une forme parfaite et définitive pour chaque morceau, et de ce fait nous restons la plupart du temps très fidèles à ce qui a été enregistré.
Pour autant, si j’ai tout compris, pour la soirée des 15 ans des Disques Normal, vous serez en version resserrée en duo (comme sur La Battue) avec un set aux machines et aux claviers et la projection de vidéos. Que sont ces images et comment avez-vous souhaité les articuler avec la musique ?
En concert, nous utilisons les vidéos réalisées pour nos clips. Nous les projetons dans la mesure du possible sur nous et sur un écran derrière nous qui fait toute la scène. Idéalement nous ne souhaitons pas trop d’autres lumières en plus. L’idée est que le concert soit le plus immersif possible.
Merci !!
Tycho Brahe, Jullian Angel, Blue Haired Girl et Arianna Monteverdi joueront vendredi 20 mai 2022
Fiascø, A Movement Of Return, Les Marquises et The Missing Season joueront samedi 21 mai 2022
de 14h à 19h – Tarif 1 jour : 12 € en prévente ou 15 € sur place
Pass 2 jours : 20 € uniquement en prévente
Le Jardin Moderne, 11 rue du Manoir de Servigné, Rennes
Bus n°11 (arrêt Jardin Moderne)
Bus n°9 (arrêt Cleunay)
lignes n°54, 55, 56 (arrêt Berthault)
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